Le 8 avril 2021, les associations Réseau “Sortir du nucléaire“ et Sortir du nucléaire Bugey ont déposé plainte devant le Jury de Déontologie Publicitaire au sujet de la publicité « Nucléaire, une énergie nécessaire » en ligne sur le site d’EDF.
Sur cette page, EDF met notamment en avant 5 mots-clés pour qualifier le nucléaire : « Disponibilité, compétitivité, Respect du climat, Sûreté et Indépendance énergétique ».
▸ Disponibilité : Le nucléaire permet de fournir de l’électricité à tout moment de la journée et de l’année▸ Compétitivité : Grâce au nucléaire, le kWh en France est en moyenne 40 % moins cher que chez nos voisins européens
▸ Respect du climat : L’électricité produite à partir du nucléaire n’émet pas de CO2
▸ Sûreté : Les centrales nucléaires françaises sont les installations industrielles les plus contrôlées et protégées
▸ Indépendance énergétique : La part prépondérante du nucléaire dans le mix énergétique français permet l’indépendance énergétique du pays
Pourtant, une bonne partie de ces affirmations sont factuellement fausses [1]. Les exploitants nucléaires (dont EDF) le savent bien, ayant déjà été condamnés à plusieurs reprises pour des publicités semblables.
Avec cette publicité, EDF tente de donner une image « éco-responsable » de l’industrie nucléaire qui induit en erreur le public sur les bénéfices supposés du nucléaire, et passe sous silence les nuisances considérables liées à l’utilisation de cette technologie : pollution des mines d’uranium, production de déchets dangereux pour des durées dépassant le temps humain, risque d’accident…
Nous espérons vivement que le Jury de Déontologie Publicitaire viendra sanctionner ces publicités, qui contreviennent à plusieurs des règlementations énoncées par l’Agence de Régulation Professionnelle de la Publicité.
Alors que l’industrie nucléaire pousse activement pour le renouvellement du parc nucléaire français, ces formulations visant à parer le nucléaire de vertus qu’il ne possède pas ne sont pas innocentes. Face à une opinion publique majoritairement hostile à la construction de nouveaux réacteurs, la diffusion de cette publicité apparaît comme une tentative d’améliorer l’acceptabilité sociale du nucléaire. Cette communication malhonnête doit prendre fin !
Une audience a eu lieu devant le JDP le 2 juillet 2021 [2]. L’avis de celui-ci a été rendu le 2 juillet 2021.
Dans cet avis, le JDP reconnaît la plainte des associations comme partiellement fondée. Selon lui, "d’une part, la publicité en cause indique, au titre de la « Compétitivité », que « Grâce au nucléaire, le kWh en France est en moyenne 40% moins cher que dans les autres pays européens ». Ni la page litigieuse, ni les documents auxquels elle donne accès, ni les observations présentées par EDF ne permettent de comprendre l’origine de ce chiffre, le périmètre des « pays européens » pris en compte, et la méthodologie de calcul utilisée. Au surplus, le Jury n’est pas parvenu à identifier une source publiquement accessible faisant état d’un tel écart de prix au bénéfice du consommateur français. A titre d’exemple, la publication du ministère de la transition écologique de juin 2021 intitulée « Prix de l’électricité en France et dans l’Union européenne en 2020 » indique que « Le prix en France reste de 13 % inférieur à la moyenne de l’Union européenne, mais cet écart, qui était de 32 % en 2008, se réduit à nouveau ». Eu égard aux éléments dont il dispose, le Jury ne peut considérer l’allégation litigieuse comme justifiée. D’autre part, l’allégation « Respect du climat : L’électricité produite à partir du nucléaire n’émet pas de CO2 » laisse entendre au consommateur que la production d’énergie nucléaire n’impliquerait aucune émission de dioxyde de carbone, y compris en tenant compte de l’ensemble du cycle de vie. Or comme l’a relevé le Jury dans son avis 373/15, il ne peut être prétendu que la totalité de l’électricité produite par les centrales nucléaires n’implique aucune émission de ce gaz. Il ressort ainsi du document « Le nucléaire d’EDF en France, c’est quoi ? » auquel renvoie la page du site internet en cause que le nucléaire produirait en émissions directes environ 12 g de CO2 / kWh, soit autant que les énergies renouvelables, « hors analyse du cycle de vie des moyens de production et des combustibles fossiles ». La formule litigieuse est donc de nature à induire en erreur le public sur la réalité des émissions de CO2 liées à l’énergie nucléaire".
[1] - Disponibilité ? Pourtant, le réseau électrique est actuellement en tension, la crise sanitaire ayant bousculé le calendrier d’arrêt pour maintenance des réacteurs
▸ Compétitivité, alors que l’AIE [https://www.iea.org/reports/renewables-2020] reconnaît que les énergies renouvelables sont maintenant l’option la moins chère dans la quasi-totalité du monde ?
▸ Prétendre que le nucléaire n’émettrait « pas de CO2 » relève de la pensée magique et revient à occulter les émissions liées à l’extraction de l’uranium. EDF le sait et a d’ailleurs été condamnée pour cela !
▸ Les contrôles dans les installations nucléaires n’empêchent pas des violations régulières des règles de sûreté ; et comment une industrie peut-elle être considérée comme sûre alors que l’Autorité de sûreté prépare des plans pour le « post-accidentel » ?
▸ Surtout, comment la France peut-elle jouir d’une indépendance énergétique grâce au nucléaire alors que sa dernière mine a fermé en 2001 et que tout le minerai est importé (Niger, Kazakhstan…) ? N’y a-t-il pas là un raisonnement néocolonialiste ?
[2] Compte-rendu d’audience :
Après que les associations aient rappelé les règles déontologiques publicitaires qu’elles estimaient violées, l’avocat d’EDF, Me Potot, a pris la parole. D’après EDF, cette page Internet ne constitue pas une publicité, mais une communication institutionnelle. Il s’agit du point de vue d’EDF sur ses activités pour les internautes qui souhaitent le lire. Chaque élément de la page a une réponse circonstanciée sur le site. Donc aucun des griefs évoqués n’est fondé.
Une des membres du JDP a demandé à l’avocat d’EDF si, selon son raisonnement, cela signifiait donc que ce qui était dit par EDF sur son site Internet ne serait pas soumis aux règles déontologiques. Me Potot a répondu que les règles déontologiques publicitaires n’étaient pas les seules règles à appliquer et qu’il y avait notamment les règles de propriété intellectuelle. Roseline Desjuzeur d’EDF a ajouté que l’on ne pouvait pas analyser toutes les pages de leur site Internet uniquement sous l’angle des règles déontologiques. Enfin, le président du JDP a demandé aux associations si leur plainte visait bien uniquement la page Internet "Nucléaire : une énergie nécessaire". Ce qui était le cas.