Plus que jamais, l’industrie nucléaire profite de la lutte contre le réchauffement climatique pour se présenter comme une alternative aux énergies fossiles. Ni propre, ni décarbonée, l’énergie nucléaire n’est pourtant pas une solution miracle. Avec les énergies renouvelables et les économies d’énergie, nous ne sommes plus contraints de devoir choisir entre charbon et nucléaire. Découvrez pourquoi et comment.
Publié le 7 mai 2020
Ces dernières années, les fortes chaleurs se font plus intenses et plus fréquentes, une tendance malheureusement appelée à se confirmer. Or les sécheresses et les canicules viennent accroître les nuisances générées par le fonctionnement habituel des centrales nucléaires. En outre, elles rajoutent des risques supplémentaires pour la sûreté et peuvent imposer l’arrêt des installations.
À Golfech Le réacteur 2 de la centrale de Golfech a été mis à l’arrêt le 31 juillet pour 2 jours. Puis le 12 août, après un démarrage de quelques jours sa puissance a été baissée, toujours en raison de la vague de chaleur.
Source : EDF
Note du 31 juillet 2020 de l’IRSN sur les effets de la canicule sur la production et la sûreté des centrales nucléaires
À Cattenom En raison du faible débit d’eau mesuré sur la Moselle, l’accès à la retenue d’eau du Mirgenbach ne sera plus autorisé au public à partir du 6 août 2020. Cette retenue est une réserve à usage industriel, destinée au refroidissement des installations de la centrale nucléaire de Cattenom. Durant la période d’étiage de la Moselle (débit inférieur à 18,5 m3/seconde), la centrale de Cattenom limite ses prélèvements d’eau dans la rivière et utilise davantage le stock d’eau de la retenue. La plus forte sollicitation de la retenue du Mirgenbach peut aboutir à la concentration, dans la retenue, de produits de traitement utilisés dans le circuit de refroidissement (partie non nucléaire de la centrale) pour lutter contre la présence de micro-organismes naturellement présents dans les milieux chauds ou humides.
Source : EDF
Au Blayais et à Chooz Toujours en raison des fortes chaleurs, les réacteurs 2 et 4 de la centrale du Blayais et 2 de la centrale de Chooz ont vu leur puissance réduite le 12 août 2020.
Source : ASN et RTE
Enfin, à partir du 21 août 2020, les deux réacteurs de Chooz ont dû être arrêtés pendant plus d’un mois en vertu d’un accord international, afin que la Meuse puisse conserver un débit suffisant en Belgique. Ils n’ont été remis en service que le 28 septembre pour l’un et le 4 octobre pour l’autre.
Les centrales nucléaires prélèvent dans les mers, fleuves et rivières d’importantes quantités d’eau (représentant plus de la moitié du volume prélevé en France), dont une partie est restituée dans l’environnement sous forme de vapeur d’eau. En outre, même en fonctionnement normal, elles rejettent dans les fleuves et rivières de l’eau plus chaude, mais aussi des substances chimiques [1] et radioactives (notamment du tritium, dont des concentrations non négligeables ont récemment été retrouvées dans la Loire. )
Lorsque la température augmente et que le débit des cours d’eau diminue, l’impact de ces nuisances s’accroît. Les milieux aquatiques, déjà fragilisés, sont mis à rude épreuve par la moindre dilution des polluants et par les rejets d’eau chaude. Ceux-ci agissent comme une barrière qui réduit considérablement les chances de survie des poissons grands migrateurs, comme les saumons et truites des mers. Depuis plusieurs années, les associations alsaciennes alertent sur le réchauffement de la température du Rhin lié au fonctionnement de la centrale de Fessenheim.
Dans un réacteur, la réaction nucléaire permet de chauffer de l’eau. Cette eau surchauffée à 330°C, sous une pression de 150 bars, produit de la vapeur en passant par les générateurs de vapeur, vapeur qui va faire tourner une turbine (production d’électricité par le turboalternateur). À la sortie de la turbine, un circuit d’eau de refroidissement permet de condenser et refroidir cette vapeur.
Pour assurer ce refroidissement, les réacteurs ont besoin d’eau en permanence. Ceux implantés sur des cours d’eau à débit faible sont généralement équipés de tours de refroidissement. Ils prélèvent 2 à 3 m3 d’eau par seconde, dont une partie est ensuite évaporée dans les tours aéroréfrigérantes [2], le reste étant rejeté. Quant à ceux situés en bord de mer ou sur des fleuves à fort débit, dépourvus de tours de refroidissement, ils fonctionnent en circuit dit « ouvert » et nécessitent une quantité d’eau plus importante, de l’ordre d’une cinquantaine de m3 par seconde. Toute l’eau est rejetée dans le cours d’eau ou la mer, à une température plus élevée. On note que le flux chaud ne se mélange pas tout de suite avec l’eau plus froide.
Certes, passé un certain seuil, des mesures sont mises en œuvre par EDF. Mais celles-ci connaissent aussi leurs limites. Ainsi, pour chaque site, la réglementation fixe une température maximale à ne pas dépasser en aval (26°C pour Bugey, 28°C pour Fessenheim…), faute de quoi la centrale est censée s’arrêter. Toutefois, EDF obtient bien souvent des dérogations. Suite à la canicule de 2003, la réglementation site par site a été assouplie. Et si, en cas de "canicule extrême et nécessité publique", les limitations habituelles ne peuvent être respectées, un décret de 2007 autorise à modifier encore les conditions de rejets thermiques ! Les poissons apprécieront...
Concernant les rejets de substances chimiques et radioactives, la réglementation impose, lorsque le niveau des cours d’eau devient trop bas, de les stocker dans des réservoirs, nommés « bâches ». Mais les capacités de stockage sont limitées, et ce alors même que la consommation de produits chimiques est plus importante en été pour éviter la prolifération des amibes. En outre, à la fin de la saison, ces polluants sont finalement rejetés et il n’est pas garanti que les différents sites nucléaires situés au bord du même fleuve (Loire ou Rhône) se concertent pour éviter d’effectuer ces rejets massifs en même temps. Or un grand nombre de communes prélèvent leur eau potable dans ces cours d’eau…
Un débit suffisant est indispensable pour refroidir les réacteurs, faute de quoi les réacteurs doivent procéder à une baisse de puissance, voire s’arrêter. En outre, la température de l’eau ne doit pas dépasser un certain seuil, sans quoi le refroidissement n’est plus efficace.
Pour soutenir le débit des cours d’eau, EDF joue sur les barrages et retenues en amont… quitte à ce que le refroidissement des centrales passe avant d’autres usages. Ainsi, le lac de Vassivière, dans la Creuse, lieu de baignade apprécié, a terminé l’année 2018 à 8 mètres en-dessous de son niveau normal, interdisant certaines activités de loisir [3]… La question peut même prendre des proportions internationales : en avril 2015, François Hollande avait négocié avec la Suisse pour qu’en cas de sécheresse, le débit du Rhône à la sortie du Lac Léman reste suffisant pour refroidir les 14 réacteurs français situés au bord du fleuve.
Dès l’origine, des doutes ont été exprimés quant à la capacité de certains cours d’eau à assurer un refroidissement correct. Les commissaires-enquêteurs avaient ainsi émis un avis défavorable à la construction de la centrale nucléaire de Civaux, sur la Vienne. Cette problématique est devenue plus lourde ces dernières années. En 2003, un quart du parc a dû être arrêté. En 2018, une demi-douzaine de réacteurs ont dû voir leur puissance réduite et quatre autres ont été arrêtés (plus d’informations). Alors que le ministère de la Transition Énergétique prédit une baisse de 10 à 40% du débit moyen des cours d’eau à l’horizon 2050-2070, cette tendance devrait s’accentuer.
En 2019, du 28 au 30 septembre, le réacteur 4 de la centrale de Cattenom (Moselle) a été mis à l’arrêt. Le lac de Pierre-Percé, qui compense normalement ce que l’installation prélève dans la Moselle, a atteint un niveau critique. (source : EDF)
EDF a réduit la production de plusieurs centrales situées le long du Rhône (Bugey, Saint-Alban, Tricastin) (source : RTE)
Le débit de la Meuse étant insuffisant, le réacteur n°2 de Chooz B a été à l’arrêt du 11 septembre jusqu’au 1er octobre (source : RTE)
7 réacteurs (Saint-Alban 1 et 2, Tricastin 3, Dampierre 3 et 4, Belleville 1, Blayais 3) ont connus une réduction de puissance pour "causes externes liées à l’environnement". Les deux réacteurs de la centrale de Golfech (Tarn-et-Garonne) ont été arrêtés du 23 au 28 (réacteur 2) et 29 juillet (réacteur 1). Le réacteur 4 du Tricastin a été arrêté du 25 au 26 juillet "en raison des conditions climatiques".
Source : RTE
Lorsque la température devient trop élevée dans certains locaux, certains équipements importants pour la sûreté ne peuvent plus fonctionner correctement. Lors de la conception des réacteurs, des températures maximales avaient été prises en compte pour dimensionner les systèmes d’aération en fonction. En 2003 et 2006, ces températures ont été dépassées. Il a même fallu arroser l’enceinte de confinement de la centrale de Fessenheim pour refroidir le bâtiment !
Depuis, EDF a mis en place des matériels résistant mieux à la chaleur et rajouté de nouveaux dispositifs de refroidissement. Mais – comme l’explique l’Institut de Radioprotection et de Sûreté Nucléaire (IRSN), certains équipements restent vulnérables aux fortes chaleurs. C’est le cas notamment des diesels de secours, censés prendre le relais si l’alimentation électrique fait défaut – et qui, par ailleurs, sont dans un très mauvais état sur l’ensemble du parc… Ces diesels ont besoin d’être refroidis par l’air extérieur. Si la température devient trop élevée, ils ne peuvent plus fonctionner correctement et les réacteurs se retrouvent donc sans filet de sécurité. Dans un avis du 30 juin l’IRSN demandait à EDF de revoir sa copie sur les essais de fonctionnement sur plusieurs générateurs électriques de secours à moteurs diesels réalisée l’été dernier. L’avis de l’IRSN est sans appel : les essais sont non représentatifs, de nombreuses valeurs reposent sur des approximations, ce sont des extrapolations qui pourraient conduire à surestimer la puissance fournie par les diesels...
Alors que les vagues de chaleur sont censées devenir plus fortes et plus fréquentes du fait du changement climatique, la poursuite du fonctionnement de centrales vieillissantes a de quoi inquiéter. EDF, qui souhaite prolonger le fonctionnement de quasiment tous ses réacteurs jusqu’à 50 ans au moins [4] , a réalisé des études destinées à démontrer qu’ils pourraient résister à des phénomènes climatiques extrêmes même à cet âge canonique. Mais l’IRSN estime que « la démonstration de la capacité des installations à faire face aux situations de « grands chauds » n’est pas pleinement apportée à ce stade et doit être complétée par EDF" . Dans une note publiée en février 2019, il souligne qu’EDF doit revoir sa méthodologie pour déterminer les températures exceptionnelles auxquelles sont censé résister les réacteurs, de sorte que les calculs doivent être refaits. Alors que des températures record ont été enregistrées fin juin, un tel optimisme pourrait s’avérer bien téméraire.
En outre, l’IRSN considère que l’écart entre la température atteinte dans les locaux dans les calculs d’EDF et la température maximale admissible pour certains équipements importants pour la sûreté est beaucoup trop faible. Mais qu’à cela ne tienne : en réponse à cette objection de l’IRSN, EDF compte refaire des calculs pour démontrer que cela va passer !
L’IRSN relève également qu’EDF n’a pas fourni d’information permettant d’évaluer la tenue à la température de certains équipements dont l’utilisation est requise pour gérer des situations qui n’avaient pas été étudiées lors de la conception des centrales [5]. On ne sait donc pas, à l’heure actuelle, si les centrales pourraient faire face à ces situations dans des conditions de forte chaleur. Des études doivent être réalisées par EDF, mais elles ne seront pas achevées avant 2021. Elles arriveront donc trop tard pour la 4ème visite décennale du réacteur n°1 du Tricastin, qui a commencé en juin 2019. Implanté dans le Sud du couloir rhodanien, celui-ci est donc particulièrement concerné par la question des fortes chaleurs.
Les centrales situées près des côtes dans le Nord de notre pays, a priori soumises à des étés moins rigoureux et non concernées par les problèmes de baisse de débit des cours d’eau, ne sont pas épargnées pour autant par les effets des fortes chaleurs.
En effet, celles-ci peuvent provoquer la prolifération d’algues dans les fleuves côtiers ou canaux d’amenée où est prélevée l’eau nécessaire au fonctionnement de la centrale. Ainsi, la Diélette, fleuve côtier où la centrale de Flamanville pompe l’eau destinée à alimenter des bassins servant au refroidissement en cas de problème, est infestée par l’élodée du Canada. Pour EDF, il faut absolument éviter que ses longues tiges ne viennent boucher les canalisations...
Enfin, si ces sites côtiers ne craignent pas la sécheresse, certains, à moyen ou à long terme, pourraient être menacés par la montée des eaux (comme la centrale nucléaire du Blayais, dans l’estuaire de la Gironde, déjà été inondée lors de la tempête de décembre 1999 ; ou celle de Gravelines, dans le Nord, construite sur un polder...)
Cette analyse s’ajoute à l’ensemble des arguments qui montrent que le nucléaire n’est pas une option pour lutter contre le changement climatique. Non seulement il n’apporte qu’une contribution négligeable à la réduction des émissions (Lire cette étude commandée par le Réseau Action Climat), mais il est lui-même extrêmement vulnérable à l’augmentation des températures.
EDF devrait se rendre à l’évidence : maintenir le fonctionnement de réacteurs existants dans les régions les plus sujettes aux fortes chaleur est dangereux. Envisager de nouvelles installations au bord de fleuves et rivières fragilisés, ou encore de littoraux menacés de submersion, relève de l’aveuglement. Alors que certains tendent à considérer le nucléaire comme un « mal nécessaire » face au changement climatique, il n’est pas inutile de rappeler ces faits.