18 mars 2024
Le communiqué d’EDF ne donne pas beaucoup de détails sur l’incident survenu à la centrale du Tricastin (Drôme). Il démontre toutefois un manque de connaissances et de vérifications des configurations des systèmes, y compris lorsqu’il s’agit d’avoir des réserves d’eau pour refroidir le combustible et limiter l’aggravation d’un accident.
Crédit photo : André Paris
Pas de date, pas d’explications, la déclaration d’incident significatif [1] pour la sûreté [2] publiée par la centrale du Tricastin le 18 mars 2024 a de quoi laisser sur sa faim qui voudrait comprendre ce qu’il s’est passé. Car les faits ont impacté les mesures censées éviter les accidents dans l’installation nucléaire, et EDF en a sous-estimé la gravité. À se demander si l’exploitant se rend bien compte des risques que génère son usine de production d’électricité. Et s’il en connaît les principes de fonctionnement.
Une erreur de configuration a été commise sur le réacteur 4 alors qu’il était à l’arrêt et que des tests étaient effectués pour vérifier le bon fonctionnement de certains systèmes. Cette erreur a mis hors-service un réservoir d’eau qui sert à plusieurs choses : en cas d’accident cette eau est utilisée pour faire tomber une pluie dans le bâtiment réacteur afin de rabattre au sol les particules radioactives, d’abaisser la température et la pression (circuit EAS [3]) ; EDF ne le dit pas mais ce réservoir sert aussi à refroidir le combustible nucléaire qui n’est pas dans la cuve du réacteur mais dans une piscine accolée à celui-ci.
Même lorsqu’il n’est pas utilisé, le combustible nucléaire dégage pendant un certain temps une très forte chaleur (communément appelée puissance résiduelle). De plus, ce combustible contient une grande part de matière dite fissile, dont la quantité est plus importante que la masse critique (la quantité de matière minimale pour déclencher une réaction nucléaire en chaîne [4]. Ce combustible doit donc être immergé dans un mélange d’eau et de bore (un élément qui absorbe les neutrons et permet ainsi d’inhiber la réaction nucléaire [5]) pour s’assurer que la réaction nucléaire ne démarre pas toute seule et cette eau borée doit être en permanence refroidie pour évacuer la puissance résiduelle (capter la chaleur dégagée par le combustible). Lorsque de la matière fissile est stockée en piscine, son refroidissement et le contrôle de la réactivité est donc primordial afin d’éviter un accident nucléaire pouvant entraîner la fusion du combustible.
Le réservoir dont il est question dans cet incident (réservoir PTR), contient de l’eau borée qui est utilisée à la fois pour pour le traitement et la réfrigération des eaux des piscines et du réacteur. Il touche donc aux bases les plus élémentaires en matière nucléaire. À cause d’une erreur de position de vanne·s du circuit EAS, ce réservoir n’était plus capable de remplir ses fonctions. On ne sait pas combien de temps il a fallu à EDF pour s’en rendre compte. Mais on sait que le délai maximal autorisé, 24 heures, a été dépassé.
Malgré le peu d’informations livrées par l’exploitant nucléaire dans son communiqué, ce nouvel incident à la centrale du Tricastin montre bien les difficultés de gestion et les défauts de surveillance de l’installation. Le fait que EDF ait initialement sous-estimé la gravité de son erreur lorsqu’il l’a déclarée à l’Autorité de sûreté est une preuve supplémentaire de son manque de connaissances et de compétences : si le responsable n’est pas capable de comprendre et d’analyser les conséquences de ses actes, comment espérer qu’il conduise l’installation sans causer d’accident ?
L.B.
Déclaration d’un événement significatif sûreté niveau 1 relatif à un non-respect des spécifications techniques d’exploitation
Publié le 18/03/2024
Dans une centrale nucléaire, un cadre de règles à respecter prescrit notamment les délais maximums de réparation et les conduites à tenir en cas d’indisponibilité des systèmes requis pour assurer la sûreté des réacteurs. Des contrôles programmés sont régulièrement réalisés pour vérifier leur fonctionnement.
Le système d’aspersion de l’enceinte (EAS) est un système de secours qui permet de faire baisser la pression et la température à l’intérieur de l’enceinte de confinement du réacteur, en dispersant sous forme de pluie très forte, de l’eau dans l’enceinte. Il utilise pour cela de l’eau borée du réservoir PTR. Le circuit est constitué de deux voies indépendantes et redondantes (A et B).
Pour vérifier le bon fonctionnement de vannes sur ce circuit, les équipes réalisent des contrôles programmés sur la voie B, durant l’arrêt pour maintenance de l’unité de production n°4. Même si, lors de ces contrôles, la voie B du circuit EAS est non requise, la configuration du circuit (position ouverte ou fermée de ces vannes) doit permettre de garantir l’isolement du réservoir PTR conformément aux spécifications techniques d’exploitation.
Le 27 janvier 2024, dans le cadre de l’évaluation de l’état de sûreté du réacteur, la configuration du circuit est considérée comme non conforme aux règles générales d’exploitation d’un réacteur à l’arrêt.
L’événement a été déclaré au niveau 0 de l’échelle INES le 30 janvier 2024 auprès de l’Autorité de sûreté nucléaire.
Après l’analyse approfondie de l’événement, il a été considéré que certains des contrôles ont été réalisés avec une configuration des circuits non conformes, durant plus de 24 heures, délai supérieur à la limite prévue par les règles d’exploitation.
La direction de la centrale du Tricastin a décidé de procéder à une nouvelle déclaration de l’événement au niveau 1 de l’échelle INES auprès de l’Autorité de sûreté nucléaire le 15 mars 2024.
L’événement n’a pas eu de conséquence réelle sur la sûreté des installations, ni sur l’environnement.
Non-respect des règles générales d’exploitation (RGE)
Publié le 21/03/2024
Centrale nucléaire du Tricastin Réacteurs de 900 MWe - EDF
Le 31 janvier 2024, EDF a déclaré à l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) un événement significatif pour la sûreté relatif au non-respect des règles générales d’exploitation (RGE) lors de la mise en configuration du circuit d’aspersion d’eau dans l’enceinte (EAS) du réacteur 4 de la centrale nucléaire du Tricastin.
Le circuit EAS est un système de sauvegarde qui permet l’aspersion d’eau dans l’enceinte du bâtiment réacteur. Ce système est mis en service automatiquement en situation accidentelle et a pour objectif de diminuer la pression et la température dans l’enceinte de confinement, constituée par le bâtiment réacteur (BR). Il est constitué de deux voies redondantes. L’eau utilisée par ce circuit provient du réservoir du système de traitement de l’eau de la piscine d’entreposage du combustible (réservoir PTR) puis, lorsque ce réservoir est vide, de la mise en recirculation de l’eau collectée par les puisards situés en fond de BR.
Le 26 janvier 2024, dans le cadre d’une activité de contrôle, une erreur de mise en configuration d’une voie du circuit EAS, susceptible de conduire, en cas d’accident avec passage en recirculation de l’eau contaminée du BR, à un transfert d’eau contaminée du BR vers le réservoir PTR, a été commise. En cas de configuration du circuit non-conforme aux RGE, ces dernières prescrivent une remise en conformité sous vingt-quatre heures, celle-ci a été réalisée dans les quatre heures.
L’analyse approfondie de ce premier événement significatif a mis en évidence que la situation rencontrée le 26 janvier 2024 s’était déjà produite à plusieurs reprises, notamment entre le 24 et le 25 janvier 2024, pendant plus de trente-trois heures, occasionnant donc le dépassement du délai de remise en conformité prescrit par les RGE. EDF a informé l’ASN de ces nouveaux éléments le 15 mars 2024.
En raison de plusieurs défauts de configuration du circuit EAS et, pour l’un des cas, du dépassement du délai de remise en conformité prescrit par les RGE, cet événement a été classé au niveau 1 de l’échelle INES.
[1] Événements significatifs : incidents ou accidents présentant une importance particulière en matière, notamment, de conséquences réelles ou potentielles sur les travailleurs, le public, les patients ou l’environnement. https://www.asn.fr/Lexique/E/Evenement-significatif En dessous des évènements significatifs, il y a les évènements dits « intéressants », et encore en dessous les « signaux faibles ». Un évènement catégorisé « significatif » est donc déjà « en haut de l’échelle » d’importance des évènements
[2] La sûreté nucléaire est l’ensemble des dispositions techniques et des mesures d’organisation relatives à la conception, à la construction, au fonctionnement, à l’arrêt et au démantèlement des installations nucléaires de base, ainsi qu’au transport des substances radioactives, prises en vue de prévenir les accidents ou d’en limiter les effets. https://www.asn.fr/Lexique/S/Surete-nucleaire
[3] Circuit d’aspersion de secours (EAS) : En cas d’accident conduisant à une augmentation de pression et de température dans le bâtiment réacteur, le circuit d’aspersion de secours pulvérise de l’eau additionnée de soude afin de rétablir des conditions ambiantes acceptables, de préserver l’intégrité de l’enceinte de confinement et de rabattre au sol les aérosols radioactifs éventuellement disséminés. Source : https://www.asn.fr/lexique/C/Circuit-d-aspersion-de-secours
[4] Réaction nucléaire : Processus entraînant la modification de la structure d’un ou de plusieurs noyaux d’atome. La transmutation peut être soit spontanée, c’est-à-dire sans intervention extérieure au noyau, soit provoquée par la collision d’autres noyaux ou de particules libres. La réaction nucléaire de certains atomes s’accompagne d’un dégagement de chaleur. Il y a fission lorsque, sous l’impact d’un neutron isolé, un noyau lourd se divise en deux parties sensiblement égales en libérant des neutrons dans l’espace. Il y a fusion lorsque deux noyaux légers s’unissent pour former un noyau plus lourd. https://www.asn.fr/lexique/R/Reaction-nucleaire - Réaction en chaîne : Suite de fissions nucléaires au cours desquelles les neutrons libérés provoquent de nouvelles fissions, à leur tour génératrices de neutrons expulsés vers des noyaux cibles, etc. https://www.asn.fr/lexique/R/Reaction-en-chaine
[5] Le bore, présent dans l’eau du circuit primaire sous forme d’acide borique dissous, permet de modérer, par sa capacité à absorber les neutrons, la réaction en chaîne. La concentration en bore est ajustée pendant le cycle en fonction de l’épuisement progressif du combustible en matériau fissile. https://www.asn.fr/lexique/b/Bore