Une affaire révélatrice d’une crise générale de la sûreté
Comme l’a dévoilé EDF sur son site, 16 générateurs de vapeur (GV) installés sur six réacteurs en exploitation (respectivement Blayais n° 3 et 4, Bugey 3, Fessenheim 2, Dampierre-en-Burly 4 et Paluel 2) sont officiellement affectés par des défauts de soudure. L’entreprise estime à ce stade que « les écarts constatés ne remettent pas en cause l’aptitude au service des matériels et ne nécessitent pas de traitement immédiat. ». En outre, les quatre générateurs de vapeur et le pressuriseur de l’EPR en construction à Flamanville sont concernés, ainsi que 3 GV destinés à la centrale nucléaire de Gravelines.
D’ores et déjà, nous ne pouvons pas accorder confiance aux déclarations d’EDF au vu du nombre croissant d’affaires dans lesquelles elle est impliquée concernant des malfaçons détectées tardivement et/ou minimisées. Il y a ici des défaillances importantes, à la fois au niveau de la fabrication et du contrôle des équipements délivrés par Framatome. Cette situation au goût de déjà-vu illustre le caractère systémique du problème dans la filière nucléaire française [1]. Une nouvelle fois, elle remet en cause le système déclaratif du contrôle de la sureté nucléaire, basée sur une prétendue bonne foi des exploitants. Il est révélateur que ce soit un fournisseur allemand qui ait détecté ce défaut.
Rappelons que l’affaire est grave : ce défaut a affecté les propriétés mécaniques des générateurs de vapeur, ce qui peut avoir des incidences sur une augmentation potentielle du risque de rupture brutale [2].
Des réacteurs vieillissants et déjà affectés par des anomalies
La presque totalité des réacteurs concernés actuellement en service (hormis Paluel 2) sont déjà équipés de générateurs de vapeur fabriqués à Creusot Forges, une autre usine de Framatome, et sur lesquels des anomalies avaient déjà été découvertes il y a plusieurs années. À lui seul, Bugey 3 comporte 97 anomalies, dont une bonne partie sur ses générateurs de vapeur. Dans ces conditions, il est légitime de s’interroger sur les conséquences de ce cumul d’anomalies sur de mêmes équipements.
De surcroît, il s’agit en majorité de réacteurs vieillissants dont (à part pour Fessenheim 2) EDF souhaite prolonger le fonctionnement jusqu’à 50 ans voire plus ! Il est hors de question qu’EDF fasse le forcing pour maintenir en place ces équipements défectueux sur des installations fatiguées, ni qu’elle engage des travaux longs et coûteux pour les remplacer [3] et justifier ainsi la prolongation de leur fonctionnement. La découverte de ces défauts, qui ne sont probablement pas isolés, doit au contraire plaider pour l’arrêt de ces réacteurs.
Une telle perspective ne serait pas une nouveauté : depuis des années, l’ASN avertit sur le risque de devoir fermer un certain nombre de réacteurs si un problème générique venait à être découvert.
Des malfaçons de plus pour l’EPR de Flamanville… et les autres ?
À ce stade, EDF ne semble pas s’être prononcée sur les défauts détectés sur les GV et le pressuriseur de l’EPR de Flamanville, qui viennent s’ajouter à tous les autres déjà recensés sur le chantier.Alors que ces équipements étaient initialement censés présenter une qualité à toute épreuve pour prévenir tout risque de rupture, poussera-t-elle pour qu’ils restent en place malgré leurs défauts ? Ou sera-t-elle contrainte par l’ASN à les changer, au prix de retards et surcoûts supplémentaires ? Là aussi, le bon sens exigerait d’arrêter les frais, abandonner définitivement le chantier de ce réacteur truffé de défauts et tourner définitivement la page du nucléaire.
Une question se pose également : l’usine Framatome de Saint-Marcel, où ces soudures ont été réalisées, a-t-elle également livré des équipements suspects à d’autres réacteurs en construction dans le monde, comme les EPR chinois ou finlandais ?
Le Réseau “Sortir du nucléaire“ est en attente de l’avis de l’Autorité de sûreté nucléaire. Mais d’ores et déjà, au vu de l’importance pour la sûreté des équipements concernés et de l’accumulation de dysfonctionnements à tous les niveaux dans l’industrie nucléaire française, la mise à l’arrêt préventive des réacteurs concernés devrait s’imposer.