Bure : c’est dans ce petit village de la Meuse que l’industrie nucléaire veut enfouir ses déchets les plus dangereux, qui resteront radioactifs pendant des centaines de milliers d’années.
24 janvier 2018 |
L’annonce de l’abandon du site de Notre-Dame-des-Landes, avec lequel nous avons noué des liens étroits et une belle solidarité, nous réjouit énormément. Des années de lutte multiforme et déterminée contre un méga-projet de développement aérien ont payé... Non seulement des hectares de terres agricoles et maraîchères et des zones humides seront préservés mais des lieux d’expérimentation sociale déjà en construction pourraient s’y renforcer. L’heure n’est donc plus à l’entêtement pour le gouvernement : nous condamnons d’avance toute tentative d’expulsion de la zone au printemps, même partielle.
Concernant la lutte à Bure, le récent emballement médiatique qui a suivi cette décision nous semble mériter quelques précisions.
A Bure nous n’avons jamais revendiqué l’étiquette "ZAD", qui cache les spécificités propres à chaque lutte. Nous ne croyons pas non plus à un "transfert de ZAD", comme si les raisons de lutter étaient interchangeables et que des gens circulaient sans raison profonde, au gré de l’actualité, de Notre-Dame-des-Landes à Bure et ailleurs. Agiter l’épouvantail de cette migration zadiste, comme le font certains élus locaux actuellement, n’est qu’un moyen de légitimer à peu de frais la répression qui sévit ici. La réalité est en fait beaucoup plus simple : si de nouvelles personnes doivent nous rejoindre, venues de l’ouest ou d’ailleurs, ce sera parce que le nucléaire est mortifère et que, plus que jamais, cela fait sens de venir en 2018 dans la Meuse pour s’y opposer.
Ici, la défense du territoire a commencé dans les années 1990 et n’a cessé de se renouveler, rythmée par l’actualité du projet. Depuis 2015, la convergence des luttes et de nombreux recours juridiques ont permis de bloquer les travaux préparatoires de l’ANDRA, en libérant et en occupant le Bois Lejuc, une zone stratégique pressentie pour y creuser les galeries de Cigéo, et les puits d’accès et de relarguage d’hydrogène radioactif. De forts liens se sont tissés entre nouveaux arrivant-es qui pour certains s’implantent localement, riverain-es, paysann-es et toutes celles et ceux qui depuis plus de 30 ans résistent au projet d’enfouir les déchets nucléaires. Un objectif commun : ne pas laisser s’implanter ce qui est aujourd’hui présenté comme le plus gros chantier du siècle à venir, mais aussi le plus risqué qui soit. L’abandon de Notre-Dame-des-Landes doit ouvrir la voie à une remise en cause profonde de Cigéo.
A NDDL, il vient d’être reconnu officiellement que « les conditions n’étaient pas réunies » pour faire aboutir le projet d’aéroport international. A Bure aussi, tous les signaux sont au rouge.
Les "gendarmes" du nucléaire (IRSN et ASN) confirment d’un côté les craintes portées par l’opposition depuis toujours, sans pour autant aller jusqu’à alerter les pouvoirs publics sur la nécessité de stopper le projet. Cigéo serait bien une usine à hydrogène explosive, un monstrueux et fragile "métro" radioactif souterrain potentiellement inflammable, un legs infinançable, un cadeau empoisonné et irréversible pour des millions d’années. L’abandon du projet de NDDL doit servir de leçon : « rien ne sert de courir, il faut réfléchir à point ! »
"Un tel projet [...] ne peut se faire dans un contexte d’opposition exacerbée entre deux parties presque égales de la population" a déclaré le premier ministre, le 17 janvier 2018. Ici, dès les années 1990, ce sont les deux tiers des départements de Meuse et de Haute Marne qui ont signé une pétition contre l’enfouissement. Des années de résistance argumentée pèsent lourd dans ce dossier. L’accroissement de moyens répressifs surdimensionnés sur le terrain témoigne de la « non-acceptation » récurrente du stockage géologique profond. L’échec de la politique qui impose sans concerter et soudoie le tissu local en est le révélateur. Dans ce contexte, Cigéo est tout bonnement impossible.
Des parlementaires évoquent un changement de méthode : « ces grands chantiers devront répondre à de nouveaux critères, durabilité économique, acceptation sociale, enjeux climatiques et environnementaux. » Jusqu’ici, la méthode Bure a été tout l’inverse et, par ailleurs, aucune alternative à l’enfouissement n’a été réellement étudiée. Nous en appelons donc au bon sens des pouvoirs publics : il faut stopper le projet Cigéo/Bure qui accumule les remises en question -technologiques, financières et sociales- et remettre en urgence tout à l’étude, de la production des déchets atomiques à leur épineuse gestion.
Nous réfutons en bloc la campagne de désinformation qui fait de Cigéo une fatalité et une nécessité incontournable, à l’instar du sénateur de la Meuse. Gérard Longuet, en minimisant les risques et faisant tout récemment de Cigéo "l’expression forte du sens des responsabilités de notre génération à l’endroit des celles, nombreuses qui nous succéderont et qui grâce à nous pourront bénéficier sans risque du nucléaire....", est le porte-parole d’une politique énergétique dépassée, au service de schémas sociétaux dont nous ne voulons plus.
C’est pourquoi, face à l’énormité de cet enjeu à Bure, ne résumons pas un engagement vital à une lutte codifiée et attendue.
La mobilisation contre Cigéo ne relève ni d’effet de mode, ni d’un courant de pensée isolé mais révèle les dangers d’un projet insensé autant que le désir d’une société en devenir, d’une belle diversité. Et elle concerne bien chaque membre de la société française, responsable chacun-e à son niveau de l’intégrité d’une planète, la nôtre, à transmettre aux générations futures.
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