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Sortir du nucléaire n°102



Été 2024
Crédit photo : Nasa - Unsplash

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Nucléaire : un échec mondial

Publié chaque année depuis 15 ans par une équipe indépendante internationale d’expert·es, le rapport annuel sur l’état de l’industrie nucléaire mondiale (WNISR) est le seul rapport mondial non-étatique sur le sujet. Le résumé en version française de ces 549 pages de données est sans appel : non, le nucléaire n’est pas une énergie d’avenir.

Industrie nucléaire État de l’industrie nucléaire Nucléaire et climat Etat du parc nucléaire français

9,2 %. C’est la part que représentait le nucléaire dans le mix électrique mondial en 2022, soit le niveau le plus bas depuis 40 ans. La production mondiale d’électricité nucléaire a elle chuté de 4 % en un an, atteignant 2 546 TWh en 2022, soit le même niveau qu’en 2020, année de la pandémie.

Le nombre de mises en construction de nouveaux réacteurs est lui aussi en baisse, d’autant plus que celles-ci n’ont lieu quasi-exclusivement qu’en Chine (5 réacteurs sur 6, voir graphique ci-dessous).

Même si de nouveaux réacteurs sont mis en service dans le monde, leur nombre se fait rattraper par celui des fermetures. Ainsi, 7 réacteurs ont été couplés au réseau en 2022, et 5 ont été fermés. En début d’année suivante, 4 réacteurs ont démarré contre 5 fermés.
Si on prend un peu de recul sur les 20 dernières années, le rapport indique que 99 mises en service (dont 49 en Chine) ont eu lieu contre 105 fermetures. Les velléités de relance d’Emmanuel Macron, avec la construction de 6 à 14 nouveaux réacteurs, se confronteront à la même réalité : les centrales nucléaires vieillissent et davantage de réacteurs nucléaires devront être mis à l’arrêt.

Alors que les réacteurs ont été conçus pour une durée d’exploitation entre 30 et 40 ans [1], deux-tiers des réacteurs en service dans le monde sont en fonctionnement depuis 31 ans ou plus, dont plus d’1 sur 4 ont atteint ou dépassé une durée d’exploitation de 41 ans. En France, en 2024, la moyenne d’âge des réacteurs en activité est de 38 ans.

En plus d’augmenter les risques pour la sûreté, ce vieillissement et les « problèmes imprévus » (combustible, corrosion, arrêts d’urgence, etc) affectent le coût du nucléaire, ayant « lourdement tiré à la hausse le coût des réparations ou de réinvestissement ». Le WNISR [2] relève ainsi des « difficultés financières » dans « de nombreux pays » ces dernières années. L’électricien français EDF, menacé de faillite par des pertes record et un niveau d’endettement net sans précédent – 64,8 milliards d’euros à la mi-2023 – a ainsi été renationalisé.

Tripler la capacité de production : « tout simplement impossible »

Face à ce constat d’échec, l’engagement pris par une vingtaine de pays dont la France lors de la COP28 à tripler la capacité de production nucléaire mondiale d’ici 2050 paraît d’autant plus absurde. Les expert·es du WNISR 2023 se sont d’ailleurs prêté·es à l’exercice d’une projection, et leur conclusion est limpide : «  L’idée de pouvoir planifier, construire et mettre en service quelques 1.000 réacteurs supplémentaires au cours de ces 27 ans pour tripler la capacité de production est tout simplement impossible sur le plan industriel. Et de poursuivre : Un engagement étonnamment creux, mais véritablement trompeur, qui entretient la confusion des citoyen·ne·s sur l’état, les capacités, les tendances et les perspectives de l’industrie nucléaire dans le monde. »

Quant à l’engouement actuel autour des Small Modular Reactors (SMR), les données du WNISR ont là aussi de quoi faire déchanter. En résumé ? « Pas d’avancées majeures sur le terrain ».
La situation pays par pays est édifiante : de nombreux et longs retards (souvent au moins une dizaine d’années), un projet « totalement abandonné » aux États-Unis, un « bilan d’exploitation [qui] semble décevant » pour les deux modules à haute température de la Chine, et une « performance [...] médiocre » pour les deux réacteurs de la Russie.
D’après la partie "Coûts manquants ou sous-estimés" du rapport, les expert·es estiment que : « les coûts de gestion des déchets nucléaires par kWh seront certainement plus élevés pour les SMR que pour les gros réacteurs ». De quoi douter de l’avenir de cette technologie soi-disant révolutionnaire.

De leur côté, les énergies renouvelables continuent de battre des records. En 2022, les installations solaires et éoliennes ont produit 28 % de plus que les centrales nucléaires, qui ont vu leurs performances impactées entre autres par les changements climatiques.

Climat et guerre ne font pas bon ménage avec le nucléaire

Même s’il indique que « leur impact sur la production globale est encore limité », le WNISR souligne aussi le fait que « les perturbations d’origine climatique sur la production nucléaire ont été multipliées par huit au cours des 30 dernières années ». Sont notamment mentionnées la disponibilité en eau de refroidissement, la capacité des sources froides, et les tempêtes. Des phénomènes amenés à s’accroitre dans les années à venir et qui montrent bien que le nucléaire n’est pas adapté à un climat dégradé.

Par ailleurs, l’invasion de l’Ukraine par la Russie a été une étape historique pour rendre visibles la « dangerosité et la vulnérabilité » des centrales nucléaires. Comme l’explique le rapport : « Pour la première fois dans l’histoire, des installations nucléaires civiles en fonctionnement ont été directement attaquées militairement puis occupées par des forces ennemies dans un contexte de guerre totale ». La situation à la centrale nucléaire de Zaporijjia inquiète jusqu’au directeur général de l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA), qui déclarait en avril dernier : « Nous nous approchons dangereusement d’un accident nucléaire ».

En France, une « avalanche de problèmes »

Le chapitre consacré à la situation française a de quoi alimenter les revendications antinucléaires. En 2022, la production nucléaire française s’élevait à 279 TWh, retombant « en dessous de son niveau de 1990 ». Une chute de 22,7 % par rapport à l’année précédente, jugée « spectaculaire » par les expert·es, qui précisent que celle-ci est « supérieure à la diminution [...] réalisée en Allemagne depuis 2010 dans le cadre de la sortie progressive du nucléaire. »
En cause : la combinaison de « défauts techniques », « problèmes liés au vieillissement », « impacts climatiques » et « mouvements sociaux », obligeant la France à se retrouver importatrice nette d’électricité « pour la première fois depuis 1980 ».
Sur l’année, les réacteurs français n’ont rien produit pendant en moyenne... 152 jours ! Et le 28 août 2022, c’est même 32 réacteurs au total (soit 59 % du parc), qui étaient déconnectés du réseau.

Conclusion de la situation française ?
« De l’avis convergent des analystes, la renationalisation totale d’EDF ne résoudra pas ses problèmes structurels : un parc nucléaire vieillissant dont les performances sont les plus faibles depuis des décennies, des problèmes de main d’œuvre et de compétences, des besoins d’investissements sans précédent dans une situation d’endettement sans précédent, des déboires sans fin sur son unique chantier de construction à Flamanville. Bien que ces aspects ne soient pas traités ici, il faudrait ajouter à cette liste les graves problèmes de la chaîne du combustible, l’impact climatique, les mouvements sociaux affectant le secteur et une opposition inattendue. » Nous voilà rassuré·es.

  • Marion Bichet

Notes

[2World Nuclear Industry Status Report 2023, disponible en version française - https://s.42l.fr/WNISR-2023

9,2 %. C’est la part que représentait le nucléaire dans le mix électrique mondial en 2022, soit le niveau le plus bas depuis 40 ans. La production mondiale d’électricité nucléaire a elle chuté de 4 % en un an, atteignant 2 546 TWh en 2022, soit le même niveau qu’en 2020, année de la pandémie.

Le nombre de mises en construction de nouveaux réacteurs est lui aussi en baisse, d’autant plus que celles-ci n’ont lieu quasi-exclusivement qu’en Chine (5 réacteurs sur 6, voir graphique ci-dessous).

Même si de nouveaux réacteurs sont mis en service dans le monde, leur nombre se fait rattraper par celui des fermetures. Ainsi, 7 réacteurs ont été couplés au réseau en 2022, et 5 ont été fermés. En début d’année suivante, 4 réacteurs ont démarré contre 5 fermés.
Si on prend un peu de recul sur les 20 dernières années, le rapport indique que 99 mises en service (dont 49 en Chine) ont eu lieu contre 105 fermetures. Les velléités de relance d’Emmanuel Macron, avec la construction de 6 à 14 nouveaux réacteurs, se confronteront à la même réalité : les centrales nucléaires vieillissent et davantage de réacteurs nucléaires devront être mis à l’arrêt.

Alors que les réacteurs ont été conçus pour une durée d’exploitation entre 30 et 40 ans [1], deux-tiers des réacteurs en service dans le monde sont en fonctionnement depuis 31 ans ou plus, dont plus d’1 sur 4 ont atteint ou dépassé une durée d’exploitation de 41 ans. En France, en 2024, la moyenne d’âge des réacteurs en activité est de 38 ans.

En plus d’augmenter les risques pour la sûreté, ce vieillissement et les « problèmes imprévus » (combustible, corrosion, arrêts d’urgence, etc) affectent le coût du nucléaire, ayant « lourdement tiré à la hausse le coût des réparations ou de réinvestissement ». Le WNISR [2] relève ainsi des « difficultés financières » dans « de nombreux pays » ces dernières années. L’électricien français EDF, menacé de faillite par des pertes record et un niveau d’endettement net sans précédent – 64,8 milliards d’euros à la mi-2023 – a ainsi été renationalisé.

Tripler la capacité de production : « tout simplement impossible »

Face à ce constat d’échec, l’engagement pris par une vingtaine de pays dont la France lors de la COP28 à tripler la capacité de production nucléaire mondiale d’ici 2050 paraît d’autant plus absurde. Les expert·es du WNISR 2023 se sont d’ailleurs prêté·es à l’exercice d’une projection, et leur conclusion est limpide : «  L’idée de pouvoir planifier, construire et mettre en service quelques 1.000 réacteurs supplémentaires au cours de ces 27 ans pour tripler la capacité de production est tout simplement impossible sur le plan industriel. Et de poursuivre : Un engagement étonnamment creux, mais véritablement trompeur, qui entretient la confusion des citoyen·ne·s sur l’état, les capacités, les tendances et les perspectives de l’industrie nucléaire dans le monde. »

Quant à l’engouement actuel autour des Small Modular Reactors (SMR), les données du WNISR ont là aussi de quoi faire déchanter. En résumé ? « Pas d’avancées majeures sur le terrain ».
La situation pays par pays est édifiante : de nombreux et longs retards (souvent au moins une dizaine d’années), un projet « totalement abandonné » aux États-Unis, un « bilan d’exploitation [qui] semble décevant » pour les deux modules à haute température de la Chine, et une « performance [...] médiocre » pour les deux réacteurs de la Russie.
D’après la partie "Coûts manquants ou sous-estimés" du rapport, les expert·es estiment que : « les coûts de gestion des déchets nucléaires par kWh seront certainement plus élevés pour les SMR que pour les gros réacteurs ». De quoi douter de l’avenir de cette technologie soi-disant révolutionnaire.

De leur côté, les énergies renouvelables continuent de battre des records. En 2022, les installations solaires et éoliennes ont produit 28 % de plus que les centrales nucléaires, qui ont vu leurs performances impactées entre autres par les changements climatiques.

Climat et guerre ne font pas bon ménage avec le nucléaire

Même s’il indique que « leur impact sur la production globale est encore limité », le WNISR souligne aussi le fait que « les perturbations d’origine climatique sur la production nucléaire ont été multipliées par huit au cours des 30 dernières années ». Sont notamment mentionnées la disponibilité en eau de refroidissement, la capacité des sources froides, et les tempêtes. Des phénomènes amenés à s’accroitre dans les années à venir et qui montrent bien que le nucléaire n’est pas adapté à un climat dégradé.

Par ailleurs, l’invasion de l’Ukraine par la Russie a été une étape historique pour rendre visibles la « dangerosité et la vulnérabilité » des centrales nucléaires. Comme l’explique le rapport : « Pour la première fois dans l’histoire, des installations nucléaires civiles en fonctionnement ont été directement attaquées militairement puis occupées par des forces ennemies dans un contexte de guerre totale ». La situation à la centrale nucléaire de Zaporijjia inquiète jusqu’au directeur général de l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA), qui déclarait en avril dernier : « Nous nous approchons dangereusement d’un accident nucléaire ».

En France, une « avalanche de problèmes »

Le chapitre consacré à la situation française a de quoi alimenter les revendications antinucléaires. En 2022, la production nucléaire française s’élevait à 279 TWh, retombant « en dessous de son niveau de 1990 ». Une chute de 22,7 % par rapport à l’année précédente, jugée « spectaculaire » par les expert·es, qui précisent que celle-ci est « supérieure à la diminution [...] réalisée en Allemagne depuis 2010 dans le cadre de la sortie progressive du nucléaire. »
En cause : la combinaison de « défauts techniques », « problèmes liés au vieillissement », « impacts climatiques » et « mouvements sociaux », obligeant la France à se retrouver importatrice nette d’électricité « pour la première fois depuis 1980 ».
Sur l’année, les réacteurs français n’ont rien produit pendant en moyenne... 152 jours ! Et le 28 août 2022, c’est même 32 réacteurs au total (soit 59 % du parc), qui étaient déconnectés du réseau.

Conclusion de la situation française ?
« De l’avis convergent des analystes, la renationalisation totale d’EDF ne résoudra pas ses problèmes structurels : un parc nucléaire vieillissant dont les performances sont les plus faibles depuis des décennies, des problèmes de main d’œuvre et de compétences, des besoins d’investissements sans précédent dans une situation d’endettement sans précédent, des déboires sans fin sur son unique chantier de construction à Flamanville. Bien que ces aspects ne soient pas traités ici, il faudrait ajouter à cette liste les graves problèmes de la chaîne du combustible, l’impact climatique, les mouvements sociaux affectant le secteur et une opposition inattendue. » Nous voilà rassuré·es.

  • Marion Bichet


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