Article publié le 12 décembre 2019
Le 11 novembre 2019, un fort séisme a fait trembler toute la vallée du Rhône. Les installations nucléaires d’EDF et d’Orano de Cruas et du Tricastin étaient à seulement quelques kilomètres de l’épicentre.
Ce séisme et ses conséquences questionnent sérieusement la résistance des installations nucléaires aux tremblements de terre. La digue qui protège le site du Tricastin d’une inondation, laquelle engendrerait la fusion du combustible des 4 réacteurs nucléaires, doit être renforcée. À Cruas, tous les réacteurs ont été arrêtés pendant un mois pour vérifier en profondeur l’état des installations, et des défauts préexistants, qui étaient passés inaperçus aux yeux d’EDF jusque là, ont été découverts sur des dispositifs antisismiques de la centrale.
Le tremblement de terre du 11 novembre 2019 a mis en évidence que le risque de séisme était loin d’être parfaitement maitrisé par les industriels de la filière nucléaire. Outre les demandes immédiate de renforcements déjà formulées, l’Autorité de sûreté nucléaire attend des exploitants qu’ils réexaminent au plus tard d’ici mars 2020 le niveau de résistance défini pour leurs installations. Au vu des caractéristiques du séisme du 11 novembre, il pourrait bien s’avérer que le niveau actuel a été sous-évalué. Il faudra alors faire d’importants et coûteux travaux pour renforcer la résistance des installations nucléaires aux tremblements de terre.
À la suite du séisme du Teil du 11 novembre 2019, l’ASN fait le point sur la résistance des centrales nucléaires face aux séismes
Publié le 12/12/2019
Lors de sa conception, comment détermine-t-on le niveau de séisme auquel une centrale nucléaire doit pouvoir faire face ?
Les séismes font partie des risques naturels auxquels les installations nucléaires doivent pouvoir résister. Des dispositions parasismiques sont prises à la conception des installations et reconsidérées tous les dix ans en fonction de l’évolution des connaissances et de la réglementation, à l’occasion des réexamens périodiques.
En France, la caractérisation de l’aléa sismique auquel chaque installation nucléaire de base (INB) doit pouvoir faire face est fondée sur une approche déterministe, détaillée dans la règle fondamentale de sûreté 2001-01. Cette règle est complétée par le guide 2/01 de l’ASN qui définit les dispositions de conception parasismique des ouvrages de génie civil.
La méthode consiste à :
- déterminer d’abord le « séisme maximal historiquement vraisemblable » (SMHV) qui correspond à une période de retour d’environ 1 000 ans. Ce niveau de séisme peut être considéré comme le plus intense « de mémoire d’homme » recensé dans la région considérée ;
- définir ensuite le « séisme majoré de sécurité » (SMS) qui correspond à une augmentation de la magnitude du SMHV de 0,5 sur l’échelle de Richter. De plus, le SMS est placé forfaitairement, dans la zone sismotectonique à laquelle il appartient, au plus près du site nucléaire.
Le SMS présente donc des marges par rapport au séisme historique recensé dans la région considérée : il est plus intense et il est placé au plus près du site nucléaire.
Pour certains sites, la prise en compte des données de paléosismicité [1] peut conduire à compléter les mouvements associés aux SMS.
Le retour d’expérience de l’accident de Fukushima a-t-il été pris en compte ?
Après l’accident de la centrale nucléaire de Fukushima, l’ASN a demandé à EDF de vérifier la robustesse de ses centrales nucléaires à un niveau de séisme encore plus important, le « séisme noyau dur » (SND), pour lequel les principales fonctions de sûreté doivent pouvoir être assurées. Les mouvements du sol (accélérations) correspondants au SND doivent être plus importants que ceux du SMS majorés de 50 % et plus importants que ceux des séismes ayant une période de retour de 20 000 ans. Pour répondre à cette exigence, EDF a défini un « noyau dur » de matériels (comme par exemple les groupes électrogènes d’ultime secours) résistant au SND, qui sont en cours de déploiement sur ses réacteurs.
Les niveaux de séisme sont-ils réévalués au cours de la durée de fonctionnement d’une installation ?
Les exploitants réévaluent tous les 10 ans, à l’occasion des réexamens périodiques de leurs installations, le niveau de séisme à prendre en compte dans la démonstration de sûreté (SMS). Cette réévaluation est menée au regard de l’évolution des connaissances historiques et des éventuels séismes étant intervenus depuis la dernière réévaluation.
Par ailleurs, l’ASN peut demander la prise en compte de la survenue de tout événement qui remettrait en cause les hypothèses prises en compte pour la conception d’une installation.
Les réévaluations des niveaux de séisme conduisent régulièrement les exploitants à renforcer des parties de leurs installations. Si les conséquences d’un séisme envisagé sont inacceptables et que les renforcements ne sont pas possibles, l’ASN peut demander alors la fermeture de l’installation. Cela a été le cas pour l’atelier de traitement du plutonium (ATPu) de Cadarache.
L’ASN contrôle que l’ensemble des installations sont conçues pour faire face à un séisme. À noter que certaines installations ou parties d’installations pérennes (aire d’entreposage de déchets de faible activité...) ou en démantèlement (équipements de reprise ou de conditionnement de déchets...) peuvent faire l’objet d’exigences adaptées aux enjeux qu’elles présentent.
Quelles sont les conséquences du séisme du Teil sur la centrale nucléaire de Cruas ?
La centrale nucléaire de Cruas, comme toutes les centrales nucléaires françaises, est équipée d’un dispositif de surveillance sismique. Lors du séisme de 11 novembre 2019, un des cinq capteurs a dépassé le seuil au-delà duquel les réacteurs doivent être arrêtés pour que soient menées des vérifications approfondies. Les mouvements du sol enregistrés ont toutefois été environ cinq fois inférieurs au niveau pris en compte pour la conception des réacteurs.
EDF a ainsi réalisé un diagnostic approfondi de ses installations dont le contenu a été soumis à l’ASN. Elle a en particulier contrôlé les structures de génie-civil et l’état des matériels importants pour la sûreté. À la demande de l’ASN, EDF a réalisé des essais pour vérifier le bon fonctionnement des systèmes de sauvegarde des réacteurs.
L’îlot nucléaire de la centrale de Cruas est construit sur des appuis parasismiques qui permettent d’atténuer les mouvements sismiques. EDF a contrôlé l’état de ces appuis à la suite du séisme du 11 novembre 2019.
L’ASN a vérifié par sondage certains des contrôles menés par EDF lors de deux inspections les 20 et 22 novembre. Les résultats de l’ensemble de ces contrôles ont été examinés par l’ASN avant le redémarrage des réacteurs.
Le 6 décembre 2019, l’ASN a donné son accord à la remise en service des réacteurs 2 et 4. Elle a donné son accord à la remise en service du réacteur 3 le 11 décembre 2019.
Quelles sont les conséquences du séisme du Teil sur le site nucléaire de Tricastin ?
En ce qui concerne la centrale nucléaire du Tricastin, aucun des capteurs de surveillance sismique n’a atteint le seuil nécessitant des vérifications approfondies. Aucun dommage mettant en cause la sûreté des installations nucléaires de la plateforme Orano Cycle du Tricastin n’a par ailleurs été constaté.
S’agissant de la digue protégeant la centrale nucléaire du Tricastin, EDF a mis en évidence, en 2017, un risque de rupture d’une de ses parties en cas de séisme de niveau SMS. L’inondation en résultant pouvait conduire à un accident de fusion du combustible nucléaire des quatre réacteurs de la centrale du Tricastin et aurait rendu particulièrement difficile la mise en œuvre des moyens de gestion d’urgence internes et externes.
Le 27 septembre 2017, l’ASN a prescrit à EDF de renforcer la portion de digue concernée afin qu’elle résiste à un séisme de niveau SMS et a imposé provisoirement l’arrêt des quatre réacteurs. EDF a réalisé ces travaux.
Par ailleurs, à la suite à l’accident de la centrale nucléaire de Fukushima, l’ASN a prescrit à EDF de mettre en place des dispositions afin de faire face à des séismes « extrêmes » (séisme noyau dur). L’ASN a donc demandé à EDF de renforcer à nouveau la digue protégeant la centrale nucléaire du Tricastin, avant fin 2022 afin qu’elle résiste à un séisme de niveau SND. Dans l’attente de ces renforcements, l’ASN a prescrit :
- une surveillance renforcée de la digue ;
- un programme d’action en cas de hausse du niveau d’eau dans la digue du canal de Donzère-Mondragon ;
- des moyens humains et matériels sur le site pour faire face à une détérioration de la digue à la suite d’un séisme.
Le séisme du Teil aura-t-il des conséquences sur les critères de résistance des centrales nucléaires du Tricastin et de Cruas ?
La caractérisation fine du séisme du Teil nécessitera encore quelques mois. L’IRSN a donné des éléments à la suite des premières investigations : Séisme du Teil (Ardèche) du 11 novembre 2019
L’aléa sismique défini pour le troisième réexamen périodique des centrales nucléaires de Cruas et du Tricastin se fonde sur le séisme du 8 août 1873 pour calculer un SMHV de magnitude Ms (magnitude des ondes de surface) de 4,7 à 4 km de profondeur. Cela conduit in fine à un SMS de magnitude Ms de 5,2 à 4 km de profondeur. EDF retient également le paléoséisme de Courthézon comme un séisme de référence (magnitude 6,5 et distance épicentrale de 50 km pour Cruas et de 27 km pour Tricastin).
Le 14 novembre 2019, l’IRSN a estimé que le séisme du 11 novembre 2019 correspond à une magnitude Ms d’environ 4,5 et de profondeur d’environ 2 km et qu’il présente des caractéristiques proches de celles du SMHV.
L’ASN a demandé à EDF de déterminer, une fois qu’il aura été caractérisé et en tout état de cause avant mars 2020, si le séisme du Teil doit conduire à réévaluer le SMHV (et donc le SMS) des centrales de Cruas et Tricastin. Si tel est le cas, EDF devra déterminer si ces nouveaux niveaux doivent conduire à renforcer ses installations. L’ASN contrôlera l’ensemble du processus et prendra position sur ce sujet.
Pour ce qui concerne la plateforme Orano du Tricastin, l’exploitant doit proposer une réévaluation du séisme de référence en 2022, dans le cadre du réexamen périodique de l’usine Georges Besse 2. Cette réévaluation devra prendre en compte le séisme de Teil et, si nécessaire, réviser les caractéristiques du séisme de référence de cette plateforme.
[1] Les paléoséismes sont des séismes anciens situés sur des failles, associés à de très fortes intensités (qui ont conduit à des déplacements de sols notables en surface, de quelques dizaines de centimètres à un ou deux mètres). Pour évaluer leurs effets sur les installations, on retient, sans majoration, leur magnitude et une localisation correspondant à la faille sur laquelle ils sont situés.