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Echos des luttes antinucléaires

Projet de barrage à Saint Romain de Jalionas, en aval immédiat de la centrale nucléaire du Bugey

Rhônergia, un « barrage à usage nucléaire » ?

Une analyse de Sortir du nucléaire Pays nantais

Article publié le 28 février 2024



La Commission nationale du débat public (CNDP) a ouvert du 1er décembre 2023 au 29 février 2024 une « concertation préalable » sur un projet de barrage Rhônergia à Saint-Romain-de-Jalionas (en aval de la centrale nucléaire du Bugey). Prétextant un besoin de production hydroélectrique, il apparaît que ce projet pourrait être qualifié de « barrage à usage nucléaire ». Sa production serait la plus faible de tous les barrages concédés à la Compagnie nationale du Rhône (CNR). Son objectif semble plutôt être celui d’accaparer l’eau au profit de la centrale nucléaire du Bugey, soumise à une baisse importante des débits d’étiage et alors même que l’implantation de deux nouveaux EPR2 y est prévu.



Situation du projet de barrage (à gauche) et du site de la centrale nucléaire du Bugey (droite)
La proximité immédiate de la centrale nucléaire, et la faible production hydro-électrique pose question quant à l’objectif de la retenue d’eau.

Pour nous il s’agit de la première pierre à ses projets, pour laquelle EDF n’aurait rien à débourser, mais qui aurait des impacts très lourds sur le Rhône, la faune et la flore et l’eau alimentant la métropole lyonnaise. Selon son contrat de concession des barrages du Rhône avec l’État, la CNR est tenue d’investir 500 millions d’euros d’ici 2041. Elle serait mieux inspirée de faire cet investissement dans les EnR à fort potentiel comme l’éolien et le photovoltaïque ou dans le suréquipement de barrages existants plutôt que dans ce nouveau barrage de 330 millions d’euros.

Pas de barrage à usage nucléaire, ni au Bugey ni ailleurs !

Argumentaire économique contre le projet de barrage CNR à Saint Romain de Jalionas « Rhônergia »

La concertation préalable consacrée au projet Rhônergia du 1er décembre 2023 au 29 février 2024 comporte de nombreuses contributions très majoritairement défavorables et de grande qualité consacrées à l’environnement, à l’eau et aux projets alternatifs. Mais on ne peut pas comprendre ce projet aberrant sans se pencher sur l’« éléphant dans la pièce » : la centrale nucléaire du Bugey et le projet d’Emmanuel Macron d’y construire deux EPR2.

La loi n° 2022-271 promulguée le 28 février 2022 qui a prolongé la concession de la Compagnie nationale du Rhône (CNR) sur les barrages du Rhône sur la période 2024-2041 a été élaborée sans prendre connaissance du rapport de la Cour des comptes du 22 février 2022. Par ailleurs, dans un avant projet de loi « souveraineté énergétique », le gouvernement voulait encore légiférer par ordonnances à ce sujet. On voit clairement que le gouvernement veut faire échapper le sujet des barrages hydroélectriques à la discussion la plus large et la plus éclairée.

Quelle est la situation de la concession à la CNR ?

Cette concession est une « vache à lait » [1] :

  • pour l’État qui perçoit des redevances,
  • pour les actionnaires de la CNR (Engie : 49,97 %, Caisse des dépôts et consignations (CDC) : 33,20 %, des collectivités locales : 16,83%).

Les consommateurices d’électricité ne profitent pas du caractère véritablement bon marché de cette électricité alors que, par contraste, les gouvernements successifs ont voulu faire croire au dogme d’un nucléaire pas cher à travers la réglementation ARENH et la réglementation envisagée post-ARENH, au risque d’EDF puis de la contribution de tous les consommateurices d’électricité (quel que soit leur fournisseur et leur offre d’électricité) et/ou des contribuables.

La CNR n’emprunte pas, l’investissement est sa variable d’ajustement, mais les dividendes pour ses actionnaires sont conséquents.

Les dividendes distribués de 2003 à 2020 par la CNR à ses actionnaires s’élèvent en effet à 1,529 milliard d’euros [2]. Dans le même temps, la CNR n’a investi que 206 millions d’euros dans sa filiale consacrée aux nouvelles EnR, CN’Air (page 36/59 du rapport de la Cour des comptes).

La concession expirait en 2023. Elle a été renouvelée gratuitement et sans appel d’offres sur la période 2024-2041. Les obligations de la CNR sont le paiement de redevances à l’État et la réalisation de programmes d’investissement dont la Cour des comptes n’a pu que constater la sous-réalisation sur la période 2012-2020 (page 32/59 du rapport de la Cour des comptes).

Des sénateurices avaient déposé le 1er septembre 2021 une proposition de loi permettant une exploitation en quasi-régie mais cette solution n’a pas été retenue.

L’hydroélectricité du Rhône constitue donc une rente qui ne bénéficie ni aux consommateurices, ni au développement massif des EnR.

Le principal investissement envisagé sur la période 2024-2041 de la concession est un barrage en aval immédiat de la centrale du Bugey (Rhônergia à Saint Romain de Jalionas).

En quoi consiste le projet de barrage et pourquoi ce projet est inacceptable ?

Dans ce contexte confortable financièrement pour la CNR, le gouvernement a choisi de mettre à la charge de la CNR ce projet de barrage en aval immédiat de la centrale nucléaire du Bugey pour un montant d’investissement de 330 millions d’euros (valeur 2023).

La production hydroélectrique de ce barrage est la plus faible parmi les barrages concédés à la CNR : 140 GWh par an (puissance de 37 MW) soit l’équivalent de la production électrique de 25 éoliennes de 3 MW (pour un facteur de charge d’environ 21%).

Incidence de l’ouvrage sur la ligne d’eau

On ne peut que s’étonner d’un tel projet ! Ses impacts sur le Rhône seront conséquents sur une longueur de 26 km (barrage, déplacement et creusement du lit du fleuve (!), digues, destruction de la ripisylve, destruction d’habitats d’animaux, etc.). La devise affichée « chaque kilowatt de production installée comptera » [3] ne doit pas faire illusion [4]. L’objectif du barrage n’est pas hydroélectrique : il est de réaliser une chute d’eau de 6,80 mètres, permettant de garantir en amont immédiat une capacité de refroidissement à la centrale nucléaire du Bugey alors que la construction d’une paire d’EPR2 y est envisagée et que les débits du Rhône sont appelés à baisser en été du fait des changements climatiques [5].

D’ailleurs, l’évaluation socio-économique du projet [6] démontre que ce projet n’est pas justifié par la production hydroélectrique. Cette évaluation valorise les économies de CO2 de ce projet mais elle les surestime. Elle considère que la production hydroélectrique de ce projet répondra pour moitié à une demande de pointe assurée sinon par des centrales à gaz à cycle combiné. Problème : sur la totalité de la période de 75 ans considérée (2036-2110), il n’est envisagé dans aucun scenarii que du gaz fossile soit utilisé dans des centrales à gaz à cycle combiné, en particulier sur la période 2050-2110 :

Composition de la valeur actualisée nette du projet

c’est bien du biométhane (scenarii négaWatt) ou de l’hydrogène « bas carbone » (scenarii RTE) qui doit être utilisé à terme dans ces installations afin de respecter l’objectif de neutralité carbone dès 2050. De ce fait, l’économie de CO2, et donc sa valorisation, sont surestimées. Or, sans cette survalorisation, la valeur actualisée nette du projet devient inférieure à zéro euro et l’intérêt socio-économique de ce projet tombe !

Conclusion

L’État et les actionnaires principaux de la CNR détournent la rente de l’hydroélectricité au profit du nucléaire. Ici, cette rente financerait un ouvrage qui devrait être mis à la charge d’EDF et de son projet d’EPR2 sur le site du Bugey : grâce à ce détournement, EDF, déjà surendettée, n’aurait pas à investir 330 millions d’euros supplémentaires.

Mais Engie et la CDC, actionnaires principaux de la CNR, sont également très portés à réinvestir dans le nucléaire une partie de leurs dividendes massivement reçus de la CNR :

On voit que les enjeux nucléaires de ce projet de barrage sont occultés et que, par conséquent, la possibilité même de choix énergétiques éclairés pour les français-e-s mais aussi les belges (Engie est fortement implanté en Belgique via Electrabel et Tractebel) et les genevois, tout proches, passe au second plan.

Le moindre projet éolien ou photovoltaïque qui présenterait ne serait-ce qu’1 % des inconvénients de ce projet serait disqualifié d’office. Ce projet de barrage à usage nucléaire doit donc être abandonné dès l’issue de cette phase de concertation préalable.

Évidemment, les réacteurs de la centrale nucléaire du Bugey, du même palier CP0 que ceux de Fessenheim, doivent être arrêtés au plus vite et le projet de réacteurs EPR2 doit être abandonné au profit d’une production énergétique 100 % renouvelable et efficace et de sobriété énergétique, à commencer par la concrétisation de la rénovation de tous les bâtiments au niveau BBC (étiquettes énergie A et B) comme prévu part la loi LTECV de 2015. La CNR doit contribuer à ces objectifs en investissant dans l’éolien, le solaire, le suréquipement des barrages existants, l’isolation des bâtiments, etc..

Participations à la concertation préalable

Certaines organisations ont décidé de participer à la concertation préalable lancée par la Commission nationale du débat public (CNDP). Elles ont partagé leur analyse et exprimé leur point de vue sur le projet Rhônergia. Nous mettons en lumière ici quelques unes de ces contributions. Pour les rendre visibles, mais aussi parce que c’est une bonne manière de s’informer. De quoi comprendre les raisons de l’opposition à ce projet et pourquoi pas, de quoi s’inspirer pour celles et ceux qui voudraient aussi participer ou tout simplement en parler. Nous proposons aussi en plus une analyse socio-économique détaillée qui explique pourquoi ce projet est au service du site nucléaire du Bugey et pourquoi sa production hydroélectrique n’est qu’un alibi.

Il y a au 14 février 2024 7 cahiers d’acteurs dont aucun n’est favorable au projet !

Ces cahiers d’acteurs abordent des thèmes différents ou bien qui se recoupent. Nous avons mis en gras les cahiers d’acteurs les plus pertinents quant à leur sujet et/ou à leur avis :

Cahiers d’acteurs
Date de publication Organisme contributeur Sujet Avis
18 septembre 2023 Zone Atelier du Bassin du Rhône « forts enjeux socio-écologiques dont certains effets prévisibles sont antagonistes avec les objectifs de la directive-cadre Européenne sur l’eau et les efforts collectifs de restauration du fleuve mis en œuvre depuis plus de 25 ans » « prendre le temps nécessaire pour mieux évaluer les impacts environnementaux et sociétaux potentiels de ce barrage »
15 décembre 2023 Conseil Scientifique Régional du Patrimoine Naturel (CSRPN) AURA enjeux écologiques et eau potable « défavorable »
23 janvier 2024 Lo Parvi enjeux écologiques et eau potable « abandon du projet de barrage Rhônergia »
5 février 2024 FNE AURA alternatives en matière d’énergie « alternative d’optimisation de l’existant, d’économies d’énergie et de production d’énergie photovoltaïque [...] mobilisable rapidement »
5 février 2024 Association Archéologie de Saint Romain de Jalionas archéologie « nous disons NON, NON et NON à la construction de ce barrage »
9 février 2024 FNE Ain enjeux écologiques, eau potable et inondations, alternatives en matière d’énergie « FNE Ain considère […] que le projet de barrage Rhônergia est à rejeter dès maintenant. »
14 février 2024 LPO AuRA - Ain impact sur la biodiversité « La LPO s’oppose au projet Rhônergia »

Outre les cahiers d’acteurs, on trouve parmi la documentation des contributions de SDN Bugey et de SUD-Energie :

Documentation
Date de publication Organisme contributeur Sujet Avis
21 décembre 2023 SUD-Energie modèle économique et social du projet utile pour comprendre le projet de barrage dans le cadre général de la concession de l’État à la CNR
17 janvier 2024 SDN Bugey alternatives en matière d’énergie « Notre association Sortir du nucléaire Bugey est favorable à l’abandon du projet Rhônergia et à son remplacement par plusieurs parcs éoliens assurant la même production électrique. »

On trouve aussi, annexés aux compte-rendus synthétiques thématiques, le point de vue de nombreux organismes : OFB, Agence de l’eau Rhône Méditerranée Corse, Commission locale de l’eau (CLE), Métropole de Lyon, Syndicat de la rivière d’Ain aval et ses affluents (SR3A), etc.. Tous ces organismes semblent présenter une position plutôt défavorable à ce projet de barrage.

Pour participer à la concertation vous pouvez utiliser les arguments suivants :

Sur l’environnement naturel, paysager et patrimonial

  • Il s’agirait de l’aménagement de la plus longue portion du Rhône dont le cours n’a pas encore été artificialisé.
  • Les impacts de ce projet ne sont pas compensables : c’est une des dernières portions de Rhône au cours naturel qui serait définitivement perdue.
  • Les impacts sur le Rhône seraient conséquents, et sur une longueur de 26 km (barrage, déplacement du lit du fleuve, digues, creusement du lit du fleuve, destruction de la ripisylve, destruction d’habitats d’animaux, etc.).
  • Le cours du Rhône serait ralenti en amont du barrage d’où le réchauffement et l’eutrophisation, d’autant plus que les réacteurs nucléaires du Bugey y effectuent leurs rejets thermiques (en plus de leurs rejets radioactifs et chimiques).
  • La passe à poissons ne réduirait que partiellement l’impact sur la circulation des poissons par rapport au cours naturel.

Sur les enjeux socio-économiques

  • Avec la concession sur les barrages du Rhône, CNR bénéficie d’une rente en contrepartie de laquelle l’État a mis à sa charge ce projet de barrage à usage nucléaire (rehausser la ligne d’eau en amont) puisque sa faible production électrique ne sert que d’alibi.
  • EDF n’a pas à investir dans les 330 millions d’euros de ce projet de barrage qui serait en réalité la première pièce du projet EPR2 du Bugey, nécessaire au refroidissement des réacteurs du fait de la diminution du débit d’étiage de 18 à 34 % à horizon 2050, par la création d’une chute d’eau rehaussant la ligne d’eau sur la partie amont où se trouve le site de la centrale nucléaire du Bugey.
  • Il y a un risque accru d’inondation : « Les secteurs du bas du bourg de Saint-Vulbas, du hameau de Proulieu, du port de Lagnieu et du bas du village de Saint-Sorlin-en-Bugey apparaissent en rive droite particulièrement vulnérables vis-à-vis d’une évolution à la hausse de la ligne d’eau en crue. » (DDT citée par l’Autorité environnementale dans son Avis délibéré pour le cadrage préalable du nouvel aménagement).

Sur des alternatives possibles

  • Comme la CNR est tenue d’investir avant 2041 dans d’autres projets si ce n’est pas dans ce projet de barrage, la CNR pourrait investir dans 225 MW d’éolien ou dans 330 MW de photovoltaïque. Cela produirait pendant 25 ans autant que le projet de barrage sur 75 ans, pour un coût comparable voire inférieur et plus rapidement, ce qui est nécessaire pour respecter la trajectoire de réduction d’émissions de gaz à effet de serre de l’accord de Paris. Après la période de concession actuelle, d’autres investissements de renouvellement (repowering) pourront assurer la suite de cette production.
  • Comme la CNR est tenue d’investir avant 2041 dans d’autres projets si ce n’est pas dans ce projet de barrage, la CNR pourrait investir dans le suréquipement de ses barrages existants dont le potentiel est de 10 fois le projet Rhônergia mais sans contrainte supplémentaire sur le milieu naturel.
  • Puisque la CNR est prête à investir à fonds perdus dans le projet de barrage Rhônergia, la CNR pourrait plutôt aider les particuliers et/ou les offices HLM à investir dans l’isolation des logements afin d’atteindre l’objectif BBC (étiquettes énergie A et B) en 2050 prévu par la loi LTECV de 2015.

Sur l’impact sur l’eau

  • L’enjeu réel est l’accaparement de l’eau pour le refroidissement des réacteurs nucléaires du Bugey, en particulier des EPR2 envisagés à partir de 2041. Dans la même logique, Emmanuel Macron est allé négocier en personne le 15 novembre 2023 avec la Suisse pour tenter d’obtenir davantage d’eau du lac Léman en amont après avoir échoué à réduire le débit de la Meuse vers la Belgique et de la Moselle vers le Luxembourg au profit des centrales de Cattenom et de Chooz !
  • Ce projet viendrait en contradiction avec les dispositions de la directive cadre sur l’eau (DCE) et du SDAGE, s’agissant de la non-détérioration de l’état des masses d’eau.
  • La remise en suspension des sédiments dont les effluents radioactifs et chimiques de la centrale nucléaire du Bugey et des PCB à l’occasion des travaux et en fonctionnement menaceraient directement les captages d’eau potable en aval dont ceux qui alimentent la métropole de Lyon.

Sur les principes et les modalités de la concertation

  • La CNR refuse de rendre publiques les 4 conventions qui la lient à EDF dont une concerne les EPR2 et une autre le CNPE du Bugey existant en exploitation. C’est inacceptable !

Idées d’actions contre le projet Rhônergia de barrage à Saint Romain de Jalionas (en aval immédiat de la centrale nucléaire du Bugey)

Idée d’action n°1 : Je me rapproche d’une organisation locale (la concertation préalable ne concerne que l’Ain, l’Isère et le Rhône mais tout le bassin versant du Rhône est concerné par ce projet, et les projets d’EPR2 et le danger pour l’eau que constitue le nucléaire sont universels) : consultez la page "Groupes" pour savoir laquelle est la plus proche de chez vous.

Idée d’action n°2 : je fais une banderole ou une pancarte pour protester contre ce barrage à usage nucléaire ou contre les EPR et les EPR2 ou contre l’accaparement de l’eau par le nucléaire et je l’affiche dans un lieu symbolique ou pas (dans l’espace public, sur mon véhicule ou à ma fenêtre par exemple).

Et n’oubliez pas la boutique militante du Réseau "Sortir du nucléaire"


Notes

[1La Cour des comptes parle de « rente » (page 23/59 de son rapport).

[2Engie et la CDC ont reçu à eux seuls 1,230 milliard d’euros de dividendes de 2003 à 2020 alors qu’ils n’avaient acquis leur participation dans la CNR que pour un montant de 750 millions d’euros.

[3Dossier de la concertation préalable, page 14/102, https://concertation-rhonergia.fr/fr/documentation, 13 novembre 2023

[4Les perspectives du solaire photovoltaïque et de l’éolien sont bien plus importantes que celles de l’hydroélectricité au fil de l’eau. Suivant la même logique affichée, on se demande bien pourquoi le gouvernement n’envisage pas d’accélération sur l’éolien terrestre (il n’envisage que 1,5 GW par an de nouvelles capacités soit pas davantage que le rythme observé depuis 2016).

[5« Il est déjà constaté une baisse de débit en été de l’ordre de -7% sur le Haut Rhône depuis 1960, et cette baisse pourrait se poursuivre de l’ordre de -18% à -34 % selon les projections d’ici 2050. », agence de l’eau Rhône Méditerranée Corse, Compte-rendu synthétique de la table ronde « La question de l’eau autour du Haut Rhône », page 12/42, https://concertation-rhonergia.fr/fr/documentation, 15 janvier 2024

[6Évaluation socio-économique du projet Rhônergia, https://concertation-rhonergia.fr/fr/documentation, 15 décembre 2023

Situation du projet de barrage (à gauche) et du site de la centrale nucléaire du Bugey (droite)
La proximité immédiate de la centrale nucléaire, et la faible production hydro-électrique pose question quant à l’objectif de la retenue d’eau.

Pour nous il s’agit de la première pierre à ses projets, pour laquelle EDF n’aurait rien à débourser, mais qui aurait des impacts très lourds sur le Rhône, la faune et la flore et l’eau alimentant la métropole lyonnaise. Selon son contrat de concession des barrages du Rhône avec l’État, la CNR est tenue d’investir 500 millions d’euros d’ici 2041. Elle serait mieux inspirée de faire cet investissement dans les EnR à fort potentiel comme l’éolien et le photovoltaïque ou dans le suréquipement de barrages existants plutôt que dans ce nouveau barrage de 330 millions d’euros.

Pas de barrage à usage nucléaire, ni au Bugey ni ailleurs !

Argumentaire économique contre le projet de barrage CNR à Saint Romain de Jalionas « Rhônergia »

La concertation préalable consacrée au projet Rhônergia du 1er décembre 2023 au 29 février 2024 comporte de nombreuses contributions très majoritairement défavorables et de grande qualité consacrées à l’environnement, à l’eau et aux projets alternatifs. Mais on ne peut pas comprendre ce projet aberrant sans se pencher sur l’« éléphant dans la pièce » : la centrale nucléaire du Bugey et le projet d’Emmanuel Macron d’y construire deux EPR2.

La loi n° 2022-271 promulguée le 28 février 2022 qui a prolongé la concession de la Compagnie nationale du Rhône (CNR) sur les barrages du Rhône sur la période 2024-2041 a été élaborée sans prendre connaissance du rapport de la Cour des comptes du 22 février 2022. Par ailleurs, dans un avant projet de loi « souveraineté énergétique », le gouvernement voulait encore légiférer par ordonnances à ce sujet. On voit clairement que le gouvernement veut faire échapper le sujet des barrages hydroélectriques à la discussion la plus large et la plus éclairée.

Quelle est la situation de la concession à la CNR ?

Cette concession est une « vache à lait » [1] :

  • pour l’État qui perçoit des redevances,
  • pour les actionnaires de la CNR (Engie : 49,97 %, Caisse des dépôts et consignations (CDC) : 33,20 %, des collectivités locales : 16,83%).

Les consommateurices d’électricité ne profitent pas du caractère véritablement bon marché de cette électricité alors que, par contraste, les gouvernements successifs ont voulu faire croire au dogme d’un nucléaire pas cher à travers la réglementation ARENH et la réglementation envisagée post-ARENH, au risque d’EDF puis de la contribution de tous les consommateurices d’électricité (quel que soit leur fournisseur et leur offre d’électricité) et/ou des contribuables.

La CNR n’emprunte pas, l’investissement est sa variable d’ajustement, mais les dividendes pour ses actionnaires sont conséquents.

Les dividendes distribués de 2003 à 2020 par la CNR à ses actionnaires s’élèvent en effet à 1,529 milliard d’euros [2]. Dans le même temps, la CNR n’a investi que 206 millions d’euros dans sa filiale consacrée aux nouvelles EnR, CN’Air (page 36/59 du rapport de la Cour des comptes).

La concession expirait en 2023. Elle a été renouvelée gratuitement et sans appel d’offres sur la période 2024-2041. Les obligations de la CNR sont le paiement de redevances à l’État et la réalisation de programmes d’investissement dont la Cour des comptes n’a pu que constater la sous-réalisation sur la période 2012-2020 (page 32/59 du rapport de la Cour des comptes).

Des sénateurices avaient déposé le 1er septembre 2021 une proposition de loi permettant une exploitation en quasi-régie mais cette solution n’a pas été retenue.

L’hydroélectricité du Rhône constitue donc une rente qui ne bénéficie ni aux consommateurices, ni au développement massif des EnR.

Le principal investissement envisagé sur la période 2024-2041 de la concession est un barrage en aval immédiat de la centrale du Bugey (Rhônergia à Saint Romain de Jalionas).

En quoi consiste le projet de barrage et pourquoi ce projet est inacceptable ?

Dans ce contexte confortable financièrement pour la CNR, le gouvernement a choisi de mettre à la charge de la CNR ce projet de barrage en aval immédiat de la centrale nucléaire du Bugey pour un montant d’investissement de 330 millions d’euros (valeur 2023).

La production hydroélectrique de ce barrage est la plus faible parmi les barrages concédés à la CNR : 140 GWh par an (puissance de 37 MW) soit l’équivalent de la production électrique de 25 éoliennes de 3 MW (pour un facteur de charge d’environ 21%).

Incidence de l’ouvrage sur la ligne d’eau

On ne peut que s’étonner d’un tel projet ! Ses impacts sur le Rhône seront conséquents sur une longueur de 26 km (barrage, déplacement et creusement du lit du fleuve (!), digues, destruction de la ripisylve, destruction d’habitats d’animaux, etc.). La devise affichée « chaque kilowatt de production installée comptera » [3] ne doit pas faire illusion [4]. L’objectif du barrage n’est pas hydroélectrique : il est de réaliser une chute d’eau de 6,80 mètres, permettant de garantir en amont immédiat une capacité de refroidissement à la centrale nucléaire du Bugey alors que la construction d’une paire d’EPR2 y est envisagée et que les débits du Rhône sont appelés à baisser en été du fait des changements climatiques [5].

D’ailleurs, l’évaluation socio-économique du projet [6] démontre que ce projet n’est pas justifié par la production hydroélectrique. Cette évaluation valorise les économies de CO2 de ce projet mais elle les surestime. Elle considère que la production hydroélectrique de ce projet répondra pour moitié à une demande de pointe assurée sinon par des centrales à gaz à cycle combiné. Problème : sur la totalité de la période de 75 ans considérée (2036-2110), il n’est envisagé dans aucun scenarii que du gaz fossile soit utilisé dans des centrales à gaz à cycle combiné, en particulier sur la période 2050-2110 :

Composition de la valeur actualisée nette du projet

c’est bien du biométhane (scenarii négaWatt) ou de l’hydrogène « bas carbone » (scenarii RTE) qui doit être utilisé à terme dans ces installations afin de respecter l’objectif de neutralité carbone dès 2050. De ce fait, l’économie de CO2, et donc sa valorisation, sont surestimées. Or, sans cette survalorisation, la valeur actualisée nette du projet devient inférieure à zéro euro et l’intérêt socio-économique de ce projet tombe !

Conclusion

L’État et les actionnaires principaux de la CNR détournent la rente de l’hydroélectricité au profit du nucléaire. Ici, cette rente financerait un ouvrage qui devrait être mis à la charge d’EDF et de son projet d’EPR2 sur le site du Bugey : grâce à ce détournement, EDF, déjà surendettée, n’aurait pas à investir 330 millions d’euros supplémentaires.

Mais Engie et la CDC, actionnaires principaux de la CNR, sont également très portés à réinvestir dans le nucléaire une partie de leurs dividendes massivement reçus de la CNR :

On voit que les enjeux nucléaires de ce projet de barrage sont occultés et que, par conséquent, la possibilité même de choix énergétiques éclairés pour les français-e-s mais aussi les belges (Engie est fortement implanté en Belgique via Electrabel et Tractebel) et les genevois, tout proches, passe au second plan.

Le moindre projet éolien ou photovoltaïque qui présenterait ne serait-ce qu’1 % des inconvénients de ce projet serait disqualifié d’office. Ce projet de barrage à usage nucléaire doit donc être abandonné dès l’issue de cette phase de concertation préalable.

Évidemment, les réacteurs de la centrale nucléaire du Bugey, du même palier CP0 que ceux de Fessenheim, doivent être arrêtés au plus vite et le projet de réacteurs EPR2 doit être abandonné au profit d’une production énergétique 100 % renouvelable et efficace et de sobriété énergétique, à commencer par la concrétisation de la rénovation de tous les bâtiments au niveau BBC (étiquettes énergie A et B) comme prévu part la loi LTECV de 2015. La CNR doit contribuer à ces objectifs en investissant dans l’éolien, le solaire, le suréquipement des barrages existants, l’isolation des bâtiments, etc..

Participations à la concertation préalable

Certaines organisations ont décidé de participer à la concertation préalable lancée par la Commission nationale du débat public (CNDP). Elles ont partagé leur analyse et exprimé leur point de vue sur le projet Rhônergia. Nous mettons en lumière ici quelques unes de ces contributions. Pour les rendre visibles, mais aussi parce que c’est une bonne manière de s’informer. De quoi comprendre les raisons de l’opposition à ce projet et pourquoi pas, de quoi s’inspirer pour celles et ceux qui voudraient aussi participer ou tout simplement en parler. Nous proposons aussi en plus une analyse socio-économique détaillée qui explique pourquoi ce projet est au service du site nucléaire du Bugey et pourquoi sa production hydroélectrique n’est qu’un alibi.

Il y a au 14 février 2024 7 cahiers d’acteurs dont aucun n’est favorable au projet !

Ces cahiers d’acteurs abordent des thèmes différents ou bien qui se recoupent. Nous avons mis en gras les cahiers d’acteurs les plus pertinents quant à leur sujet et/ou à leur avis :

Cahiers d’acteurs
Date de publication Organisme contributeur Sujet Avis
18 septembre 2023 Zone Atelier du Bassin du Rhône « forts enjeux socio-écologiques dont certains effets prévisibles sont antagonistes avec les objectifs de la directive-cadre Européenne sur l’eau et les efforts collectifs de restauration du fleuve mis en œuvre depuis plus de 25 ans » « prendre le temps nécessaire pour mieux évaluer les impacts environnementaux et sociétaux potentiels de ce barrage »
15 décembre 2023 Conseil Scientifique Régional du Patrimoine Naturel (CSRPN) AURA enjeux écologiques et eau potable « défavorable »
23 janvier 2024 Lo Parvi enjeux écologiques et eau potable « abandon du projet de barrage Rhônergia »
5 février 2024 FNE AURA alternatives en matière d’énergie « alternative d’optimisation de l’existant, d’économies d’énergie et de production d’énergie photovoltaïque [...] mobilisable rapidement »
5 février 2024 Association Archéologie de Saint Romain de Jalionas archéologie « nous disons NON, NON et NON à la construction de ce barrage »
9 février 2024 FNE Ain enjeux écologiques, eau potable et inondations, alternatives en matière d’énergie « FNE Ain considère […] que le projet de barrage Rhônergia est à rejeter dès maintenant. »
14 février 2024 LPO AuRA - Ain impact sur la biodiversité « La LPO s’oppose au projet Rhônergia »

Outre les cahiers d’acteurs, on trouve parmi la documentation des contributions de SDN Bugey et de SUD-Energie :

Documentation
Date de publication Organisme contributeur Sujet Avis
21 décembre 2023 SUD-Energie modèle économique et social du projet utile pour comprendre le projet de barrage dans le cadre général de la concession de l’État à la CNR
17 janvier 2024 SDN Bugey alternatives en matière d’énergie « Notre association Sortir du nucléaire Bugey est favorable à l’abandon du projet Rhônergia et à son remplacement par plusieurs parcs éoliens assurant la même production électrique. »

On trouve aussi, annexés aux compte-rendus synthétiques thématiques, le point de vue de nombreux organismes : OFB, Agence de l’eau Rhône Méditerranée Corse, Commission locale de l’eau (CLE), Métropole de Lyon, Syndicat de la rivière d’Ain aval et ses affluents (SR3A), etc.. Tous ces organismes semblent présenter une position plutôt défavorable à ce projet de barrage.

Pour participer à la concertation vous pouvez utiliser les arguments suivants :

Sur l’environnement naturel, paysager et patrimonial

  • Il s’agirait de l’aménagement de la plus longue portion du Rhône dont le cours n’a pas encore été artificialisé.
  • Les impacts de ce projet ne sont pas compensables : c’est une des dernières portions de Rhône au cours naturel qui serait définitivement perdue.
  • Les impacts sur le Rhône seraient conséquents, et sur une longueur de 26 km (barrage, déplacement du lit du fleuve, digues, creusement du lit du fleuve, destruction de la ripisylve, destruction d’habitats d’animaux, etc.).
  • Le cours du Rhône serait ralenti en amont du barrage d’où le réchauffement et l’eutrophisation, d’autant plus que les réacteurs nucléaires du Bugey y effectuent leurs rejets thermiques (en plus de leurs rejets radioactifs et chimiques).
  • La passe à poissons ne réduirait que partiellement l’impact sur la circulation des poissons par rapport au cours naturel.

Sur les enjeux socio-économiques

  • Avec la concession sur les barrages du Rhône, CNR bénéficie d’une rente en contrepartie de laquelle l’État a mis à sa charge ce projet de barrage à usage nucléaire (rehausser la ligne d’eau en amont) puisque sa faible production électrique ne sert que d’alibi.
  • EDF n’a pas à investir dans les 330 millions d’euros de ce projet de barrage qui serait en réalité la première pièce du projet EPR2 du Bugey, nécessaire au refroidissement des réacteurs du fait de la diminution du débit d’étiage de 18 à 34 % à horizon 2050, par la création d’une chute d’eau rehaussant la ligne d’eau sur la partie amont où se trouve le site de la centrale nucléaire du Bugey.
  • Il y a un risque accru d’inondation : « Les secteurs du bas du bourg de Saint-Vulbas, du hameau de Proulieu, du port de Lagnieu et du bas du village de Saint-Sorlin-en-Bugey apparaissent en rive droite particulièrement vulnérables vis-à-vis d’une évolution à la hausse de la ligne d’eau en crue. » (DDT citée par l’Autorité environnementale dans son Avis délibéré pour le cadrage préalable du nouvel aménagement).

Sur des alternatives possibles

  • Comme la CNR est tenue d’investir avant 2041 dans d’autres projets si ce n’est pas dans ce projet de barrage, la CNR pourrait investir dans 225 MW d’éolien ou dans 330 MW de photovoltaïque. Cela produirait pendant 25 ans autant que le projet de barrage sur 75 ans, pour un coût comparable voire inférieur et plus rapidement, ce qui est nécessaire pour respecter la trajectoire de réduction d’émissions de gaz à effet de serre de l’accord de Paris. Après la période de concession actuelle, d’autres investissements de renouvellement (repowering) pourront assurer la suite de cette production.
  • Comme la CNR est tenue d’investir avant 2041 dans d’autres projets si ce n’est pas dans ce projet de barrage, la CNR pourrait investir dans le suréquipement de ses barrages existants dont le potentiel est de 10 fois le projet Rhônergia mais sans contrainte supplémentaire sur le milieu naturel.
  • Puisque la CNR est prête à investir à fonds perdus dans le projet de barrage Rhônergia, la CNR pourrait plutôt aider les particuliers et/ou les offices HLM à investir dans l’isolation des logements afin d’atteindre l’objectif BBC (étiquettes énergie A et B) en 2050 prévu par la loi LTECV de 2015.

Sur l’impact sur l’eau

  • L’enjeu réel est l’accaparement de l’eau pour le refroidissement des réacteurs nucléaires du Bugey, en particulier des EPR2 envisagés à partir de 2041. Dans la même logique, Emmanuel Macron est allé négocier en personne le 15 novembre 2023 avec la Suisse pour tenter d’obtenir davantage d’eau du lac Léman en amont après avoir échoué à réduire le débit de la Meuse vers la Belgique et de la Moselle vers le Luxembourg au profit des centrales de Cattenom et de Chooz !
  • Ce projet viendrait en contradiction avec les dispositions de la directive cadre sur l’eau (DCE) et du SDAGE, s’agissant de la non-détérioration de l’état des masses d’eau.
  • La remise en suspension des sédiments dont les effluents radioactifs et chimiques de la centrale nucléaire du Bugey et des PCB à l’occasion des travaux et en fonctionnement menaceraient directement les captages d’eau potable en aval dont ceux qui alimentent la métropole de Lyon.

Sur les principes et les modalités de la concertation

  • La CNR refuse de rendre publiques les 4 conventions qui la lient à EDF dont une concerne les EPR2 et une autre le CNPE du Bugey existant en exploitation. C’est inacceptable !

Idées d’actions contre le projet Rhônergia de barrage à Saint Romain de Jalionas (en aval immédiat de la centrale nucléaire du Bugey)

Idée d’action n°1 : Je me rapproche d’une organisation locale (la concertation préalable ne concerne que l’Ain, l’Isère et le Rhône mais tout le bassin versant du Rhône est concerné par ce projet, et les projets d’EPR2 et le danger pour l’eau que constitue le nucléaire sont universels) : consultez la page "Groupes" pour savoir laquelle est la plus proche de chez vous.

Idée d’action n°2 : je fais une banderole ou une pancarte pour protester contre ce barrage à usage nucléaire ou contre les EPR et les EPR2 ou contre l’accaparement de l’eau par le nucléaire et je l’affiche dans un lieu symbolique ou pas (dans l’espace public, sur mon véhicule ou à ma fenêtre par exemple).

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