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Sûreté des installations françaises : et si la terre tremble ?

Analyse : nos inquiétudes et préoccupations suite au séisme survenu le 11 novembre dans la vallée du Rhône

Article publié le 13 novembre 2019



Ce lundi 11 novembre 2019, un séisme d’une magnitude de 5,4 sur l’échelle de Richter est survenu en vallée du Rhône. La centrale de Cruas est d’ailleurs arrêtée afin que des vérifications soient effectuées.

Au-delà de l’état actuel de la centrale, cet événement soulève des interrogations nombreuses et légitimes quant à l’état des installations et à l’attitude désinvolte d’EDF vis-à-vis du risque sismique.



Des interrogations sur le séisme de référence

Dans un article daté du jour du séisme, Le Dauphiné Libéré pointe que le séisme survenu ce 11 novembre 2019, de 5,4 sur l’échelle de Richter, était d’une magnitude supérieure à celle du "séisme majoré de sécurité" retenu pour Tricastin et Cruas, qui est de 5,2.

En effet, ces centrales retenaient comme "séisme maximal historiquement vraisemblable" (SMHV) celui de Châteauneuf-du-Rhône, survenu en 1873, d’une magnitude de 4,7. Le "séisme majoré de sécurité" (SMS) est obtenu en majorant cette valeur d’un demi-point. On notera d’ailleurs des séismes bien plus importants ont déjà eu lieu en vallée du Rhône, comme celui de Lambesc, en 1909, près d’Aix-en-Provence. D’une magnitude de 6 sur l’échelle de Richter, il avait occasionné de graves dommages : des villages détruits, 46 décès et 250 personnes blessées. Pourquoi EDF a-t-elle retenu comme référence un séisme d’une magnitude plus faible, alors que le principe de précaution aurait exigé de choisir la valeur la plus élevée ? Peut-être parce qu’il aurait alors été impossible pour elle d’implanter une centrale en vallée du Rhône ?

Nous ne souhaitons pas crier au loup quant à d’éventuels dégâts occasionnés à la centrale de Cruas par le séisme du 11 novembre, son épicentre n’étant (heureusement !) pas situé à l’aplomb du site. Dans une note, l’Institut de Radioprotection et de Sûreté Nucléaire pointe par ailleurs que la valeur à retenir était la magnitude de surface, qui n’aurait ici été "que" de 4,5.

Quoi qu’il en soit, cet événement vient nous rappeler que le risque sismique est une réalité en vallée du Rhône et qu’EDF n’a aucun moyen de prédire ni d’empêcher la survenue d’un séisme. Cela doit nous alerter sur le risque de voir survenir d’autres séismes plus importants. Dans sa note d’information, l’Institut de Radioprotection et de Sûreté Nucléaire précise d’ailleurs qu’"il sera nécessaire de mieux caractériser [ce séisme] pour vérifier s’il nécessite ou non de réviser le SMHV aujourd’hui retenu et donc le SMS."

D’innombrables anomalies de non-tenue au séisme

D’après les estimations effectuées sur le papier, la centrale nucléaire de Cruas est censée avoir résisté à ce séisme survenu une dizaine de kilomètres plus loin. Selon EDF, il n’y aurait pas, à ce stade, de dégâts apparents (même si le redémarrage des réacteurs prendra finalement plus longtemps que 4 jours initialement prévu...).

Toutefois, entre la tenue au séisme dans les documents officiels et la réalité, il existe parfois une marge. Il est légitime de s’interroger sur l’éventuelle fragilisation des équipements, au vu de la fréquence à laquelle des anomalies de "non-tenue au séisme" sont découvertes sur l’ensemble du parc nucléaire (voir le recensement que nous effectuons sur cette page ). Câbles et flexibles trop fragiles, pièces mal fixées et susceptibles d’endommager des équipements en cas de choc, équipements corrodés... la liste est longue !

Si certains de ces défauts sont dus à des défauts de conception (que l’on continue de découvrir des décennies après la mise en service des centrales), d’autres résultent du mauvais entretien des installations, comme ces tuyauteries des stations de pompages tellement corrodées qu’un choc brutal aurait pu les faire rompre. On voit ici une illustration de la priorité donnée par EDF à la production et à la rentabilité à court terme, au détriment de la sûreté.

Notons que ces anomalies de "non-tenue au séisme" ne sont généralement rendues publiques qu’une fois les réparations effectuées. On peut légitimement s’interroger : pourrait-il y avoir à Cruas des dégâts (apparents ou non) liés à de telles anomalies qui n’auraient pas encore été découvertes ni fait l’objet de réparations ?

Rappelons enfin qu’une part très importantes de ces anomalies de non-tenue au séisme sont recensées sur les générateurs diesels de secours, qui sont censés assurer une alimentation électrique en cas de problème. Sur l’ensemble du parc, ces équipements importants sont dans un état très dégradé, si bien qu’à la suite de l’accident de Fukushima, l’Autorité de sûreté nucléaire a exigé d’EDF qu’elle mette en place des "diesels d’ultime secours", censés pouvoir fonctionner en toute circonstance (séisme, inondation...). Alors qu’EDF était censée installer ces équipements d’ici au 31 décembre 2018, elle n’a pas fait le nécessaire et mis l’ASN devant le fait accompli. Ainsi, au Tricastin, seule la moitié de ces diesels d’ultime secours est en état de fonctionner. À Cruas, fin septembre, un sur quatre aurait été opérationnel. Le risque de perte d’alimentation électrique en cas de séisme est donc réel.

La digue du Tricastin, révélatrice de l’inquiétante désinvolture d’EDF face au risque sismique

Enfin, la vulnérabilité des installations nucléaires au risque sismique ne concerne pas seulement les centrales, mais aussi leur environnement proche. À ce titre, il faut souligner l’extrême lenteur avec laquelle EDF a consenti à agir face à la fragilité de la digue du canal de Donzère-Mondragon, en contrebas de laquelle est implanté le complexe nucléaire de Tricastin.

En effet, alors que l’ASN avait demandé à EDF de s’assurer que cette digue pourrait résister au séisme, dès le début des années 2000, puis à nouveau en 2011 suite à l’accident de Fukushima, l’entreprise n’a commencé sérieusement les investigations qu’en 2015. Ce n’est qu’en février 2017 qu’elle a fini par reconnaître qu’une portion de la digue ne résisterait pas au séisme majoré de sécurité. Et il a fallu que l’ASN (prévenue 4 mois plus tard...) ordonne la mise à l’arrêt de la centrale pour que des travaux soient enfin effectués sur la digue (voir la plainte déposée à ce sujet).

Tout risque n’est pas écarté pour autant : le 25 juin 2019, l’ASN a demandé à EDF d’effectuer d’ici à 2022 de nouveaux travaux sur la digue afin d’assurer qu’elle puisse résister à un séisme plus important que le séisme majoré de sécurité.

Risque minimisé dès l’origine, découverte incessante d’anomalies, travaux effectués très en retard : tous ces éléments n’incitent pas à faire confiance à EDF dans la prise en compte du risque sismique !

Ce tremblement de terre nous rappelle que cette menace est une réalité, qui vient s’ajouter aux multiples risques qui devraient exiger une sortie du nucléaire en France.

Avant qu’un accident grave ne survienne, il est urgent d’engager une véritable transition qui passe par l’arrêt des centrales, dans la vallée du Rhône comme ailleurs.

Pour en savoir plus :

Des interrogations sur le séisme de référence

Dans un article daté du jour du séisme, Le Dauphiné Libéré pointe que le séisme survenu ce 11 novembre 2019, de 5,4 sur l’échelle de Richter, était d’une magnitude supérieure à celle du "séisme majoré de sécurité" retenu pour Tricastin et Cruas, qui est de 5,2.

En effet, ces centrales retenaient comme "séisme maximal historiquement vraisemblable" (SMHV) celui de Châteauneuf-du-Rhône, survenu en 1873, d’une magnitude de 4,7. Le "séisme majoré de sécurité" (SMS) est obtenu en majorant cette valeur d’un demi-point. On notera d’ailleurs des séismes bien plus importants ont déjà eu lieu en vallée du Rhône, comme celui de Lambesc, en 1909, près d’Aix-en-Provence. D’une magnitude de 6 sur l’échelle de Richter, il avait occasionné de graves dommages : des villages détruits, 46 décès et 250 personnes blessées. Pourquoi EDF a-t-elle retenu comme référence un séisme d’une magnitude plus faible, alors que le principe de précaution aurait exigé de choisir la valeur la plus élevée ? Peut-être parce qu’il aurait alors été impossible pour elle d’implanter une centrale en vallée du Rhône ?

Nous ne souhaitons pas crier au loup quant à d’éventuels dégâts occasionnés à la centrale de Cruas par le séisme du 11 novembre, son épicentre n’étant (heureusement !) pas situé à l’aplomb du site. Dans une note, l’Institut de Radioprotection et de Sûreté Nucléaire pointe par ailleurs que la valeur à retenir était la magnitude de surface, qui n’aurait ici été "que" de 4,5.

Quoi qu’il en soit, cet événement vient nous rappeler que le risque sismique est une réalité en vallée du Rhône et qu’EDF n’a aucun moyen de prédire ni d’empêcher la survenue d’un séisme. Cela doit nous alerter sur le risque de voir survenir d’autres séismes plus importants. Dans sa note d’information, l’Institut de Radioprotection et de Sûreté Nucléaire précise d’ailleurs qu’"il sera nécessaire de mieux caractériser [ce séisme] pour vérifier s’il nécessite ou non de réviser le SMHV aujourd’hui retenu et donc le SMS."

D’innombrables anomalies de non-tenue au séisme

D’après les estimations effectuées sur le papier, la centrale nucléaire de Cruas est censée avoir résisté à ce séisme survenu une dizaine de kilomètres plus loin. Selon EDF, il n’y aurait pas, à ce stade, de dégâts apparents (même si le redémarrage des réacteurs prendra finalement plus longtemps que 4 jours initialement prévu...).

Toutefois, entre la tenue au séisme dans les documents officiels et la réalité, il existe parfois une marge. Il est légitime de s’interroger sur l’éventuelle fragilisation des équipements, au vu de la fréquence à laquelle des anomalies de "non-tenue au séisme" sont découvertes sur l’ensemble du parc nucléaire (voir le recensement que nous effectuons sur cette page ). Câbles et flexibles trop fragiles, pièces mal fixées et susceptibles d’endommager des équipements en cas de choc, équipements corrodés... la liste est longue !

Si certains de ces défauts sont dus à des défauts de conception (que l’on continue de découvrir des décennies après la mise en service des centrales), d’autres résultent du mauvais entretien des installations, comme ces tuyauteries des stations de pompages tellement corrodées qu’un choc brutal aurait pu les faire rompre. On voit ici une illustration de la priorité donnée par EDF à la production et à la rentabilité à court terme, au détriment de la sûreté.

Notons que ces anomalies de "non-tenue au séisme" ne sont généralement rendues publiques qu’une fois les réparations effectuées. On peut légitimement s’interroger : pourrait-il y avoir à Cruas des dégâts (apparents ou non) liés à de telles anomalies qui n’auraient pas encore été découvertes ni fait l’objet de réparations ?

Rappelons enfin qu’une part très importantes de ces anomalies de non-tenue au séisme sont recensées sur les générateurs diesels de secours, qui sont censés assurer une alimentation électrique en cas de problème. Sur l’ensemble du parc, ces équipements importants sont dans un état très dégradé, si bien qu’à la suite de l’accident de Fukushima, l’Autorité de sûreté nucléaire a exigé d’EDF qu’elle mette en place des "diesels d’ultime secours", censés pouvoir fonctionner en toute circonstance (séisme, inondation...). Alors qu’EDF était censée installer ces équipements d’ici au 31 décembre 2018, elle n’a pas fait le nécessaire et mis l’ASN devant le fait accompli. Ainsi, au Tricastin, seule la moitié de ces diesels d’ultime secours est en état de fonctionner. À Cruas, fin septembre, un sur quatre aurait été opérationnel. Le risque de perte d’alimentation électrique en cas de séisme est donc réel.

La digue du Tricastin, révélatrice de l’inquiétante désinvolture d’EDF face au risque sismique

Enfin, la vulnérabilité des installations nucléaires au risque sismique ne concerne pas seulement les centrales, mais aussi leur environnement proche. À ce titre, il faut souligner l’extrême lenteur avec laquelle EDF a consenti à agir face à la fragilité de la digue du canal de Donzère-Mondragon, en contrebas de laquelle est implanté le complexe nucléaire de Tricastin.

En effet, alors que l’ASN avait demandé à EDF de s’assurer que cette digue pourrait résister au séisme, dès le début des années 2000, puis à nouveau en 2011 suite à l’accident de Fukushima, l’entreprise n’a commencé sérieusement les investigations qu’en 2015. Ce n’est qu’en février 2017 qu’elle a fini par reconnaître qu’une portion de la digue ne résisterait pas au séisme majoré de sécurité. Et il a fallu que l’ASN (prévenue 4 mois plus tard...) ordonne la mise à l’arrêt de la centrale pour que des travaux soient enfin effectués sur la digue (voir la plainte déposée à ce sujet).

Tout risque n’est pas écarté pour autant : le 25 juin 2019, l’ASN a demandé à EDF d’effectuer d’ici à 2022 de nouveaux travaux sur la digue afin d’assurer qu’elle puisse résister à un séisme plus important que le séisme majoré de sécurité.

Risque minimisé dès l’origine, découverte incessante d’anomalies, travaux effectués très en retard : tous ces éléments n’incitent pas à faire confiance à EDF dans la prise en compte du risque sismique !

Ce tremblement de terre nous rappelle que cette menace est une réalité, qui vient s’ajouter aux multiples risques qui devraient exiger une sortie du nucléaire en France.

Avant qu’un accident grave ne survienne, il est urgent d’engager une véritable transition qui passe par l’arrêt des centrales, dans la vallée du Rhône comme ailleurs.

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 Cruas  Tricastin