Plus que jamais, l’industrie nucléaire profite de la lutte contre le réchauffement climatique pour se présenter comme une alternative aux énergies fossiles. Ni propre, ni décarbonée, l’énergie nucléaire n’est pourtant pas une solution miracle. Avec les énergies renouvelables et les économies d’énergie, nous ne sommes plus contraints de devoir choisir entre charbon et nucléaire. Découvrez pourquoi et comment.
Publié le 2 juin 2022
En avril 2022, le Groupe d’experts intergouvernemental sur le climat (GIEC) a publié un rapport sur les solutions pour réduire nos émissions de gaz à effet de serre. Loin du discours des lobbies présentant le nucléaire comme la solution magique au changement climatique, cette technologie y joue un rôle bien marginal. Les vrais leviers d’action sont ailleurs.
Le GIEC ne prescrit pas le recours à des technologies (celui-ci relevant du choix de chaque État), mais dessine différentes trajectoires permettant d’atteindre nos objectifs climatiques. Ne produisant pas lui-même de scénarii, il collecte et analyse les travaux de prospective existants, dont une large part provient des industriels, gouvernements ou organisations comme l’Agence Internationale de l’Énergie. La plupart des scénarios partent des orientations existantes en termes de politique énergétique pour chaque pays, mais quelques-uns reposent sur une approche plus volontariste (par exemple, comment viser 100% d’énergies renouvelables en restant sous 1,5°C de réchauffement).
L’industrie nucléaire chinoise prévoit d’installer dans le pays l’équivalent du parc nucléaire mondial. Au regard de cette donnée, la moitié des 97 scénarii limitant le réchauffement à 1,5°C table sur une production quasi doublée entre 2019 et 2050 (une médiane correspondant au scénario « Nucléaire Haut » de l’Agence Internationale de l’Énergie, qui a systématiquement surestimé la croissance du nucléaire). Mais un quart envisage une croissance inférieure à 10 %, voire insignifiante ou nulle, voire une baisse. Une partie d’entre eux voit la contribution du nucléaire divisée par deux d’ici 2040, et quelques-uns voient le nucléaire quasiment disparaître d’ici à la fin du siècle. Ces conclusions rejoignent celle du rapport spécial sur les moyens pour limiter le réchauffement à 1,5°C publié en 2018, qui mentionnait explicitement des scénarii de disparition du nucléaire [1].
En outre, sa part dans le mix électrique mondial stagne ou recule dans la moitié des scénarii, restant au plus sous 10 %, voire sous 2,5 % pour un quart d’entre eux.
Explorer plus précisément les données des scénarios.
Jean-Marc Jancovici, qui prétendait dans un cours aux étudiant·es de l’École des Mines que "Dans le rapport [du GIEC], tous les scénarios d’émissions qui permettent de rester sous la barre des 1,5◦C sont des scénarios qui voient un nucléaire multiplié par un facteur 2 à 6 d’ici à 2100 (je crois) " ferait donc mieux de relire ses sources !
Indépendamment de ces modélisations, le rapport nuance fortement le potentiel de développement du nucléaire, affecté par « le dépassement des coûts, des besoins d’investissements initiaux élevés, les défis de la gestion des déchets radioactifs et des niveaux variables d’acceptation par la population et de soutien politique » et pouvant difficilement se développer sans un soutien étatique assumant une part significative des coûts.
La lutte contre le réchauffement climatique est une course contre la montre. Plus les émissions seront réduites rapidement, plus il sera possible d’éviter les pires impacts. Si la sobriété et l’efficacité sont incontournables, il est absolument crucial de remplacer au plus vite les énergies fossiles par d’autres émettant peu de gaz à effet de serre. Pour le GIEC, une intuition exprimée dans de très nombreux travaux de recherche récents se confirme : les options à petite échelle progressent, s’améliorent et se diffusent plus vite que les installations complexes et de grande taille.
Le GIEC insiste largement sur les progrès « spectaculaires » du solaire, de l’éolien et du stockage de l’électricité, aussi bien sur les plans techniques qu’économique ou d’approbation par les populations. La baisse de leur coût va se poursuivre. À L’inverse, il leur oppose la stagnation du nucléaire, dont le développement s’est avéré plus lent que ce qui était anticipé.
Le Résumé pour décideurs, partie politique du rapport, propose un graphique très parlant pour présenter le coût et le potentiel respectif des options disponibles pour réduire nos émissions. Vite limité, le développement du nucléaire se révèle aussi coûteux. À l’inverse, solaire et éolien offrent un levier massif et bon marché, pour une contribution huit fois supérieure.
Le GIEC a fait le choix de passer les différentes options pour réduire les émissions au crible des Objectifs du Développement Durable. Le nucléaire est l’une de celle qui compte le moins d’impacts positifs, et un point négatif majeur concernant la ressource en eau.
Les "+" représentent les synergies avec les Objectifs du développement durable, les "-" les effets négatifs.
Tout au long du rapport, le GIEC mentionne également la question des déchets, le risque d’un accident majeur et de ses retombées et les potentiels conflits d’usages autour de la ressource hydrique. Il évoque également la perte d’efficacité du nucléaire dans un monde qui se réchauffe.
Surtout, il est largement réaffirmé, tout au long du rapport, que le nucléaire jouit d’une acceptation sociale bien moindre que les énergies renouvelables.
Citons enfin un paragraphe inspirant tiré du Résumé pour décideurs, le seul où il soit explicitement question du nucléaire : « Toutes les stratégies d’atténuation du changement climatique rencontrent des défis de mise en oeuvre, incluant les risques technologiques, le changement d’échelle et les coûts. De nombreux défis, comme […] la dépendance à des technologies exigeant des investissements initiaux élevés (par exemple le nucléaire), sont significativement réduits dans les trajectoires modélisées qui supposent d’utiliser les ressources de manière plus efficaces ou passent au niveau mondial à un mode de développement soutenable ». Dans un monde sobre et soucieux d’équité, plus besoin de dépenser des milliards dans de nouveaux réacteurs pour soutenir une consommation électrique démesurée ?
[1] Rapport spécial "Global Warming of 1,5°C" Extrait du chapitre 2, p. 31 : Nuclear power increases its share in most 1.5°C pathways with no or limited overshoot by 2050, but in some pathways both the absolute capacity and share of power from nuclear generators decrease (Table 2.15). There are large differences in nuclear power between models and across pathways (Kim et al., 2014 ; Rogelj et al., 2018). One of the reasons for this variation is that the future deployment of nuclear can be constrained by societal preferences assumed in narratives underlying the pathways (O’Neill et al., 2017 ; van Vuuren et al., 2017b). Some 1.5°C pathways with no or limited overshoot no longer see a role for nuclear fission by the end of the century, while others project about 95 EJ yr−1 of nuclear power in 2100 (Figure 2.15).