La procédure d’expropriation de droit commun...
L’expropriation est une procédure qui permet à la puissance publique de contraindre un particulier ou une personne morale à céder la propriété de son bien afin de réaliser un projet d’aménagement d’utilité publique. La procédure d’expropriation est par conséquent longue et complexe puisqu’elle doit permettre le plus juste équilibre entre le respect de la propriété privée et l’intérêt général. Elle est divisée en deux phases supposées apporter des garanties à la personne expropriée à chaque étape de la procédure.
La procédure d’expropriation n’est mise en place que si la phase amiable d’acquisition des terrains a échoué.
La procédure d’expropriation de droit commun
LA PHASE ADMINISTRATIVE
La phase administrative vise la reconnaissance de l’utilité publique de l’opération d’expropriation et la détermination des parcelles à exproprier.
La déclaration d’utilité publique du proje
L’enquête publique préalable à la déclaration d’utilité publique d’un projet nucléaire vise surtout à informer le public de l’intérêt général du projet. Elle vise à justifier la future expropriation des terrains nécessaires à la construction du projet. Cette enquête publique est une procédure obligatoire qui doit se tenir avant la délivrance de l’acte de déclaration d’utilité publique du projet (→ acte susceptible de recours devant la juridiction administrative).
L’arrêté de cessibilité
La procédure de cessibilité a pour objectif de désigner précisément les parcelles à exproprier.
Cette procédure démarre avec une enquête parcellaire. L’enquête parcellaire permet de déterminer, aussi exactement que possible, les véritables propriétaires des biens expropriés et d’obtenir, dès le début de la procédure, tous les renseignements relatifs à leur identité et à leurs droits, ce qui permettra l’établissement de l’ordonnance d’expropriation, la fixation des indemnités, mais également le paiement rapide des sommes dues aux intéressés.
Pour cela, un dossier d’enquête parcellaire est adressé au préfet par l’expropriant (→ ici il s’agit d’EDF ou de l’ANDRA) et il est ensuite soumis à enquête dans chaque commune concernée. On doit trouver dans ce dossier un plan parcellaire (il recense les biens, la nature, la situation et la contenance de la parcelle) et la liste des propriétaires. En outre, ce dossier doit être déposé en mairie et il doit faire l’objet d’une notification individuelle auprès de chaque propriétaire intéressé. L’objectif est d’informer les propriétaires qu’ils peuvent consulter le dossier d’enquête parcellaire.
Une fois l’enquête terminée, c’est le préfet qui établit la liste des parcelles à exproprier dans un arrêté de cessibilité. C’est sur la base de cet arrêté que les propriétés désignées deviennent cessibles. Les propriétés doivent être désignées avec précision, notamment lorsqu’une seule partie de la propriété est visée. L’arrêté de cessibilité (→ acte susceptible de recours devant la juridiction administrative) doit être notifié au propriétaire concerné.
Le préfet dispose d’une certaine marge de manœuvre par rapport à l’enquête parcellaire. Par exemple, il peut ne pas déclarer cessibles toutes les parcelles mentionnées dans le plan soumis à l’enquête, dès lors qu’il lui apparaît que seules certaines d’entre elles sont nécessaires à la réalisation de l’opération projetée.
En principe seul un cercle très étroit de personnes, notamment le propriétaire ainsi que, le cas échéant, le locataire des parcelles mentionnées (dont les droits vont se trouver affectés en cas d’expropriation desdites parcelles), ont intérêt à agir contre l’arrêté de cessibilité. [1]
Le juge veille à ce que les parcelles désignées correspondent à ce qui était inscrit au moment de la déclaration d’utilité publique et lors de l’enquête parcellaire. Il vérifie aussi que seulement les parcelles nécessaires à la réalisation du projet soient visées par l’arrêté.
Cet arrêté se contente de désigner les parcelles et leurs propriétaires, cet acte ne transfère pas la propriété. C’est pourquoi il doit être transmis, par le préfet, au juge de l’expropriation dans un délai de 6 mois à compter de son adoption. A défaut, l’arrêté devient caduc. [2]
LA PHASE JUDICIAIRE
Il y a deux objectifs dans cette phase à savoir le transfert de propriété et l’indemnisation des propriétaires expropriés.
Transfert de propriété
Le transfert de propriété se fait par ordonnance du juge de l’expropriation. La procédure judiciaire de transfert de propriété se caractérise par l’absence de contradiction : les propriétaires ne sont informés de l’expropriation qu’après que la décision judiciaire a déjà produit ses effets Le caractère contradictoire de la procédure est donc assuré en amont, au niveau de l’enquête parcellaire qui sert à identifier les parcelles à exproprier et l’identité de leurs propriétaires.
Le juge exerce un contrôle purement formel : il se borne à vérifier que l’administration a accompli l’ensemble des formalités prescrites par la loi et les règlements, sans porter aucune appréciation sur la validité des pièces qui lui sont soumises. Ainsi l’ordonnance d’expropriation doit désigner chaque immeuble exproprié, l’identité des propriétaires et l’expropriant car celui-ci est seul compétent pour mettre en œuvre la procédure indemnitaire.
Cette ordonnance a pour effet d’emporter le transfert du droit de propriété au profit de l’expropriant dès le prononcé de l’ordonnance. A ce stade, les propriétaires ou les locataires peuvent encore bénéficier de l’usage du terrain mais n’ont plus aucun droit dessus : ils ne peuvent plus, par exemple, l’hypothéquer, le louer etc.
Le pourvoi en cassation est seul recours en la matière. Seuls peuvent agir l’expropriant, les expropriés et toute personne qui y a un intérêt (par exemple le véritable propriétaire en cas d’erreur sur le propriétaire d’un bien). Si la cassation de l’ordonnance d’expropriation est prononcée, tous les actes pris sur son fondement sont annulés. A ce moment la prise de possession par l’expropriant devient illégale.
En résumé : c’est l’émission de l’ordonnance d’expropriation qui transfère la propriété. Il devient impossible de vendre, louer, de construire dessus, etc. mais la prise de possession est subordonné au paiement ou à la consignation de l’indemnité. L’exproprié garde donc le droit d’utiliser son bien jusqu’à la fixation et paiement des indemnités. Cette ordonnance d’expropriation peut faire l’objet d’un pourvoi en cassation non suspensif dans un délai de 2 mois.
Fixation des indemnités
L’expropriant notifie le montant de ses offres et invite les expropriés à faire connaître le montant de leur demande [3]. La notification de l’offre peut intervenir à partir de l’ouverture de l’enquête préalable à la déclaration d’utilité publique, dès que l’expropriant est en mesure de déterminer les parcelles qu’il envisage d’exproprier [4] .
Les intéressés disposent d’un mois pour faire connaître leur réponse par écrit. S’ils rejettent l’offre, ils doivent porter à la connaissance de l’expropriant le montant détaillé de leurs demandes, ce qui constitue le prélude à la phase contentieuse de la procédure. Si l’offre est rejetée, expropriant comme exproprié peut saisir le juge de l’expropriation.
Pour connaître la valeur de votre bien, vous pouvez consulter le site DVF (Demande de Valeur Foncière) qui recense les transactions immobilières intervenues au cours des cinq dernières années en France : https://app.dvf.etalab.gouv.fr/.
Le demandeur doit joindre à sa saisine un mémoire qu’il est tenu de notifier au défendeur au plus tard à la date de la saisine du juge. Le défendeur dispose quant à lui d’un délai de six semaines à compter de la notification du mémoire du demandeur pour lui adresser son mémoire en réponse. Faute par l’exproprié d’avoir notifié son mémoire dans ce délai, sa réponse à l’offre de l’expropriant est réputée en tenir lieu.
Si les deux parties ne se mettent toujours pas d’accord sur un montant, le juge fixe une date de visite des lieux et d’audition par ordonnance. A compter de la visite les parties ont 8 jours pour trouver un accord. Passé ce délai, la procédure à l’amiable ne sera plus possible.
- Soit accord amiable des parties sur l’indemnité→ la procédure devient une vente normale devant notaire. Le paiement des indemnités à l’exproprié marque la perte du droit de jouissance du bien. L’exproprié a un mois pour quitter les lieux. Sinon l’expropriant pourra lancer une procédure d’expulsion devant le tribunal.
- Soit le désaccord persiste et le juge sera saisi pour fixer les indemnités. Il prend un jugement de fixation des indemnités qui peut être contesté dans un délai de 2 mois max pour déposer le recours devant la cour d’appel compétente, puis recours en cassation.
Suite au paiement des indemnités, l’exproprié a un mois pour quitter les lieux. Sinon l’expropriant pourra lancer une procédure d’expulsion devant le tribunal.
La procédure d’extrême urgence
La procédure d’expropriation d’extrême urgence [5] permet de prendre rapidement possession d’une ou plusieurs propriétés privées pour cause d’utilité publique. Cette procédure est très attentatoire au droit de propriété privée et ne peut être utilisée que dans de rares situations, notamment pour des travaux intéressant la défense nationale, construction de routes, chemins de fer, ouvrages de réseaux électriques.
L’OUVERTURE DE LA PROCÉDURE D’EXPROPRIATION D’EXTRÊME URGENCE AUX EPR2
En juin 2023, la loi dite « accélération du nucléaire » a ouvert la possibilité de recourir à cette procédure d’exception pour permettre la création de nouveaux réacteurs électronucléaires à proximité immédiate ou à l’intérieur du périmètre d’une installation nucléaire de base.
En effet, aux termes de l’article 15 de cette loi du 22 juin 2023 :
- « I. - La procédure prévue aux articles L. 522-1 à L. 522-4 du code de l’expropriation pour cause d’utilité publique peut être appliquée, dans les conditions prévues par le même code, en vue de la prise de possession immédiate, par le bénéficiaire de la déclaration d’utilité publique, de tous les immeubles bâtis ou non bâtis dont l’acquisition est nécessaire à la réalisation d’un réacteur électronucléaire.
- II. - Le décret pris sur avis conforme du Conseil d’État en application de l’article L. 522-1 du code de l’expropriation pour cause d’utilité publique est publié dans un délai de six ans à compter de la publication du décret en Conseil d’État déclarant d’utilité publique le projet de réacteur électronucléaire mentionné à l’article 7 de la présente loi. »
Cette procédure d’extrême urgence semble donc pouvoir s’appliquer à toutes les installations, aménagements, travaux en lien avec la création d’EPR2 qui auront été déclarés d’utilité publique, dès la phase des travaux préparatoires, alors même que cette procédure :
▸ ne s’applique ordinairement qu’aux infrastructures linéaires (routes, chemins de fer, etc) ;
▸ ne concerne ordinairement que les terrains non bâtis situés dans l’emprise de l’ouvrage déclaré d’utilité publique,
Ainsi non seulement la procédure d’extrême urgence s’ouvre pour des projets qui ne sont normalement pas prévu par le régime de l’article L. 522-1 du code de l’expropriation, mais en plus le régime applicable aux réacteurs concerne une emprise potentiellement plus large que le régime de droit commun (on parle de « terrains nécessaires à » et non plus « dans le périmètre de ») enfin, il permet la prise de possession anticipée de terrains bâtis.
Selon EDF, cette procédure pourrait s’appliquer, si besoin, pour la troisième paire d’EPR2 du Bugey (communes de Saint-Vulbas et de Loyettes). EDF aura en effet besoin de récupérer des terrains agricoles et industriels (exploitants de carrières). En tout, c’est environ une dizaine de personnes qui seraient susceptibles d’être concernées au Bugey par une procédure d’expropriation.
L’OUVERTURE DE LA PROCÉDURE D’EXPROPRIATION D’EXTRÊME URGENCE À CIGÉO
La loi n° 2024-322 du 9 avril 2024 visant à l’accélération et à la simplification de la rénovation de l’habitat dégradé et des grandes opérations d’aménagement a complété les outils mobilisables pour la mise en œuvre d’une opération d’intérêt national (OIN), en ouvrant notamment la prise de possession anticipée de terrains bâtis ou non bâtis en cas d’expropriation.
Cette loi a transformé le deuxième alinéa de l’article L522-1 du code de l’expropriation pour cause d’utilité publique, qui ne concernait initialement que l’expropriation des habitats dégradés.
Désormais cet article prévoit :
« Lorsque l’exécution des travaux de projets compris dans le périmètre d’une opération d’intérêt national mentionnée à l’articleL. 102-12 du code de l’urbanismeou d’une grande opération d’urbanisme mentionnée àl’article L. 312-3 du même coderisque d’être retardée par des difficultés tenant à la prise de possession d’un ou de plusieurs immeubles bâtis ou non bâtis dont l’acquisition est nécessaire à la réalisation de cette opération et que, pour les immeubles bâtis à usage d’habitation, un projet de plan de relogement a été établi, un décret pris sur avis conforme du Conseil d’Etat peut, à titre exceptionnel, en autoriser la prise de possession. »
Pour rappel, le gouvernement a pris un décret le 7 juillet 2022 qualifiant le projet Cigéo d’Opération d’intérêt National [6].
LA PROCÉDURE D’EXPROPRIATION D’EXTRÊME URGENCE
Cette procédure accélérée peut être mise en œuvre :
▸ pour obtenir les terrains bâtis et non bâtis nécessaires à la construction d’un réacteur nucléaire déclaré d’utilité publique [7].
▸ pour obtenir les terrains bâtis et non bâtis compris dans le périmètre d’une OIN et nécessaires à la réalisation de cette opération ;
▸ et s’il existe un risque que ces travaux soient retardés par des difficultés tenant à la prise de possession (ex. de difficulté : les difficultés rencontrées par l’Administration pour prendre possession des terrains en cause, résultant notamment des opérations de vente, réalisées à l’instigation même de l’association requérante, de petites parcelles entre plusieurs centaines d’acquéreurs sont de nature à justifier le recours à la procédure d’extrême urgence).
L’enchaînement des principaux actes de la procédure d’expropriation d’extrême urgence est :
▸ la déclaration de l’utilité publique du projet (→ acte susceptible de recours devant la juridiction administrative ) ;
▸ un décret déclarant le projet d’opération d’intérêt national pour les projets autres que les réacteurs nucléaires (→ acte susceptible de recours devant la juridiction administrative ) ;
▸ le versement d’une somme provisionnelle obligatoire avant la prise de possession (en cas d’obstacle au paiement ou de refus de recevoir, cette condition est remplacée par l’obligation pour l’expropriant de consigner la somme correspondante) ;
▸ l’autorisation de prendre possession des biens donnée par décret pris sur avis conforme du Conseil d’État et qui est donc édicté avant même l’ouverture de la phase judiciaire de l’expropriation (→ acte susceptible de recours devant la juridiction administrative ) ;
▸ éventuellement une autorisation d’occupation donnée par arrêté préfectoral pris en application des art. 1er et 3 de la loi du 29 déc. 1892 sur les dommages causés à la propriété privée par l’exécution des travaux publics, les agents de l’Administration pouvant alors pénétrer dans les lieux (→ acte susceptible de recours devant la juridiction administrative) ;
▸ dans le mois suivant la prise de possession, poursuite de la phase judiciaire par l’expropriant de la procédure d’expropriation dans les conditions de droit commun.
La procédure d’extrême urgence raccourcit l’ensemble de la procédure : cette procédure permet à l’État de prendre possession des terrains sans attendre que soit opéré le transfert de propriété par voie d’ordonnance judiciaire.
NB : Certes cette procédure accélérée permet de gagner du temps mais il faut souligner que l’expropriant préfère la solution amiable d’acquisition plutôt que la procédure d’expropriation qui est coûteuse, longue, et contribue à lui donner une mauvaise image. Par ailleurs, la procédure d’extrême urgence est encore pire en terme de coût (il y a une indemnité supplémentaire à prévoir pour compenser la prise de possession rapide du bien immobilier) et d’image. Sauf réelles difficultés tenant à la prise de possession de terrains, ou très gros retard de chantier, il est à mon sens peu probable qu’EDF/l’ANDRA se serve de cette procédure accélérée.
3/ L’occupation des terrains expropriés
A partir du moment où le transfert de propriété a été prononcé mais que l’ancien propriétaire se maintient sur les lieux, il devient un occupant sans droit ni titre, c’est à dire une personne qui occupe illégalement un lieu, sans y avoir été autorisée.
Si toutes les conditions ont été remplies, l’expropriant pourra prendre régulièrement possession du terrain. Cela implique que l’exproprié ait quitté les lieux comme l’article L. 231-1 lui en fait l’obligation. S’il ne l’a pas fait spontanément, le même article précise que l’« occupant » (terme qui montre bien qu’il ne dispose plus du moindre titre juridique justifiant son maintien dans les lieux) peut être expulsé.
L’expulsion est une procédure civile d’exécution, consistant à faire sortir une personne du lieu qu’elle occupe indûment, mise en œuvre en vertu d’un titre exécutoire et, le cas échéant, avec le concours de la force publique.
L’expulsion doit être ordonnée par le juge de l’expropriation statuant en la forme des référés. Ce n’est qu’après que le juge de l’expropriation a ordonné l’expulsion que, s’il y a toujours résistance, le concours de la force publique pourra être demandé [8].
Notes
[1] Note 25 sous article L132-1 du code de l’expropriation pour cause d’utilité publique
[2] C. expr. R221-1 ; note 18 sous article L132-1 C. expr. (CE 20 mars 1964, Épx Tihay, sieur Martin, sieur Vinot et a. : Lebon 198 ; AJDA 1964. 712, note P. L)
[3] C. expr., art. L. 311-4 et suivants
[4] C. expr., art. R. 311-4 et suivants
[5] C. expr. art. L 522-1 à L 522-4
[8] Voir note 2 sous article L231-1 du c. expr. (Civ. 3e, 17 déc. 1980, no 79-12.807 P.)
La procédure d’expropriation de droit commun
LA PHASE ADMINISTRATIVE
La phase administrative vise la reconnaissance de l’utilité publique de l’opération d’expropriation et la détermination des parcelles à exproprier.
La déclaration d’utilité publique du proje
L’enquête publique préalable à la déclaration d’utilité publique d’un projet nucléaire vise surtout à informer le public de l’intérêt général du projet. Elle vise à justifier la future expropriation des terrains nécessaires à la construction du projet. Cette enquête publique est une procédure obligatoire qui doit se tenir avant la délivrance de l’acte de déclaration d’utilité publique du projet (→ acte susceptible de recours devant la juridiction administrative).
L’arrêté de cessibilité
La procédure de cessibilité a pour objectif de désigner précisément les parcelles à exproprier.
Cette procédure démarre avec une enquête parcellaire. L’enquête parcellaire permet de déterminer, aussi exactement que possible, les véritables propriétaires des biens expropriés et d’obtenir, dès le début de la procédure, tous les renseignements relatifs à leur identité et à leurs droits, ce qui permettra l’établissement de l’ordonnance d’expropriation, la fixation des indemnités, mais également le paiement rapide des sommes dues aux intéressés.
Pour cela, un dossier d’enquête parcellaire est adressé au préfet par l’expropriant (→ ici il s’agit d’EDF ou de l’ANDRA) et il est ensuite soumis à enquête dans chaque commune concernée. On doit trouver dans ce dossier un plan parcellaire (il recense les biens, la nature, la situation et la contenance de la parcelle) et la liste des propriétaires. En outre, ce dossier doit être déposé en mairie et il doit faire l’objet d’une notification individuelle auprès de chaque propriétaire intéressé. L’objectif est d’informer les propriétaires qu’ils peuvent consulter le dossier d’enquête parcellaire.
Une fois l’enquête terminée, c’est le préfet qui établit la liste des parcelles à exproprier dans un arrêté de cessibilité. C’est sur la base de cet arrêté que les propriétés désignées deviennent cessibles. Les propriétés doivent être désignées avec précision, notamment lorsqu’une seule partie de la propriété est visée. L’arrêté de cessibilité (→ acte susceptible de recours devant la juridiction administrative) doit être notifié au propriétaire concerné.
Le préfet dispose d’une certaine marge de manœuvre par rapport à l’enquête parcellaire. Par exemple, il peut ne pas déclarer cessibles toutes les parcelles mentionnées dans le plan soumis à l’enquête, dès lors qu’il lui apparaît que seules certaines d’entre elles sont nécessaires à la réalisation de l’opération projetée.
En principe seul un cercle très étroit de personnes, notamment le propriétaire ainsi que, le cas échéant, le locataire des parcelles mentionnées (dont les droits vont se trouver affectés en cas d’expropriation desdites parcelles), ont intérêt à agir contre l’arrêté de cessibilité. [1]
Le juge veille à ce que les parcelles désignées correspondent à ce qui était inscrit au moment de la déclaration d’utilité publique et lors de l’enquête parcellaire. Il vérifie aussi que seulement les parcelles nécessaires à la réalisation du projet soient visées par l’arrêté.
Cet arrêté se contente de désigner les parcelles et leurs propriétaires, cet acte ne transfère pas la propriété. C’est pourquoi il doit être transmis, par le préfet, au juge de l’expropriation dans un délai de 6 mois à compter de son adoption. A défaut, l’arrêté devient caduc. [2]
LA PHASE JUDICIAIRE
Il y a deux objectifs dans cette phase à savoir le transfert de propriété et l’indemnisation des propriétaires expropriés.
Transfert de propriété
Le transfert de propriété se fait par ordonnance du juge de l’expropriation. La procédure judiciaire de transfert de propriété se caractérise par l’absence de contradiction : les propriétaires ne sont informés de l’expropriation qu’après que la décision judiciaire a déjà produit ses effets Le caractère contradictoire de la procédure est donc assuré en amont, au niveau de l’enquête parcellaire qui sert à identifier les parcelles à exproprier et l’identité de leurs propriétaires.
Le juge exerce un contrôle purement formel : il se borne à vérifier que l’administration a accompli l’ensemble des formalités prescrites par la loi et les règlements, sans porter aucune appréciation sur la validité des pièces qui lui sont soumises. Ainsi l’ordonnance d’expropriation doit désigner chaque immeuble exproprié, l’identité des propriétaires et l’expropriant car celui-ci est seul compétent pour mettre en œuvre la procédure indemnitaire.
Cette ordonnance a pour effet d’emporter le transfert du droit de propriété au profit de l’expropriant dès le prononcé de l’ordonnance. A ce stade, les propriétaires ou les locataires peuvent encore bénéficier de l’usage du terrain mais n’ont plus aucun droit dessus : ils ne peuvent plus, par exemple, l’hypothéquer, le louer etc.
Le pourvoi en cassation est seul recours en la matière. Seuls peuvent agir l’expropriant, les expropriés et toute personne qui y a un intérêt (par exemple le véritable propriétaire en cas d’erreur sur le propriétaire d’un bien). Si la cassation de l’ordonnance d’expropriation est prononcée, tous les actes pris sur son fondement sont annulés. A ce moment la prise de possession par l’expropriant devient illégale.
En résumé : c’est l’émission de l’ordonnance d’expropriation qui transfère la propriété. Il devient impossible de vendre, louer, de construire dessus, etc. mais la prise de possession est subordonné au paiement ou à la consignation de l’indemnité. L’exproprié garde donc le droit d’utiliser son bien jusqu’à la fixation et paiement des indemnités. Cette ordonnance d’expropriation peut faire l’objet d’un pourvoi en cassation non suspensif dans un délai de 2 mois.
Fixation des indemnités
L’expropriant notifie le montant de ses offres et invite les expropriés à faire connaître le montant de leur demande [3]. La notification de l’offre peut intervenir à partir de l’ouverture de l’enquête préalable à la déclaration d’utilité publique, dès que l’expropriant est en mesure de déterminer les parcelles qu’il envisage d’exproprier [4] .
Les intéressés disposent d’un mois pour faire connaître leur réponse par écrit. S’ils rejettent l’offre, ils doivent porter à la connaissance de l’expropriant le montant détaillé de leurs demandes, ce qui constitue le prélude à la phase contentieuse de la procédure. Si l’offre est rejetée, expropriant comme exproprié peut saisir le juge de l’expropriation.
Pour connaître la valeur de votre bien, vous pouvez consulter le site DVF (Demande de Valeur Foncière) qui recense les transactions immobilières intervenues au cours des cinq dernières années en France : https://app.dvf.etalab.gouv.fr/.
Le demandeur doit joindre à sa saisine un mémoire qu’il est tenu de notifier au défendeur au plus tard à la date de la saisine du juge. Le défendeur dispose quant à lui d’un délai de six semaines à compter de la notification du mémoire du demandeur pour lui adresser son mémoire en réponse. Faute par l’exproprié d’avoir notifié son mémoire dans ce délai, sa réponse à l’offre de l’expropriant est réputée en tenir lieu.
Si les deux parties ne se mettent toujours pas d’accord sur un montant, le juge fixe une date de visite des lieux et d’audition par ordonnance. A compter de la visite les parties ont 8 jours pour trouver un accord. Passé ce délai, la procédure à l’amiable ne sera plus possible.
- Soit accord amiable des parties sur l’indemnité→ la procédure devient une vente normale devant notaire. Le paiement des indemnités à l’exproprié marque la perte du droit de jouissance du bien. L’exproprié a un mois pour quitter les lieux. Sinon l’expropriant pourra lancer une procédure d’expulsion devant le tribunal.
- Soit le désaccord persiste et le juge sera saisi pour fixer les indemnités. Il prend un jugement de fixation des indemnités qui peut être contesté dans un délai de 2 mois max pour déposer le recours devant la cour d’appel compétente, puis recours en cassation.
Suite au paiement des indemnités, l’exproprié a un mois pour quitter les lieux. Sinon l’expropriant pourra lancer une procédure d’expulsion devant le tribunal.
La procédure d’extrême urgence
La procédure d’expropriation d’extrême urgence [5] permet de prendre rapidement possession d’une ou plusieurs propriétés privées pour cause d’utilité publique. Cette procédure est très attentatoire au droit de propriété privée et ne peut être utilisée que dans de rares situations, notamment pour des travaux intéressant la défense nationale, construction de routes, chemins de fer, ouvrages de réseaux électriques.
L’OUVERTURE DE LA PROCÉDURE D’EXPROPRIATION D’EXTRÊME URGENCE AUX EPR2
En juin 2023, la loi dite « accélération du nucléaire » a ouvert la possibilité de recourir à cette procédure d’exception pour permettre la création de nouveaux réacteurs électronucléaires à proximité immédiate ou à l’intérieur du périmètre d’une installation nucléaire de base.
En effet, aux termes de l’article 15 de cette loi du 22 juin 2023 :
- « I. - La procédure prévue aux articles L. 522-1 à L. 522-4 du code de l’expropriation pour cause d’utilité publique peut être appliquée, dans les conditions prévues par le même code, en vue de la prise de possession immédiate, par le bénéficiaire de la déclaration d’utilité publique, de tous les immeubles bâtis ou non bâtis dont l’acquisition est nécessaire à la réalisation d’un réacteur électronucléaire.
- II. - Le décret pris sur avis conforme du Conseil d’État en application de l’article L. 522-1 du code de l’expropriation pour cause d’utilité publique est publié dans un délai de six ans à compter de la publication du décret en Conseil d’État déclarant d’utilité publique le projet de réacteur électronucléaire mentionné à l’article 7 de la présente loi. »
Cette procédure d’extrême urgence semble donc pouvoir s’appliquer à toutes les installations, aménagements, travaux en lien avec la création d’EPR2 qui auront été déclarés d’utilité publique, dès la phase des travaux préparatoires, alors même que cette procédure :
▸ ne s’applique ordinairement qu’aux infrastructures linéaires (routes, chemins de fer, etc) ;
▸ ne concerne ordinairement que les terrains non bâtis situés dans l’emprise de l’ouvrage déclaré d’utilité publique,
Ainsi non seulement la procédure d’extrême urgence s’ouvre pour des projets qui ne sont normalement pas prévu par le régime de l’article L. 522-1 du code de l’expropriation, mais en plus le régime applicable aux réacteurs concerne une emprise potentiellement plus large que le régime de droit commun (on parle de « terrains nécessaires à » et non plus « dans le périmètre de ») enfin, il permet la prise de possession anticipée de terrains bâtis.
Selon EDF, cette procédure pourrait s’appliquer, si besoin, pour la troisième paire d’EPR2 du Bugey (communes de Saint-Vulbas et de Loyettes). EDF aura en effet besoin de récupérer des terrains agricoles et industriels (exploitants de carrières). En tout, c’est environ une dizaine de personnes qui seraient susceptibles d’être concernées au Bugey par une procédure d’expropriation.
L’OUVERTURE DE LA PROCÉDURE D’EXPROPRIATION D’EXTRÊME URGENCE À CIGÉO
La loi n° 2024-322 du 9 avril 2024 visant à l’accélération et à la simplification de la rénovation de l’habitat dégradé et des grandes opérations d’aménagement a complété les outils mobilisables pour la mise en œuvre d’une opération d’intérêt national (OIN), en ouvrant notamment la prise de possession anticipée de terrains bâtis ou non bâtis en cas d’expropriation.
Cette loi a transformé le deuxième alinéa de l’article L522-1 du code de l’expropriation pour cause d’utilité publique, qui ne concernait initialement que l’expropriation des habitats dégradés.
Désormais cet article prévoit :
« Lorsque l’exécution des travaux de projets compris dans le périmètre d’une opération d’intérêt national mentionnée à l’articleL. 102-12 du code de l’urbanismeou d’une grande opération d’urbanisme mentionnée àl’article L. 312-3 du même coderisque d’être retardée par des difficultés tenant à la prise de possession d’un ou de plusieurs immeubles bâtis ou non bâtis dont l’acquisition est nécessaire à la réalisation de cette opération et que, pour les immeubles bâtis à usage d’habitation, un projet de plan de relogement a été établi, un décret pris sur avis conforme du Conseil d’Etat peut, à titre exceptionnel, en autoriser la prise de possession. »
Pour rappel, le gouvernement a pris un décret le 7 juillet 2022 qualifiant le projet Cigéo d’Opération d’intérêt National [6].
LA PROCÉDURE D’EXPROPRIATION D’EXTRÊME URGENCE
Cette procédure accélérée peut être mise en œuvre :
▸ pour obtenir les terrains bâtis et non bâtis nécessaires à la construction d’un réacteur nucléaire déclaré d’utilité publique [7].
▸ pour obtenir les terrains bâtis et non bâtis compris dans le périmètre d’une OIN et nécessaires à la réalisation de cette opération ;
▸ et s’il existe un risque que ces travaux soient retardés par des difficultés tenant à la prise de possession (ex. de difficulté : les difficultés rencontrées par l’Administration pour prendre possession des terrains en cause, résultant notamment des opérations de vente, réalisées à l’instigation même de l’association requérante, de petites parcelles entre plusieurs centaines d’acquéreurs sont de nature à justifier le recours à la procédure d’extrême urgence).
L’enchaînement des principaux actes de la procédure d’expropriation d’extrême urgence est :
▸ la déclaration de l’utilité publique du projet (→ acte susceptible de recours devant la juridiction administrative ) ;
▸ un décret déclarant le projet d’opération d’intérêt national pour les projets autres que les réacteurs nucléaires (→ acte susceptible de recours devant la juridiction administrative ) ;
▸ le versement d’une somme provisionnelle obligatoire avant la prise de possession (en cas d’obstacle au paiement ou de refus de recevoir, cette condition est remplacée par l’obligation pour l’expropriant de consigner la somme correspondante) ;
▸ l’autorisation de prendre possession des biens donnée par décret pris sur avis conforme du Conseil d’État et qui est donc édicté avant même l’ouverture de la phase judiciaire de l’expropriation (→ acte susceptible de recours devant la juridiction administrative ) ;
▸ éventuellement une autorisation d’occupation donnée par arrêté préfectoral pris en application des art. 1er et 3 de la loi du 29 déc. 1892 sur les dommages causés à la propriété privée par l’exécution des travaux publics, les agents de l’Administration pouvant alors pénétrer dans les lieux (→ acte susceptible de recours devant la juridiction administrative) ;
▸ dans le mois suivant la prise de possession, poursuite de la phase judiciaire par l’expropriant de la procédure d’expropriation dans les conditions de droit commun.
La procédure d’extrême urgence raccourcit l’ensemble de la procédure : cette procédure permet à l’État de prendre possession des terrains sans attendre que soit opéré le transfert de propriété par voie d’ordonnance judiciaire.
NB : Certes cette procédure accélérée permet de gagner du temps mais il faut souligner que l’expropriant préfère la solution amiable d’acquisition plutôt que la procédure d’expropriation qui est coûteuse, longue, et contribue à lui donner une mauvaise image. Par ailleurs, la procédure d’extrême urgence est encore pire en terme de coût (il y a une indemnité supplémentaire à prévoir pour compenser la prise de possession rapide du bien immobilier) et d’image. Sauf réelles difficultés tenant à la prise de possession de terrains, ou très gros retard de chantier, il est à mon sens peu probable qu’EDF/l’ANDRA se serve de cette procédure accélérée.
3/ L’occupation des terrains expropriés
A partir du moment où le transfert de propriété a été prononcé mais que l’ancien propriétaire se maintient sur les lieux, il devient un occupant sans droit ni titre, c’est à dire une personne qui occupe illégalement un lieu, sans y avoir été autorisée.
Si toutes les conditions ont été remplies, l’expropriant pourra prendre régulièrement possession du terrain. Cela implique que l’exproprié ait quitté les lieux comme l’article L. 231-1 lui en fait l’obligation. S’il ne l’a pas fait spontanément, le même article précise que l’« occupant » (terme qui montre bien qu’il ne dispose plus du moindre titre juridique justifiant son maintien dans les lieux) peut être expulsé.
L’expulsion est une procédure civile d’exécution, consistant à faire sortir une personne du lieu qu’elle occupe indûment, mise en œuvre en vertu d’un titre exécutoire et, le cas échéant, avec le concours de la force publique.
L’expulsion doit être ordonnée par le juge de l’expropriation statuant en la forme des référés. Ce n’est qu’après que le juge de l’expropriation a ordonné l’expulsion que, s’il y a toujours résistance, le concours de la force publique pourra être demandé [8].