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Sortir du nucléaire n°88



Hiver 2021

Fukushima : une chercheuse de l’Institut de Radioprotection et de Sûreté Nucléaire licenciée car trop indépendante

Article paru dans la revue Sortir du nucléaire n°88 - Hiver 2021

 Fukushima


En juin 2020, l’Institut de Radioprotection et de Sûreté Nucléaire (IRSN) a licencié Christine Fassert, une chercheuse en sciences humaines qui travaillait sur les conséquences de l’accident de Fukushima, pour « insubordination ». Ce qu’on lui reprochait ? Son refus de la censure et sa prise en compte de l’avis d’experts critiques. Nous l’avons interviewée.



Pouvez-vous présenter rapidement en quoi consistaient vos travaux auprès de l’IRSN et quelle était la spécificité de votre approche ?

Socio-anthropologue au sein du laboratoire en sciences humaines et sociales de l’IRSN, j’avais en charge des recherches sur la gouvernance des risques nucléaires, que je menais sur la base d’un important travail d’enquête empirique au Japon et en France.

Vous avez notamment mené des recherches sur le vécu des populations dans les zones contaminées près de Fukushima ; quels en étaient les principaux enseignements ?

Depuis plusieurs décennies, l’IRSN étudiait les aspects « post-accidentels » via le CEPN, association étroitement liée au monde nucléaire, initiatrice des projets ETHOS et CORE menés en Biélorussie après l’accident de Tchernobyl. Ces projets étaient avant tout des dispositifs d’aide aux populations des territoires contaminés et ont d’ailleurs été critiqués par le monde académique (Topçu, Kasperski, Kimura, etc.) notamment au motif qu’ils enseignent de fait aux habitants à « vivre avec » la contamination radioactive, sans se poser la question des alternatives.

La première spécificité assumée de SHINRAI est qu’il s’agit d’un projet de recherche, qui associe à l’IRSN deux partenaires académiques prestigieux, Sciences Po et l’université Tokyo Tech. La seconde est que notre enquête de terrain, approfondie, s’est aussi penchée sur les habitants qui ne reviennent pas dans les territoires contaminés, sur ceux qui reviennent mais vivent dans une inquiétude permanente pour la santé de leurs enfants… Le projet a également montré comment les questions posées au moment de l’accident de Tchernobyl sont réapparues, notamment des questions scientifiques clivées comme la dangerosité des faibles doses. Enfin, la gestion des conséquences d’un accident nucléaire ne peut pas être décorrélée des enjeux de la poursuite de l’industrie nucléaire : cette question éminemment politique est bien sûr totalement absente des réflexions sur le « post-accident » menées au sein de la sphère nucléaire.

L’ACRO avait d’ailleurs noté lors de la publication du rapport principal (l’Acronique du 12 Mars 2019) : « Cette étude dénote donc par rapport à ce que publie habituellement l’IRSN ». Dans le cas de SHINRAI, le fait de co-publier avec mes partenaires académiques a généré d’importantes tensions avec Sciences Po et Tokyo Tech, notamment parce que le processus de relecture est réalisé par une hiérarchie spécialisée en sûreté nucléaire plutôt qu’en sciences sociales (j’étais rattachée au pôle « Sûreté Nucléaire »). Enfin, mon processus de licenciement a débuté, par le refus pur et simple, par ma hiérarchie, de publication de deux articles écrits à titre individuel.

Ces conclusions, ainsi que votre souci d’indépendance de la recherche et votre refus de la censure, ont apparemment joué un rôle dans le conflit avec votre hiérarchie qui a débouché sur votre licenciement. Pouvez-vous revenir sur l’affaire ?

Le premier article avait été écrit dans le cadre du projet AGORAS financé par l’ANR. Il analysait les résultats d’une enquête menée auprès des principaux contre experts français du nucléaire : Bernard Laponche, Monique Sené, Jean-Claude Zerbib, Mycle Schneider… Ce travail avait été complété par l’examen du rapport dit « Pompili » [rapport de la commission d’enquête parlementaire sur la sûreté et la sécurité nucléaire]. L’article exposait évidemment largement les analyses réalisées en dehors du monde nucléaire, et il a été refusé par ma hiérarchie comme relevant d’un « parti pris ». Je devais présenter ce travail au colloque final du projet et ma communication a été déprogrammée.

Le deuxième article refusé, basé sur le projet SHINRAI, a été accusé de mettre en défaut l’expertise institutionnelle en soulignant la perte de confiance de beaucoup de citoyens japonais envers leur gouvernement et ses experts.

Selon vous, qu’est-ce que ce que cette affaire révèle sur le fonctionnement de l’IRSN, sa conception de l’expertise et sa capacité à accepter une pensée critique ?

D’abord, l’IRSN, comme toute institution est constituée de sous-cultures. Le pôle auquel j’étais rattachée était sans doute le moins susceptible d’accepter la portée critique des Sciences Humaines et sociales. Ensuite il subsiste une confusion pernicieuse entre l’expertise (un avis d’expertise de l’IRSN est censé représenter une position collective, au nom de l’institution) et la recherche, visant à produire des connaissances nouvelles, qui vont nécessairement questionner les doctrines, les cadrages, les catégories existantes. Je regrette que tout ceci n’ait pas été débattu au moment de mon entrée à l’IRSN, comme n’ont pas été suffisamment explicitées les conditions d’une coopération sereine avec des partenaires académiques évidemment attachés à leur liberté d’expression.

Pouvez-vous présenter rapidement en quoi consistaient vos travaux auprès de l’IRSN et quelle était la spécificité de votre approche ?

Socio-anthropologue au sein du laboratoire en sciences humaines et sociales de l’IRSN, j’avais en charge des recherches sur la gouvernance des risques nucléaires, que je menais sur la base d’un important travail d’enquête empirique au Japon et en France.

Vous avez notamment mené des recherches sur le vécu des populations dans les zones contaminées près de Fukushima ; quels en étaient les principaux enseignements ?

Depuis plusieurs décennies, l’IRSN étudiait les aspects « post-accidentels » via le CEPN, association étroitement liée au monde nucléaire, initiatrice des projets ETHOS et CORE menés en Biélorussie après l’accident de Tchernobyl. Ces projets étaient avant tout des dispositifs d’aide aux populations des territoires contaminés et ont d’ailleurs été critiqués par le monde académique (Topçu, Kasperski, Kimura, etc.) notamment au motif qu’ils enseignent de fait aux habitants à « vivre avec » la contamination radioactive, sans se poser la question des alternatives.

La première spécificité assumée de SHINRAI est qu’il s’agit d’un projet de recherche, qui associe à l’IRSN deux partenaires académiques prestigieux, Sciences Po et l’université Tokyo Tech. La seconde est que notre enquête de terrain, approfondie, s’est aussi penchée sur les habitants qui ne reviennent pas dans les territoires contaminés, sur ceux qui reviennent mais vivent dans une inquiétude permanente pour la santé de leurs enfants… Le projet a également montré comment les questions posées au moment de l’accident de Tchernobyl sont réapparues, notamment des questions scientifiques clivées comme la dangerosité des faibles doses. Enfin, la gestion des conséquences d’un accident nucléaire ne peut pas être décorrélée des enjeux de la poursuite de l’industrie nucléaire : cette question éminemment politique est bien sûr totalement absente des réflexions sur le « post-accident » menées au sein de la sphère nucléaire.

L’ACRO avait d’ailleurs noté lors de la publication du rapport principal (l’Acronique du 12 Mars 2019) : « Cette étude dénote donc par rapport à ce que publie habituellement l’IRSN ». Dans le cas de SHINRAI, le fait de co-publier avec mes partenaires académiques a généré d’importantes tensions avec Sciences Po et Tokyo Tech, notamment parce que le processus de relecture est réalisé par une hiérarchie spécialisée en sûreté nucléaire plutôt qu’en sciences sociales (j’étais rattachée au pôle « Sûreté Nucléaire »). Enfin, mon processus de licenciement a débuté, par le refus pur et simple, par ma hiérarchie, de publication de deux articles écrits à titre individuel.

Ces conclusions, ainsi que votre souci d’indépendance de la recherche et votre refus de la censure, ont apparemment joué un rôle dans le conflit avec votre hiérarchie qui a débouché sur votre licenciement. Pouvez-vous revenir sur l’affaire ?

Le premier article avait été écrit dans le cadre du projet AGORAS financé par l’ANR. Il analysait les résultats d’une enquête menée auprès des principaux contre experts français du nucléaire : Bernard Laponche, Monique Sené, Jean-Claude Zerbib, Mycle Schneider… Ce travail avait été complété par l’examen du rapport dit « Pompili » [rapport de la commission d’enquête parlementaire sur la sûreté et la sécurité nucléaire]. L’article exposait évidemment largement les analyses réalisées en dehors du monde nucléaire, et il a été refusé par ma hiérarchie comme relevant d’un « parti pris ». Je devais présenter ce travail au colloque final du projet et ma communication a été déprogrammée.

Le deuxième article refusé, basé sur le projet SHINRAI, a été accusé de mettre en défaut l’expertise institutionnelle en soulignant la perte de confiance de beaucoup de citoyens japonais envers leur gouvernement et ses experts.

Selon vous, qu’est-ce que ce que cette affaire révèle sur le fonctionnement de l’IRSN, sa conception de l’expertise et sa capacité à accepter une pensée critique ?

D’abord, l’IRSN, comme toute institution est constituée de sous-cultures. Le pôle auquel j’étais rattachée était sans doute le moins susceptible d’accepter la portée critique des Sciences Humaines et sociales. Ensuite il subsiste une confusion pernicieuse entre l’expertise (un avis d’expertise de l’IRSN est censé représenter une position collective, au nom de l’institution) et la recherche, visant à produire des connaissances nouvelles, qui vont nécessairement questionner les doctrines, les cadrages, les catégories existantes. Je regrette que tout ceci n’ait pas été débattu au moment de mon entrée à l’IRSN, comme n’ont pas été suffisamment explicitées les conditions d’une coopération sereine avec des partenaires académiques évidemment attachés à leur liberté d’expression.



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