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Sortir du nucléaire n°88



Hiver 2021

Ce n’est qu’un au revoir

Laura Hameaux, après 10 ans au Réseau “Sortir du nucléaire“, tire sa révérence, et s’en va vivre de nouvelles aventures.

Porte-parole, chargée des actions et mobilisations, co-coordinatrice, Laura a porté plusieurs casquettes. À travers quelques mots clés, nous sommes revenues sur les moments phares qui ont ponctué sa vie au sein du Réseau.

1. En quelques mots, est ce que tu pourrais te présenter : nous dire ce qui t’a poussé à te consacrer exclusivement à la cause antinucléaire, et comment as-tu commencé dans cette lutte ?

Je suis issue d’une famille militante, dans le nord, pas loin de Gravelines. À cette époque je n’étais pas antinucléaire. J’avais une sensibilité au paysage militant parce que mon père était lui-même militant politique et syndical chez les cheminots. Les luttes sociales et la culture d’opposition ont toujours été présentes chez nous. Mes premiers souvenirs de manif, c’était en 1995 : la grande grève pour les retraites. Je me souviens que mon père m’emmenait en manif, et j’aimais bien ça parce que je pouvais crier des chansons avec plein de gros mots !

Puis, petit à petit, je me suis engagée dans certains combats, au lycée plutôt au niveau de la lutte antiraciste, puis je suis allée à la fac de droit à Lille, et j’ai intégré des réseaux militants. Je pense que c’est par cette entrée là que j’ai été sensibilisée à l’environnement. Je voulais comprendre de quelles façons un problème devient une question publique, sociale, pour ensuite être pris en charge par les pouvoirs politiques. On étudie tout ce processus en droit, j’avais trouvé cela intéressant.

En 2006, j’étais en licence, c’était l’année où il y avait eu de grosses mobilisations par rapport au CPE, et une des premières universités à avoir fermé était celle de Lille. Cette période très intense au niveau des mouvements sociaux m’a permis de faire un premier pas dans le milieu libertaire plus autonome. J’ai pu alors commencé à envisager la question environnementale comme un problème structurel : la cause et la conséquence du capitalisme et de la domination de l’Homme sur la nature.

Ça m’a donné envie de spécialiser mon master en science-politiques dans les questions environnementales. C’était une année d’étude particulièrement intéressante, j’ai pu découvrir certains auteurs, comme Alain Gras avec « Le choix du feu », mais aussi Philippe Descolas ou Jared Diamond.

Après, pourquoi le nucléaire ? Je crois que c’est plutôt du hasard, j’avais postulé dans plusieurs associations pour mon stage de fin d’étude, et j’ai été prise à Greenpeace, pour travailler sur le projet de ligne THT, nécessaire pour la construction de l’EPR. Je devais mêler création d’outils juridiques et animation de mobilisation. Je travaillais donc à la fois avec une coordinatrice régionale de Greenpeace et des élu·es, pour développer la mobilisation et créer différents outils pour lutter contre ce projet. Puis après mon stage, j’ai continué à travailler sur cette question en CDD.

2. Comment s’est passée ton entrée au Réseau, après ton passage à Greenpeace ?

En 2010, le Réseau a diffusé l’offre de poste de Chargé des groupes et des actions. Ça me paraissait tout à fait adapté pour moi, mais je savais que ce serait un engagement structurant et marquant, que ce ne serait pas sans conséquence pour ma vie personnelle, donc j’hésitais un peu. Dans la même période j’avais postulé à un autre poste dans la communauté de communes d’une région, j’avais passé un entretien devant 8 élu·es, dans un endroit complètement aseptisé… En réfléchissant à mon avenir dans ces deux milieux, j’ai compris que je me retrouvais beaucoup plus dans le poste au Réseau. J’ai su à ce moment que je choisissais une voix plutôt qu’une autre.

Et ça a démarré sur les chapeaux de roues. Je suis arrivée en septembre, et on m’a annoncé qu’on avait un mois pour préparer la mobilisation contre le « Train d’Enfer », le fameux transport de déchets radioactifs, qui reliait La Hague à Gorleben. J’ai été mise dans le bain directement, ce transport était hallucinant, on avait sous-estimé le dispositif, on s’est retrouvées à faire la permanence à deux avec Charlotte (chargée des communications médias et des relations extérieures), nos téléphones sonnaient jour et nuit, on faisait des interviews dans différentes langues, fallait mettre à jour le site dès que possible… On ne s’attendait pas à un évènement d’une telle ampleur ! J’en garde un très bon souvenir, le Réseau a bien su jouer son rôle durant cette période, il a eu une visibilité importante.

Puis en mars de l’année suivant il y a eu Fukushima, et là c’était encore pire. Ça sonnait de partout, on avait constitué une équipe avec des gens pour suivre la situation en direct, une autre qui se chargeait de faire les réponses rapides aux médias et aux intéressé·es, on enchaînait les plateau télé et les interview, le site du Réseau a été tellement visité que le serveur a pété. Ça a été vraiment marquant pour le Réseau en terme d’audience.

En plus, cette même année, on préparait les 25 ans de Tchernobyl. On avait prévu 25 jours d’actions contre le nucléaire, mais vu que Fukushima est survenu quelques semaines avant, on a du réadapter. Cette année a été vraiment très intense pour le mouvement antinucléaire et pour moi personnellement.

3. La lutte antinucléaire est un pan à part entière de la lutte écologique, est-ce qu’il y a des stratégies d’action propres à ce combat ? Des angles d’attaque particulier que tu as eu à employer ou développer ?

Une des stratégies les plus pertinentes pour moi dans la lutte antinucléaire c’est d’attaquer les flux (chose valable pour plein d’autres mobilisations d’ailleurs). Aujourd’hui le pouvoir économique et politique se matérialise au niveau des transports, des moyens de communication… Donc si on veut atteindre des cibles capitalistique, ça se fera en bloquant ces flux. Les installations nucléaires sont très surveillées, alors que les lignes THT et les transports sont partout, en permanence, il y a quand même 250 000 km de lignes THT et 19 000 transports annuels en France. Des éléments qui sont proches des gens, implantés sur le territoire et imagent l’impact de cette industrie. En plus, la pertinence de cette stratégie est double, cela permet de mettre des bâtons dans les rouages du système, tout en sensibilisant les populations locales. C’est une stratégie qui n’a malheureusement pas été assez creusée ou qui a été stoppée par le pouvoir. Il faut aussi rappeler que la mort de Sébastien Briat en 2003 a beaucoup marqué le mouvement, ça a eu beaucoup d’impacts intimes et personnels sur la lutte à Bure.

4. À travers quelques mots-clés, revenons sur les moments phares qui ont ponctué ta vie au sein du Réseau.

Une réussite ? La campagne de 2015 « Nucléaire, de la mine aux déchets, tous·tes concerné·es », a permis de décrypter ce qu’était réellement l’industrie nucléaire. Cela nous a aussi fait tisser des liens avec beaucoup de militant·es, avec les groupes locaux, et à l’extérieur avec Sud Rail. On était vraiment dans notre rôle, c’était des chouettes moments d’émulation collective.

Un raté ? L’action banderole devant l’assemblée nationale, une dizaine de jour après Fukushima. On avait prévu de déployer une banderole de 150m² en face de l’Assemblée Nationale. Mais il y a eu des fuites, la brigade des toits attendait les militant·es en haut de l’immeuble. Ils·elles n’ont pas eu le temps de déployer la banderole, et ont été arrêté·es. Si on l’avait réussie ça aurait été beau.

Une gêne ? Mon interview "si j’étais présidente" sur France Info, pendant une campagne présidentielle. Parce que si j’étais présidente je redonnerai le pouvoir au peuple et donc je ne serai pas présidente. Ce genre de moment où, pour la cause, tu dois jouer un rôle et t’adapter à un certain format.

Une séquence émotion ? Positivement : les images de la chute du mur de l’Andra. Négativement : la mise en examen des campagnon·nes et ami·es de lutte. Deux émotions liées au même combat. En 2016 et 2017, la lutte à Bure était en pleine ascension, et puis ils ont sifflé la fin de la récrée... Ça fait partie de ces moments de grande émulation, où tu penses que tout est possible, c’est magique quand ça marche, et ça t’apporte tellement. Mais quand ça s’arrête, le revers est d’autant plus violent, émotionnellement c’est fort.

Le plus gros fou rire ? Il y a eu beaucoup de moments cocasses quand on jouait au bullshit bingo, il fallait placer des mots absurdes en réunions. Ça a commencé en AG puis on a importé le jeu dans des réunions avec le CA. Un jour il fallait que l’un d’entre nous place le mot comtesse, et quand il a réussi, on a explosé de rire, et les gens ont capté.

Le plus gros coup de rage ? Quand les mains des copain·aines ont été découpées sur les rails en 2010... Ou quand l’État combattait les mobilisations contre les transports. On en publiait les itinéraires, et ils changeaient de trajet à la dernière minute. C’est allé jusqu’à ce que je reçoive à mon domicile deux courriers avec deux types d’horaires et de trajets différents. Un de ces courriers était ouvert, pour montrer que j’étais surveillée. Ces moments sont tous liés à la stratégie de l’état pour détruire les mobilisations. On sait qu’on a affaire à un énorme lobby, mais le jour où on a à y faire face personnellement, ça prend un nouveau tournant.

Un moment inoubliable ? Mon premier voyage à la Hague, je n’étais pas encore au réseau. Je me suis tenue en bord de mer, au cœur de ce paysage très sauvage, au bout du monde : à gauche on voit les centrales de Flamanville, à droite l’usine de La Hague. Le plutonium en fait la plage la plus polluée au monde. J’ai pris conscience de cet aspect incolore, inodore et hyper pernicieux du nucléaire. Un frisson m’a parcouru l’échine, et j’ai compris pourquoi j’ai choisi ce combat plutôt qu’un autre, j’ai su que ça ne me lâcherait pas.

5. Quels sont tes espoirs pour la lutte antinucléaire, et quels conseils aimerais-tu donner aux futures militant·es antinucléaires qui vont reprendre ton flambeau ?  

C’est le moment de préciser que je ne m’en vais pas totalement : je mets fin à cette expérience sous l’angle professionnelle, mais justement ça va me permettre d’avoir un autre rapport aux actions que j’entreprends dans la lutte antinucléaire, et de choisir dans quoi je souhaite m’investir. Et au niveau des conseils, je dirais qu’être droit dans ses bottes c’est le meilleur moyen de ne pas avoir de casserole au cul… Mais tout en n’oubliant pas de s’ouvrir intelligemment, pas à tout va non plus, surtout dans une lutte qui peut devenir rapidement conflictuelle. Donc il est important de le faire sur des bases politiques réfléchies, pour s’ouvrir au fur et à mesure avec les gens avec qui on a envie de construire de vrais liens. J’ai l’impression qu’il peut y avoir le risque que, en raison d’un trou générationnel, la transmission de la lutte ne se fasse pas. Il survient alors une incompréhension entre les jeunes et les vieux militants, et finalement on perd quelque chose d’important au niveau de la mémoire, et les gens n’arrivent plus à construire ensemble. Donc il faut mettre de l’énergie pour que les gens fassent pont. Que tout le monde fasse un pas de côté. C’est un enjeu qu’on sous-estime souvent, mais c’est important de mettre de l’énergie la-dedans : pour réussir sa transmission, sa sublimation. Aussi, il ne faut aussi pas oublier d’être audacieux·euse, savoir être surprenant·e, être là où on ne nous attend pas.

Donc s’il fallait résumer ça en quelques mots : audace, ouverture et pas de côté…

1. En quelques mots, est ce que tu pourrais te présenter : nous dire ce qui t’a poussé à te consacrer exclusivement à la cause antinucléaire, et comment as-tu commencé dans cette lutte ?

Je suis issue d’une famille militante, dans le nord, pas loin de Gravelines. À cette époque je n’étais pas antinucléaire. J’avais une sensibilité au paysage militant parce que mon père était lui-même militant politique et syndical chez les cheminots. Les luttes sociales et la culture d’opposition ont toujours été présentes chez nous. Mes premiers souvenirs de manif, c’était en 1995 : la grande grève pour les retraites. Je me souviens que mon père m’emmenait en manif, et j’aimais bien ça parce que je pouvais crier des chansons avec plein de gros mots !

Puis, petit à petit, je me suis engagée dans certains combats, au lycée plutôt au niveau de la lutte antiraciste, puis je suis allée à la fac de droit à Lille, et j’ai intégré des réseaux militants. Je pense que c’est par cette entrée là que j’ai été sensibilisée à l’environnement. Je voulais comprendre de quelles façons un problème devient une question publique, sociale, pour ensuite être pris en charge par les pouvoirs politiques. On étudie tout ce processus en droit, j’avais trouvé cela intéressant.

En 2006, j’étais en licence, c’était l’année où il y avait eu de grosses mobilisations par rapport au CPE, et une des premières universités à avoir fermé était celle de Lille. Cette période très intense au niveau des mouvements sociaux m’a permis de faire un premier pas dans le milieu libertaire plus autonome. J’ai pu alors commencé à envisager la question environnementale comme un problème structurel : la cause et la conséquence du capitalisme et de la domination de l’Homme sur la nature.

Ça m’a donné envie de spécialiser mon master en science-politiques dans les questions environnementales. C’était une année d’étude particulièrement intéressante, j’ai pu découvrir certains auteurs, comme Alain Gras avec « Le choix du feu », mais aussi Philippe Descolas ou Jared Diamond.

Après, pourquoi le nucléaire ? Je crois que c’est plutôt du hasard, j’avais postulé dans plusieurs associations pour mon stage de fin d’étude, et j’ai été prise à Greenpeace, pour travailler sur le projet de ligne THT, nécessaire pour la construction de l’EPR. Je devais mêler création d’outils juridiques et animation de mobilisation. Je travaillais donc à la fois avec une coordinatrice régionale de Greenpeace et des élu·es, pour développer la mobilisation et créer différents outils pour lutter contre ce projet. Puis après mon stage, j’ai continué à travailler sur cette question en CDD.

2. Comment s’est passée ton entrée au Réseau, après ton passage à Greenpeace ?

En 2010, le Réseau a diffusé l’offre de poste de Chargé des groupes et des actions. Ça me paraissait tout à fait adapté pour moi, mais je savais que ce serait un engagement structurant et marquant, que ce ne serait pas sans conséquence pour ma vie personnelle, donc j’hésitais un peu. Dans la même période j’avais postulé à un autre poste dans la communauté de communes d’une région, j’avais passé un entretien devant 8 élu·es, dans un endroit complètement aseptisé… En réfléchissant à mon avenir dans ces deux milieux, j’ai compris que je me retrouvais beaucoup plus dans le poste au Réseau. J’ai su à ce moment que je choisissais une voix plutôt qu’une autre.

Et ça a démarré sur les chapeaux de roues. Je suis arrivée en septembre, et on m’a annoncé qu’on avait un mois pour préparer la mobilisation contre le « Train d’Enfer », le fameux transport de déchets radioactifs, qui reliait La Hague à Gorleben. J’ai été mise dans le bain directement, ce transport était hallucinant, on avait sous-estimé le dispositif, on s’est retrouvées à faire la permanence à deux avec Charlotte (chargée des communications médias et des relations extérieures), nos téléphones sonnaient jour et nuit, on faisait des interviews dans différentes langues, fallait mettre à jour le site dès que possible… On ne s’attendait pas à un évènement d’une telle ampleur ! J’en garde un très bon souvenir, le Réseau a bien su jouer son rôle durant cette période, il a eu une visibilité importante.

Puis en mars de l’année suivant il y a eu Fukushima, et là c’était encore pire. Ça sonnait de partout, on avait constitué une équipe avec des gens pour suivre la situation en direct, une autre qui se chargeait de faire les réponses rapides aux médias et aux intéressé·es, on enchaînait les plateau télé et les interview, le site du Réseau a été tellement visité que le serveur a pété. Ça a été vraiment marquant pour le Réseau en terme d’audience.

En plus, cette même année, on préparait les 25 ans de Tchernobyl. On avait prévu 25 jours d’actions contre le nucléaire, mais vu que Fukushima est survenu quelques semaines avant, on a du réadapter. Cette année a été vraiment très intense pour le mouvement antinucléaire et pour moi personnellement.

3. La lutte antinucléaire est un pan à part entière de la lutte écologique, est-ce qu’il y a des stratégies d’action propres à ce combat ? Des angles d’attaque particulier que tu as eu à employer ou développer ?

Une des stratégies les plus pertinentes pour moi dans la lutte antinucléaire c’est d’attaquer les flux (chose valable pour plein d’autres mobilisations d’ailleurs). Aujourd’hui le pouvoir économique et politique se matérialise au niveau des transports, des moyens de communication… Donc si on veut atteindre des cibles capitalistique, ça se fera en bloquant ces flux. Les installations nucléaires sont très surveillées, alors que les lignes THT et les transports sont partout, en permanence, il y a quand même 250 000 km de lignes THT et 19 000 transports annuels en France. Des éléments qui sont proches des gens, implantés sur le territoire et imagent l’impact de cette industrie. En plus, la pertinence de cette stratégie est double, cela permet de mettre des bâtons dans les rouages du système, tout en sensibilisant les populations locales. C’est une stratégie qui n’a malheureusement pas été assez creusée ou qui a été stoppée par le pouvoir. Il faut aussi rappeler que la mort de Sébastien Briat en 2003 a beaucoup marqué le mouvement, ça a eu beaucoup d’impacts intimes et personnels sur la lutte à Bure.

4. À travers quelques mots-clés, revenons sur les moments phares qui ont ponctué ta vie au sein du Réseau.

Une réussite ? La campagne de 2015 « Nucléaire, de la mine aux déchets, tous·tes concerné·es », a permis de décrypter ce qu’était réellement l’industrie nucléaire. Cela nous a aussi fait tisser des liens avec beaucoup de militant·es, avec les groupes locaux, et à l’extérieur avec Sud Rail. On était vraiment dans notre rôle, c’était des chouettes moments d’émulation collective.

Un raté ? L’action banderole devant l’assemblée nationale, une dizaine de jour après Fukushima. On avait prévu de déployer une banderole de 150m² en face de l’Assemblée Nationale. Mais il y a eu des fuites, la brigade des toits attendait les militant·es en haut de l’immeuble. Ils·elles n’ont pas eu le temps de déployer la banderole, et ont été arrêté·es. Si on l’avait réussie ça aurait été beau.

Une gêne ? Mon interview "si j’étais présidente" sur France Info, pendant une campagne présidentielle. Parce que si j’étais présidente je redonnerai le pouvoir au peuple et donc je ne serai pas présidente. Ce genre de moment où, pour la cause, tu dois jouer un rôle et t’adapter à un certain format.

Une séquence émotion ? Positivement : les images de la chute du mur de l’Andra. Négativement : la mise en examen des campagnon·nes et ami·es de lutte. Deux émotions liées au même combat. En 2016 et 2017, la lutte à Bure était en pleine ascension, et puis ils ont sifflé la fin de la récrée... Ça fait partie de ces moments de grande émulation, où tu penses que tout est possible, c’est magique quand ça marche, et ça t’apporte tellement. Mais quand ça s’arrête, le revers est d’autant plus violent, émotionnellement c’est fort.

Le plus gros fou rire ? Il y a eu beaucoup de moments cocasses quand on jouait au bullshit bingo, il fallait placer des mots absurdes en réunions. Ça a commencé en AG puis on a importé le jeu dans des réunions avec le CA. Un jour il fallait que l’un d’entre nous place le mot comtesse, et quand il a réussi, on a explosé de rire, et les gens ont capté.

Le plus gros coup de rage ? Quand les mains des copain·aines ont été découpées sur les rails en 2010... Ou quand l’État combattait les mobilisations contre les transports. On en publiait les itinéraires, et ils changeaient de trajet à la dernière minute. C’est allé jusqu’à ce que je reçoive à mon domicile deux courriers avec deux types d’horaires et de trajets différents. Un de ces courriers était ouvert, pour montrer que j’étais surveillée. Ces moments sont tous liés à la stratégie de l’état pour détruire les mobilisations. On sait qu’on a affaire à un énorme lobby, mais le jour où on a à y faire face personnellement, ça prend un nouveau tournant.

Un moment inoubliable ? Mon premier voyage à la Hague, je n’étais pas encore au réseau. Je me suis tenue en bord de mer, au cœur de ce paysage très sauvage, au bout du monde : à gauche on voit les centrales de Flamanville, à droite l’usine de La Hague. Le plutonium en fait la plage la plus polluée au monde. J’ai pris conscience de cet aspect incolore, inodore et hyper pernicieux du nucléaire. Un frisson m’a parcouru l’échine, et j’ai compris pourquoi j’ai choisi ce combat plutôt qu’un autre, j’ai su que ça ne me lâcherait pas.

5. Quels sont tes espoirs pour la lutte antinucléaire, et quels conseils aimerais-tu donner aux futures militant·es antinucléaires qui vont reprendre ton flambeau ?  

C’est le moment de préciser que je ne m’en vais pas totalement : je mets fin à cette expérience sous l’angle professionnelle, mais justement ça va me permettre d’avoir un autre rapport aux actions que j’entreprends dans la lutte antinucléaire, et de choisir dans quoi je souhaite m’investir. Et au niveau des conseils, je dirais qu’être droit dans ses bottes c’est le meilleur moyen de ne pas avoir de casserole au cul… Mais tout en n’oubliant pas de s’ouvrir intelligemment, pas à tout va non plus, surtout dans une lutte qui peut devenir rapidement conflictuelle. Donc il est important de le faire sur des bases politiques réfléchies, pour s’ouvrir au fur et à mesure avec les gens avec qui on a envie de construire de vrais liens. J’ai l’impression qu’il peut y avoir le risque que, en raison d’un trou générationnel, la transmission de la lutte ne se fasse pas. Il survient alors une incompréhension entre les jeunes et les vieux militants, et finalement on perd quelque chose d’important au niveau de la mémoire, et les gens n’arrivent plus à construire ensemble. Donc il faut mettre de l’énergie pour que les gens fassent pont. Que tout le monde fasse un pas de côté. C’est un enjeu qu’on sous-estime souvent, mais c’est important de mettre de l’énergie la-dedans : pour réussir sa transmission, sa sublimation. Aussi, il ne faut aussi pas oublier d’être audacieux·euse, savoir être surprenant·e, être là où on ne nous attend pas.

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