Crédits : Daniel VILLAFRUELA - Wikimedia
Le 28 octobre 2022, le préfet de la Vienne a saisi le Tribunal administratif afin que la Ville de Poitiers et la communauté urbaine de Grand Poitiers retirent les subventions qu’elles avaient accordé à l’association Alternatiba Poitiers dans le cadre de son événement "Le Village des alternatives".
Le préfet soutenait que les subventions étaient irrégulières car l’évènement organisé par l’association contrevenait aux engagements du Contrat d’Engagement Républicain (CER).
Plusieurs associations nationales (Greenpeace, France Nature Environnement, Notre Affaire à Tous, Alternatiba, ANVCOP21, le Réseau "Sortir du nucléaire" et Attac) sont intervenues volontairement dans le cadre de la procédure initiée par le préfet, au soutien de la Ville et la Communauté urbaine. Cette affaire illustre bien l’objectif mal caché de ce CER qui sert d’instrument politique pour réprimer l’opposition. Raison pour laquelle plusieurs associations se sont réunies pour dénoncer et faire barrière à ce nouveau dispositif.
L’association Alternatiba Poitiers a organisé un « Village des Alternatives » qui s’est tenu à Poitiers, les 17 et 18 septembre 2022. Cet événement, destiné à alerter, informer et mobiliser sur le changement climatique, visait à mettre en avant les solutions portées par un grand nombre d’acteurs en apportant une vision d’un monde convivial, basé sur l’entraide et la justice sociale.
Il était composé de huit quartiers dédiés chacun à une thématique. Celui sur la résistance avait pour objet de faire le point sur les luttes locales contre la ferme usine de Coussay-Les-Bois et les mégabassines, ou encore de proposer au public de bénéficier de formations et d’ateliers de désobéissance civile non-violente.
Pour l’organisation de cet événement, l’association Alternatiba Poitiers a sollicité une subvention auprès de la communauté urbaine du Grand Poitiers et de la commune de Poitiers qui lui a été accordée.
Mais les 12 et 13 septembre 2022, le préfet de la Vienne a enjoint la maire de Poitiers et la présidente de la communauté urbaine du Grand Poitiers à procéder au retrait des subventions allouées, arguant que les ateliers de désobéissance civile et que le soutien affiché au mouvement Bassine Non Merci étaient manifestement incompatibles avec les dispositions du CER.
La ville et la communauté urbaine n’ont pas donné suite à ce courrier, après quoi le préfet a attaqué leur refus de retrait de subventions via le dispositif du déféré préfectoral.
L’affaire du préfet de la Vienne n’est malheureusement pas le premier exemple des effets liberticides engendrés par ce CER.
Le Contrat d’Engagement Républicain est un nouveau dispositif issu de la loi du 24 août 2021 confortant le respect des principes de la République, dite "loi séparatisme".
Lors du Conseil des ministres du 9 décembre 2020, cette loi a été présentée comme un « élément structurant de la stratégie gouvernementale pour lutter contre le séparatisme et les atteintes à la citoyenneté », visant à « permettre à la République d’agir contre ceux qui veulent la déstabiliser afin de renforcer la cohésion nationale ».
Entrée en vigueur en 2022, le CER est le document qui rend opérationnel cette volonté de contrôle du gouvernement.
Dès que les associations reçoivent une subvention ou bénéficient d’un agrément, elles sont forcées de respecter toute une série d’engagements imprécis liés au respect des lois de la République (par exemple celui relatif au "respect des symboles de la République").
Dès que l’Administration estime qu’un des engagements du CER (dont on a du mal à distinguer le contenu) n’est pas respecté, elle pourra prendre des sanctions à l’égard de l’association visée. Le dispositif CER ouvre une nouvelle porte à des contrôles toujours plus poussés du gouvernement.
Nos associations ont donc décidé de se joindre volontairement à la procédure au soutien de la ville de Poitiers et de la communauté urbaine du Grand Poitiers par un mémoire en intervention volontaire déposé le 16 juin 2023.
Le 30 novembre 2023, le Tribunal administratif de Poitiers a finalement rejeté les déférés préfectoraux du préfet de la Vienne. Ce jugement permet de définir plus précisément ce qui constitue une violation du CER, et donc de restreindre la possibilité de mobiliser ce dispositif par les pouvoir publics. La décision indique notamment que pour que soit caractérisée une violation de l’engagement n°1 du CER, l’association doit avoir entrepris ou incité à entreprendre des actions, non seulement "manifestement contraires à la loi", mais également "violentes ou susceptibles d’entraîner des troubles graves à l’ordre public" - les deux conditions étant donc analysées comme cumulatives. Ou encore, que seul un manquement commis entre la date à laquelle la subvention a été accordée et l’issue de l’activité subventionnée est de nature à justifier le retrait d’une telle subvention.