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Sortir du nucléaire n°102



Été 2024
Crédit photo : Eric De Mildt - Greenpeace

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Le nucléaire est un conte de fées

À Bruxelles, le 21 mars 2024, l’Agence Internationale de l’Énergie Atomique (AIEA) a organisé son premier « Sommet pour l’énergie nucléaire » avec la bénédiction du Premier ministre belge. En réaction, une trentaine de militant·es internationaux ont organisé une action pour dénoncer le conte de fées irréaliste que constitue le nucléaire. Iels y ont porté la parole de près de 600 organisations du monde entier.

Luttes et actions Organisations antinucléaires françaises Organisations antinucléaires étrangères Nucléaire et démocratie Lobby nucléaire Politique énergétique Nucléaire et économie

Il était une fois... Il y a bien longtemps, un joueur de pipeau magique arriva à Carboneville. « Oh joueur de pipeau ! » s’écrièrent les habitant·es de la ville. « Ici, à Carboneville, il fait toujours sombre et froid. Il y a de la fumée et de la pollution. Peux-tu nous aider à trouver un meilleur moyen de créer de la chaleur et de la lumière ? »

Ainsi commence la fable du « Joueur de pipeau à Nukeland » [1] écrite par une militante de l’association Beyond Nuclear présente à la mobilisation du 21 mars 2024 à Bruxelles, organisée en réaction au « Sommet pour l’énergie nucléaire ». Elle continue ainsi : Le joueur de pipeau était heureux de rendre service. « J’ai la solution », leur dit-il. « Ça s’appelle l’énergie nucléaire ! C’est sûr, bon marché et fiable. Très bientôt, vous aurez de la chaleur et de la lumière à un prix trop bas pour être mesuré ! »

The Lying Piper of Nukeland, a nuclear power fairy tale - Beyond Nuclear.

C’est en substance ce que sont venu·es affirmer les industriels, les « expert·es » et les chef·fes d’État ou de gouvernement présent·es ou représenté·es au Sommet. Dans la déclaration finale adoptée par une trentaine de pays, iels présentent le nucléaire comme une « composante essentielle d’une transition énergétique propre multiforme et globale permettant de réduire les gaz à effet de serre d’une manière efficace, opportune et déterminée au niveau national. » [2]

Pour ce qui est de la fiabilité et du bas coût de cette énergie, le discours est moins assuré. La déclaration affirme la détermination des pays signataires à « poursuivre [leur] effort d’innovation technologique, à améliorer encore les performances opérationnelles, la sûreté et l’économie des centrales nucléaires ». Ils en appellent pour cela une nouvelle fois [3] aux « banques multinationales, aux institutions financières et aux organismes régionaux » [4] pour renforcer leur soutien financier aux projets de nouveaux réacteurs nucléaires. Mais aussi à œuvrer pour que le nucléaire bénéficie du même traitement financier que les énergies renouvelables. Il s’agit d’un appel clair à des actions de lobbying qui rappelle les agissements de la France au niveau européen.

La fable se poursuit avec les promesses du joueur de pipeau : « Je vous apporterai 15 centrales nucléaires et vous aurez toute la chaleur et la lumière dont vous avez besoin. Je n’ai besoin que de cinq pièces d’or pour les faire démarrer. » Les habitant·es de Nukeland étaient très pauvres, mais ils économisèrent jusqu’à ce qu’ils aient cinq pièces d’or. De nombreuses années passèrent, pendant lesquelles les habitant·es de Nukeland restèrent figés dans l’obscurité, puis, un jour, trois centrales nucléaires furent enfin construites. « Pourquoi n’y en a-t-il que trois ? » demandèrent-ils au joueur de pipeau. « Vous nous en aviez promis 15. Nous avons payé pour 15. » Par la suite, les braves habitant·es se rendent compte que les emplois promis ne sont pas non plus au rendez-vous, à l’inverse de déchets toxiques, ingérables et dangereux, produits par les centrales.

C’est cette réalité que des militant·es en provenance du monde entier sont venu·es dénoncer devant le Sommet. Iels étaient déguisé·es en créatures merveilleuses et se sont rassemblé·es devant un château gonflable pendant que Greenpeace Europe bloquait les entrées du Sommet et en perturbait le bon déroulé.

Iels ont tou·tes porté la parole des 600 organisations internationales ayant signé une déclaration commune pour rappeler en quoi ce conte de fées nucléaire relève du fantasme et nous mène droit dans une dangereuse impasse climatique.
Le délai de construction des réacteurs nucléaire au niveau mondiale les exclut d’office de la liste des solutions pour répondre rapidement aux enjeux du réchauffement climatique [5]. Leur coût élevé et qui ne cesse d’être sous-évalué puis de dépasser les estimations initiales les met hors jeu dans la compétition à la production d’électricité décarbonée que gagnent haut la main des énergies renouvelables. Et les projets de nouveaux réacteurs détournent l’attention de solutions que les gouvernements semblent estimer trop coûteuses politiquement pour réellement les mettre en place comme c’est le cas pour une réelle politique de sobriété [6].

La fable du joueur de pipeau termine par un accident nucléaire et le constat éploré des habitant·es de Nukeland : « Il y avait une autre solution. Elle était là, devant nous, depuis tout ce temps. Le soleil et le vent sont gratuits, sûrs, rapides et bon marché. Nous n’aurions jamais dû écouter le joueur de pipeau, c’était un menteur. Il a pris notre argent et nous a fait perdre notre temps. Il nous a rendu malades et nous a conduit dans une impasse. Nous avons fait une terrible erreur. »

Cette fable risque de se répéter si nous nous laissons berner par les motivations avancées par les industriels du nucléaire et les pays qui prétendent compter sur la multiplication des projets de centrales nucléaires pour faire face au réchauffement climatique. Les raisons de cet empressement sont à chercher dans la nature-même de la réalité industrielle de la filière nucléaire. Sans économie d’échelle, elle n’est pas rentable. E. Macron ne dit rien d’autre lorsqu’il explique en marge du Sommet : « On finance aussi [cette nouvelle génération de réacteurs] en ayant de la taille critique c’est-à-dire en baissant les coûts en ayant un marché plus profond, en essayant de convaincre d’autres pays de venir avec nous. Plus on a des séries longues et de la visibilité, plus on fait baisser les coûts » Le conte de fées du nucléaire montre déjà ses failles. Les actions antinucléaires à venir seront décisives pour ne pas le laisser se transformer en récit catastrophe.

  • Marion Rivet, chargée des relations médias et des relations extérieures du Réseau "Sortir du nucléaire"

Notes

[1« The lying piper of Nukeland » dans sa version originale, disponible sur beyondnuclear.org

[2Déclaration diffusée par la journaliste Anna Hubert sur le réseau social X (ex. Twitter) : https://s.42l.fr/x-AnnaHbrt-nuclear-energy-summit-21032024

[3Cela avait déjà été le cas lors de la Cop28 : https://www.sortirdunucleaire.org/58816

[4Ibid.

[5Les 18 réacteurs connectés au réseau entre 2020 et 2022 dans le monde ont mis en moyenne 7,9 ans à l’être : https://s.42l.fr/WNISR-2023-VO p.64.

[6L’élaboration en France d’un projet de loi relative à la Souveraineté énergétique depuis enterré qui n’en faisait plus mention est éloquent à cet égard : https://s.42l.fr/negawatt-cp-31012024

Il était une fois... Il y a bien longtemps, un joueur de pipeau magique arriva à Carboneville. « Oh joueur de pipeau ! » s’écrièrent les habitant·es de la ville. « Ici, à Carboneville, il fait toujours sombre et froid. Il y a de la fumée et de la pollution. Peux-tu nous aider à trouver un meilleur moyen de créer de la chaleur et de la lumière ? »

Ainsi commence la fable du « Joueur de pipeau à Nukeland » [1] écrite par une militante de l’association Beyond Nuclear présente à la mobilisation du 21 mars 2024 à Bruxelles, organisée en réaction au « Sommet pour l’énergie nucléaire ». Elle continue ainsi : Le joueur de pipeau était heureux de rendre service. « J’ai la solution », leur dit-il. « Ça s’appelle l’énergie nucléaire ! C’est sûr, bon marché et fiable. Très bientôt, vous aurez de la chaleur et de la lumière à un prix trop bas pour être mesuré ! »

The Lying Piper of Nukeland, a nuclear power fairy tale - Beyond Nuclear.

C’est en substance ce que sont venu·es affirmer les industriels, les « expert·es » et les chef·fes d’État ou de gouvernement présent·es ou représenté·es au Sommet. Dans la déclaration finale adoptée par une trentaine de pays, iels présentent le nucléaire comme une « composante essentielle d’une transition énergétique propre multiforme et globale permettant de réduire les gaz à effet de serre d’une manière efficace, opportune et déterminée au niveau national. » [2]

Pour ce qui est de la fiabilité et du bas coût de cette énergie, le discours est moins assuré. La déclaration affirme la détermination des pays signataires à « poursuivre [leur] effort d’innovation technologique, à améliorer encore les performances opérationnelles, la sûreté et l’économie des centrales nucléaires ». Ils en appellent pour cela une nouvelle fois [3] aux « banques multinationales, aux institutions financières et aux organismes régionaux » [4] pour renforcer leur soutien financier aux projets de nouveaux réacteurs nucléaires. Mais aussi à œuvrer pour que le nucléaire bénéficie du même traitement financier que les énergies renouvelables. Il s’agit d’un appel clair à des actions de lobbying qui rappelle les agissements de la France au niveau européen.

La fable se poursuit avec les promesses du joueur de pipeau : « Je vous apporterai 15 centrales nucléaires et vous aurez toute la chaleur et la lumière dont vous avez besoin. Je n’ai besoin que de cinq pièces d’or pour les faire démarrer. » Les habitant·es de Nukeland étaient très pauvres, mais ils économisèrent jusqu’à ce qu’ils aient cinq pièces d’or. De nombreuses années passèrent, pendant lesquelles les habitant·es de Nukeland restèrent figés dans l’obscurité, puis, un jour, trois centrales nucléaires furent enfin construites. « Pourquoi n’y en a-t-il que trois ? » demandèrent-ils au joueur de pipeau. « Vous nous en aviez promis 15. Nous avons payé pour 15. » Par la suite, les braves habitant·es se rendent compte que les emplois promis ne sont pas non plus au rendez-vous, à l’inverse de déchets toxiques, ingérables et dangereux, produits par les centrales.

C’est cette réalité que des militant·es en provenance du monde entier sont venu·es dénoncer devant le Sommet. Iels étaient déguisé·es en créatures merveilleuses et se sont rassemblé·es devant un château gonflable pendant que Greenpeace Europe bloquait les entrées du Sommet et en perturbait le bon déroulé.

Iels ont tou·tes porté la parole des 600 organisations internationales ayant signé une déclaration commune pour rappeler en quoi ce conte de fées nucléaire relève du fantasme et nous mène droit dans une dangereuse impasse climatique.
Le délai de construction des réacteurs nucléaire au niveau mondiale les exclut d’office de la liste des solutions pour répondre rapidement aux enjeux du réchauffement climatique [5]. Leur coût élevé et qui ne cesse d’être sous-évalué puis de dépasser les estimations initiales les met hors jeu dans la compétition à la production d’électricité décarbonée que gagnent haut la main des énergies renouvelables. Et les projets de nouveaux réacteurs détournent l’attention de solutions que les gouvernements semblent estimer trop coûteuses politiquement pour réellement les mettre en place comme c’est le cas pour une réelle politique de sobriété [6].

La fable du joueur de pipeau termine par un accident nucléaire et le constat éploré des habitant·es de Nukeland : « Il y avait une autre solution. Elle était là, devant nous, depuis tout ce temps. Le soleil et le vent sont gratuits, sûrs, rapides et bon marché. Nous n’aurions jamais dû écouter le joueur de pipeau, c’était un menteur. Il a pris notre argent et nous a fait perdre notre temps. Il nous a rendu malades et nous a conduit dans une impasse. Nous avons fait une terrible erreur. »

Cette fable risque de se répéter si nous nous laissons berner par les motivations avancées par les industriels du nucléaire et les pays qui prétendent compter sur la multiplication des projets de centrales nucléaires pour faire face au réchauffement climatique. Les raisons de cet empressement sont à chercher dans la nature-même de la réalité industrielle de la filière nucléaire. Sans économie d’échelle, elle n’est pas rentable. E. Macron ne dit rien d’autre lorsqu’il explique en marge du Sommet : « On finance aussi [cette nouvelle génération de réacteurs] en ayant de la taille critique c’est-à-dire en baissant les coûts en ayant un marché plus profond, en essayant de convaincre d’autres pays de venir avec nous. Plus on a des séries longues et de la visibilité, plus on fait baisser les coûts » Le conte de fées du nucléaire montre déjà ses failles. Les actions antinucléaires à venir seront décisives pour ne pas le laisser se transformer en récit catastrophe.

  • Marion Rivet, chargée des relations médias et des relations extérieures du Réseau "Sortir du nucléaire"


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