Avec les Soulèvements de la Terre, « retrouver des modes d’action qui permettent de se dire « quelque chose a changé » »
Nés d’un rassemblement de luttes locales à Notre-Dame des Landes en 2021, les Soulèvement de la Terre (SdT) sont rapidement devenus un mouvement écologique d’ampleur qui rassemble autour de la lutte contre l’artificialisation et l’accaparement des terres agricoles, pour le blocage d’industries mortifères et le désarmement des infrastructures climaticides. Rencontre avec Mélanie, militante antinucléaire rennaise au sein des SdT.
• Quel est ton lien avec la lutte antinucléaire ?
Je me suis politisée par la lutte antinucléaire. J’ai notamment été active sur la lutte contre les lignes Très Haute Tension (THT) dans la Manche dans les années 2010, contre le transport de déchets nucléaires au départ de Valognes, et à Bure en 2015.
• Les SdT se mobilisent pour la défense des terres agricoles. Pourquoi est-ce aussi important de les défendre ?
Un des symptômes de la crise agricole actuelle c’est le mythe d’une classe agricole unifiée : il y a une lutte des classes à l’intérieur du monde agricole, avec de gros agri-managers qui s’accaparent le foncier agricole au détriment de jeunes paysan·nes qui veulent s’installer. Il faut les dénoncer.
De plus, pour défendre le vivant, il est important de lutter contre l’artificialisation des terres agricoles par l’industrie du béton et ses entreprises de matériaux de construction ou de travaux publics telles que Lafarge ou Pigeon. L’industrie nucléaire s’accapare elle aussi des terres agricoles pour construire de nouveaux réacteurs, stocker des déchets ou construire de nouvelles piscines de refroidissement. Les liens sont encore ténus entre la lutte antinucléaire et les luttes paysannes, mais il s’agit de se rencontrer et de s’organiser ensemble pour bâtir de futures mobilisations communes.
• Quand on dénonce les impacts du nucléaire sur les terres, on nous répond souvent que les éoliennes ou les installations photovoltaïques engendrent les mêmes problèmes. Quel est ton point de vue là-dessus ?
Ah, le fameux débat sur les énergies renouvelables ! Aux SdT, nous commençons tout juste à nous frotter aux questions énergétiques et anti-tech. La transition énergétique n’est finalement que l’addition de nouvelles sources d’énergie. Les éoliennes et les panneaux photovoltaïques sont souvent constitués de terres et/ou de métaux rares extraits à l’autre bout de la planète par des travailleur·euses exploité·es.
Personnellement, je pense qu’il vaut toujours mieux une éolienne qu’une centrale nucléaire et qu’il faut arrêter le nucléaire le plus rapidement possible. Mais, comme on peut le voir avec les projets de photovoltaïque sur sols vivants qui accaparent de nombreuses terres agricoles, tant que la démocratie locale n’est pas respectée et qu’on continue d’imposer des grands projets à des habitant·es, aucune énergie ne sera soutenable, ni écologiquement, ni d’un point de vue sociétal.
• La lutte antinucléaire a été structurante pour l’écologie politique en France dans les années 70, mais elle peine aujourd’hui à rassembler. Comment analyses-tu la situation ?
Je pense que la lutte antinucléaire est actuellement fragilisée pour plusieurs raisons, dont la rigidité morale de certain·es militant·es, les difficultés de transmission entre les ancien·nes de la lutte et les nouveaux·elles militant·es, la non-violence dogmatique de certain·es…
Pour retrouver de la joie et de l’élan, il faudrait développer des mobilisations ambitieuses avec des gestes impactants. Ce n’est pas facile avec l’industrie nucléaire car on ne désarme pas une centrale comme une usine à béton [1]. Mais il faut être créatifs et créatives. À l’image du collectif Les Naturalistes des terres qui a rebouché les drains responsables de l’assèchement de la tourbière du Bourdet dans les Deux-Sèvres, nous pouvons créer des mobilisations décalées mais efficaces…
• Quels enseignements tirent les Soulèvements de la Terre de leur récente victoire juridique et militante contre le projet d’autoroute A69 ? Comment pourrait-on les appliquer à la lutte antinucléaire ?
Seule la complémentarité des luttes nous mène à la victoire. Les mobilisations des habitant·es du territoire, l’aide redoutable des écureuils [2] et des zadistes pour occuper le tracé du chantier, les manifestations massives des Soulèvements de la Terre, les actions de désarmement nocturne et les recours juridiques ont permis l’arrêt du chantier. On va continuer à se mobiliser pour qu’il soit définitivement abandonné.
En retrouvant le goût de l’action directe et une composition large à l’intérieur des coordinations de terrain qui va des militants autonomes aux collectifs plus citoyennistes, parfois légalistes et non violents voire institutionnels, la lutte antinucléaire pourrait redécouvrir ce souffle des mobilisations massives.
• Avec les SdT, vous parvenez à réunir dans vos mobilisations des organisations et militant·es très divers·es. Pourquoi et comment croiser les luttes et les modes d’action ?
Les Soulèvements de la Terre rassemblent des camarades paysan·nes, des habitant·es de territoires en lutte, des militant·es des villes et des champs et ce qu’on appelle la Jeunesse Climatique qui s’est mobilisée lors des grèves pour le climat en 2020 avec Youth for Climate, Extinction Rébellion, etc.
Faire évoluer les modes d’organisation et d’action et avoir une composition de la lutte qui est variée permet de répondre à la lassitude des mobilisations non impactantes. À Rennes, les jeunes (et les moins jeunes) n’en peuvent plus des marches syndicales où on tourne en rond avant de rentrer chez soi. Il s’agit de retrouver des modes d’action qui changent la réalité, qui permettent de se dire « quelque chose a changé » quand on rentre chez soi le soir : l’eau d’une méga-bassine est retournée dans le lit de sa rivière, une tourbière a été revitalisée en bouchant les drains de matériaux de construction, une usine à béton a vu ses malaxeurs désarmés et ne tournera pas pendant plusieurs jours...
Pour réussir à réunir ces militant·es et ces organisations diverses, il faut déconstruire nos identités politiques figées, sortir des étiquettes "radicaux" ou "citoyennistes" (les militant·es considéré·es comme plus institutionnel·les), du débat binaire "violence contre non-violence". Il faut être plus malin·es et unir nos différences pour se renforcer. Il faut beaucoup de patience, parfois faire des compromis, mais les rencontres sont souvent riches et puissantes. En Île-de-France par exemple, le comité local des SdT est allé ravitailler les salarié·es en grève de l’entreprise Géodis. À Cholet, près de Rennes, un autre comité a ravitaillé les grévistes de Michelin en leur apportant des légumes des greniers des Soulèvements [3]. Avec ce genre d’action on crée des ponts entre des mondes en lutte qui, sans cela, ne se rencontreraient jamais.
Peut-être que l’on pourrait s’inspirer de ces méthodes pour redynamiser la lutte antinucléaire. Rencontrer les travailleur·euses de l’industrie nucléaire, faire des ponts avec les syndicalistes, unir les habitant·es des territoires avec les jeunes écolos, créer des rencontres avec les paysan·nes qui se sont fait voler leurs terres...
• Propos recueillis par Mathilde Damecour
Notes
[1] « En petits groupes nocturnes ou en foules diurnes, dans les champs d’OGM et les zad (zones à défendre), des élans d’arrachage, déboulonnage, crevaisons et autres feux de joie ont toujours accompagné les grandes mobilisations écologistes. » https://s.42l.fr/SdT-desarmement-def
[2] Surnom donné aux militant·es occupant les arbres pour contester leur abattage.
• Quel est ton lien avec la lutte antinucléaire ?
Je me suis politisée par la lutte antinucléaire. J’ai notamment été active sur la lutte contre les lignes Très Haute Tension (THT) dans la Manche dans les années 2010, contre le transport de déchets nucléaires au départ de Valognes, et à Bure en 2015.
• Les SdT se mobilisent pour la défense des terres agricoles. Pourquoi est-ce aussi important de les défendre ?
Un des symptômes de la crise agricole actuelle c’est le mythe d’une classe agricole unifiée : il y a une lutte des classes à l’intérieur du monde agricole, avec de gros agri-managers qui s’accaparent le foncier agricole au détriment de jeunes paysan·nes qui veulent s’installer. Il faut les dénoncer.
De plus, pour défendre le vivant, il est important de lutter contre l’artificialisation des terres agricoles par l’industrie du béton et ses entreprises de matériaux de construction ou de travaux publics telles que Lafarge ou Pigeon. L’industrie nucléaire s’accapare elle aussi des terres agricoles pour construire de nouveaux réacteurs, stocker des déchets ou construire de nouvelles piscines de refroidissement. Les liens sont encore ténus entre la lutte antinucléaire et les luttes paysannes, mais il s’agit de se rencontrer et de s’organiser ensemble pour bâtir de futures mobilisations communes.
• Quand on dénonce les impacts du nucléaire sur les terres, on nous répond souvent que les éoliennes ou les installations photovoltaïques engendrent les mêmes problèmes. Quel est ton point de vue là-dessus ?
Ah, le fameux débat sur les énergies renouvelables ! Aux SdT, nous commençons tout juste à nous frotter aux questions énergétiques et anti-tech. La transition énergétique n’est finalement que l’addition de nouvelles sources d’énergie. Les éoliennes et les panneaux photovoltaïques sont souvent constitués de terres et/ou de métaux rares extraits à l’autre bout de la planète par des travailleur·euses exploité·es.
Personnellement, je pense qu’il vaut toujours mieux une éolienne qu’une centrale nucléaire et qu’il faut arrêter le nucléaire le plus rapidement possible. Mais, comme on peut le voir avec les projets de photovoltaïque sur sols vivants qui accaparent de nombreuses terres agricoles, tant que la démocratie locale n’est pas respectée et qu’on continue d’imposer des grands projets à des habitant·es, aucune énergie ne sera soutenable, ni écologiquement, ni d’un point de vue sociétal.
• La lutte antinucléaire a été structurante pour l’écologie politique en France dans les années 70, mais elle peine aujourd’hui à rassembler. Comment analyses-tu la situation ?
Je pense que la lutte antinucléaire est actuellement fragilisée pour plusieurs raisons, dont la rigidité morale de certain·es militant·es, les difficultés de transmission entre les ancien·nes de la lutte et les nouveaux·elles militant·es, la non-violence dogmatique de certain·es…
Pour retrouver de la joie et de l’élan, il faudrait développer des mobilisations ambitieuses avec des gestes impactants. Ce n’est pas facile avec l’industrie nucléaire car on ne désarme pas une centrale comme une usine à béton [1]. Mais il faut être créatifs et créatives. À l’image du collectif Les Naturalistes des terres qui a rebouché les drains responsables de l’assèchement de la tourbière du Bourdet dans les Deux-Sèvres, nous pouvons créer des mobilisations décalées mais efficaces…
• Quels enseignements tirent les Soulèvements de la Terre de leur récente victoire juridique et militante contre le projet d’autoroute A69 ? Comment pourrait-on les appliquer à la lutte antinucléaire ?
Seule la complémentarité des luttes nous mène à la victoire. Les mobilisations des habitant·es du territoire, l’aide redoutable des écureuils [2] et des zadistes pour occuper le tracé du chantier, les manifestations massives des Soulèvements de la Terre, les actions de désarmement nocturne et les recours juridiques ont permis l’arrêt du chantier. On va continuer à se mobiliser pour qu’il soit définitivement abandonné.
En retrouvant le goût de l’action directe et une composition large à l’intérieur des coordinations de terrain qui va des militants autonomes aux collectifs plus citoyennistes, parfois légalistes et non violents voire institutionnels, la lutte antinucléaire pourrait redécouvrir ce souffle des mobilisations massives.
• Avec les SdT, vous parvenez à réunir dans vos mobilisations des organisations et militant·es très divers·es. Pourquoi et comment croiser les luttes et les modes d’action ?
Les Soulèvements de la Terre rassemblent des camarades paysan·nes, des habitant·es de territoires en lutte, des militant·es des villes et des champs et ce qu’on appelle la Jeunesse Climatique qui s’est mobilisée lors des grèves pour le climat en 2020 avec Youth for Climate, Extinction Rébellion, etc.
Faire évoluer les modes d’organisation et d’action et avoir une composition de la lutte qui est variée permet de répondre à la lassitude des mobilisations non impactantes. À Rennes, les jeunes (et les moins jeunes) n’en peuvent plus des marches syndicales où on tourne en rond avant de rentrer chez soi. Il s’agit de retrouver des modes d’action qui changent la réalité, qui permettent de se dire « quelque chose a changé » quand on rentre chez soi le soir : l’eau d’une méga-bassine est retournée dans le lit de sa rivière, une tourbière a été revitalisée en bouchant les drains de matériaux de construction, une usine à béton a vu ses malaxeurs désarmés et ne tournera pas pendant plusieurs jours...
Pour réussir à réunir ces militant·es et ces organisations diverses, il faut déconstruire nos identités politiques figées, sortir des étiquettes "radicaux" ou "citoyennistes" (les militant·es considéré·es comme plus institutionnel·les), du débat binaire "violence contre non-violence". Il faut être plus malin·es et unir nos différences pour se renforcer. Il faut beaucoup de patience, parfois faire des compromis, mais les rencontres sont souvent riches et puissantes. En Île-de-France par exemple, le comité local des SdT est allé ravitailler les salarié·es en grève de l’entreprise Géodis. À Cholet, près de Rennes, un autre comité a ravitaillé les grévistes de Michelin en leur apportant des légumes des greniers des Soulèvements [3]. Avec ce genre d’action on crée des ponts entre des mondes en lutte qui, sans cela, ne se rencontreraient jamais.
Peut-être que l’on pourrait s’inspirer de ces méthodes pour redynamiser la lutte antinucléaire. Rencontrer les travailleur·euses de l’industrie nucléaire, faire des ponts avec les syndicalistes, unir les habitant·es des territoires avec les jeunes écolos, créer des rencontres avec les paysan·nes qui se sont fait voler leurs terres...
• Propos recueillis par Mathilde Damecour