Si la relance du secteur nucléaire semble déjà actée pour beaucoup, des doutes et des obstacles entravent encore la réalisation d’un tel projet. La filière nucléaire est encore fragilisée par le fiasco de l’EPR de Flamanville, dont les problèmes de construction découlent entre autres de la sous-traitance et des irrégularités de fabrication.
EDF et le secteur nucléaire ont-ils bénéficié d"un retour d’expérience suffisant avant de se lancer dans la construction de six nouveaux réacteurs ?
Les derniers rapports d’inspection de l’Autorité de Sûreté Nucléaire (ASN) sur le thème de la prévention, la détection et le traitement des irrégularités (fraudes) dans le secteur nucléaire soulèvent en effet des problèmes récurrents dans la chaîne de production. Ces rapports laissent entendre que les problèmes de construction qu’a connu l’EPR de Flamanville pourraient se répéter.
Pour dénoncer des manquements dans la surveillance de la sous-traitance et des irrégularités dans la fabrication de pièces destinées à l’industrie nucléaire, nous portons plainte contre EDF.
Entre l’annonce, en février 2022, de la relance de l’industrie nucléaire et la mise en service effective d’un nouveau réacteur, il se passera plusieurs années et toute une phase opérationnelle très technique. Plusieurs éléments nous font douter de la capacité de l’exploitant à la mener à bien.
Si la construction d’un nouveau réacteur découle d’une volonté politique, elle dépend avant tout de la capacité financière, organisationnelle et technique de l’exploitant. Or, si l’on en croit les derniers chantiers nucléaires, marqués par leurs irrégularités, malfaçons et retards, cela relève de l’exploit industriel.
Fin 2022, l’Autorité de sûreté nucléaire est ainsi passée à plusieurs reprises dans les locaux des services centraux d’EDF pour vérifier les achats liés aux EPR2.
La construction de pièces a été confiée à des entreprises connues pour leurs écarts de gestion, comme notamment Framatome qui a déjà forgé la cuve de l’EPR de Flamanville, avec les défauts de fabrication bien connus, ou Japan Steel Works (JSW), fabricant japonais, qui a annoncé en 2022 avoir découvert plusieurs falsifications dans ses dossiers de fabrication (modifications des résultats d’analyses chimiques, d’essais mécaniques, de contrôles et de mesures de contraintes).
Plus grave encore, l’ASN relève dans un rapport en date du 9 juin 2023 que :
"Les derniers contrôles effectués par l’ASN [sur le thème de la surveillance des sous-traitants] mettent en évidence des faiblesses récurrentes qui peuvent avoir un impact sur la sûreté des installations ou plus généralement sur la conduite de grand projet.
Il a ainsi été rappelé en éléments introductifs la nécessité pour EDF de travailler sur la prévention des irrégularités pouvant s’apparenter à des fraudes et de renforcer l’efficacité du processus de surveillance. L’ASN a rappelé qu’elle attend des actions fortes en l’espèce dans le contexte des projets de construction de nouveaux réacteurs."
C’est sur la base de ces rapports d’inspection de l’ASN que le Réseau "Sortir du nucléaire" a décidé de porter plainte contre EDF, le 11 septembre 2023.
Le contrôle de la fabrication des équipements nucléaires étant de la responsabilité d’EDF, cette dernière doit s’assurer que la culture de sûreté est diffusée, connue, comprise et appliquée dans toute la chaîne de sous-traitance.
Mais les sous-traitants manquent de compétences à cause de la technicité de la réglementation et de la complexité des pièces à fabriquer. Ils sont par ailleurs nombreux et sous-traitent eux-mêmes certaines tâches. Cela rend le suivi des opérations par EDF quasi impossible. Quelle peut bien être en effet la responsabilité et la marge de manœuvre d’EDF sur le sous-traitant de son sous-traitant ?
Si celui qui sous-traite n’est plus en capacité de surveiller correctement sa chaîne de fabrication, des cas de fraude peuvent facilement émerger et des pièces non conformes peuvent être installées sur des sites nucléaires sans que l’exploitant ou les autorités de sûreté ne s’en rendent compte avant des années.
C’est d’ailleurs ce que l’histoire nous a appris.
Derrière les retards de construction de l’EPR de Flamanville, il y a le scandale de l’usine Creusot Forge.
Dès 2005, l’ASN avait alerté le responsable de l’usine, Areva NP (devenu depuis Framatome), et EDF des mauvaises pratiques qui régnaient à l’usine du Creusot. Comme l’atteste la correspondance entre Areva et l’ASN, l’industriel est passé outre les alertes de l’ASN quant aux processus de fabrication de cet équipement alors que le site industriel devait fournir des pièces pour l’EPR de Flamanville.
Les craintes de l’ASN se sont concrétisées en 2015, lorsque Areva la prévient que la cuve contient des défauts remettant en question sa résistance à la rupture.
Non seulement l’usine Creusot Forge n’a pas réussi à fabriquer le couvercle de la cuve de l’EPR de Flamanville, mais en plus le dossier de fabrication a été falsifié pour que personne ne puisse s’en rendre compte.
L’industriel qui avait prévu d’assurer la construction de l’EPR sur une durée prévisionnelle de 5 ans s’est donc bien fait surprendre : la durée du chantier a été multipliée par 3.
L’ASN, vigilante à ce que ce fiasco ne se reproduise pas, a lancé une campagne dès 2016 mettant au centre de sa mission de contrôle le devoir de surveillance d’EDF sur ses sous-traitants. Elle rappelle à tous les exploitants d’Installation Nucléaire de Base (INB) qu’ils sont responsables de la sûreté de leurs installations et de la protection des intérêts mentionnés et qu’il leur appartient de mettre en place des mesures de prévention, de détection et de traitement des fraudes.
Depuis 2016, les inspections réalisées dans cette volonté de renforcer la prévention des fraudes nous ont permis de découvrir un certain nombre d’infractions liées au manque de surveillance d’EDF. Nous avons saisi le 31 août 2023 le parquet de Paris à ce propos.