Publié le 9 février 2023
Les installations nucléaires rejettent dans l’environnement des substances chimiques et radioactives. Ces rejets sont autorisés mais ils ne sont pas sans effet : la radioactivité rejetée s’imprègne dans les organismes vivants, jusqu’à devenir un élément constitutif de leurs cellules. C’est un phénomène peu connu du public et insuffisamment contrôlé par l’industrie de l’atome. D’où la nécessité d’exercer une surveillance citoyenne, indépendante et objective.
Pour fonctionner, les centrales nucléaires utilisent de nombreux produits chimiques et, évidemment, des matières radioactives. Outre le combustible usé et les déchets officiellement considérés comme tels, le fonctionnement de ces installations produit des « effluents », des résidus générés par le procédé industriel. Ces effluents, chimiques et radioactifs, sont déversés dans la nature : sous forme gazeuse ou liquide. En tant qu’exploitant, EDF est chargé de « protéger » l’environnement de ses activités. En d’autres termes, c’est à EDF de tout faire pour limiter et contrôler l’impact de ces déversements sur les écosystèmes et donc d’effectuer la surveillance de l’environnement. EDF mesure ce qu’il rejette, entretient les équipements de surveillance (piézomètres pour mesurer la pression des liquides dans les nappes phréatiques, balises atmosphériques, etc.), relève les données et déclare aux autorités si un incident est survenu. C’est aussi EDF qui édite chaque mois les registres de rejets transmis à l’Autorité de Sûreté Nucléaire et, chaque année, un rapport présentant le bilan des actions ayant touché à l’environnement.
Mais ce système déclaratif est-il fiable ? Peut-on vraiment faire confiance à l’exploitant nucléaire pour chercher là où il faut et pour révéler, en toute sincérité, les atteintes environnementales générées par ses activités ? N’y a-t-il pas un conflit d’intérêt à ce qu’un industriel mesure et surveille lui-même son impact sur notre environnement ?
Si on peut légitimement douter de la bonne volonté des industriels à montrer les aspects peu flatteurs de leurs activités, l’objectivité de la société civile et le bien-fondé de ce qui l’anime ne laissent pas de place au débat : elle n’est pas mue par des intérêts privés, elle n’a ni objectifs de production, ni souci de rentabilité. Son unique intérêt est l’intérêt commun : préserver l’environnement, ses ressources et ses habitant·es.
Une surveillance indépendante des activités industrielles et de leurs impacts environnementaux peut ainsi être exercée par des citoyen·nes, mais il n’est pas toujours facile pour la société civile de démontrer les effets délétères des industries, en particulier nucléaire. Les informations sont collectées par les exploitants, les contrôles des autorités sont ponctuels et limités. Et si l’accès aux informations à caractère environnemental est inscrit dans la loi, c’est un droit, il faut souvent mener de véritables combats pour y avoir accès. Il faut même parfois aller les collecter soi-même. Rendre visible ce que les industriels préfèreraient garder tu, c’est tout le travail de la surveillance citoyenne. Et grâce à ses actions, il est possible de mettre à jour des viols de la réglementation, le faire savoir au grand public et de faire condamner leurs auteurs pour des faits qui, si l’on se fiait uniquement aux industriels et aux autorités, resteraient cachés.
Une des manières d’exercer cette surveillance passe par un travail de recherche et d’analyse documentaire. Mettre le nez dans les rapports d’inspections de l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN), consulter les avis de l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN) et de l’Autorité environnementale (Ae), examiner les projets de décisions réglementaires soumis à consultations, les arrêts de réacteurs, les déclarations d’incidents… Sans ce travail de recherche et d’analyse qui commence par la sélection d’informations, bon nombre de données utiles resteraient invisibles, noyées dans un flux continu gigantesque, dilatoire et hétérogène d’informations.
Premier barreau de l’échelle, il doit souvent être complété par des demandes de communication d’informations aux autorités et aux exploitants. Des allers-retours qui prennent plusieurs mois et deviennent parfois de véritables bras de fer administratifs. Sans ça, certaines informations resteraient inaccessibles.
La recherche et l’analyse documentaire sont le premier terrain de lutte : travail de fourmi et peu visible, pourtant central et indispensable.
Ce travail, des individus et des collectifs s’y attellent régulièrement. Le Réseau "Sortir du nucléaire" le fait depuis des années :
▸ Avec la création d’une rubrique spécifique, la Surveillance citoyenne des installations nucléaires (SCIN), sur son site internet.
▸ En assurant un suivi et décryptage des incidents dans les installations nucléaires.
▸ En développant des outils (listes de diffusions, forums de discussions, lettres d’informations). Les publications des autorités et des exploitants relatives à la sûreté, la radioprotection ou l’environnement sont dénichées, triées, collectées, mises en forme et diffusés aux intéressé·es. Pour les associations de protection de l’environnement, les membres de Commissions locales d’informations, les élu·es, les journalistes, les personnes qui vivent à côté d’une centrale, la newsletter SCIN permet d’accéder facilement à des informations difficiles à obtenir. Chacun·e peut cibler et se saisir plus aisément de ce qui l’intéresse et mettre les faits en perspective. Il devient alors possible d’exercer un suivi dans le temps, à la fois local et global, pour chaque installation et pour l’ensemble du parc nucléaire français.
Reconstruire cette vision globale, contrecarrer la segmentation temporelle et spatiale des informations distillées au compte-goutte, remettre bout à bout les faits permet de leur donner un autre angle de lecture et de révéler toute leur portée. Un travail préalable fondamental pour qui veut appréhender une situation dans son ensemble et en saisir pleinement les enjeux.
Un autre volet de la surveillance citoyenne, complémentaire à la recherche et l’analyse documentaire, est évidemment la surveillance de terrain. Quoi de mieux que de vérifier de ses propres yeux, par ses propres prélèvements, ce que les industriels déclarent aux autorités ? Quoi de plus efficace que d’aller chercher ses propres données pour vérifier et compléter celles présentées dans les rapports de l’exploitant ?
Bien sûr, ce n’est pas toujours réalisable. Les sites des centrales sont protégés et inaccessibles au grand public. Les équipements de surveillance environnementale installés par les industriels et les autorités sont protégés. Mais il est possible de créer un réseau indépendant de mesures de radioactivité dans l’environnement. Il est possible de former des personnes aux prélèvements de terre, d’air, d’eau, de végétaux. Certains laboratoires indépendants existent déjà, comme l’ACRO (Association pour le contrôle de la radioactivité dans l’Ouest) et la CRIIRAD (Commission de recherche et d’information indépendantes sur la radioactivité), nés au lendemain de la catastrophe de Tchernobyl. La CRIIRAD, par exemple, a vu le jour à l’initiative d’un groupe de scientifiques et de citoyen·nes qui souhaitaient connaître la vérité sur la contamination radioactive du territoire français. Face à l’impossibilité d’obtenir des informations fiables de la part de l’État et des industriels, et constatant que les pays environnants mettaient en place des mesures de protection de la population, l’association avait alors décidé de réaliser ses propres mesures en mettant en place son laboratoire indépendant d’analyse de la radioactivité.
Ces laboratoires associatifs et autonomes sont équipés pour réaliser des analyses et restituer les résultats avec toute la rigueur scientifique exigée par cette activité. Ils ont à cœur de former les bénévoles volontaires intéressé·es. Grâce à une organisation en réseaux indépendants, bénévoles, laboratoires, associations et collectifs peuvent constituer des bases de données objectives et fiables. Des données qui peuvent être mises en regard de celles avancées par les industriels.
À titre d’exemple, la CRIIRAD a mis en place son propre système de mesure de la radioactivité ambiante grâce à des balises de prélèvements atmosphériques. Ces données sont accessibles en permanence sur un site internet dédié. Elle a aussi créé CiviRad, un réseau de personnes formées aux prélèvements et à la surveillance d’installations nucléaires.
Ce sont par ces travaux de recherches et d’analyses, documentaires et de terrain, qu’il est possible de découvrir, dénoncer et faire condamner les exploitants nucléaires lorsqu’ils dérogent à leurs devoirs et obligations. Les données collectées permettent de constituer des dossiers solides et de les soumettre à la Justice. Outre les actions de communications qui montrent en place publique la réalité industrielle, les combats pour faire reconnaître les manquements et les tricheries des exploitants se mènent in fine devant les tribunaux. Car au nom de quoi, de quel statut privilégié EDF ou Orano resteraient impunis lorsqu’ils enfreignent les lois ou saccagent notre environnement ?
Les organismes de contrôles institutionnels, quand bien même seraient-ils impartiaux et de bonne volonté, ont des moyens bien trop limités. Ils ne peuvent ni tout voir, ni tout vérifier. Nous ne sommes pas, hélas, dans le meilleur des mondes. Nous ne sommes pas (nous ne sommes plus !) candides. On ne peut pas (on ne peut plus !) avoir confiance dans les industriels pour se dénoncer dès qu’ils ont commis une erreur ou qu’ils ont constaté des impacts de leurs activités plus profonds et plus vastes qu’estimés. Quand la centrale de Cattenom déverse des litres d’hydrocarbures dans la Moselle, doit-elle rester impunie ? Quand la centrale de Cruas contamine les eaux souterraines par des produits chimiques et radioactifs ? Quand les niveaux de tritium dans la Loire ne sont pas ce qu’ils devraient être ? Quand les pollutions chimiques perdurent sous les usines Orano du Tricastin ? Quand des rejets de substances qui n’étaient pas permises (non-autorisées selon le langage feutré institutionnel) de La Hague ont été déversées dans la Manche durant des années ?
Les batailles juridiques sont les véritables aboutissements de la surveillance citoyenne. Il est alors possible de faire reconnaître et condamner par la Justice les écarts des exploitants nucléaires et d’étoffer un peu plus leurs casiers judiciaires souvent déjà bien remplis [1].
Qu’elle alerte ou qu’elle aille au combat, grâce à son intérêt commun et à la richesse de ses ressources, la société civile a un réel pouvoir. C’est par le savoir et la solidarité que nous pourrons nous battre. Que ce soit derrière nos écrans, sur le terrain, sur les réseaux sociaux ou à la barre devant les tribunaux, à la base, il y a la surveillance citoyenne. C’est par là qu’il sera possible de remettre en question la pertinence d’un choix politico-industriel pris il y a longtemps. À l’heure où l’urgence est d’arrêter la casse environnementale, à l’heure du changement climatique, et de l’extinction massive des espèces, à l’heure où « chaque geste compte », il est temps de porter une autre voix pour mettre les industriels et les politiques face à leurs mensonges et leurs non-dits. Il n’est pas trop tard, il est toujours temps de se battre.
Comment puis-je agir à mon niveau ?
▸ En vous tenant informé·es, notamment grâce à notre newsletter de surveillance citoyenne des installations nucléaires ;
▸ En rejoignant un réseau indépendant de mesures de radioactivité dans l’environnement, comme ceux créés par la CRIIRAD ou l’ACRO, et en devenant préleveur·euse ;
▸ En suivant ce qu’il se passe au sein d’une installation nucléaire, en vous rapprochant des commissions locales d’information (CLI) ;
▸ En contactant une association antinucléaire active près de chez vousVous avez des questions ou des informations à nous transmettre ? Écrivez-nous à contact@sortirdunucleaire.fr
[1] Pour découvrir notre activité juridique et nos actions en justice : https://www.sortirdunucleaire.org/Juridique