7 novembre 2022
Plusieurs composants de réacteurs nucléaires, dont beaucoup provenant de l’usine Areva Creusot-Forge (maintenant exploitée par Framatome), ont des défauts de fabrication. Trop de carbone par endroit les rend plus fragiles qu’elles ne devraient l’être. Le couvercle et la cuve de l’EPR de Flamanville (Normandie) sont concernés, mais pas que. Des centaines de pièces et des gros composants, comme le pressuriseur ou les générateurs de vapeurs, sont aussi affectés [1] . Ils ont pourtant été installés dans les réacteurs d’EDF et sont sollicités quotidiennement. Pour limiter les risques de fissures induits par ces défauts de fabrication, l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) a imposé des consignes particulières, visant notamment à limiter les chocs thermiques. Des consignes qu’EDF n’a appliquées qu’à moitié lors du redémarrage du réacteur 4 de la centrale nucléaire du Bugey (Auvergne-Rhône-Alpes).
1er novembre 2022, le réacteur du Bugey redémarre. Ses 3 générateurs de vapeurs (GV) [1]
ont des défauts de fabrication : une concentration en carbone supérieure à ce qu’elle devrait être les rend trop fragiles par endroits.
Pour limiter les risques de rupture du métal, il faut limiter les chocs thermiques sur ces zones. Ces chocs entre des températures basses et élevées sont monnaie courante dans ces échangeurs de chaleur puisque c’est par ces GV que la chaleur produite par le combustible et transmise au circuit primaire est finalement évacuée
[2]
. L’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) a donc élaboré et imposé des procédures particulières à appliquer dans la conduite du réacteur 4 du Bugey : la température du circuit primaire doit être au minimum à 30°C avant de mettre la 1ère pompe de circulation en service (pas trop froid donc). Les autres pompes de circulation doivent être mise en route lorsque la température du circuit atteint 60°C, et la montée doit être progressive : pas plus de 14°C par heure.
Pour conduire Bugey 4 avec ses GV trop carbonés, il faut prendre son temps et y aller doucement. Ce que les équipes d’EDF ont manifestement oublié. Où n’avaient pas le temps. La 1ère pompe a bien été mise en service alors que la température du circuit primaire était au dessus de 30°C. Mais les autres pompes ont été mises en service en moins d’une heure, alors que la température du circuit primaire était entre 40 et 45°C. Bien loin des 60°C exigés par l’Autorité de sûreté.
Difficile de comprendre comment une partie des consignes particulières de conduite, qui ne sont pas récentes, ont pu être oubliées. Une chose est sûre, même si EDF s’est finalement aperçu de son erreur, l’industriel aux commandes manque de rigueur. À moins qu’il ne s’agisse d’un manque de moyens tant humains que temporels ? Quelle qu’en soit la raison, le manque de rigueur d’EDF accroît les risques d’incident dans l’installation nucléaire, alors qu’elle est déjà, de part son activité industrielle, hautement risquée. Quand des usines sont équipées de pièces défectueuses et que les consignes ne sont pas respectées, on se demande bien comment une quelconque maîtrise des risques peut encore exister. EDF a d’ailleurs déclaré les faits aux autorités le 3 novembre 2022 puisqu’ils ont significativement porté atteinte aux dispositifs mis en place pour limiter le risque d’accident.
L.B.
Déclaration d’un ESS de niveau 1 relatif au non-respect des spécifications techniques d’exploitation
Publié le 07/11/2022
Evénement sûreté
Les spécifications techniques d’exploitation de l’unité de production n°4 de la centrale du Bugey sont amendées par une modification temporaire depuis le 8 décembre 2016, en raison de la présence de ségrégation carbone [3] au niveau des générateurs de vapeur (situés dans le bâtiment réacteur). Cet amendement spécifie plusieurs mesures compensatoires à respecter afin de maîtriser l’amplitude des variations thermiques sur ces composants. En particulier, la mise en service des Groupes Moto Pompe Primaire (GMPP), lors des redémarrages après arrêt pour maintenance, est soumise à une température minimale de l’eau du circuit primaire de 30°C pour le premier groupe moto pompe primaire et de 60°C pour les deux autres. Cette précaution doit garantir le respect du critère de montée en température maximale de 14°C par heure du circuit primaire. La maîtrise de montée en température permet de protéger les fonds des générateurs de vapeur.
Le 1er novembre, l’unité de production n°4 est en cours de redémarrage. Lors de la mise en service du deuxième groupe moto pompe primaire, la prescription relative à la température minimale de l’eau du circuit primaire n’a pas été respectée car elle était inférieure aux 60°C requis. Cependant la limitation de la montée en température du circuit primaire à 14°C par heure a toujours été respectée.
Cet évènement n’a pas eu de conséquence réelle sur la sûreté des installations, en raison du respect du gradient maximal de montée en température du circuit primaire de 14°C par heure. Toutefois, cet événement représentant un non-respect des spécifications techniques d’exploitation, la direction de la centrale du Bugey l’a déclaré, le 3 novembre 2022, à l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) comme évènement significatif sûreté au niveau 1 sur l’échelle INES qui en compte 7.
Non-respect d’une mesure compensatoire liée à la ségrégation du carbone des fonds primaires des générateurs de vapeur
Publié le 09/11/2022
Centrale nucléaire du Bugey Réacteurs de 900 MWe - EDF
Le 3 novembre 2022, EDF a déclaré à l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) un événement significatif pour la sûreté concernant le non-respect d’une mesure compensatoire liée au phénomène de ségrégation du carbone dans l’acier des fonds primaires des générateurs de vapeur du réacteur 4.
Les fonds primaires des trois générateurs de vapeur du réacteur 4 de la centrale nucléaire du Bugey présentent, dans leur zone centrale, une concentration supérieure à la norme en carbone. Celle-ci, appelée ségrégation du carbone, doit normalement être éliminée de la pièce finale lors des opérations de forgeage, ce qui n’a pas été le cas lors de la fabrication de ces fonds. Cette zone présente potentiellement des propriétés mécaniques, en particulier de résistance à la propagation de fissures, plus faibles qu’attendues.
Afin d’éviter d’exposer les générateurs de vapeur à des chocs de température lors des phases de démarrage ou d’arrêt du réacteur, les spécifications techniques d’exploitation (STE) du réacteur 4 ont été modifiées pour tenir compte de cette situation, notamment en définissant des mesures compensatoires d’exploitation. Ces mesures consistent notamment, lors du redémarrage du réacteur, à ce que :
Le 1er novembre 2022, lors du redémarrage du réacteur 4, la première pompe a été mise en service avec une température du circuit primaire de 35,8 °C. Par contre, les deux autres pompes primaires ont été mises en service entre 2h et 3h du matin alors que la température du circuit primaire était comprise entre 40 °C et 45 °C, ce qui constitue un non-respect des STE applicables à ce réacteur. La mesure compensatoire limitant le gradient de chauffe du circuit primaire à 14 °C par heure, lors de cette phase du redémarrage, a toutefois été respectée. L’écart a été détecté par la même équipe de conduite à 5h du matin.
Cet événement n’a pas eu de conséquence sur les personnes et l’environnement. Toutefois, compte tenu du non-respect d’une mesure compensatoire associée à une modification temporaire des spécifications techniques d’exploitation, cet événement a été classé au niveau 1 de l’échelle INES.
[1] Pour en savoir plus, consulter notre page sur les falsifications à l’usine Creusot Forge
[2] Un générateur de vapeur (GV) est un échangeur thermique entre l’eau du circuit primaire, portée à haute température (320 °C) et à pression élevée (155 bars) dans le cœur du réacteur, et l’eau du circuit secondaire qui se transforme en vapeur et alimente la turbine. Chaque générateur de vapeur comporte plusieurs milliers de tubes en forme de U, qui permettent les échanges de chaleur entre l’eau du circuit primaire et l’eau des circuits secondaires pour la production de la vapeur alimentant la turbine. Les réacteurs à eau sous pression de 900 MWe comportent trois générateurs de vapeur.
[3] Le circuit primaire est un circuit fermé, contenant de l’eau sous pression. Cette eau s’échauffe dans la cuve du réacteur au contact des éléments combustibles. Dans les générateurs de vapeur, elle cède la chaleur acquise à l’eau du circuit secondaire pour produire la vapeur destinée à entraîner le groupe turboalternateur. Le circuit primaire permet de refroidir le combustible contenu dans la cuve du réacteur en cédant sa chaleur par l’intermédiaire des générateurs de vapeur lorsqu’il produit de l’électricité ou par l’intermédiaire du circuit de refroidissement à l’arrêt lorsqu’il est en cours de redémarrage après rechargement en combustible. La température du circuit primaire principal est encadrée par des limites afin de garantir le maintien dans un état sûr des installations en cas d’accident. https://www.asn.fr/Lexique/C/Circuit-primaire
[4] La ségrégation carbone se caractérise par une concentration en carbone plus élevée que l’attendu sur le fond des générateurs de vapeur.