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Dossier spécial : Face aux crises

En cas d’accident nucléaire, observerons-nous les mêmes phénomènes que pendant la crise du Covid-19 ?

Crise sanitaire inédite, incendies à proximité de Tchernobyl, ces derniers mois les événements du monde nous ont fortement rappelé que des phénomènes que l’on se refusait à envisager peuvent devenir réalité.

En cas d’accident nucléaire en France, nous risquons de faire l’expérience de phénomènes similaires à ceux vécus pendant cette crise sanitaire, voire bien pires. Cette éventualité ne relève pas de la spéculation : l’Autorité de sûreté nucléaire elle-même répète que ce risque est possible. Le site http://post-accident-nucleaire.fr invite même les associations, entreprises et élu·es locaux à examiner le rôle qu’ils seraient appelés à endosser dans cette pièce où ils n’ont jamais demandé à jouer. Tentons la comparaison.

Risque nucléaire
© Fliker / Pil

Si on ne peut comparer un panache radioactif à une maladie contagieuse, l’expérience de Tchernobyl montre que les retombées radioactives, à l’instar du Covid-19, peuvent se diffuser très rapidement, de manière invisible, en ignorant les frontières. Toutefois, si l’on peut fermer des frontières et instaurer des mesures de distanciation physique et de confinement pour stopper la propagation d’un virus, nul ne peut empêcher le déploiement d’un nuage chargé de radionucléides. En cas d’accident nucléaire, les personnes habitant à proximité de la centrale pourraient être appelées à se confiner pour une durée donnée (et sans autorisation de se promener pendant une heure !) ; mais cela n’empêcherait pas la contamination durable de territoires entiers.

Affronter un virus comme le Covid-19 a constitué un défi pour la France (la situation étant aggravée par le manque de moyens pour l’hôpital). Mais malgré l’existence de “Plans particuliers d’intervention“, d’un “Comité Directeur Post-Accidentel“, le pays ne serait pas mieux préparé à faire face à un accident nucléaire. L’évacuation n’est prévue que dans un rayon de 20 km autour des sites nucléaires (où peuvent tout de même résider jusqu’à 350 000 personnes), comme la distribution de pastilles d’iode (qui ne protègent que des iodes radioactifs, et pas des autres radioéléments). Pourtant, le panache de Tchernobyl n’est pas resté sagement confiné dans un rayon de 20 km. L’institut Biosphère a simulé les conséquences d’un accident nucléaire à la centrale du Bugey, près de Lyon : selon les conditions météorologiques, les retombées pourraient traverser la France d’Est en Ouest, traverser l’Allemagne, voire atteindre les côtes maghrébines !

Sous-estimation de la pandémie, port du masque d’abord présenté comme “inutile“ : le gouvernement a mis beaucoup de temps à prendre la mesure de la gravité de la situation de la crise du Covid-19. De nombreux “experts“ fréquentant les plateaux de télévision lui ont emboîté le pas. Les controverses sanitaires se déchaînent sur les réseaux sociaux. Qu’en serait-il en cas d’accident nucléaire ? Les autorités nieraient-elles aussi la gravité de la situation ? Si les témoignages de soignant·es sur le Covid-19 circulent, en cas de crise nucléaire, il est à craindre que l’information disponible soit drastiquement verrouillée. Le manque de transparence actuel de l’industrie nucléaire – qui ne communique sur des rejets radioactifs que des semaines après – nous laisse à penser que les cafouillages seraient bien pires encore en cas de catastrophe nucléaire.

© Stop Fessenheim

Poursuite du travail dans des secteurs non essentiels dans des conditions sanitaires approximatives, reprise de l’école quelques jours par semaine pour permettre (on se demande comment) le retour au travail des parents : concernant le Covid-19, si la reprise des activités est une question légitime, plusieurs décisions semblent faire primer l’économie sur la santé publique. En cas d’accident nucléaire, nous risquons d’assister au même phénomène. Le combat contre ce virus est une question de mois ou d’années. Les conséquences d’un accident nucléaire, elles, perdurent pendant des siècles. La “décontamination“ des territoires est illusoire. Dès lors, les autorités peuvent être tentées de forcer le “retour à la normale“. En jouant sur les normes, comme au Japon, où, pour permettre le retour des populations dans les territoires contaminés, le seuil de radioactivité admissible a été élevé à 20 millisieverts par an pour les adultes comme pour les enfants (seuil normalement réservé aux travailleurs du nucléaire). Avec des programmes comme Ethos, financés par l’industrie nucléaire française qui visent à démontrer que la vie quotidienne est possible dans les zones contaminées par Tchernobyl. Ou en faisant marcher la propagande, comme au Japon où le départ de la flamme olympique devait avoir lieu à 20 km de la centrale accidentée. En France, l’Institut de Radioprotection et de Sûreté Nucléaire a évalué le coût d’un accident majeur : 430 milliards d’euros (et jusqu’à 5 800 milliards dans le pire des cas). Le “coût d’image“ (impacts sur le tourisme, boycott des produits agricoles...) représente 39 % de ce montant. En cas d’accident au Blayais, verra-t-on une grande campagne de communication vanter les grands crus de Bordeaux ? Et si la centrale de Nogent-sur-Seine contamine les alentours, cherchera-t-on à rouvrir Disneyland Paris à tout prix ?

© Stop Fessenheim

Enfin, avec la crise du Covid, des millions de personnes se sont retrouvées en première ligne mal équipées, à devoir faire face la boule au ventre : personnel soignant, du nettoyage, de la grande distribution... Et en cas d’accident nucléaire ? Là aussi, un nombre important de personnes se retrouveraient en première ligne :

pompiers, salarié·es d’EDF... mais surtout employé·es de la sous-traitance nucléaire. À l’instar du personnel soignant, ces derniers dénoncent depuis des années une course à la rentabilité et une dégradation de leurs conditions de travail, qui ne leur permet plus d’effectuer correctement les tâches nécessaires à la sûreté et les mettent eux-mêmes en danger.

La crise du Covid a vu se multiplier les appels à un changement de modèle, pour dépasser les logiques de rentabilité et se recentrer sur l’essentiel. Dans un monde plus incertain, nous ne pouvons pas nous permettre de vivre en plus une crise nucléaire. Là aussi, un recentrage s’impose, pour passer à un système énergétique plus sobre, sûr, résilient, local et renouvelable. Changeons de voie et investissons pour une transition énergétique digne de ce nom plutôt que dans le post-accidentel.

Le Réseau "Sortir du nucléaire"

Tribune publiée dans Reporterre le 25 avril 2020 (modifiée à la marge pour cette édition ultérieure)

© Fliker / Pil

Si on ne peut comparer un panache radioactif à une maladie contagieuse, l’expérience de Tchernobyl montre que les retombées radioactives, à l’instar du Covid-19, peuvent se diffuser très rapidement, de manière invisible, en ignorant les frontières. Toutefois, si l’on peut fermer des frontières et instaurer des mesures de distanciation physique et de confinement pour stopper la propagation d’un virus, nul ne peut empêcher le déploiement d’un nuage chargé de radionucléides. En cas d’accident nucléaire, les personnes habitant à proximité de la centrale pourraient être appelées à se confiner pour une durée donnée (et sans autorisation de se promener pendant une heure !) ; mais cela n’empêcherait pas la contamination durable de territoires entiers.

Affronter un virus comme le Covid-19 a constitué un défi pour la France (la situation étant aggravée par le manque de moyens pour l’hôpital). Mais malgré l’existence de “Plans particuliers d’intervention“, d’un “Comité Directeur Post-Accidentel“, le pays ne serait pas mieux préparé à faire face à un accident nucléaire. L’évacuation n’est prévue que dans un rayon de 20 km autour des sites nucléaires (où peuvent tout de même résider jusqu’à 350 000 personnes), comme la distribution de pastilles d’iode (qui ne protègent que des iodes radioactifs, et pas des autres radioéléments). Pourtant, le panache de Tchernobyl n’est pas resté sagement confiné dans un rayon de 20 km. L’institut Biosphère a simulé les conséquences d’un accident nucléaire à la centrale du Bugey, près de Lyon : selon les conditions météorologiques, les retombées pourraient traverser la France d’Est en Ouest, traverser l’Allemagne, voire atteindre les côtes maghrébines !

Sous-estimation de la pandémie, port du masque d’abord présenté comme “inutile“ : le gouvernement a mis beaucoup de temps à prendre la mesure de la gravité de la situation de la crise du Covid-19. De nombreux “experts“ fréquentant les plateaux de télévision lui ont emboîté le pas. Les controverses sanitaires se déchaînent sur les réseaux sociaux. Qu’en serait-il en cas d’accident nucléaire ? Les autorités nieraient-elles aussi la gravité de la situation ? Si les témoignages de soignant·es sur le Covid-19 circulent, en cas de crise nucléaire, il est à craindre que l’information disponible soit drastiquement verrouillée. Le manque de transparence actuel de l’industrie nucléaire – qui ne communique sur des rejets radioactifs que des semaines après – nous laisse à penser que les cafouillages seraient bien pires encore en cas de catastrophe nucléaire.

© Stop Fessenheim

Poursuite du travail dans des secteurs non essentiels dans des conditions sanitaires approximatives, reprise de l’école quelques jours par semaine pour permettre (on se demande comment) le retour au travail des parents : concernant le Covid-19, si la reprise des activités est une question légitime, plusieurs décisions semblent faire primer l’économie sur la santé publique. En cas d’accident nucléaire, nous risquons d’assister au même phénomène. Le combat contre ce virus est une question de mois ou d’années. Les conséquences d’un accident nucléaire, elles, perdurent pendant des siècles. La “décontamination“ des territoires est illusoire. Dès lors, les autorités peuvent être tentées de forcer le “retour à la normale“. En jouant sur les normes, comme au Japon, où, pour permettre le retour des populations dans les territoires contaminés, le seuil de radioactivité admissible a été élevé à 20 millisieverts par an pour les adultes comme pour les enfants (seuil normalement réservé aux travailleurs du nucléaire). Avec des programmes comme Ethos, financés par l’industrie nucléaire française qui visent à démontrer que la vie quotidienne est possible dans les zones contaminées par Tchernobyl. Ou en faisant marcher la propagande, comme au Japon où le départ de la flamme olympique devait avoir lieu à 20 km de la centrale accidentée. En France, l’Institut de Radioprotection et de Sûreté Nucléaire a évalué le coût d’un accident majeur : 430 milliards d’euros (et jusqu’à 5 800 milliards dans le pire des cas). Le “coût d’image“ (impacts sur le tourisme, boycott des produits agricoles...) représente 39 % de ce montant. En cas d’accident au Blayais, verra-t-on une grande campagne de communication vanter les grands crus de Bordeaux ? Et si la centrale de Nogent-sur-Seine contamine les alentours, cherchera-t-on à rouvrir Disneyland Paris à tout prix ?

© Stop Fessenheim

Enfin, avec la crise du Covid, des millions de personnes se sont retrouvées en première ligne mal équipées, à devoir faire face la boule au ventre : personnel soignant, du nettoyage, de la grande distribution... Et en cas d’accident nucléaire ? Là aussi, un nombre important de personnes se retrouveraient en première ligne :

pompiers, salarié·es d’EDF... mais surtout employé·es de la sous-traitance nucléaire. À l’instar du personnel soignant, ces derniers dénoncent depuis des années une course à la rentabilité et une dégradation de leurs conditions de travail, qui ne leur permet plus d’effectuer correctement les tâches nécessaires à la sûreté et les mettent eux-mêmes en danger.

La crise du Covid a vu se multiplier les appels à un changement de modèle, pour dépasser les logiques de rentabilité et se recentrer sur l’essentiel. Dans un monde plus incertain, nous ne pouvons pas nous permettre de vivre en plus une crise nucléaire. Là aussi, un recentrage s’impose, pour passer à un système énergétique plus sobre, sûr, résilient, local et renouvelable. Changeons de voie et investissons pour une transition énergétique digne de ce nom plutôt que dans le post-accidentel.

Le Réseau "Sortir du nucléaire"

Tribune publiée dans Reporterre le 25 avril 2020 (modifiée à la marge pour cette édition ultérieure)



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