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Plus que jamais, l’industrie nucléaire profite de la lutte contre le réchauffement climatique pour se présenter comme une alternative aux énergies fossiles. Ni propre, ni décarbonée, l’énergie nucléaire n’est pourtant pas une solution miracle. Avec les énergies renouvelables et les économies d’énergie, nous ne sommes plus contraints de devoir choisir entre charbon et nucléaire. Découvrez pourquoi et comment.


Article Reporterre du 14 octobre 2015

Quand France Télévision présente une apologie du nucléaire comme de l’information

Article publié le 15 octobre 2015



Article à consulter en intégralité sur : https://www.reporterre.net/Quand-France-Television-presente-une-apologie-du-nucleaire-comme-de-l



François Géal est professeur de littérature comparée à l’Université Lyon 2-Lumière.

Les journaux télévisés, c’est bien connu, ne se soucient guère de distance critique. Il leur arrive même assez souvent de diffuser les clichés les plus éculés, voire de défendre, à l’insu de leur plein gré (comme disait l’autre), les idéologies les plus contestables. Le journal de Laurent Delahousse vient de nous en donner un exemple emblématique, pour ne pas dire caricatural, avec ce reportage sur la centrale nucléaire de Gravelines diffusé le 2 octobre sur France 2.

Le ton est donné dès le départ avec ces affirmations grandiloquentes, mêlées à quelques considérations objectives : « C’est une forteresse posée tout près de la mer du Nord, à Gravelines, la plus imposante et la plus puissante centrale nucléaire de l’Hexagone », où travaillent chaque jour 2.000 personnes, et qui procure quotidiennement de l’électricité à « 4 millions d’habitants ». C’est donc un rare privilège que d’être admis à l’intérieur de « ce territoire de l’atome ». Traduction en termes de sécurité (au sens de protection des installations) : tout individu qui aurait l’idée saugrenue d’y pénétrer accompagné de mauvaises intentions n’aurait pas la moindre chance de succès. « Comme quand vous êtes à la plage »

Et à présent, nous voici au saint des saints : une jeune femme souriante, chargée de vérifier le taux de radioactivité à proximité du réacteur et de veiller ainsi à la sécurité (cette fois au sens radiobiologique du terme) du personnel, revêt sous nos yeux sa tenue avant de pénétrer dans une zone dangereuse. Traduisez : le nucléaire est sexy, plein d’avenir. Du reste, un de ses acolytes masculins nous prouve que décidément, il n’y a rien à craindre : au cas où le téléspectateur lambda n’aurait pas compris, un gros plan sur les appareils nous montre des mesures très inférieures aux normes en vigueur. Interrogé sur la notion de radioactivité, cet employé répond qu’elle s’apparente tout bonnement « aux rayons du soleil » (sic) et il ajoute : « C’est comme quand vous êtes à la plage. » À l’entendre, il s’adonnerait pour ainsi dire à une séance de bronzage...

Mais tout danger est-il écarté ? Une sirène vient de retentir, signalant une anomalie en quelque endroit : nous nous retrouvons soudain dans la salle de commande, tapissée d’écrans et garnie de centaines de boutons, où officie l’un des chefs d’exploitation de la centrale. Un beau et grand jeune homme (« 27 ans ») – c’est de nouveau l’indéfectible l’argument de la jeunesse pleine d’avenir –, muni d’épaisses lunettes, plein de sérieux et d’assurance, est là, d’ailleurs, pour nous rassurer : il ne s’agit que d’un de ces exercices récurrents destinés à prévenir tout danger. Le journaliste s’attarde sur sa trajectoire professionnelle : l’intéressé se serait tourné vers la filière nucléaire un peu par hasard, passionné qu’il était par le domaine de l’énergie en général ; il sous-entend qu’il a même installé des panneaux solaires sur le toit de sa maison. Traduisez : chez lui, pas de culte de l’électronucléaire ; jadis, les thuriféraires du nucléaire ressemblaient à des religieux zélés proclamant une mystérieuse Vérité : aujourd’hui, en matière de propagande, leurs successeurs n’ont plus besoin de faire de la surenchère, la télé s’en charge fort bien à leur place. Promesse de vie éternelle

Une seconde, on croit percevoir chez le journaliste l’embryon d’un contre-discours, avec cette petite remarque critique : « Une source d’énergie de plus en plus controversée. » Que nenni ! La filière n’est pas menacée : « La centrale embauche cent personnes chaque année. » Et l’on voit un quinquagénaire entouré de ses jeunes disciplines (sous-entendu : voyez ce bel exemple de transmission du savoir entre les générations, un peu comme jadis chez les compagnons du Tour de France...). Le reportage s’achève sur cette promesse de vie éternelle : « La centrale de Gravelines, qui vient de fêter ses 35 ans, était prévue à l’origine pour durer jusqu’en 2020 », mais « sauf contre-ordre, elle pourrait fermer beaucoup plus tard. » CQFD.

Je laisse aux spécialistes de la juste cause antinucléaire – tels les savants rédacteurs du bulletin de l’association Sortir du nucléaire, qui effectuent, dans un silence médiatique assourdissant, un travail remarquable – le soin de démonter un à un les arguments avancés dans ce reportage. Je m’en suis tenu pour ma part au discours, dont je n’ai fait que mentionner les plus grosses ficelles. Mais il n’est pas douteux qu’à deux mois de la COP21, cet épisode s’inscrive dans la vaste offensive publicitaire lancée par EDF et Areva pour faire passer le nucléaire pour une énergie propre, seule capable de sauver la planète du réchauffement qui la menace...

Il serait grand temps de cesser de défendre l’indéfendable : le nucléaire est une énergie potentiellement mortifère (ce qu’on sait définitivement depuis l’accident de Fukushima), et – cela se sait aussi de mieux en mieux –, une énergie économiquement ruineuse (coût astronomique du prolongement de la vie des actuelles centrales, explosion du coût de l’EPR, sans parler de la gestion des déchets). Il est grand temps de se tourner, comme le font résolument nos voisins les plus avisés par des investissements massifs, vers les énergies renouvelables, d’autant que leurs performances accrues procurent une électricité de moins en moins onéreuse et qu’elles sont particulièrement prometteuses en termes d’emploi.

François Géal est professeur de littérature comparée à l’Université Lyon 2-Lumière.

Les journaux télévisés, c’est bien connu, ne se soucient guère de distance critique. Il leur arrive même assez souvent de diffuser les clichés les plus éculés, voire de défendre, à l’insu de leur plein gré (comme disait l’autre), les idéologies les plus contestables. Le journal de Laurent Delahousse vient de nous en donner un exemple emblématique, pour ne pas dire caricatural, avec ce reportage sur la centrale nucléaire de Gravelines diffusé le 2 octobre sur France 2.

Le ton est donné dès le départ avec ces affirmations grandiloquentes, mêlées à quelques considérations objectives : « C’est une forteresse posée tout près de la mer du Nord, à Gravelines, la plus imposante et la plus puissante centrale nucléaire de l’Hexagone », où travaillent chaque jour 2.000 personnes, et qui procure quotidiennement de l’électricité à « 4 millions d’habitants ». C’est donc un rare privilège que d’être admis à l’intérieur de « ce territoire de l’atome ». Traduction en termes de sécurité (au sens de protection des installations) : tout individu qui aurait l’idée saugrenue d’y pénétrer accompagné de mauvaises intentions n’aurait pas la moindre chance de succès. « Comme quand vous êtes à la plage »

Et à présent, nous voici au saint des saints : une jeune femme souriante, chargée de vérifier le taux de radioactivité à proximité du réacteur et de veiller ainsi à la sécurité (cette fois au sens radiobiologique du terme) du personnel, revêt sous nos yeux sa tenue avant de pénétrer dans une zone dangereuse. Traduisez : le nucléaire est sexy, plein d’avenir. Du reste, un de ses acolytes masculins nous prouve que décidément, il n’y a rien à craindre : au cas où le téléspectateur lambda n’aurait pas compris, un gros plan sur les appareils nous montre des mesures très inférieures aux normes en vigueur. Interrogé sur la notion de radioactivité, cet employé répond qu’elle s’apparente tout bonnement « aux rayons du soleil » (sic) et il ajoute : « C’est comme quand vous êtes à la plage. » À l’entendre, il s’adonnerait pour ainsi dire à une séance de bronzage...

Mais tout danger est-il écarté ? Une sirène vient de retentir, signalant une anomalie en quelque endroit : nous nous retrouvons soudain dans la salle de commande, tapissée d’écrans et garnie de centaines de boutons, où officie l’un des chefs d’exploitation de la centrale. Un beau et grand jeune homme (« 27 ans ») – c’est de nouveau l’indéfectible l’argument de la jeunesse pleine d’avenir –, muni d’épaisses lunettes, plein de sérieux et d’assurance, est là, d’ailleurs, pour nous rassurer : il ne s’agit que d’un de ces exercices récurrents destinés à prévenir tout danger. Le journaliste s’attarde sur sa trajectoire professionnelle : l’intéressé se serait tourné vers la filière nucléaire un peu par hasard, passionné qu’il était par le domaine de l’énergie en général ; il sous-entend qu’il a même installé des panneaux solaires sur le toit de sa maison. Traduisez : chez lui, pas de culte de l’électronucléaire ; jadis, les thuriféraires du nucléaire ressemblaient à des religieux zélés proclamant une mystérieuse Vérité : aujourd’hui, en matière de propagande, leurs successeurs n’ont plus besoin de faire de la surenchère, la télé s’en charge fort bien à leur place. Promesse de vie éternelle

Une seconde, on croit percevoir chez le journaliste l’embryon d’un contre-discours, avec cette petite remarque critique : « Une source d’énergie de plus en plus controversée. » Que nenni ! La filière n’est pas menacée : « La centrale embauche cent personnes chaque année. » Et l’on voit un quinquagénaire entouré de ses jeunes disciplines (sous-entendu : voyez ce bel exemple de transmission du savoir entre les générations, un peu comme jadis chez les compagnons du Tour de France...). Le reportage s’achève sur cette promesse de vie éternelle : « La centrale de Gravelines, qui vient de fêter ses 35 ans, était prévue à l’origine pour durer jusqu’en 2020 », mais « sauf contre-ordre, elle pourrait fermer beaucoup plus tard. » CQFD.

Je laisse aux spécialistes de la juste cause antinucléaire – tels les savants rédacteurs du bulletin de l’association Sortir du nucléaire, qui effectuent, dans un silence médiatique assourdissant, un travail remarquable – le soin de démonter un à un les arguments avancés dans ce reportage. Je m’en suis tenu pour ma part au discours, dont je n’ai fait que mentionner les plus grosses ficelles. Mais il n’est pas douteux qu’à deux mois de la COP21, cet épisode s’inscrive dans la vaste offensive publicitaire lancée par EDF et Areva pour faire passer le nucléaire pour une énergie propre, seule capable de sauver la planète du réchauffement qui la menace...

Il serait grand temps de cesser de défendre l’indéfendable : le nucléaire est une énergie potentiellement mortifère (ce qu’on sait définitivement depuis l’accident de Fukushima), et – cela se sait aussi de mieux en mieux –, une énergie économiquement ruineuse (coût astronomique du prolongement de la vie des actuelles centrales, explosion du coût de l’EPR, sans parler de la gestion des déchets). Il est grand temps de se tourner, comme le font résolument nos voisins les plus avisés par des investissements massifs, vers les énergies renouvelables, d’autant que leurs performances accrues procurent une électricité de moins en moins onéreuse et qu’elles sont particulièrement prometteuses en termes d’emploi.