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Sortir du nucléaire n°80



Hiver 2019

Et si la terre tremble ?

Article paru dans la revue Sortir du nucléaire n°80 - Hiver 2019

 Risque nucléaire  Fukushima


L’accident nucléaire de Fukushima a eu lieu à la suite d’un tremblement de terre au large du Japon et du tsunami qui en a découlé. Une partie de la France est en zone sismique et parmi ses 58 réacteurs nucléaires plusieurs sont susceptibles d’être touchés par un séisme, notamment dans le sud-est. Mercredi 21 novembre 2018, un tremblement de terre de magnitude 4,2 sur l’échelle de Richter a eu lieu dans l’Ain. La secousse aurait fait trembler maisons et mobiliers. Le séisme a été ressenti à Lyon et à Mâcon. Mais que se passerait-il pour les centrales nucléaires françaises si la terre tremblait ?

© Kokuen
© Kokuen


Dans une centrale nucléaire certains matériels doivent résister à un tremblement de terre pour éviter un accident majeur de type Fukushima. Ces équipements sont essentiels pour maintenir la sûreté des installations (alimentations électriques, refroidissement, etc.). Ventilations, câbles électriques, raccords de tuyauteries…les études de tenue au séisme conduites par EDF ne cessent de révéler de nouvelles anomalies, plus ou moins graves, concernant différents réacteurs. Mais bon nombre d’autres circuits et équipements qui ne sont pas qualifiés comme importants pour la sûreté — et qui ne sont pas dimensionnés pour résister aux séismes — pourraient, s’ils cédaient, venir entraver le fonctionnement des systèmes qui eux le sont. C’est le sens de la démarche “séisme-événement“ menée actuellement par EDF.

C’est dans le cadre de ces études que l’exploitant a déclaré le 23 novembre 2018 qu’en cas de séisme, des passerelles adjacentes aux bâtiments réacteurs s’effondreraient. Ces passerelles pourraient alors endommager les équipements qu’elles surplombent, notamment les tronçons des tuyauteries de l’alimentation en eau des générateurs de vapeur (lignes ARE) et des tuyauteries principales d’évacuation de la vapeur (lignes VVP) situés à l’extérieur du bâtiment réacteur. Et ces “défauts“ sont génériques : ils affectent 15 réacteurs de 1300 MWe à Belleville, Cattenom, Flamanville, Golfech, Paluel, Penly et Saint-Alban. En perdant le fonctionnement des générateurs de vapeur c’est non seulement le circuit secondaire mais aussi le circuit primaire qui seraient menacés, et donc la fonction de refroidissement du combustible nucléaire.

Mais ce n’est pas tout ! Deux jours auparavant l’exploitant revenait sur une autre anomalie générique, déclarée précédemment, qui conduirait à la perte d’alimentation électrique de secours de plusieurs réacteurs en cas de séisme. L’histoire de ce problème est plus longue mais fort intéressante.

Cela commence en mars 2017 quand EDF détecte une insuffisance de tenue au séisme sur un système auxiliaire des diesels de secours à la centrale nucléaire de Golfech, puis sur dix autres réacteurs (2 à Belleville, 4 à Cattenom, 2 à Golfech, 2 à Nogent et 2 à Penly). Le 20 juin 2017, EDF déclare un évènement significatif pour la sûreté de niveau 2 sur l’échelle Ines 1 affectant les 20 réacteurs de 1300 MWe. L’exploitant a constaté des défauts sur les structures métalliques qui supportent les vases d’expansion du circuit de refroidissement. Mais il a également détecté des défauts sur les ancrages d’autres équipements auxiliaires des moteurs diesels. Parce que ces systèmes nécessaires au fonctionnement des moteurs électrogènes sont mal fixés, les diesels pourraient ne plus marcher. Or les groupes électrogènes sont censés assurer la production électrique en cas de défaillance des alimentations externes, qui peuvent notamment être provoquées par un séisme. L’alimentation électrique de secours de ces réacteurs nucléaires ne serait alors pas assurée. Les centrales concernées sont de nouveau Belleville, Cattenom, Golfech, Nogent et Penly mais également Flamanville, Paluel et Saint-Alban.

Le feuilleton continue en octobre 2017, puis en janvier et en avril 2018. Chaque fois l’exploitant annonce de nouveaux réacteurs concernés par ces anomalies. Ce sont ainsi tous les réacteurs de la centrale du Bugey, ceux de Fessenheim ainsi que 2 réacteurs de Gravelines et 2 réacteurs de Tricastin qui s’ajoutent à la liste des réacteurs concernés. L’anomalie est classée au niveau 1 pour Gravelines et Tricastin.

Enfin, le 20 novembre dernier, après des contrôles sur l’ensemble du parc nucléaire, EDF annonce une “mise à jour“ de la déclaration initiale du 20 juin 2017. Pour certains réacteurs, les défauts sont bien avérés sur les deux diesels de secours. Pour d’autres, un seul des deux diesels est affecté. L’exploitant liste alors les réacteurs concernés pour chaque cas. Mais surprise ! À la liste des réacteurs déjà couverts par la déclaration initiale et ses extensions s’en ajoutent de nouveaux. Au total ce ne sont pas moins de 14 nouveaux réacteurs qui rentrent dans le périmètre de la déclaration d’anomalie générique significative pour la sûreté (4 au Blayais, 3 à Chinon, 1 à Dampierre, 4 autres à Gravelines, et 2 à Saint-Laurent). Selon le nombre de diesels et le système auxiliaire affectés, les conséquences sur la sûreté sont plus ou moins graves. Pour certains réacteurs, les anomalies relèvent du niveau 2 (défaillance importante pour la sûreté), pour d’autres du niveau 1 ou niveau 0. Au total, ce sont 44 des 58 réacteurs français concernés par le risque de perte d’alimentation électrique de secours en cas de tremblement de terre (29 au niveau 2, 9 au niveau 1, 6 au niveau 0). Et qui dit perte d’alimentation électrique d’un réacteur nucléaire dit accident majeur.

Au-delà de ces anomalies génériques qui constituent de sérieuses failles en terme de sureté et en dehors des situations particulières que représentent les séismes, l’état général du parc nucléaire français a de quoi inquiéter. La plupart des matériaux utilisés pour la construction des réacteurs ont été prévus pour une durée de vie et des niveaux d’utilisation qui pour beaucoup vont être dépassés, voire le sont déjà. Une enquête de Mediapart publiée en septembre 2018 révèle que plus d’un tiers des réacteurs nucléaires français subissent une sollicitation excessive de leurs circuits. Ces sollicitations excessives peuvent amoindrir la robustesse des équipements et augmenter leur risque de rupture de manière générale, et à plus forte raison lors d’un tremblement de terre. Un article de Mediapart du 8 novembre dernier faisait également le point sur l’application par EDF des mesures post-Fukushima. L’exploitant, responsable de la sûreté de ses installations, n’a pour l’instant installé que deux diesels d’ultime secours, alors qu’il devait en pourvoir chacun des réacteurs français avant la fin de l’année 2018 (exceptés ceux de Fessenheim) 2. Il lui en reste donc 54 à installer. L’Autorité de sûreté nucléaire propose de repousser l’échéance à juin ou décembre 2019, voire même jusqu’à mi 2020 pour certains, soit jusqu’à un an et demi après la date à laquelle la mesure aurait dû être déployée. En contrepartie, EDF devra présenter un plan d’action pour renforcer la fiabilité des diesels actuels. Ce qui, aux vues de ce que nous avons signalé plus haut, semble bien mal engagé.

Laure Barthélemy

Dans une centrale nucléaire certains matériels doivent résister à un tremblement de terre pour éviter un accident majeur de type Fukushima. Ces équipements sont essentiels pour maintenir la sûreté des installations (alimentations électriques, refroidissement, etc.). Ventilations, câbles électriques, raccords de tuyauteries…les études de tenue au séisme conduites par EDF ne cessent de révéler de nouvelles anomalies, plus ou moins graves, concernant différents réacteurs. Mais bon nombre d’autres circuits et équipements qui ne sont pas qualifiés comme importants pour la sûreté — et qui ne sont pas dimensionnés pour résister aux séismes — pourraient, s’ils cédaient, venir entraver le fonctionnement des systèmes qui eux le sont. C’est le sens de la démarche “séisme-événement“ menée actuellement par EDF.

C’est dans le cadre de ces études que l’exploitant a déclaré le 23 novembre 2018 qu’en cas de séisme, des passerelles adjacentes aux bâtiments réacteurs s’effondreraient. Ces passerelles pourraient alors endommager les équipements qu’elles surplombent, notamment les tronçons des tuyauteries de l’alimentation en eau des générateurs de vapeur (lignes ARE) et des tuyauteries principales d’évacuation de la vapeur (lignes VVP) situés à l’extérieur du bâtiment réacteur. Et ces “défauts“ sont génériques : ils affectent 15 réacteurs de 1300 MWe à Belleville, Cattenom, Flamanville, Golfech, Paluel, Penly et Saint-Alban. En perdant le fonctionnement des générateurs de vapeur c’est non seulement le circuit secondaire mais aussi le circuit primaire qui seraient menacés, et donc la fonction de refroidissement du combustible nucléaire.

Mais ce n’est pas tout ! Deux jours auparavant l’exploitant revenait sur une autre anomalie générique, déclarée précédemment, qui conduirait à la perte d’alimentation électrique de secours de plusieurs réacteurs en cas de séisme. L’histoire de ce problème est plus longue mais fort intéressante.

Cela commence en mars 2017 quand EDF détecte une insuffisance de tenue au séisme sur un système auxiliaire des diesels de secours à la centrale nucléaire de Golfech, puis sur dix autres réacteurs (2 à Belleville, 4 à Cattenom, 2 à Golfech, 2 à Nogent et 2 à Penly). Le 20 juin 2017, EDF déclare un évènement significatif pour la sûreté de niveau 2 sur l’échelle Ines 1 affectant les 20 réacteurs de 1300 MWe. L’exploitant a constaté des défauts sur les structures métalliques qui supportent les vases d’expansion du circuit de refroidissement. Mais il a également détecté des défauts sur les ancrages d’autres équipements auxiliaires des moteurs diesels. Parce que ces systèmes nécessaires au fonctionnement des moteurs électrogènes sont mal fixés, les diesels pourraient ne plus marcher. Or les groupes électrogènes sont censés assurer la production électrique en cas de défaillance des alimentations externes, qui peuvent notamment être provoquées par un séisme. L’alimentation électrique de secours de ces réacteurs nucléaires ne serait alors pas assurée. Les centrales concernées sont de nouveau Belleville, Cattenom, Golfech, Nogent et Penly mais également Flamanville, Paluel et Saint-Alban.

Le feuilleton continue en octobre 2017, puis en janvier et en avril 2018. Chaque fois l’exploitant annonce de nouveaux réacteurs concernés par ces anomalies. Ce sont ainsi tous les réacteurs de la centrale du Bugey, ceux de Fessenheim ainsi que 2 réacteurs de Gravelines et 2 réacteurs de Tricastin qui s’ajoutent à la liste des réacteurs concernés. L’anomalie est classée au niveau 1 pour Gravelines et Tricastin.

Enfin, le 20 novembre dernier, après des contrôles sur l’ensemble du parc nucléaire, EDF annonce une “mise à jour“ de la déclaration initiale du 20 juin 2017. Pour certains réacteurs, les défauts sont bien avérés sur les deux diesels de secours. Pour d’autres, un seul des deux diesels est affecté. L’exploitant liste alors les réacteurs concernés pour chaque cas. Mais surprise ! À la liste des réacteurs déjà couverts par la déclaration initiale et ses extensions s’en ajoutent de nouveaux. Au total ce ne sont pas moins de 14 nouveaux réacteurs qui rentrent dans le périmètre de la déclaration d’anomalie générique significative pour la sûreté (4 au Blayais, 3 à Chinon, 1 à Dampierre, 4 autres à Gravelines, et 2 à Saint-Laurent). Selon le nombre de diesels et le système auxiliaire affectés, les conséquences sur la sûreté sont plus ou moins graves. Pour certains réacteurs, les anomalies relèvent du niveau 2 (défaillance importante pour la sûreté), pour d’autres du niveau 1 ou niveau 0. Au total, ce sont 44 des 58 réacteurs français concernés par le risque de perte d’alimentation électrique de secours en cas de tremblement de terre (29 au niveau 2, 9 au niveau 1, 6 au niveau 0). Et qui dit perte d’alimentation électrique d’un réacteur nucléaire dit accident majeur.

Au-delà de ces anomalies génériques qui constituent de sérieuses failles en terme de sureté et en dehors des situations particulières que représentent les séismes, l’état général du parc nucléaire français a de quoi inquiéter. La plupart des matériaux utilisés pour la construction des réacteurs ont été prévus pour une durée de vie et des niveaux d’utilisation qui pour beaucoup vont être dépassés, voire le sont déjà. Une enquête de Mediapart publiée en septembre 2018 révèle que plus d’un tiers des réacteurs nucléaires français subissent une sollicitation excessive de leurs circuits. Ces sollicitations excessives peuvent amoindrir la robustesse des équipements et augmenter leur risque de rupture de manière générale, et à plus forte raison lors d’un tremblement de terre. Un article de Mediapart du 8 novembre dernier faisait également le point sur l’application par EDF des mesures post-Fukushima. L’exploitant, responsable de la sûreté de ses installations, n’a pour l’instant installé que deux diesels d’ultime secours, alors qu’il devait en pourvoir chacun des réacteurs français avant la fin de l’année 2018 (exceptés ceux de Fessenheim) 2. Il lui en reste donc 54 à installer. L’Autorité de sûreté nucléaire propose de repousser l’échéance à juin ou décembre 2019, voire même jusqu’à mi 2020 pour certains, soit jusqu’à un an et demi après la date à laquelle la mesure aurait dû être déployée. En contrepartie, EDF devra présenter un plan d’action pour renforcer la fiabilité des diesels actuels. Ce qui, aux vues de ce que nous avons signalé plus haut, semble bien mal engagé.

Laure Barthélemy



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