De la fusion administrative IRSN-ASN à la fission nucléaire incontrôlée ?
Communiqué du 1er février 2024
Le 7 février, le projet de loi prévoyant la fusion de l’ASN et de l’IRSN sera discuté en séance publique au Sénat. Pour le gouvernement et l’ASN, elle serait nécessaire pour accompagner la relance accélérée de l’industrie nucléaire. Nous dénonçons au contraire le danger qu’elle représente pour la sûreté et donc pour la sécurité des citoyen.ne.s, alors même que le fonctionnement actuel n’a rien de parfait.
Accélérer au détriment de la sûreté
Le 19 juillet dernier, en conseil de politique nucléaire, E. Macron annonçait que la nouvelle autorité qui émanerait de la fusion de l’ASN et de l’IRSN devrait permettre d’adapter la sûreté à la construction de nouveaux EPR. Tout était déjà dit : c’est aux impératifs de sûreté de s’adapter à la marche forcée imposée par le gouvernement au monde industriel et non l’inverse.
La sûreté prend du temps, et de l’argent, et cela contrarie le lobby nucléaire. En 2007, c’est l’IRSN qui suggère des investigations afin de vérifier la tenue au séisme d’une portion de digue du canal de Donzère-Mondragon. Cela aboutira à la demande, par l’ASN, de la mise à l’arrêt de la centrale de Tricastin. En 2021, c’est encore sur la base d’un avis de l’IRSN que l’ASN imposera à l’exploitant de réparer les plus grosses fissures d’un des réacteurs de la centrale de Cattenom avant son redémarrage.
Le gouvernement Macron a fait de la lourdeur administrative la responsable de tous les maux de la nation. C’est pour la combattre qu’ils ont fait passer au galop la loi d’accélération du nucléaire. Ce projet de loi est dans la droite ligne de cette logique incongrue selon laquelle les préoccupations environnementales et de sûreté seraient des entraves au développement économique. Sauf que cela risque d’avoir de funestes conséquences.
Réformer au coeur de la tempête
Pour Bernard Doroszczuk, président de l’ASN, il faut mener cette réforme le plus rapidement possible. L’actuel projet de loi prévoit que cette fusion soit effective le 1er janvier 2025. Or, depuis l’adoption de la loi d’accélération, les travaux annexes aux nouvelles installations nucléaires peuvent débuter dès l’obtention de l’autorisation environnementale, dont l’instruction dure un an. Celle pour les EPR2 à Penly a été déposée l’été dernier. Ce qui laisse présager le début des travaux l’été prochain, soit quelques mois avant que cette fusion ne soit effective.
Selon le rapport de l’OPECST (et le bon sens) "le risque n’est pas exclu que l’organisation ait d’abord tendance à piétiner, voire à légèrement régresser, avant de s’engager sur la voie d’un progrès global." (p.37). De l’aveu même du personnel de l’IRSN, cette fusion serait carrément contre-productive [1].
Comment dès lors prétendre assurer la sûreté des installations actuelles en parallèle de l’instruction des demandes de constructions, dans un contexte de réorganisation et de formation de salarié.e.s parmi lesquel.le.s figureront des personnes nouvellement embauchées ?
Nous dénonçons tout au long de l’année un manque de surveillance des installations, un manque de rigueur dans les contrôles et la transmission des informations, ainsi qu’un manque latent de compétences suffisantes et adéquates chez les exploitants. Cela a pour conséquence une maîtrise des risques qui n’est pas effective. Ce projet de loi augure d’une situation qui va empirer.
Un divorce consommé entre expertise nucléaire et information du public
Depuis l’annonce de ce projet de loi, les réactions de désapprobation se sont multipliées. Les ONG dénoncent les risques qui pèseraient sur l’information et la consultation du public mais aussi sur le travail d’expertise qui nécessite une indépendance certaine pour être mené à bien.
Michel Badré, qui a présidé à la commission d’enquête sur la construction de nouveaux réacteurs EPR l’an passé, dans une tribune conjointe avec l’économiste Alain Gransjean, le 29 décembre dernier, estime que cette fusion représente "une régression caractérisée de la transparence" qui contribuerait à éroder la confiance du public.
Nous nous associons bien sûr à la critique : il est illusoire de penser que le fait de laisser à cette future institution fusionnée le soin de définir les modalités de fonctionnement et d’information du public [2] aille dans le sens de plus de transparence et d’indépendance de l’expertise.
Néanmoins, il nous semble important d’aller plus loin dans la critique. Le partage d’informations est aujourd’hui imparfait et non systématique. Certains avis techniques ne sont pas publiés et certains documents nous restent inaccessibles de façon récurrente. Or, sans ces documents, il nous est impossible d’effectuer le travail essentiel de lanceurs d’alerte que nous nous efforçons de faire tout au long de l’année.
La séparation de l’expertise et du contrôle des installations est elle aussi d’ores et déjà imparfaite. Les échanges entre l’ASN, l’IRSN et l’exploitant sont constants. C’est logique et important pour leurs tâches respectives. Mais cela aboutit parfois à des pratiques de censure et d’autocensure, comme cela a été dénoncé par une ancienne salariée de l’IRSN. Il est certain que ce phénomène s’accentuera si les avis d’expertise sont amenés à être publiés uniquement selon les dispositions du règlement intérieur de la nouvelle entité. Et si, comme cela est actuellement prévu dans le projet de loi, les services d’instruction, d’expertise et de recherche finissent bien par être sous l’autorité de la direction de services et donc mêlés au sein d’une même hiérarchie dans l’institution en projet.
Ce projet de loi illustre de nouveau la conception des choses qui prévaut chez E. Macron. L’énergie est pour lui une ressource déconnectée de la matérialité de la Terre et des besoins de celles et ceux qui l’habitent. Et elle se doit d’être aux ordres de paroles politiques prophétiques et au service des intérêts d’une petite oligarchie.
Contact presse :
Marion Rivet - chargée des relations médias du Réseau "Sortir du nucléaire" : 06 64 66 01 23
Image de couverture : AdobeStock_Ricochet64
Notes
[1] Dans une lettre ouverte adressée le 19 février 2023 à la Ministre de la Transition énergétique, des salarié.e.s de l’IRSN identifient que "la désorganisation du système de gouvernance des risques nucléaires et radiologiques risque de ralentir le programme de relance du nucléaire, cela risque également de réduire le soin porté aux expertises et à la préparation des décisions".
[2] Comme c’est actuellement prévu dans l’article 2 du "Projet de loi relatif à l’organisation de la gouvernance de la sûreté nucléaire et de la radioprotection pour répondre au défi de la relance de la filière nucléaire".
Le 7 février, le projet de loi prévoyant la fusion de l’ASN et de l’IRSN sera discuté en séance publique au Sénat. Pour le gouvernement et l’ASN, elle serait nécessaire pour accompagner la relance accélérée de l’industrie nucléaire. Nous dénonçons au contraire le danger qu’elle représente pour la sûreté et donc pour la sécurité des citoyen.ne.s, alors même que le fonctionnement actuel n’a rien de parfait.
Accélérer au détriment de la sûreté
Le 19 juillet dernier, en conseil de politique nucléaire, E. Macron annonçait que la nouvelle autorité qui émanerait de la fusion de l’ASN et de l’IRSN devrait permettre d’adapter la sûreté à la construction de nouveaux EPR. Tout était déjà dit : c’est aux impératifs de sûreté de s’adapter à la marche forcée imposée par le gouvernement au monde industriel et non l’inverse.
La sûreté prend du temps, et de l’argent, et cela contrarie le lobby nucléaire. En 2007, c’est l’IRSN qui suggère des investigations afin de vérifier la tenue au séisme d’une portion de digue du canal de Donzère-Mondragon. Cela aboutira à la demande, par l’ASN, de la mise à l’arrêt de la centrale de Tricastin. En 2021, c’est encore sur la base d’un avis de l’IRSN que l’ASN imposera à l’exploitant de réparer les plus grosses fissures d’un des réacteurs de la centrale de Cattenom avant son redémarrage.
Le gouvernement Macron a fait de la lourdeur administrative la responsable de tous les maux de la nation. C’est pour la combattre qu’ils ont fait passer au galop la loi d’accélération du nucléaire. Ce projet de loi est dans la droite ligne de cette logique incongrue selon laquelle les préoccupations environnementales et de sûreté seraient des entraves au développement économique. Sauf que cela risque d’avoir de funestes conséquences.
Réformer au coeur de la tempête
Pour Bernard Doroszczuk, président de l’ASN, il faut mener cette réforme le plus rapidement possible. L’actuel projet de loi prévoit que cette fusion soit effective le 1er janvier 2025. Or, depuis l’adoption de la loi d’accélération, les travaux annexes aux nouvelles installations nucléaires peuvent débuter dès l’obtention de l’autorisation environnementale, dont l’instruction dure un an. Celle pour les EPR2 à Penly a été déposée l’été dernier. Ce qui laisse présager le début des travaux l’été prochain, soit quelques mois avant que cette fusion ne soit effective.
Selon le rapport de l’OPECST (et le bon sens) "le risque n’est pas exclu que l’organisation ait d’abord tendance à piétiner, voire à légèrement régresser, avant de s’engager sur la voie d’un progrès global." (p.37). De l’aveu même du personnel de l’IRSN, cette fusion serait carrément contre-productive [1].
Comment dès lors prétendre assurer la sûreté des installations actuelles en parallèle de l’instruction des demandes de constructions, dans un contexte de réorganisation et de formation de salarié.e.s parmi lesquel.le.s figureront des personnes nouvellement embauchées ?
Nous dénonçons tout au long de l’année un manque de surveillance des installations, un manque de rigueur dans les contrôles et la transmission des informations, ainsi qu’un manque latent de compétences suffisantes et adéquates chez les exploitants. Cela a pour conséquence une maîtrise des risques qui n’est pas effective. Ce projet de loi augure d’une situation qui va empirer.
Un divorce consommé entre expertise nucléaire et information du public
Depuis l’annonce de ce projet de loi, les réactions de désapprobation se sont multipliées. Les ONG dénoncent les risques qui pèseraient sur l’information et la consultation du public mais aussi sur le travail d’expertise qui nécessite une indépendance certaine pour être mené à bien.
Michel Badré, qui a présidé à la commission d’enquête sur la construction de nouveaux réacteurs EPR l’an passé, dans une tribune conjointe avec l’économiste Alain Gransjean, le 29 décembre dernier, estime que cette fusion représente "une régression caractérisée de la transparence" qui contribuerait à éroder la confiance du public.
Nous nous associons bien sûr à la critique : il est illusoire de penser que le fait de laisser à cette future institution fusionnée le soin de définir les modalités de fonctionnement et d’information du public [2] aille dans le sens de plus de transparence et d’indépendance de l’expertise.
Néanmoins, il nous semble important d’aller plus loin dans la critique. Le partage d’informations est aujourd’hui imparfait et non systématique. Certains avis techniques ne sont pas publiés et certains documents nous restent inaccessibles de façon récurrente. Or, sans ces documents, il nous est impossible d’effectuer le travail essentiel de lanceurs d’alerte que nous nous efforçons de faire tout au long de l’année.
La séparation de l’expertise et du contrôle des installations est elle aussi d’ores et déjà imparfaite. Les échanges entre l’ASN, l’IRSN et l’exploitant sont constants. C’est logique et important pour leurs tâches respectives. Mais cela aboutit parfois à des pratiques de censure et d’autocensure, comme cela a été dénoncé par une ancienne salariée de l’IRSN. Il est certain que ce phénomène s’accentuera si les avis d’expertise sont amenés à être publiés uniquement selon les dispositions du règlement intérieur de la nouvelle entité. Et si, comme cela est actuellement prévu dans le projet de loi, les services d’instruction, d’expertise et de recherche finissent bien par être sous l’autorité de la direction de services et donc mêlés au sein d’une même hiérarchie dans l’institution en projet.
Ce projet de loi illustre de nouveau la conception des choses qui prévaut chez E. Macron. L’énergie est pour lui une ressource déconnectée de la matérialité de la Terre et des besoins de celles et ceux qui l’habitent. Et elle se doit d’être aux ordres de paroles politiques prophétiques et au service des intérêts d’une petite oligarchie.
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