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Dossier spécial : Face aux crises

Catastrophe nucléaire : quelle santé choisir ?

Notre vie confinée et les conséquences sanitaires résultant de la pandémie du Covid 19 nous interpellent et nous font réfléchir sur une autre catastrophe, un autre risque, celui de la contamination radioactive par émission accidentelle de rayonnements ionisants, en somme à l’accident nucléaire.

Nucléaire et santé

En période de pandémie du Covid 19 évoquer les conséquences politiques, économiques, juridiques, sociales et surtout sanitaires qui résultent d’une catastrophe nucléaire nous a paru urgent pour bien comprendre ce que vivent les populations déjà victimes et ce qui nous attend. L’origine humaine du risque, son coté anxiogène, le brusque changement de nos habitudes de vie, l’économie en berne, les difficultés de communication, les lois liberticides, les incertitudes, les mensonges, les fakes news, contre vérités, et autres messages contradictoires sont communs aux deux situations.
Mais des différences existent.
L’homme est seul facteur de risque pour l’homme en cas de pandémie Covid 19, et la nature reste indemne et source de vie. En cas de contamination radioactive c’est toute la nature qui est facteur de risque. La menace vient d’un ennemi crée par l’homme. Ennemi omniprésent et invisible dans l’eau, l’air, la terre, les aliments, notre corps… et les hommes sont livrés à eux mêmes pour survivre dans ce milieu hostile. La nocivité des faibles doses de radioactivité n’est pas reconnue par les autorités. En cas de catastrophe nucléaire la transparence manque cruellement en matière sanitaire. Si la gestion de la pandémie du Covid 19 par les États a privilégié dans une large part notre santé c’est plutôt celle du nucléaire et de l’économie qui seront choisies internationalement en cas de catastrophe nucléaire. Soutenue par un régime juridique d’exception, quasi militaire, une volonté de dénégation est orchestrée à partir d’autorités internationales et nationales dans le seul but de préserver la santé du nucléaire au détriment de la nôtre.

Des normes qui ignorent les faibles doses

Née dans le secret militaire et le culte de l’atome c’est la Commission Internationale de Protection contre les Rayonnements ionisants (CIPR) qui depuis sa date de création en 1950 reste le leader mondial pour recommander les normes de radioprotection aux États. Ces normes sont élaborées à partir des données scientifiques du Comité Scientifique des Nations unies sur les Effets des Rayonnements ionisants (UNSCEAR), les deux entités ayant pour partie du personnel en commun qu’elles partagent également avec l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA), avec le label de l’Organisation mondiale de la santé (OMS). Le principe de base des recommandations de la CIPR est illustré par le paragraphe 29 de ses recommandations de 1958, révisées en 1962 et toujours actuel. « Toute modification du milieu dans lequel l’homme s’est développé peut entrainer l’apparition d’effets nocifs. C’est pourquoi on admet qu’une exposition prolongée à des rayonnements ionisants, venant s’ajouter à l’irradiation naturelle implique certains risques. Cependant l’homme ne peut s’abstenir entièrement d’utiliser les rayonnements ionisants. En pratique, le problème consiste donc à limiter la dose de rayonnement de telle sorte que le risque créé soit acceptable pour l’individu et la population. Cette dose est appelée dose admissible » La CIPR postule que l’homme ne pouvant pas se passer de la radioactivité artificielle il faut la rendre acceptable. Le problème c’est que la CIPR va construire un modèle de risque qui protège l’industrie nucléaire en dissimulant les effets délétères des faibles doses sur notre santé.

Bombe et accident ou comment comparer l’incomparable ?

Les normes CIPR sont établies à partir des irradiations aigües constatées sur les victimes des bombes de Nagasaki et d’Hiroshima. Elles devraient pourtant tenir compte des irradiations et des contaminations internes qui touchent les victimes de catastrophes et d’accidents provenant d’installations nucléaires. Les impacts sanitaires de l’explosion d’une bombe ne sont pas comparables à ceux d’un accident nucléaire. Les effluents radioactifs d’une bombe sont dissémines dans l’atmosphère avec des effets à court terme alors que les retombées radioactives consécutives à un accident nucléaire restent locales et contaminent durablement les populations et les terrains touchés. Les bombes causent des irradiations immédiates dues à de fortes doses alors que les accidents provoquent des contaminations internes durables à effet différé avec des doses moyennes et faibles. La CIPR évite ainsi de traiter les conséquences sanitaires de la radioactivité sur les victimes de catastrophes civiles. On comprend mieux pourquoi toutes les victimes de Tchernobyl et de Fukushima ne sont pas reconnues comme telles et ni comptabilisées dans les bilans de mortalité et de morbidité officiels. La méthode permet d’éviter de traiter l’impact des faibles doses inférieures à 100mSv/an et les conséquences des contaminations internes. Cette stratégie conduit à éviter des dépenses sanitaires et des dédommagements qui n’ont plus lieu d’être puisqu’il n’y a pas officiellement de risque et donc une absence de dommage et de victime.

La dosimétrie mondiale est donc calculée sans tenir compte des études indépendantes sur les effets des faibles doses et les conséquences sanitaires de la contamination interne qu’elle refuse de reconnaître. Appliquer les connaissances recueillies sur les victimes d’une bombe aux victimes d’une catastrophe nucléaire n’est pas scientifique. Mais la science officielle continue à défendre l’indéfendable au nom d’un dogmatisme qui n’a plus rien à voir avec la science.

Comme par exemple l’OMS qui par la voix de Georges Hartl, son porte parole, répond aux questions du Journal suisse « Le Temps » du 28 mars 2011. À la question : Pouvez vous donner un ordre de grandeur sur les effets sanitaires de l’accident de Fukushima ? M. Hartl répond : « Après le bombardement atomique d’Hiroshima et de Nagasaki quelque 500 cas de cancers ont été́ signalés sur une population survivante d’environ 100 000 personnes  ».

Lorsque le journaliste s’étonne du silence de M. Hartl sur Tchernobyl et notamment sur le nombre de morts qui va de quelques dizaines de personnes (communiqué OMS, AIEA, PNUD du 5 septembre 2005 : une cinquantaine de morts) à plusieurs centaines de milliers selon des sources indépendantes, M. Hartl répond : « Nous, à l’OMS nous nous basons uniquement sur les faits avérés et la science ».

La “science“ de M. Hartl repose sur des bases et des protocoles d’analyses réalisés avant la découverte de l’ADN en 1953 alors que l’on sait depuis cette découverte que les effets des rayonnements ionisants influent principalement sur cette composante fondamentale du vivant.

La “science“ de M. Hartl ne tient pas compte les études réalisées sur l’instabilité génomique, les modifications du patrimoine génétique, ou l’effet de proximité ou “bystander effect“ qui constate que les faibles doses de radiations endommagent moins les cellules cibles directement visées que les cellules voisines qui ne sont pas initialement visées. Mais M. Hartl ne fait qu’appliquer la doctrine et les méthodes d’analyses dites “scientifiques“ de l’UNSCEAR et qui servent de référence aux normes recommandées par la CIPR et appliquées par les États. Dans son dernier rapport sur les effets des faibles doses « Mécanismes biologiques des rayonnements ionisants aux faibles doses » des 21 et 25 mai 2012 lors de sa 59é session, l’UNSCEAR, qui est la référence scientifique internationale en la matière, a évalué l’impact des faibles doses à partir des « a) études de populations irradiées à des doses modérées ou élevées (études épidémiologiques) comme les survivants d’Hiroshima et de Nagasaki et b) des études expérimentales qui examinent le mécanisme par lequel survient l’effet biologique ou la maladie, chez l’animal et dans des études de cellules en culture » .

Dans ce rapport on ne trouve aucune mention des effets des faibles doses qui contaminent par voie interne les populations victimes de Tchernobyl.

Le principe d’optimisation ou comment rendre le risque acceptable ?

Le problème qui se pose à la CIPR est de définir un niveau d’acceptabilité de la radioactivité par l’homme car elle postule qu’il ne peut pas s’en passer.

La solution au problème passe par l’adoption d’un principe de base appelé « principe d’optimisation » ou « As Low As Reasonably Achievable [1] ». En pratique ce « raisonnablement possible » va devenir « économiquement et socialement possible ».

Ce principe économique n’a aucune base scientifique et son application conduit à prendre en compte plusieurs données subjectives d’ordre social et financier dont la souplesse et l’adaptabilité vont occulter l’objectif premier de la radioprotection : la santé des populations et la préservation de leur environnement.

Extraits de la recommandation CIPR de 1972 : « Maintenir les expositions aussi bas que raisonnablement possible compte tenu des facteurs économiques et sociaux ». Des normes de radioprotection ainsi définies vont donc privilégier la santé du nucléaire au détriment de celle des populations.

Le Comité IV de la CIPR est plus spécialement chargé de l’application des normes de recommandation. Il a été crée en 1962. Son premier président, de 1962 à 1985, fut le docteur Henri Jamet, Chef du département de radioprotection du CEA de 1951 à 1996. Henri Jamet figure parmi les ardents promoteurs du principe d’optimisation.

En France les 6è journées sur l’optimisation de la radioprotection ou ALARA se sont déroulées à Saint-Malo les 11 et 12 juin 2014. Ces journées sont organisées tous les quatre ans depuis 1994 par la Société française de radioprotection (SFR) et par le Centre d’étude sur l’évaluation de la protection dans le domaine nucléaire (CEPN), associations en lien direct avec les promoteurs du nucléaire en France. Les membres du CEPN sont EDF, le CEA, AREVA, et l’IRSN. Il est présidé par l’économiste Jacques Lochard. L’objectif de ces journées, rappelé dans leur présentation, « est d’aborder tous les aspects relatifs aux enjeux de l’optimisation de la radioprotection […] en maintenant la vigilance pour que l’application ALARA perdure, voire soit renforcée. ». Les principaux intervenants de ces journées viennent du CEA, d’EDF, d’AREVA et de l’IRSN.

En appliquant de ce principe d’optimisation la CIPR va même jusqu’à considérer que la dose reste admissible bien qu’elle reconnaisse sa nocivité. La CIPR a fixé des niveaux de doses admissibles pour les populations et les travailleurs de 50 mSv/an en 1962, puis en 1977 de 50 mSv/an pour les travailleurs et 5mSv/an pour le public, et enfin en 1991 de 20 mSv/an pour les travailleurs et 1 mSv/an pour le public.

Or sa recommandation 60 datant de 1991, stipule qu’« il n’y a pas de seuil en dessous duquel il n’y a aucun effet » ce qui signifie que l’on ne peut fixer un seuil d’innocuité et que par conséquent la dose admissible devrait être nulle. Dans cette même recommandation 60, la CIPR reconnaît également que la radioactivité naturelle, bien que naturelle, n’est pas inoffensive. « Le rayonnement naturel n’est pas inoffensif […] l’irradiation naturelle ne fournit aucune justification pour réduire l’attention […] aux sources artificielles ».

La CIPR devrait donc conclure qu’au plan sanitaire et au regard de la science, toute dose, qu’elle soit d’origine artificielle ou naturelle et surtout quand les deux s’additionnent, doit donc être nulle. Mais elle se doit de tenir compte du principe d’optimisation qui lui commande de définir une dose admissible. Cette dose admissible n’a pas de fondement scientifique. Sa raison d’être est de nature économique. Elle considère donc normal de sacrifier une partie de la population dans le seul objectif de protéger l’industrie nucléaire. C’est inacceptable.

Les mécanismes “scientifiques“ du mensonge

La contamination interne qui est la principale cause de morbidité et de mortalité due aux rayonnements ionisants n’est pas retenue dans les analyses scientifiques officielles de l’UNSCEAR destinées à définir les normes de radioprotection. Pourquoi ?

Les effets sanitaires des rayonnements peuvent être de deux natures. Ils sont déterministes ou stochastiques (probabilistes, aléatoires). Les effets déterministes sont aussi appelés « ciblés ». Ils sont causés par de fortes doses avec des lésions quasi immédiates proportionnelles aux doses reçues.

Les effets stochastiques sont aussi appelés « non ciblés ». À la différence des effets déterministes ils sont causés par de faibles doses avec des lésions radio induites tardives uniquement liées à la biologie des victimes indépendamment de la dose initiale reçue. Les mécanismes des premiers sont du ressort de la physique classique qui est de nature déterministe alors que les seconds ne peuvent être analysés qu’à partir des données de la physique quantique des atomes et des particules qui elle, est de nature probabiliste.

Le Dr Abraham Behar, membre de l’Association des médecins français pour la prévention de la guerre nucléaire (AMFPGM) explique le raisonnement de l’UNSCEAR (La Gazette nucléaire N°241/242- Journal du GSIEN).

« Pour les autorités internationales, le dogme central de la radiologie est basé sur les effets des rayonnements ionisants sur l’ADN des chromosomes situés dans le noyau de la cellule. Les effets sur la cellule sont fonction de la dose de radioactivité reçue.

Depuis plusieurs années, des publications ont mis en évidence des phénomènes nouveaux, comme l’instabilité génomique et l’effet de proximité, qui remettent en cause la théorie de la cellule ciblée.

Devant l’accumulation de ces publications, le rapport 2006 de l’UNSCEAR, qui fait autorité sur ce sujet, commence sérieusement à aborder les effets non ciblés quand il remarque que « les effets non ciblés ne sont pas en rapport avec un dépôt d’énergie au niveau du noyau de la cellule, phénomène qui constituait jusqu’à récemment le dogme central de la radiologie classique. » Les effets non ciblés ne sont donc pas des phénomènes proportionnels à la dose reçue. Il est par conséquent nécessaire de refaire le point sur les effets non ciblés. Mais un avertissement préalable est nécessaire pour l’UNSCEAR qui signale que « les conclusions du rapport peuvent avoir des incidences au plan socioéconomique, car on assiste dans plusieurs pays et depuis quelques temps à de nombreuses requêtes de compensations pour les maladies de nature cancéreuse ou non que les plaignants attribuent à l’exposition aux rayonnements. » Abraham Behar conclut par cet avertissement : «  Amis victimes des essais nucléaires de l’AVEN (Association des victimes des essais nucléaires), simples gens d’Ukraine et du Belarus vivant autour de Tchernobyl, Hibakushas du Japon, vous voilà prévenus : S’appuyer sur la nouvelle radiobiologie est subversif, témoigner preuves à l’appui de la réalité des lésions radio induites est insupportable...pour l’économie mondiale. »

Vouloir appliquer les critères des effets déterministes aux conséquences sanitaires d’effets probabilistes est un tour de passe-passe et une falsification scientifique qui a pour but de cacher les conséquences sanitaires d’une catastrophe nucléaire. Nous dépassons ici le stade du mensonge, il s’agit d’une véritable manipulation qui n’a plus rien à voir avec la science.

D’autres moyens dits “scientifiques“ vont être utilisés par les grands prêtres du nucléaire. Le modèle de référence de la CIPR détermine des doses individuelles sur la base de données statistiques moyennes, sans différencier les âges des victimes alors que les fœtus, nouveaux nés, enfants, sont plus radiosensibles que les adultes. Ce modèle détermine les doses à partir d’un nombre restreint de radionucléides alors que 80 d’entre eux se disséminent dans la nature en cas d’accident nucléaire et il ne tient pas compte de leurs interactions.

Une alternative : le modèle biologique du Comité européen sur le risque d’irradiation (CERI)

Pour mettre fin à la controverse sur les faibles doses le groupe des Verts au Parlement européen de Bruxelles est à l’initiative de la création du CERI qui été constitué en 1977 pour étudier les effets sanitaires de l’exposition aux faibles doses de radiation ionisante à des fins de radio protection. L’objectif du Comité est de refuser toute idée préconçue à propos des connaissances scientifiques acquises et de rester indépendant des commissions d’évaluation telles que la CIPR et l’UNSCEAR.

Les lignes qui suivent sont extraites des Recommandations 2003 du CERI sur le risque de l’irradiation. Elles expliquent l’origine et les effets du modèle d’évaluation de la CIPR.

« Le précurseur de la CIPR était le Conseil national américain de protection contre les radiations (NCPR). Les deux plus importantes commissions du NCPR étaient la Commission 1 sur les limites de radiations externes, et la Commission 2 sur les risques de radiations internes […] La Commission 2 éprouvait beaucoup de difficultés pour déterminer les doses et les risques dus aux nombreux radio isotopes […] Cette difficulté s’expliquait en partie par le manque de connaissances à l’époque (l’ADN ne fut découvert qu’en 1953) […] Le NCPR s’est lassé d’attendre et en 1951, son comité exécutif mis un terme aux discussions de la Commission 2. C’est à cette époque que la boîte noire du risque radiatif fut scellée […]. Le problème réside dans le fait qu’aujourd’hui, c’est toujours la même boîte noire qui est utilisée pour le risque radiatif, base du modèle employé par la CIPR…  »

Ainsi depuis 1951 seules sont prises en compte les données scientifiques relatives aux irradiations externes qui relevaient de la Commission 1. Les données relatives aux contaminations internes, qui relevaient de la Commission 2, sont encore à l’étude.

C’est donc toujours cette même boîte noire qui permet de taire l’impact des faibles doses et de décrédibiliser toutes les études scientifiques indépendantes. C’est elle qui permet à la CIPR de ne retenir, dans sa recommandation 103 de 2007, que l’effet des rayonnements sur les victimes de Tchernobyl et de Fukushima résulte de la seule épidémiologie des survivants d’Hiroshima et de Nagasaki.

Ce sont donc deux méthodes d’analyses qui s’opposent.

 Le modèle classique basé sur la physique et développé avant la découverte de l’ADN en 1953. Il est mathématique, simpliste, descriptif et comme le souligne le CERI : « ce modèle ne ferait pas la distinction entre l’énergie moyenne transférée à un homme se chauffant devant un feu et un homme qui mangerait du charbon ardent ». C’est le modèle utilisé par la CIPR.

  Le modèle biologique, préconisé par le CERI, qui considère chaque type d’exposition selon la structure de la trace dans l’espace et le temps. Il se base sur toutes les données épidémiologiques disponibles et introduit pour le calcul des doses reçues des facteurs de pondérations biologiques et biophysiques qui rendent compte des effets au niveau cellulaire pour tous les types de contamination. Il est biologique, inductif, spécifique et complexe. Il permet d’étudier les effets d’une contamination par des particules microscopiques qui se révèlent 100 à 1 000 fois plus graves que ce qui est prévu par les calculs de la CIPR.

Le CERI considère que pour les doses externes supérieures à 100mSv/an le modèle CIPR est applicable mais devient très approximatif en dessous de cette limite et que pour les doses internes il est inapplicable.

Il conclut qu’ : « en ce qui concerne les doses de radiations internes le modèle classique utilise de manière abusive des données provenant d’un ensemble de conditions - expositions externes, doses élevées et aigües - à un modèle d’exposition interne de faibles doses chroniques ; la procédure est scientifiquement erronée, et s’il n’y avait pas des raisons politiques, elle aurait du être rejetée depuis longtemps » et plus loin « L’utilisation des études de cas d’irradiations externes pour élaborer le modèle de risque pour les expositions internes atteste du caractère erroné du modèle de risque CIPR ».

C’est pourtant le modèle du CIPR qui continue à servir de référence pour justifier des prises de positions officielles sur les conséquences sanitaires de catastrophes nucléaires dans les réunions internationales.

Exemples de dérives et utilisations du modèle du CIPR

Lors de la conférence de l’OMS de Kiev du 4 au 8 juin 2001, « Les Conséquences médicales de la catastrophe de Tchernobyl », la télévision suisse a filmé et enregistré les débats [2]. Des extraits des interventions de Abel Gonzalez (AIEA) et Wolfgang Gentner (UNSCEAR) sont reproduits ci-après. M. Gonzales : « Nous avons lancé un grand programme pour vérifier sérieusement combien de personnes avaient été exposées aux radiations. Ces données ont été contrôlées dans les laboratoires de Los Alamos et aussi du CEA français. La conclusion qu’on pouvait en tirer était que les niveaux de contamination révélés par nos mesures étaient très inférieurs à ce qui était prévu par les estimations des modèles théoriques. La question à 1 million de dollars est la suivante : les effets prévisibles qui ne peuvent être détectés, sont ils réels bien que non détectables ? Ma réponse est la suivante : il s’agit d’un problème insoluble. Il n’y a aucun moyen de connaissance directe à ce niveau. Nous ne savons pas. Pour conclure Tchernobyl a causé environ 30 morts… et 2 000 cancers de la thyroïde évitables chez l’enfant. »

M. Gonzales était alors directeur de l’AIEA, vice président de la CIPR, directeur de l’Agence de radioprotection argentine, délégué de l’Argentine et de l’AIEA à l’UNSCEAR et à l’OMS.

M. Gentner : « Pour ceux qui croient, aucune explication n’est nécessaire. Pour ceux qui ne croient pas aucune explication n’est possible. Nous espérons nous reposer sur des bases scientifiques sans jouer sur les émotions, mais en utilisant les données les plus rigoureuses possibles pour que la population et les décideurs puissent avoir une information véridique. »

Lors de la conférence de l’AIEA de Vienne du 25 au 29 août 1986, M. Morris Rosen, directeur de la sureté de l’AIEA avait déclaré en parlant de Tchernobyl : « Même si un accident de ce type avait lieu chaque année, je continuerais de considérer l’énergie nucléaire comme une source d’énergie intéressante ».

Après la catastrophe de Fukushima le professeur Shunichi Yamashita a déclaré le 21 mars 2011 dans un discours à l’université de Médecine de Nagasaki que : « Pour dire la vérité, les radiations n’affectent pas les gens qui sourient, mais ceux qui sont soucieux. Cela a été clairement démontré par des études sur des animaux.  »

Shunichi Yamashita est professeur à l’université de Nagasaki (médecine moléculaire et recherche sur la radioactivité), conseiller à la gestion des risques de santé dus aux radiations dans la Préfecture de Fukushima et membre du département de recherche internationale sur la santé les radiations et la médecine moléculaire de l’Atomic Bomb Disease Institut.

Il déclarait le 24 mars 2011 que « les radiations n’ont absolument aucun effet sur la santé tant que la contamination est inférieure à 100 mSv par heure ».

Un rapport publié dans le bulletin de l’AIEA d’avril 1987 concluait au sujet de la santé des victimes de Tchernobyl que : « la tension et l’état de stress chronique sont la cause du syndrome de radio phobie affectant une partie de la population ; dans la situation actuelle de radiations elles peuvent même faire peser une menace sur la santé plus grande que l’exposition aux radiations elles-mêmes  ».

Ce sont des arguments comparables qui permettent à l’OMS, l’AIEA et le PNUD dans leur communiqué du 5 septembre 2005 de conclure que le bilan définitif des décès consécutifs à Tchernobyl serait de 4 000 personnes au total et dont moins d’une cinquantaine étaient décédées à la fin du 1er semestre 2005.

Pourtant le livre Tchernobyl : Conséquences de la catastrophe pour la population et l’environnement de Alexey V. Yablokov, de Vassili B. et Alexey V. Nesterenko et de Natalia E. Preobrajenskaya, publié en 2009 par l’Académie des Sciences de New-York, et qui synthétise près de 500 études résumées, 800 références et 5 500 articles et recherches de terrain, estime ce bilan à 985 000 morts de 1986 à 2004, ce chiffre ne pouvant qu’augmenter. À partir de son modèle biologique le CERI a fait une estimation des effets des rayonnements ionisants sur la santé mondiale jusqu’en 2000. Le CERI évalue à 61 619 512 de morts par cancers, quand avec le modèle du CIPR ce chiffre serait de 1 173 606 soient 50 fois plus faibles ! Ces écarts importants s’expliquent par la volonté délibérée de cacher les effets délétères des faibles doses alors qu’ils sont de plus en plus reconnus par des équipes de recherche indépendantes. (voir ci joint liste d’études).

L’Institut de Radioprotection et de Sureté Nucléaire (IRSN) prétend également qu’il n’y a pas lieu de remettre en cause le système actuel de radioprotection bien qu’il reconnaisse sur son site que « Les recherches menées dans le cadre du programme européen Risc-Rad, ainsi que celles menées par les acteurs des programmes internationaux sur les faibles doses, montrent que la nature des réponses biologiques induites par de faibles doses d’irradiation présente des différences avec celle des réponses induites par de fortes doses d’irradiation. Elles montrent également la diversité des relations dose-effet selon le mécanisme observé et l’importance des prédispositions génétiques dans la sensibilité individuelle aux faibles doses d’irradiation ». Pour aboutir au constat que : « Bien que ces résultats ne remettent pas en cause les normes de radioprotections actuelles, il reste indispensable de continuer à apporter de nouvelles données pour mieux comprendre ces effets biologiques complexes. » Pour faire bonne figure des équipes de scientifiques officiels travaillent sur ces nouvelles données.

L’IRSN a lancé EPICE en 2005 pour vérifier s’il existe un lien entre le césium et les pathologies infantiles de Tchernobyl, puis ENVIRHOM en 2011, pour évaluer les risques liés à l’exposition chronique des radioéléments sur la santé et l’environnement.

Au plan européen, on peut noter l’existence du High level experting group on european low dose risk research, regroupement de six groupes d’experts sur les faibles doses, de la Multidisciplinary european low dose initiative, plate forme européenne sur la recherche sur les faibles doses, du DOREMI (Low dose research towards multidisciplinary integration), réseau d’excellence pour préparer Melodi. Ces regroupements d’experts sont liés entre eux et se citent mutuellement, à l’image de ce qui se passe au niveau mondial où règne la cooptation entre les membres de la CIPR, de l’UNSCEAR, de l’AIEA et de l’OMS. Et ne sont cités dans les rapports et les sites officiels que les rapports et les sites financés par les organismes officiels.

Malgré une amorce de reconnaissance officielle du bien fondé de la controverse, un réseau d’experts traditionnellement lié à l’industrie nucléaire – principalement en France – continue de s’approprier les termes du débat, abuse du doute scientifique et refuse d’appliquer le modèle du CERI. Les attaques auxquelles sont soumis les chercheurs indépendants continuent à aller du simple boycott au dénigrement systématique et tous celles et ceux dont les études vont dans le sens d’une réduction des normes sont considérés comme des opposants classés sur liste noire.

Le culte du doute et la fabrique de l’incertitude

Continuer à analyser des effets probabilistes à l’aide de raisonnements déterministes c’est s’assurer que l’on ne pourra pas faire la preuve qu’un cancer est radio induit. Sachant que les causes d’un cancer sont multi factorielles, les causes chimiques et électro magnétiques vont venir compliquer la recherche du lien de cause à effet entre cancer et radioactivité, rendant la preuve d’une origine radiologique quasiment impossible à démontrer. Le culte du doute érigé en paradigme explique les dissimulations et les mensonges sur les conséquences sanitaires des risques industriels. Il tend à les justifier comme le démontre Annie Thébaud Mony dans son livre La science asservie, Éditions La Découverte, 2012.

Une stratégie organisée par les dirigeants des groupes industriels concernés va conduire ce paradigme, la culture du doute, pour faire surgir l’incertitude au nom de la science. De véritables stratégies d’influence vont faire piloter les recherches sur les effets sanitaires des risques industriels par des scientifiques à la solde de l’industrie et des États.

Pour Pierre Bourdieu, le paradigme est l’équivalent d’un langage ou d’une culture. Pour d’autres c’est un modèle ou un schéma accepté. Le paradigme du doute va permettre à des scientifiques de mettre en doute indéfiniment les effets sanitaires de substances toxiques.

La complexité du vivant résistera toujours à des analyses simples basées sur de seules relations de cause à effet. Surtout en matière nucléaire où le niveau de complexité atteint des sommets. Il est quasiment impossible de faire la preuve formelle d’un lien de causalité entre un cancer radio induit et son origine. Cette stratégie du doute va permettre aux industriels et également aux États, principaux lobbyistes dans le domaine du nucléaire, de ne pas être considérés comme responsables de dommages dont ils sont la cause.

Les scientifiques américains du projet Manhattan qui étaient impliqués dans les questions sanitaires sont les précurseurs de ce culte du doute utilisé à des fins politiques. Comme l’écrit Annie Thébaud Mony dans son livre précité, ils «  ont obtempéré à l’injonction des autorités militaires et gouvernementales américaines : non pas d’organiser une connaissance rigoureuse des effets observés, mais d’asseoir scientifiquement le mensonge délibéré de l’existence d’une dose tolérable, assorti d’un habillage que médecins et chercheurs en sciences humaines qui se sont appropriés concernant l’émergence – virtuelle – d’un phénomène collectif de radiophobie.  »

Dans notre monde actuel l’arme du doute est sélective en matière de santé associée au nucléaire. Le lobby nucléaire est certain que la peur des rayons rend malade et tue, mais incertain quand à leur nocivité. Cet aspect sélectif montre bien la subjectivité d’analyse qui donne libre cours à des mensonges qu’Annie Thébaud Mony décrit comme suit : « Ces différentes facettes du mensonge sont portées en France (et dans les autres pays nucléarisés) par quelques médecins ou scientifiques prestigieux, qui ont grandement contribué à assurer la substitution d’un mensonge par un autre, à l’aide d’une alliance sans faille entre les industriels du nucléaire, les États nucléarisés et les instances internationales (CIPR, AIEA et OMS). Cette alliance soutient la poursuite du déni scientifique de la toxicité des radiations à faible dose, la banalisation des conséquences sanitaires de la catastrophe nucléaire de Tchernobyl (1986), puis celle de Fukushima (2011), et enfin la constitution d’un précariat [3] de travailleurs sacrifiés garantissant l’invisibilité des victimes professionnelles de l’industrie nucléaire civile et militaire. »

Le culte du doute sera servi également par des choix politiques qui protègent de moins en moins notre santé.

Des normes de moins en moins protectrices

Les normes internationales de la CIPR pour protéger la santé contre les dangers de la radioactivité recommandent actuellement la dose maximale admissible de 1mSv/an pour les populations et 20mSv/an pour les travailleurs du nucléaire. Après la catastrophe de Tchernobyl, les autorités (AIEA, OMS, États concernés) ont estimé que le niveau de dose pour vivre en milieu contaminé ne devait pas dépasser 5mSv/an, soit 5 fois plus.

Après la catastrophe de Fukushima il est passé à 20mSv/an, soit 20 fois plus. En deçà de 20 mSv/an les territoires sont réputés habitables et aucune indemnisation n’est prévue pour les familles qui reviennent dans leur habitat. La politique internationale post Fukushima a conduit les États à suivre ces dérives notamment en Europe où depuis plusieurs décennies on cherchait à harmoniser et réglementer des valeurs de contamination acceptables dans tous les pays de l’Union. La directive Euratom 2013/59 publiée en 2014 propose donc à l’exemple du Japon qu’en cas d’accident nucléaire la dose admissible pour les populations soit comprise entre 20 et 100mSv/an tant que l’accident n’est pas maîtrisé et de 1 à 20mSv/an après l’accident. La France a transposé cette directive en droit français par décret du 4 juin 2018 en fixant les références de doses aux niveaux les plus élevés soit 100 et 20mSv/an. Comme le fait remarquer la Commission de recherche et d’information indépendantes sur la radioactivité (CRIIRAD) « conformément aux recommandations de la CIPR et aux prescriptions de la directive Euratom, aucune limite n’est fixée, ni pour les situations accidentelles et ni pour la pollution à long terme qu’elles génèrent, mais de simples références de dose que les autorités prendront en compte pour définir leur stratégie et décider des mesures de protection à mettre en œuvre (ou pas). Des groupes de population pourront être exposés à des doses de rayonnements supérieures aux références sans avoir de recours. » [4] La notion de limite de dose étant remplacée par une simple référence laissera toute liberté aux autorités pour adapter leur décision au contexte.

Concernant les niveaux maximaux admissibles de contamination radioactive pour les denrées alimentaires et les aliments pour animaux après un accident nucléaire, la CRIIRAD a examiné le nouveau règlement européen Euratom 2016/52 entré en vigueur le 9 février 2016. « Pour l’essentiel il reprend hélas les limites définies en 1987-1990, les mêmes catégories d’aliments, les mêmes groupes de radionucléides et les mêmes limites… il aurait fallu aller bien plus loin pour protéger les enfants en bas âge, les plus vulnérables à la radioactivité. » [5].

Mais les experts en radioprotection de l’Euratom – tous liés à l’industrie nucléaire – ont choisis d’autoriser des valeurs élevées, conformes aux règles de calcul de la CIPR, pour pouvoir utiliser au maximum les aliments disponibles sur place.

Plus les doses sont élevées, moindre seront les dépenses liées à la protection sanitaire et à l’indemnisation des dommages. Ce choix est cohérent avec le plafonnement des indemnités prévues pour les victimes d’accidents nucléaires.

Une réglementation d’exception qui déresponsabilise le nucléaire

Dans le monde, les États ont mis en place une réglementation d’exception pour l’exploitation de l’industrie nucléaire notamment en matière de responsabilité en cas d’accident.

Les États-Unis les premiers ont dès 1957 promulgué la loi Price Anderson qui prévoit une limitation de responsabilité civile de l’exploitant en cas d’accident, doublée d’un plafond assurantiel.

Cette loi récemment prorogée jusqu’en 2025 permet de dispenser l’industrie nucléaire de respecter le droit commun de la responsabilité civile qui prévoit que tout dommage causé à autrui oblige son auteur à réparation envers la victime de ce dommage.

Cette réglementation d’exception a ensuite été appliquée en Europe avec la Convention de Paris de 1960, complétée par la Convention de Bruxelles de 1963.

La Convention de Paris du 29 juillet 1960 sur la responsabilité civile dans le domaine de l’énergie nucléaire et signée par tous les États de l’OCDE prévoit à son article 7 que « le total des indemnités payables pour un dommage causé par un accident nucléaire ne peut dépasser un montant maximum ».

En application de cette Convention, l’article 4 de la loi française du 30 octobre 1968 relative à la responsabilité civile dans le domaine de l’énergie nucléaire prévoit que « le montant maximum de la responsabilité de l’exploitant est fixé à 91 469 410,34 € pour un même accident nucléaire ». On notera au passage le ridicule de la précision que l’on arrondira à 91,5.

Un protocole modificatif à la convention de Paris de 2004 est en cours de ratification par les Etats de l’OCDE. Il vise à augmenter les plafonds assurantiels de l’exploitant nucléaire, de l’Etat d’accueil et des États signataires de la Convention de Paris.

Le projet de protocole modificatif de 2004 à la Convention de Paris porte la limite de responsabilité de l’exploitant de 91,5 à 700 millions d’€. La deuxième tranche, à la charge de l’État dans lequel l’accident se produit, a été portée de 108 à 500 millions d’€. Enfin, la troisième tranche, qui correspond à la contribution de tous les États contractants, a été portée de 140 à 300 millions d’€. Cette nouvelle garantie, encore en projet, s’élève donc au total à 1,5 milliards d’€ contre les 340 millions initialement prévus.

En France la loi relative à la transition énergétique du 18 août 2015 a déjà acté la limite obligatoire de couverture en responsabilité civile de l’exploitant nucléaire de 91,5 à 700 millions d’€.

Comme le souligne Corinne Lepage, avocate, députée européenne et ancienne ministre de l’environnement, dans son livre : La vérité sur le nucléaire, Éditions Albin Michel 2011 : « Prudents, les États qui ont adopté l’énergie nucléaire ont osé limiter à un niveau ridicule le montant total des sommes versées en cas d’accident nucléaire. La somme globale avoisine le 1,5 milliards d’€, niveau très inférieur à celui prévu par le FIPOL (le fond pétrolier) et, pour dire les choses franchement ce plafond est scandaleux. À titre de comparaison, la Suisse a évalué à 4 000 milliards d’€ le coût d’un accident nucléaire. Un plafond d’indemnisation aussi bas a pu être obtenu parce que le rapport des forces était en faveur du nucléaire. »

En France, le coût d’une catastrophe nucléaire varie de 760 milliards [6] à 5800 milliards [7] . Dans les deux estimations le coût des conséquences sanitaires est négligeable (moins de 2,5%). Pour l’IRSN : « la victime de l’accident c’est l’économie française ». On peut dire qu’au scandale du principe de plafonnement s’ajoute celui de sa ridicule modicité.

Rappelons en outre que les risques nucléaires sont exclus des contrats d’assurances des particuliers et restent donc à leur charge. En cas de catastrophe nucléaire on aura donc compris qu’il faut limiter les frais… Rassurons nous, en France tout est prévu pour continuer à vivre en milieu contaminé à moindre frais.

Le CODIRPA ou guide pour vivre en milieu contaminé

La Commission européenne pour l’évaluation des conséquences de Tchernobyl a lancé le programme ETHOS en 1996 (en grec « ethos » signifie meurs, habitudes, coutumes) qu’elle a confié à MUTADIS, cabinet privé spécialisé dans la gestion des activités à risques, et au Centre d’étude sur l’évaluation de la protection dans le domaine nucléaire (CEPN) composé de qutre membres : EDF, CEA, AREVA et IRSN.

Le projet ETHOS dirigé par Jacques Lochard, directeur du CEPN, est destiné à étudier l’acquisition de nouvelles habitudes et la faculté de résilience des populations vivant en milieu contaminé dans des villages biélorusses.

Le parcours professionnel de Jacques Lochard est éclairant sur la place majeure prise par le lobby nucléaire français dans les structures internationales de la radioprotection. Entré en 1977 au CEPN crée un an avant, il n’est ni biologiste, ni médecin, ni physicien mais seulement économiste, spécialiste de l’optimisation entre coûts et avantages. Il va gravir tous les échelons du CEPN pour en devenir directeur en 1989, puis s’installer dans différents comités de la CIPR, dont la présidence en 2009 du Comité 4 chargé des recommandations puis vice président de la CIPR depuis 2013. Avec cette double casquette CEPN/CIPR, on le retrouve à Tchernobyl, à Fukushima, et en France avec le Codirpa. Sous l’apparence bienveillante d’un homme de dialogue se cache la rationalité économique au profit des intérêts du lobby nucléaire.

Selon ETHOS, les victimes doivent vaincre leur fatalisme, retrouver confiance et devenir autonomes. Une culture radiologique destinée à faire accepter de vivre en milieu contaminé va être inculquée aux populations. Les objectifs principaux sont d’une part, l’individualisation des risques car la gestion post accidentelle observée en Biélorussie est ingérable par les pouvoirs publics, et d’autre part, la normalisation de l’après catastrophe.

Dans son livre Le crime de Tchernobyl Wladimir Tchertkoff révèle que le projet ETHOS s’est appuyé sur les Centres locaux de contrôle radiologique des produits alimentaires de Vassily Nesterenko, directeur de l’Institut indépendant BELRAD, pour venir en aide aux enfants en contrôlant leur radioactivité et en les soignant par des cures de pectine pour éliminer les radionucléides de leur corps. « Soutenu politiquement et financièrement par le lobby nucléaire, ETHOS s’occupait en apparence des problèmes causés par la catastrophe de Tchernobyl  ». Afin d’observer “scientifiquement“ les effets de la radioactivité sur les enfants ETHOS s’opposait aux cures de pectine qui nuisent à cette observation. « La pureté biologique des enfants cobayes restait ainsi inaltérée ».

En Europe

La démarche participative et durable d’ETHOS inspire rapidement les organismes internationaux qui vont s’appuyer sur ses conclusions et la renforcer en lançant le programme Coopération par la Réhabilitation des conditions de vie dans les territoires contaminés de Biélorussie (CORE). Lancée en 2003, CORE est destinée à déployer ETHOS sur d’autres districts biélorusses touchés par la contamination. CORE est financé par la Commission européenne, la France, la Suisse, la Biélorussie et quelques agences onusiennes. Il promeut l’engagement de la société civile pour une « réhabilitation durable » d’une « situation complexe ». En 2002, peu avant le lancement de CORE, un projet européen est également lancé en vue d’élaborer un guide de culture radiologique pour le grand public. Ce projet appelé SAGE, va appliquer à l’Europe les recommandations d’ETHOS et de CORE.

Pour la première fois en Europe, on reconnaît officiellement que l’hypothèse d’un accident grave dans une installation nucléaire européenne est possible. Le projet SAGE se veut participatif pour permettre à tous les acteurs de « se réapproprier le problème de la gestion de leurs futurs ». Le guide du SAGE s’applique seulement aux régions rurales et ne prend en compte que la contamination par le césium 137. C’est un dispositif à double volet. Pédagogique pour habituer les gens au changement des conditions de vie après une catastrophe, et responsabilisation pour que les populations prennent conscience de leur rôle actif dans la phase post accidentelle.

Au Japon

Au Japon, l’association nommée « Ethos in Fukushima », fondée en 2011 à Iwaki et dirigée par Ryoko Ando, collabore avec le gouvernement japonais. Les professeurs Otsura Niwa et Nobuhiko Ban font partie de l’équipe de réflexion gouvernementale. Ils sont tous deux membres de la CIPR et ont des liens étroits avec Jacques Lochard.

En France

Le projet européen SAGE sera suivi en France du projet PAREX (post accidentel retour d’expérience). Lancé en 2005 par l’ASN, PAREX est confiée à MUTADIS et au CEPN. En 2005, PAREX débouche sur la mise en place par l’ASN du Comité directeur pour la gestion de la phase post accidentelle d’un accident nucléaire ou d’une situation d’urgence radiologique (CODIRPA). Il est chargé d’élaborer la conduite à suivre en cas d’accident nucléaire. Le 21 novembre 2012, l’ASN a publié les premiers éléments de la doctrine de gestion post accidentelle d’un accident nucléaire en France. Bien que les accidents de Tchernobyl et de Fukushima soient cités à plusieurs reprises, le CODIRPA n’aborde pas de telles catastrophes et ne s’intéresse pour l’instant qu’à « un accident d’ampleur modérée entrainant des rejets de courtes durée (moins de 24 heures) avec un retour rapide dans un état sûr de l’installation ».

Concernant ses réponses aux enjeux sanitaires le CODIRPA se base sur les modélisations de la CIPR pour évaluer les effets des rayonnements ionisants. Les préconisations de doctrine du CODIRPA considèrent que la gestion post accidentelle doit impliquer les acteurs locaux de façon transparente « en amont de l’accident dès le stade de la préparation, dans les réflexions sur les stratégies de gestion des conséquences de l’accident ». Pour que les populations puissent continuer ou revenir vivre en milieu contaminé, le CODIRPA estime que « cela suppose que les acteurs locaux soient impliqués dans cette décision et en capacité d’agir pour améliorer l’état radiologique de leur environnement, pour assurer leur protection et le maintien, voire le développement d’activités économiques et sociales au sein du territoire ».

Alors, ils font appel aux victimes, les responsabilisent en les laissant décider de leur sort. C’est la politique du « Aide toi toi-même » en cas de catastrophe nucléaire, inscrite dans une logique de territoire que l’on peut constater dans les plans d’évaluation de risque, guides d’aide à la décision et autres bonnes pratiques consultables sur les sites de l’IRSN et de l’ASN.

Les dernières recommandations du CODIRPA ont été publiées par l’ASN le 14 juin 2019 et depuis le 9 mars 2020, une rubrique du site de l’ASN annonce que « la gestion post accidentelle d’un accident nucléaire nécessite l’engagement de l’ensemble des acteurs de la vie locale dans leur champ de responsabilité : les élus en tant que premier échelon de la sécurité civile sur le territoire, les professionnels de santé pour le suivi médical des personnes, les agriculteurs et chefs d’entreprise pour les activités économiques, les personnels de l’éducation pour la transmission des savoirs et les membres associatifs pour la concertation locale ». On arrive à la phase finale du processus de déresponsabilisation du lobby nucléaire. À noter que par lettre du 18 juin 2020 adressée au président de l’ASN le 1er ministre Edouard Philippe a demandé une mise à jour du CODIRPA pour fin 2020 avec mandat de le poursuivre jusqu’en 2024. Il est demandé à l’ASN de favoriser encore mieux la résilience des populations en améliorant une culture de radioprotection en relation avec le ministère de la Défense (SGDSN, Secrétariat Général de la Défense et de la Sécurité Nationale) et de développer le CODIRPA à l’international.

Oyez braves gens de France et d’ailleurs !

Tout est prévu en cas de catastrophe nucléaire. Pendant la phase d’alerte on vous distribuera des pastilles d’iode et des conserves, vous resterez tranquillement chez vous jusqu’à nouvel ordre et puis on vous évacuera. N’écoutez que les informations préfectorales sur les conduites à tenir. Tout agissement contraire sera sévèrement puni. Ayez confiance envers les autorités chargées de votre santé. Des médecins spécialistes en radioprotection seront à votre disposition et vous expliqueront que vous ne craignez rien en dessous du débit de dose qui vous sera communiqué.

Une fois la décrue radioactive constatée et après décontamination de votre domicile à la charge de l’État il vous sera permis de revenir chez vous sans problèmes, sauf bien sur si vous ne respectez pas les consignes élémentaires qui vous ont été prescrites pour vous autoriser à vivre en milieu contaminé. Les médias gouvernementaux vous rappelleront régulièrement les gestes barrières à respecter. Sous ces conditions, le groupe d’experts en radioprotection est certain que votre organisme s’adaptera et que vous et vos enfants vous habituerez rapidement à votre nouveau cadre de vie.

Votre responsabilité sera engagée si vous ne respectez pas les consignes de sécurité obligatoires à appliquer en milieu contaminé. Des anges gardiens nucléaires veilleront à leur bonne application. Nous comptons aussi sur votre civisme pour les faire respecter.

À toute heure du jour et de la nuit l’armée se tient à votre disposition pour vous aider dans cette période de résilience et répondre à toutes vos questions. Aussi ne faîtes jamais le 15 en cas d’urgence sanitaire mais le 22. Des médecins et des nutritionnistes militaires seuls assermentés et compétents répondront à vos appels et vous apporteront les conseils et soins adaptés à vos besoins.

Enfin par mesure de solidarité avec les producteurs de votre région et pour rapidement retrouver la vie d’avant nous vous incitons à ne consommer que des produits locaux faiblement contaminés conformément aux normes officielles en privilégiant les circuits courts pour relancer notre économie. Nous comptons beaucoup sur vous.

En 1982, lors d’une audition devant le Congrès américain l’amiral Hyman Rickover, ingénieur en chef de la 1é centrale nucléaire américaine de Shippingport en Pennsylvanie déclare en réponse à une question sur le développement du nucléaire : « Il y a deux milliards d’années, la vie n’existait pas sur la terre à cause des radiations. Avec la puissance nucléaire nous créons quelque chose que la nature a essayé de détruire pour rendre la vie possible. Je crois que l’espèce humaine va provoquer son propre naufrage. Je ne crois pas que la puissance nucléaire vaille la peine si elle génère du rayonnement ». La même année dans une note sur les faibles doses à l’attention des victimes de la catastrophe de Three Mile Island, Alice Mary Stewart le rejoint quand elle écrit : « La vie a du attendre que l’intensité de la radioactivité à la surface du sol ait décru jusqu’aux niveaux actuels. Après la découverte de la fission nucléaire il y eut un accroissement de rayonnements. Le problème actuel, héritage direct de la deuxième guerre mondiale, est d’empêcher qu’un processus inverse puisse causer d’irréparables dommages aux forces de vie »

Le nucléaire militaire qui rejoint le nucléaire civil on connaissait, mais pas comme ça… C’est encourageant pour la suite pour éviter de subir la demie vie nucléaire.

Références études sur les faibles doses

 Cardis E. 2007. The 15 country collaborative study of cancer risk among radiation workers in the nuclear industry. Radiaf Res ; 167(4). 396-416.

 Little MP. 2012. Meta analysis of circulatory disease from exposure to low level ionizing radiation. Environ health perspect. ;120 (11).1503-11.

 Laurier D. 2015. Les avancées de la connaissance épidémiologique sur les faibles doses. Congrès national de radioprotection. SFRP. Reims.

 Etude internationale INWORKS. 2015. Risques de cancer des travailleurs du nucléaire. CICR. 2015.

 Bhatti. 2010. Influence des faibles doses en dessous de 20mSv.

 BEIR. 1990. The health effects of exposure to low levels of ionising radiation. Beir V.

 Bertell R. 1975. Written testimony on the hazards of low level radiation. US congress Washington 6/8/1975.

 Bertell R. 1995. Low level radiation exposure effects in the tri-state leukemia survey. Proceeds of the international congress Berlin.

 Bramhall R. (ed) 1997. The health effects of low level radiation. Proceedings of a symposium held at the house of commons.

 Busby CC. 1992. Low level radiation from the nuclearyindustry : the biological conséquences. Aberystwyth : green audit.

 Busby CC. 2002. High risks at low doses. Proceedings of 4th international conférence on the effects of low level radiation. Oxford.

 Cardis E. et al...1995. Effects of low doses : cancer mortality among nuclear industry workers in three countries. Radiat Res 142,117-142.

 Clarke RH. 1999. Control of low level radiation exposure. Radiol Prot. Vol 19 No 2 107-115.

 Goncharova RI. 2000. Remote consequences of the Tchernobyl disaster : Assessment after 13 years. In low doses of radiation : are they dangerous ? EB Burkalova (ed) New York : Nova Sci pub 289-314.

 Morgan KZ. 1978. Cancer and low level ionising radiation. Bull of atomic scientists 34. 30-41. Oftedal P. 1991. Biological low radiation effects. Mutation research, 258.191-205.

 Pierce DA, Preston DL. 2000. Radiation related cancer risks at low doses among atomic bomb survivors. Radiat Res, 154. 178-186.

 Rytomaa T. 1987. Low dose radiation and cancer. Proceedings of nording cancer union symposium Oslo 9/12/1987.

 Stewart AM. 2000. A bomb survivors : factors that may lead to a re-assessment of the radiation hazard. Intern J Epidemiol. Vol 29, 4, 4.

 Sutcliffe C. 1987. The dangers of low level radiation. Aldershot : Avebury.

Claude Proust


Notes

[1« Aussi bas que raisonnablement possible »

[2« Controverses Nucléaires » de Wladimir Tchertkoff, Emanuela Andreoli, Romano Cavazzoni

[3Le précariat est une nouvelle classe sociale constitué par les travailleurs précaires. C’est un néologisme de la sociologie, formé à partir des mots précarité et prolétariat.

[4Trait d’Union N°79 de juillet 2018

[5Trait d’Union N°77 de février 2018

[6Étude IRSN de 2007 sur l’évaluation économique des conséquences d’accidents graves.

[7Journal du dimanche du 10 mars 2013

En période de pandémie du Covid 19 évoquer les conséquences politiques, économiques, juridiques, sociales et surtout sanitaires qui résultent d’une catastrophe nucléaire nous a paru urgent pour bien comprendre ce que vivent les populations déjà victimes et ce qui nous attend. L’origine humaine du risque, son coté anxiogène, le brusque changement de nos habitudes de vie, l’économie en berne, les difficultés de communication, les lois liberticides, les incertitudes, les mensonges, les fakes news, contre vérités, et autres messages contradictoires sont communs aux deux situations.
Mais des différences existent.
L’homme est seul facteur de risque pour l’homme en cas de pandémie Covid 19, et la nature reste indemne et source de vie. En cas de contamination radioactive c’est toute la nature qui est facteur de risque. La menace vient d’un ennemi crée par l’homme. Ennemi omniprésent et invisible dans l’eau, l’air, la terre, les aliments, notre corps… et les hommes sont livrés à eux mêmes pour survivre dans ce milieu hostile. La nocivité des faibles doses de radioactivité n’est pas reconnue par les autorités. En cas de catastrophe nucléaire la transparence manque cruellement en matière sanitaire. Si la gestion de la pandémie du Covid 19 par les États a privilégié dans une large part notre santé c’est plutôt celle du nucléaire et de l’économie qui seront choisies internationalement en cas de catastrophe nucléaire. Soutenue par un régime juridique d’exception, quasi militaire, une volonté de dénégation est orchestrée à partir d’autorités internationales et nationales dans le seul but de préserver la santé du nucléaire au détriment de la nôtre.

Des normes qui ignorent les faibles doses

Née dans le secret militaire et le culte de l’atome c’est la Commission Internationale de Protection contre les Rayonnements ionisants (CIPR) qui depuis sa date de création en 1950 reste le leader mondial pour recommander les normes de radioprotection aux États. Ces normes sont élaborées à partir des données scientifiques du Comité Scientifique des Nations unies sur les Effets des Rayonnements ionisants (UNSCEAR), les deux entités ayant pour partie du personnel en commun qu’elles partagent également avec l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA), avec le label de l’Organisation mondiale de la santé (OMS). Le principe de base des recommandations de la CIPR est illustré par le paragraphe 29 de ses recommandations de 1958, révisées en 1962 et toujours actuel. « Toute modification du milieu dans lequel l’homme s’est développé peut entrainer l’apparition d’effets nocifs. C’est pourquoi on admet qu’une exposition prolongée à des rayonnements ionisants, venant s’ajouter à l’irradiation naturelle implique certains risques. Cependant l’homme ne peut s’abstenir entièrement d’utiliser les rayonnements ionisants. En pratique, le problème consiste donc à limiter la dose de rayonnement de telle sorte que le risque créé soit acceptable pour l’individu et la population. Cette dose est appelée dose admissible » La CIPR postule que l’homme ne pouvant pas se passer de la radioactivité artificielle il faut la rendre acceptable. Le problème c’est que la CIPR va construire un modèle de risque qui protège l’industrie nucléaire en dissimulant les effets délétères des faibles doses sur notre santé.

Bombe et accident ou comment comparer l’incomparable ?

Les normes CIPR sont établies à partir des irradiations aigües constatées sur les victimes des bombes de Nagasaki et d’Hiroshima. Elles devraient pourtant tenir compte des irradiations et des contaminations internes qui touchent les victimes de catastrophes et d’accidents provenant d’installations nucléaires. Les impacts sanitaires de l’explosion d’une bombe ne sont pas comparables à ceux d’un accident nucléaire. Les effluents radioactifs d’une bombe sont dissémines dans l’atmosphère avec des effets à court terme alors que les retombées radioactives consécutives à un accident nucléaire restent locales et contaminent durablement les populations et les terrains touchés. Les bombes causent des irradiations immédiates dues à de fortes doses alors que les accidents provoquent des contaminations internes durables à effet différé avec des doses moyennes et faibles. La CIPR évite ainsi de traiter les conséquences sanitaires de la radioactivité sur les victimes de catastrophes civiles. On comprend mieux pourquoi toutes les victimes de Tchernobyl et de Fukushima ne sont pas reconnues comme telles et ni comptabilisées dans les bilans de mortalité et de morbidité officiels. La méthode permet d’éviter de traiter l’impact des faibles doses inférieures à 100mSv/an et les conséquences des contaminations internes. Cette stratégie conduit à éviter des dépenses sanitaires et des dédommagements qui n’ont plus lieu d’être puisqu’il n’y a pas officiellement de risque et donc une absence de dommage et de victime.

La dosimétrie mondiale est donc calculée sans tenir compte des études indépendantes sur les effets des faibles doses et les conséquences sanitaires de la contamination interne qu’elle refuse de reconnaître. Appliquer les connaissances recueillies sur les victimes d’une bombe aux victimes d’une catastrophe nucléaire n’est pas scientifique. Mais la science officielle continue à défendre l’indéfendable au nom d’un dogmatisme qui n’a plus rien à voir avec la science.

Comme par exemple l’OMS qui par la voix de Georges Hartl, son porte parole, répond aux questions du Journal suisse « Le Temps » du 28 mars 2011. À la question : Pouvez vous donner un ordre de grandeur sur les effets sanitaires de l’accident de Fukushima ? M. Hartl répond : « Après le bombardement atomique d’Hiroshima et de Nagasaki quelque 500 cas de cancers ont été́ signalés sur une population survivante d’environ 100 000 personnes  ».

Lorsque le journaliste s’étonne du silence de M. Hartl sur Tchernobyl et notamment sur le nombre de morts qui va de quelques dizaines de personnes (communiqué OMS, AIEA, PNUD du 5 septembre 2005 : une cinquantaine de morts) à plusieurs centaines de milliers selon des sources indépendantes, M. Hartl répond : « Nous, à l’OMS nous nous basons uniquement sur les faits avérés et la science ».

La “science“ de M. Hartl repose sur des bases et des protocoles d’analyses réalisés avant la découverte de l’ADN en 1953 alors que l’on sait depuis cette découverte que les effets des rayonnements ionisants influent principalement sur cette composante fondamentale du vivant.

La “science“ de M. Hartl ne tient pas compte les études réalisées sur l’instabilité génomique, les modifications du patrimoine génétique, ou l’effet de proximité ou “bystander effect“ qui constate que les faibles doses de radiations endommagent moins les cellules cibles directement visées que les cellules voisines qui ne sont pas initialement visées. Mais M. Hartl ne fait qu’appliquer la doctrine et les méthodes d’analyses dites “scientifiques“ de l’UNSCEAR et qui servent de référence aux normes recommandées par la CIPR et appliquées par les États. Dans son dernier rapport sur les effets des faibles doses « Mécanismes biologiques des rayonnements ionisants aux faibles doses » des 21 et 25 mai 2012 lors de sa 59é session, l’UNSCEAR, qui est la référence scientifique internationale en la matière, a évalué l’impact des faibles doses à partir des « a) études de populations irradiées à des doses modérées ou élevées (études épidémiologiques) comme les survivants d’Hiroshima et de Nagasaki et b) des études expérimentales qui examinent le mécanisme par lequel survient l’effet biologique ou la maladie, chez l’animal et dans des études de cellules en culture » .

Dans ce rapport on ne trouve aucune mention des effets des faibles doses qui contaminent par voie interne les populations victimes de Tchernobyl.

Le principe d’optimisation ou comment rendre le risque acceptable ?

Le problème qui se pose à la CIPR est de définir un niveau d’acceptabilité de la radioactivité par l’homme car elle postule qu’il ne peut pas s’en passer.

La solution au problème passe par l’adoption d’un principe de base appelé « principe d’optimisation » ou « As Low As Reasonably Achievable [1] ». En pratique ce « raisonnablement possible » va devenir « économiquement et socialement possible ».

Ce principe économique n’a aucune base scientifique et son application conduit à prendre en compte plusieurs données subjectives d’ordre social et financier dont la souplesse et l’adaptabilité vont occulter l’objectif premier de la radioprotection : la santé des populations et la préservation de leur environnement.

Extraits de la recommandation CIPR de 1972 : « Maintenir les expositions aussi bas que raisonnablement possible compte tenu des facteurs économiques et sociaux ». Des normes de radioprotection ainsi définies vont donc privilégier la santé du nucléaire au détriment de celle des populations.

Le Comité IV de la CIPR est plus spécialement chargé de l’application des normes de recommandation. Il a été crée en 1962. Son premier président, de 1962 à 1985, fut le docteur Henri Jamet, Chef du département de radioprotection du CEA de 1951 à 1996. Henri Jamet figure parmi les ardents promoteurs du principe d’optimisation.

En France les 6è journées sur l’optimisation de la radioprotection ou ALARA se sont déroulées à Saint-Malo les 11 et 12 juin 2014. Ces journées sont organisées tous les quatre ans depuis 1994 par la Société française de radioprotection (SFR) et par le Centre d’étude sur l’évaluation de la protection dans le domaine nucléaire (CEPN), associations en lien direct avec les promoteurs du nucléaire en France. Les membres du CEPN sont EDF, le CEA, AREVA, et l’IRSN. Il est présidé par l’économiste Jacques Lochard. L’objectif de ces journées, rappelé dans leur présentation, « est d’aborder tous les aspects relatifs aux enjeux de l’optimisation de la radioprotection […] en maintenant la vigilance pour que l’application ALARA perdure, voire soit renforcée. ». Les principaux intervenants de ces journées viennent du CEA, d’EDF, d’AREVA et de l’IRSN.

En appliquant de ce principe d’optimisation la CIPR va même jusqu’à considérer que la dose reste admissible bien qu’elle reconnaisse sa nocivité. La CIPR a fixé des niveaux de doses admissibles pour les populations et les travailleurs de 50 mSv/an en 1962, puis en 1977 de 50 mSv/an pour les travailleurs et 5mSv/an pour le public, et enfin en 1991 de 20 mSv/an pour les travailleurs et 1 mSv/an pour le public.

Or sa recommandation 60 datant de 1991, stipule qu’« il n’y a pas de seuil en dessous duquel il n’y a aucun effet » ce qui signifie que l’on ne peut fixer un seuil d’innocuité et que par conséquent la dose admissible devrait être nulle. Dans cette même recommandation 60, la CIPR reconnaît également que la radioactivité naturelle, bien que naturelle, n’est pas inoffensive. « Le rayonnement naturel n’est pas inoffensif […] l’irradiation naturelle ne fournit aucune justification pour réduire l’attention […] aux sources artificielles ».

La CIPR devrait donc conclure qu’au plan sanitaire et au regard de la science, toute dose, qu’elle soit d’origine artificielle ou naturelle et surtout quand les deux s’additionnent, doit donc être nulle. Mais elle se doit de tenir compte du principe d’optimisation qui lui commande de définir une dose admissible. Cette dose admissible n’a pas de fondement scientifique. Sa raison d’être est de nature économique. Elle considère donc normal de sacrifier une partie de la population dans le seul objectif de protéger l’industrie nucléaire. C’est inacceptable.

Les mécanismes “scientifiques“ du mensonge

La contamination interne qui est la principale cause de morbidité et de mortalité due aux rayonnements ionisants n’est pas retenue dans les analyses scientifiques officielles de l’UNSCEAR destinées à définir les normes de radioprotection. Pourquoi ?

Les effets sanitaires des rayonnements peuvent être de deux natures. Ils sont déterministes ou stochastiques (probabilistes, aléatoires). Les effets déterministes sont aussi appelés « ciblés ». Ils sont causés par de fortes doses avec des lésions quasi immédiates proportionnelles aux doses reçues.

Les effets stochastiques sont aussi appelés « non ciblés ». À la différence des effets déterministes ils sont causés par de faibles doses avec des lésions radio induites tardives uniquement liées à la biologie des victimes indépendamment de la dose initiale reçue. Les mécanismes des premiers sont du ressort de la physique classique qui est de nature déterministe alors que les seconds ne peuvent être analysés qu’à partir des données de la physique quantique des atomes et des particules qui elle, est de nature probabiliste.

Le Dr Abraham Behar, membre de l’Association des médecins français pour la prévention de la guerre nucléaire (AMFPGM) explique le raisonnement de l’UNSCEAR (La Gazette nucléaire N°241/242- Journal du GSIEN).

« Pour les autorités internationales, le dogme central de la radiologie est basé sur les effets des rayonnements ionisants sur l’ADN des chromosomes situés dans le noyau de la cellule. Les effets sur la cellule sont fonction de la dose de radioactivité reçue.

Depuis plusieurs années, des publications ont mis en évidence des phénomènes nouveaux, comme l’instabilité génomique et l’effet de proximité, qui remettent en cause la théorie de la cellule ciblée.

Devant l’accumulation de ces publications, le rapport 2006 de l’UNSCEAR, qui fait autorité sur ce sujet, commence sérieusement à aborder les effets non ciblés quand il remarque que « les effets non ciblés ne sont pas en rapport avec un dépôt d’énergie au niveau du noyau de la cellule, phénomène qui constituait jusqu’à récemment le dogme central de la radiologie classique. » Les effets non ciblés ne sont donc pas des phénomènes proportionnels à la dose reçue. Il est par conséquent nécessaire de refaire le point sur les effets non ciblés. Mais un avertissement préalable est nécessaire pour l’UNSCEAR qui signale que « les conclusions du rapport peuvent avoir des incidences au plan socioéconomique, car on assiste dans plusieurs pays et depuis quelques temps à de nombreuses requêtes de compensations pour les maladies de nature cancéreuse ou non que les plaignants attribuent à l’exposition aux rayonnements. » Abraham Behar conclut par cet avertissement : «  Amis victimes des essais nucléaires de l’AVEN (Association des victimes des essais nucléaires), simples gens d’Ukraine et du Belarus vivant autour de Tchernobyl, Hibakushas du Japon, vous voilà prévenus : S’appuyer sur la nouvelle radiobiologie est subversif, témoigner preuves à l’appui de la réalité des lésions radio induites est insupportable...pour l’économie mondiale. »

Vouloir appliquer les critères des effets déterministes aux conséquences sanitaires d’effets probabilistes est un tour de passe-passe et une falsification scientifique qui a pour but de cacher les conséquences sanitaires d’une catastrophe nucléaire. Nous dépassons ici le stade du mensonge, il s’agit d’une véritable manipulation qui n’a plus rien à voir avec la science.

D’autres moyens dits “scientifiques“ vont être utilisés par les grands prêtres du nucléaire. Le modèle de référence de la CIPR détermine des doses individuelles sur la base de données statistiques moyennes, sans différencier les âges des victimes alors que les fœtus, nouveaux nés, enfants, sont plus radiosensibles que les adultes. Ce modèle détermine les doses à partir d’un nombre restreint de radionucléides alors que 80 d’entre eux se disséminent dans la nature en cas d’accident nucléaire et il ne tient pas compte de leurs interactions.

Une alternative : le modèle biologique du Comité européen sur le risque d’irradiation (CERI)

Pour mettre fin à la controverse sur les faibles doses le groupe des Verts au Parlement européen de Bruxelles est à l’initiative de la création du CERI qui été constitué en 1977 pour étudier les effets sanitaires de l’exposition aux faibles doses de radiation ionisante à des fins de radio protection. L’objectif du Comité est de refuser toute idée préconçue à propos des connaissances scientifiques acquises et de rester indépendant des commissions d’évaluation telles que la CIPR et l’UNSCEAR.

Les lignes qui suivent sont extraites des Recommandations 2003 du CERI sur le risque de l’irradiation. Elles expliquent l’origine et les effets du modèle d’évaluation de la CIPR.

« Le précurseur de la CIPR était le Conseil national américain de protection contre les radiations (NCPR). Les deux plus importantes commissions du NCPR étaient la Commission 1 sur les limites de radiations externes, et la Commission 2 sur les risques de radiations internes […] La Commission 2 éprouvait beaucoup de difficultés pour déterminer les doses et les risques dus aux nombreux radio isotopes […] Cette difficulté s’expliquait en partie par le manque de connaissances à l’époque (l’ADN ne fut découvert qu’en 1953) […] Le NCPR s’est lassé d’attendre et en 1951, son comité exécutif mis un terme aux discussions de la Commission 2. C’est à cette époque que la boîte noire du risque radiatif fut scellée […]. Le problème réside dans le fait qu’aujourd’hui, c’est toujours la même boîte noire qui est utilisée pour le risque radiatif, base du modèle employé par la CIPR…  »

Ainsi depuis 1951 seules sont prises en compte les données scientifiques relatives aux irradiations externes qui relevaient de la Commission 1. Les données relatives aux contaminations internes, qui relevaient de la Commission 2, sont encore à l’étude.

C’est donc toujours cette même boîte noire qui permet de taire l’impact des faibles doses et de décrédibiliser toutes les études scientifiques indépendantes. C’est elle qui permet à la CIPR de ne retenir, dans sa recommandation 103 de 2007, que l’effet des rayonnements sur les victimes de Tchernobyl et de Fukushima résulte de la seule épidémiologie des survivants d’Hiroshima et de Nagasaki.

Ce sont donc deux méthodes d’analyses qui s’opposent.

 Le modèle classique basé sur la physique et développé avant la découverte de l’ADN en 1953. Il est mathématique, simpliste, descriptif et comme le souligne le CERI : « ce modèle ne ferait pas la distinction entre l’énergie moyenne transférée à un homme se chauffant devant un feu et un homme qui mangerait du charbon ardent ». C’est le modèle utilisé par la CIPR.

  Le modèle biologique, préconisé par le CERI, qui considère chaque type d’exposition selon la structure de la trace dans l’espace et le temps. Il se base sur toutes les données épidémiologiques disponibles et introduit pour le calcul des doses reçues des facteurs de pondérations biologiques et biophysiques qui rendent compte des effets au niveau cellulaire pour tous les types de contamination. Il est biologique, inductif, spécifique et complexe. Il permet d’étudier les effets d’une contamination par des particules microscopiques qui se révèlent 100 à 1 000 fois plus graves que ce qui est prévu par les calculs de la CIPR.

Le CERI considère que pour les doses externes supérieures à 100mSv/an le modèle CIPR est applicable mais devient très approximatif en dessous de cette limite et que pour les doses internes il est inapplicable.

Il conclut qu’ : « en ce qui concerne les doses de radiations internes le modèle classique utilise de manière abusive des données provenant d’un ensemble de conditions - expositions externes, doses élevées et aigües - à un modèle d’exposition interne de faibles doses chroniques ; la procédure est scientifiquement erronée, et s’il n’y avait pas des raisons politiques, elle aurait du être rejetée depuis longtemps » et plus loin « L’utilisation des études de cas d’irradiations externes pour élaborer le modèle de risque pour les expositions internes atteste du caractère erroné du modèle de risque CIPR ».

C’est pourtant le modèle du CIPR qui continue à servir de référence pour justifier des prises de positions officielles sur les conséquences sanitaires de catastrophes nucléaires dans les réunions internationales.

Exemples de dérives et utilisations du modèle du CIPR

Lors de la conférence de l’OMS de Kiev du 4 au 8 juin 2001, « Les Conséquences médicales de la catastrophe de Tchernobyl », la télévision suisse a filmé et enregistré les débats [2]. Des extraits des interventions de Abel Gonzalez (AIEA) et Wolfgang Gentner (UNSCEAR) sont reproduits ci-après. M. Gonzales : « Nous avons lancé un grand programme pour vérifier sérieusement combien de personnes avaient été exposées aux radiations. Ces données ont été contrôlées dans les laboratoires de Los Alamos et aussi du CEA français. La conclusion qu’on pouvait en tirer était que les niveaux de contamination révélés par nos mesures étaient très inférieurs à ce qui était prévu par les estimations des modèles théoriques. La question à 1 million de dollars est la suivante : les effets prévisibles qui ne peuvent être détectés, sont ils réels bien que non détectables ? Ma réponse est la suivante : il s’agit d’un problème insoluble. Il n’y a aucun moyen de connaissance directe à ce niveau. Nous ne savons pas. Pour conclure Tchernobyl a causé environ 30 morts… et 2 000 cancers de la thyroïde évitables chez l’enfant. »

M. Gonzales était alors directeur de l’AIEA, vice président de la CIPR, directeur de l’Agence de radioprotection argentine, délégué de l’Argentine et de l’AIEA à l’UNSCEAR et à l’OMS.

M. Gentner : « Pour ceux qui croient, aucune explication n’est nécessaire. Pour ceux qui ne croient pas aucune explication n’est possible. Nous espérons nous reposer sur des bases scientifiques sans jouer sur les émotions, mais en utilisant les données les plus rigoureuses possibles pour que la population et les décideurs puissent avoir une information véridique. »

Lors de la conférence de l’AIEA de Vienne du 25 au 29 août 1986, M. Morris Rosen, directeur de la sureté de l’AIEA avait déclaré en parlant de Tchernobyl : « Même si un accident de ce type avait lieu chaque année, je continuerais de considérer l’énergie nucléaire comme une source d’énergie intéressante ».

Après la catastrophe de Fukushima le professeur Shunichi Yamashita a déclaré le 21 mars 2011 dans un discours à l’université de Médecine de Nagasaki que : « Pour dire la vérité, les radiations n’affectent pas les gens qui sourient, mais ceux qui sont soucieux. Cela a été clairement démontré par des études sur des animaux.  »

Shunichi Yamashita est professeur à l’université de Nagasaki (médecine moléculaire et recherche sur la radioactivité), conseiller à la gestion des risques de santé dus aux radiations dans la Préfecture de Fukushima et membre du département de recherche internationale sur la santé les radiations et la médecine moléculaire de l’Atomic Bomb Disease Institut.

Il déclarait le 24 mars 2011 que « les radiations n’ont absolument aucun effet sur la santé tant que la contamination est inférieure à 100 mSv par heure ».

Un rapport publié dans le bulletin de l’AIEA d’avril 1987 concluait au sujet de la santé des victimes de Tchernobyl que : « la tension et l’état de stress chronique sont la cause du syndrome de radio phobie affectant une partie de la population ; dans la situation actuelle de radiations elles peuvent même faire peser une menace sur la santé plus grande que l’exposition aux radiations elles-mêmes  ».

Ce sont des arguments comparables qui permettent à l’OMS, l’AIEA et le PNUD dans leur communiqué du 5 septembre 2005 de conclure que le bilan définitif des décès consécutifs à Tchernobyl serait de 4 000 personnes au total et dont moins d’une cinquantaine étaient décédées à la fin du 1er semestre 2005.

Pourtant le livre Tchernobyl : Conséquences de la catastrophe pour la population et l’environnement de Alexey V. Yablokov, de Vassili B. et Alexey V. Nesterenko et de Natalia E. Preobrajenskaya, publié en 2009 par l’Académie des Sciences de New-York, et qui synthétise près de 500 études résumées, 800 références et 5 500 articles et recherches de terrain, estime ce bilan à 985 000 morts de 1986 à 2004, ce chiffre ne pouvant qu’augmenter. À partir de son modèle biologique le CERI a fait une estimation des effets des rayonnements ionisants sur la santé mondiale jusqu’en 2000. Le CERI évalue à 61 619 512 de morts par cancers, quand avec le modèle du CIPR ce chiffre serait de 1 173 606 soient 50 fois plus faibles ! Ces écarts importants s’expliquent par la volonté délibérée de cacher les effets délétères des faibles doses alors qu’ils sont de plus en plus reconnus par des équipes de recherche indépendantes. (voir ci joint liste d’études).

L’Institut de Radioprotection et de Sureté Nucléaire (IRSN) prétend également qu’il n’y a pas lieu de remettre en cause le système actuel de radioprotection bien qu’il reconnaisse sur son site que « Les recherches menées dans le cadre du programme européen Risc-Rad, ainsi que celles menées par les acteurs des programmes internationaux sur les faibles doses, montrent que la nature des réponses biologiques induites par de faibles doses d’irradiation présente des différences avec celle des réponses induites par de fortes doses d’irradiation. Elles montrent également la diversité des relations dose-effet selon le mécanisme observé et l’importance des prédispositions génétiques dans la sensibilité individuelle aux faibles doses d’irradiation ». Pour aboutir au constat que : « Bien que ces résultats ne remettent pas en cause les normes de radioprotections actuelles, il reste indispensable de continuer à apporter de nouvelles données pour mieux comprendre ces effets biologiques complexes. » Pour faire bonne figure des équipes de scientifiques officiels travaillent sur ces nouvelles données.

L’IRSN a lancé EPICE en 2005 pour vérifier s’il existe un lien entre le césium et les pathologies infantiles de Tchernobyl, puis ENVIRHOM en 2011, pour évaluer les risques liés à l’exposition chronique des radioéléments sur la santé et l’environnement.

Au plan européen, on peut noter l’existence du High level experting group on european low dose risk research, regroupement de six groupes d’experts sur les faibles doses, de la Multidisciplinary european low dose initiative, plate forme européenne sur la recherche sur les faibles doses, du DOREMI (Low dose research towards multidisciplinary integration), réseau d’excellence pour préparer Melodi. Ces regroupements d’experts sont liés entre eux et se citent mutuellement, à l’image de ce qui se passe au niveau mondial où règne la cooptation entre les membres de la CIPR, de l’UNSCEAR, de l’AIEA et de l’OMS. Et ne sont cités dans les rapports et les sites officiels que les rapports et les sites financés par les organismes officiels.

Malgré une amorce de reconnaissance officielle du bien fondé de la controverse, un réseau d’experts traditionnellement lié à l’industrie nucléaire – principalement en France – continue de s’approprier les termes du débat, abuse du doute scientifique et refuse d’appliquer le modèle du CERI. Les attaques auxquelles sont soumis les chercheurs indépendants continuent à aller du simple boycott au dénigrement systématique et tous celles et ceux dont les études vont dans le sens d’une réduction des normes sont considérés comme des opposants classés sur liste noire.

Le culte du doute et la fabrique de l’incertitude

Continuer à analyser des effets probabilistes à l’aide de raisonnements déterministes c’est s’assurer que l’on ne pourra pas faire la preuve qu’un cancer est radio induit. Sachant que les causes d’un cancer sont multi factorielles, les causes chimiques et électro magnétiques vont venir compliquer la recherche du lien de cause à effet entre cancer et radioactivité, rendant la preuve d’une origine radiologique quasiment impossible à démontrer. Le culte du doute érigé en paradigme explique les dissimulations et les mensonges sur les conséquences sanitaires des risques industriels. Il tend à les justifier comme le démontre Annie Thébaud Mony dans son livre La science asservie, Éditions La Découverte, 2012.

Une stratégie organisée par les dirigeants des groupes industriels concernés va conduire ce paradigme, la culture du doute, pour faire surgir l’incertitude au nom de la science. De véritables stratégies d’influence vont faire piloter les recherches sur les effets sanitaires des risques industriels par des scientifiques à la solde de l’industrie et des États.

Pour Pierre Bourdieu, le paradigme est l’équivalent d’un langage ou d’une culture. Pour d’autres c’est un modèle ou un schéma accepté. Le paradigme du doute va permettre à des scientifiques de mettre en doute indéfiniment les effets sanitaires de substances toxiques.

La complexité du vivant résistera toujours à des analyses simples basées sur de seules relations de cause à effet. Surtout en matière nucléaire où le niveau de complexité atteint des sommets. Il est quasiment impossible de faire la preuve formelle d’un lien de causalité entre un cancer radio induit et son origine. Cette stratégie du doute va permettre aux industriels et également aux États, principaux lobbyistes dans le domaine du nucléaire, de ne pas être considérés comme responsables de dommages dont ils sont la cause.

Les scientifiques américains du projet Manhattan qui étaient impliqués dans les questions sanitaires sont les précurseurs de ce culte du doute utilisé à des fins politiques. Comme l’écrit Annie Thébaud Mony dans son livre précité, ils «  ont obtempéré à l’injonction des autorités militaires et gouvernementales américaines : non pas d’organiser une connaissance rigoureuse des effets observés, mais d’asseoir scientifiquement le mensonge délibéré de l’existence d’une dose tolérable, assorti d’un habillage que médecins et chercheurs en sciences humaines qui se sont appropriés concernant l’émergence – virtuelle – d’un phénomène collectif de radiophobie.  »

Dans notre monde actuel l’arme du doute est sélective en matière de santé associée au nucléaire. Le lobby nucléaire est certain que la peur des rayons rend malade et tue, mais incertain quand à leur nocivité. Cet aspect sélectif montre bien la subjectivité d’analyse qui donne libre cours à des mensonges qu’Annie Thébaud Mony décrit comme suit : « Ces différentes facettes du mensonge sont portées en France (et dans les autres pays nucléarisés) par quelques médecins ou scientifiques prestigieux, qui ont grandement contribué à assurer la substitution d’un mensonge par un autre, à l’aide d’une alliance sans faille entre les industriels du nucléaire, les États nucléarisés et les instances internationales (CIPR, AIEA et OMS). Cette alliance soutient la poursuite du déni scientifique de la toxicité des radiations à faible dose, la banalisation des conséquences sanitaires de la catastrophe nucléaire de Tchernobyl (1986), puis celle de Fukushima (2011), et enfin la constitution d’un précariat [3] de travailleurs sacrifiés garantissant l’invisibilité des victimes professionnelles de l’industrie nucléaire civile et militaire. »

Le culte du doute sera servi également par des choix politiques qui protègent de moins en moins notre santé.

Des normes de moins en moins protectrices

Les normes internationales de la CIPR pour protéger la santé contre les dangers de la radioactivité recommandent actuellement la dose maximale admissible de 1mSv/an pour les populations et 20mSv/an pour les travailleurs du nucléaire. Après la catastrophe de Tchernobyl, les autorités (AIEA, OMS, États concernés) ont estimé que le niveau de dose pour vivre en milieu contaminé ne devait pas dépasser 5mSv/an, soit 5 fois plus.

Après la catastrophe de Fukushima il est passé à 20mSv/an, soit 20 fois plus. En deçà de 20 mSv/an les territoires sont réputés habitables et aucune indemnisation n’est prévue pour les familles qui reviennent dans leur habitat. La politique internationale post Fukushima a conduit les États à suivre ces dérives notamment en Europe où depuis plusieurs décennies on cherchait à harmoniser et réglementer des valeurs de contamination acceptables dans tous les pays de l’Union. La directive Euratom 2013/59 publiée en 2014 propose donc à l’exemple du Japon qu’en cas d’accident nucléaire la dose admissible pour les populations soit comprise entre 20 et 100mSv/an tant que l’accident n’est pas maîtrisé et de 1 à 20mSv/an après l’accident. La France a transposé cette directive en droit français par décret du 4 juin 2018 en fixant les références de doses aux niveaux les plus élevés soit 100 et 20mSv/an. Comme le fait remarquer la Commission de recherche et d’information indépendantes sur la radioactivité (CRIIRAD) « conformément aux recommandations de la CIPR et aux prescriptions de la directive Euratom, aucune limite n’est fixée, ni pour les situations accidentelles et ni pour la pollution à long terme qu’elles génèrent, mais de simples références de dose que les autorités prendront en compte pour définir leur stratégie et décider des mesures de protection à mettre en œuvre (ou pas). Des groupes de population pourront être exposés à des doses de rayonnements supérieures aux références sans avoir de recours. » [4] La notion de limite de dose étant remplacée par une simple référence laissera toute liberté aux autorités pour adapter leur décision au contexte.

Concernant les niveaux maximaux admissibles de contamination radioactive pour les denrées alimentaires et les aliments pour animaux après un accident nucléaire, la CRIIRAD a examiné le nouveau règlement européen Euratom 2016/52 entré en vigueur le 9 février 2016. « Pour l’essentiel il reprend hélas les limites définies en 1987-1990, les mêmes catégories d’aliments, les mêmes groupes de radionucléides et les mêmes limites… il aurait fallu aller bien plus loin pour protéger les enfants en bas âge, les plus vulnérables à la radioactivité. » [5].

Mais les experts en radioprotection de l’Euratom – tous liés à l’industrie nucléaire – ont choisis d’autoriser des valeurs élevées, conformes aux règles de calcul de la CIPR, pour pouvoir utiliser au maximum les aliments disponibles sur place.

Plus les doses sont élevées, moindre seront les dépenses liées à la protection sanitaire et à l’indemnisation des dommages. Ce choix est cohérent avec le plafonnement des indemnités prévues pour les victimes d’accidents nucléaires.

Une réglementation d’exception qui déresponsabilise le nucléaire

Dans le monde, les États ont mis en place une réglementation d’exception pour l’exploitation de l’industrie nucléaire notamment en matière de responsabilité en cas d’accident.

Les États-Unis les premiers ont dès 1957 promulgué la loi Price Anderson qui prévoit une limitation de responsabilité civile de l’exploitant en cas d’accident, doublée d’un plafond assurantiel.

Cette loi récemment prorogée jusqu’en 2025 permet de dispenser l’industrie nucléaire de respecter le droit commun de la responsabilité civile qui prévoit que tout dommage causé à autrui oblige son auteur à réparation envers la victime de ce dommage.

Cette réglementation d’exception a ensuite été appliquée en Europe avec la Convention de Paris de 1960, complétée par la Convention de Bruxelles de 1963.

La Convention de Paris du 29 juillet 1960 sur la responsabilité civile dans le domaine de l’énergie nucléaire et signée par tous les États de l’OCDE prévoit à son article 7 que « le total des indemnités payables pour un dommage causé par un accident nucléaire ne peut dépasser un montant maximum ».

En application de cette Convention, l’article 4 de la loi française du 30 octobre 1968 relative à la responsabilité civile dans le domaine de l’énergie nucléaire prévoit que « le montant maximum de la responsabilité de l’exploitant est fixé à 91 469 410,34 € pour un même accident nucléaire ». On notera au passage le ridicule de la précision que l’on arrondira à 91,5.

Un protocole modificatif à la convention de Paris de 2004 est en cours de ratification par les Etats de l’OCDE. Il vise à augmenter les plafonds assurantiels de l’exploitant nucléaire, de l’Etat d’accueil et des États signataires de la Convention de Paris.

Le projet de protocole modificatif de 2004 à la Convention de Paris porte la limite de responsabilité de l’exploitant de 91,5 à 700 millions d’€. La deuxième tranche, à la charge de l’État dans lequel l’accident se produit, a été portée de 108 à 500 millions d’€. Enfin, la troisième tranche, qui correspond à la contribution de tous les États contractants, a été portée de 140 à 300 millions d’€. Cette nouvelle garantie, encore en projet, s’élève donc au total à 1,5 milliards d’€ contre les 340 millions initialement prévus.

En France la loi relative à la transition énergétique du 18 août 2015 a déjà acté la limite obligatoire de couverture en responsabilité civile de l’exploitant nucléaire de 91,5 à 700 millions d’€.

Comme le souligne Corinne Lepage, avocate, députée européenne et ancienne ministre de l’environnement, dans son livre : La vérité sur le nucléaire, Éditions Albin Michel 2011 : « Prudents, les États qui ont adopté l’énergie nucléaire ont osé limiter à un niveau ridicule le montant total des sommes versées en cas d’accident nucléaire. La somme globale avoisine le 1,5 milliards d’€, niveau très inférieur à celui prévu par le FIPOL (le fond pétrolier) et, pour dire les choses franchement ce plafond est scandaleux. À titre de comparaison, la Suisse a évalué à 4 000 milliards d’€ le coût d’un accident nucléaire. Un plafond d’indemnisation aussi bas a pu être obtenu parce que le rapport des forces était en faveur du nucléaire. »

En France, le coût d’une catastrophe nucléaire varie de 760 milliards [6] à 5800 milliards [7] . Dans les deux estimations le coût des conséquences sanitaires est négligeable (moins de 2,5%). Pour l’IRSN : « la victime de l’accident c’est l’économie française ». On peut dire qu’au scandale du principe de plafonnement s’ajoute celui de sa ridicule modicité.

Rappelons en outre que les risques nucléaires sont exclus des contrats d’assurances des particuliers et restent donc à leur charge. En cas de catastrophe nucléaire on aura donc compris qu’il faut limiter les frais… Rassurons nous, en France tout est prévu pour continuer à vivre en milieu contaminé à moindre frais.

Le CODIRPA ou guide pour vivre en milieu contaminé

La Commission européenne pour l’évaluation des conséquences de Tchernobyl a lancé le programme ETHOS en 1996 (en grec « ethos » signifie meurs, habitudes, coutumes) qu’elle a confié à MUTADIS, cabinet privé spécialisé dans la gestion des activités à risques, et au Centre d’étude sur l’évaluation de la protection dans le domaine nucléaire (CEPN) composé de qutre membres : EDF, CEA, AREVA et IRSN.

Le projet ETHOS dirigé par Jacques Lochard, directeur du CEPN, est destiné à étudier l’acquisition de nouvelles habitudes et la faculté de résilience des populations vivant en milieu contaminé dans des villages biélorusses.

Le parcours professionnel de Jacques Lochard est éclairant sur la place majeure prise par le lobby nucléaire français dans les structures internationales de la radioprotection. Entré en 1977 au CEPN crée un an avant, il n’est ni biologiste, ni médecin, ni physicien mais seulement économiste, spécialiste de l’optimisation entre coûts et avantages. Il va gravir tous les échelons du CEPN pour en devenir directeur en 1989, puis s’installer dans différents comités de la CIPR, dont la présidence en 2009 du Comité 4 chargé des recommandations puis vice président de la CIPR depuis 2013. Avec cette double casquette CEPN/CIPR, on le retrouve à Tchernobyl, à Fukushima, et en France avec le Codirpa. Sous l’apparence bienveillante d’un homme de dialogue se cache la rationalité économique au profit des intérêts du lobby nucléaire.

Selon ETHOS, les victimes doivent vaincre leur fatalisme, retrouver confiance et devenir autonomes. Une culture radiologique destinée à faire accepter de vivre en milieu contaminé va être inculquée aux populations. Les objectifs principaux sont d’une part, l’individualisation des risques car la gestion post accidentelle observée en Biélorussie est ingérable par les pouvoirs publics, et d’autre part, la normalisation de l’après catastrophe.

Dans son livre Le crime de Tchernobyl Wladimir Tchertkoff révèle que le projet ETHOS s’est appuyé sur les Centres locaux de contrôle radiologique des produits alimentaires de Vassily Nesterenko, directeur de l’Institut indépendant BELRAD, pour venir en aide aux enfants en contrôlant leur radioactivité et en les soignant par des cures de pectine pour éliminer les radionucléides de leur corps. « Soutenu politiquement et financièrement par le lobby nucléaire, ETHOS s’occupait en apparence des problèmes causés par la catastrophe de Tchernobyl  ». Afin d’observer “scientifiquement“ les effets de la radioactivité sur les enfants ETHOS s’opposait aux cures de pectine qui nuisent à cette observation. « La pureté biologique des enfants cobayes restait ainsi inaltérée ».

En Europe

La démarche participative et durable d’ETHOS inspire rapidement les organismes internationaux qui vont s’appuyer sur ses conclusions et la renforcer en lançant le programme Coopération par la Réhabilitation des conditions de vie dans les territoires contaminés de Biélorussie (CORE). Lancée en 2003, CORE est destinée à déployer ETHOS sur d’autres districts biélorusses touchés par la contamination. CORE est financé par la Commission européenne, la France, la Suisse, la Biélorussie et quelques agences onusiennes. Il promeut l’engagement de la société civile pour une « réhabilitation durable » d’une « situation complexe ». En 2002, peu avant le lancement de CORE, un projet européen est également lancé en vue d’élaborer un guide de culture radiologique pour le grand public. Ce projet appelé SAGE, va appliquer à l’Europe les recommandations d’ETHOS et de CORE.

Pour la première fois en Europe, on reconnaît officiellement que l’hypothèse d’un accident grave dans une installation nucléaire européenne est possible. Le projet SAGE se veut participatif pour permettre à tous les acteurs de « se réapproprier le problème de la gestion de leurs futurs ». Le guide du SAGE s’applique seulement aux régions rurales et ne prend en compte que la contamination par le césium 137. C’est un dispositif à double volet. Pédagogique pour habituer les gens au changement des conditions de vie après une catastrophe, et responsabilisation pour que les populations prennent conscience de leur rôle actif dans la phase post accidentelle.

Au Japon

Au Japon, l’association nommée « Ethos in Fukushima », fondée en 2011 à Iwaki et dirigée par Ryoko Ando, collabore avec le gouvernement japonais. Les professeurs Otsura Niwa et Nobuhiko Ban font partie de l’équipe de réflexion gouvernementale. Ils sont tous deux membres de la CIPR et ont des liens étroits avec Jacques Lochard.

En France

Le projet européen SAGE sera suivi en France du projet PAREX (post accidentel retour d’expérience). Lancé en 2005 par l’ASN, PAREX est confiée à MUTADIS et au CEPN. En 2005, PAREX débouche sur la mise en place par l’ASN du Comité directeur pour la gestion de la phase post accidentelle d’un accident nucléaire ou d’une situation d’urgence radiologique (CODIRPA). Il est chargé d’élaborer la conduite à suivre en cas d’accident nucléaire. Le 21 novembre 2012, l’ASN a publié les premiers éléments de la doctrine de gestion post accidentelle d’un accident nucléaire en France. Bien que les accidents de Tchernobyl et de Fukushima soient cités à plusieurs reprises, le CODIRPA n’aborde pas de telles catastrophes et ne s’intéresse pour l’instant qu’à « un accident d’ampleur modérée entrainant des rejets de courtes durée (moins de 24 heures) avec un retour rapide dans un état sûr de l’installation ».

Concernant ses réponses aux enjeux sanitaires le CODIRPA se base sur les modélisations de la CIPR pour évaluer les effets des rayonnements ionisants. Les préconisations de doctrine du CODIRPA considèrent que la gestion post accidentelle doit impliquer les acteurs locaux de façon transparente « en amont de l’accident dès le stade de la préparation, dans les réflexions sur les stratégies de gestion des conséquences de l’accident ». Pour que les populations puissent continuer ou revenir vivre en milieu contaminé, le CODIRPA estime que « cela suppose que les acteurs locaux soient impliqués dans cette décision et en capacité d’agir pour améliorer l’état radiologique de leur environnement, pour assurer leur protection et le maintien, voire le développement d’activités économiques et sociales au sein du territoire ».

Alors, ils font appel aux victimes, les responsabilisent en les laissant décider de leur sort. C’est la politique du « Aide toi toi-même » en cas de catastrophe nucléaire, inscrite dans une logique de territoire que l’on peut constater dans les plans d’évaluation de risque, guides d’aide à la décision et autres bonnes pratiques consultables sur les sites de l’IRSN et de l’ASN.

Les dernières recommandations du CODIRPA ont été publiées par l’ASN le 14 juin 2019 et depuis le 9 mars 2020, une rubrique du site de l’ASN annonce que « la gestion post accidentelle d’un accident nucléaire nécessite l’engagement de l’ensemble des acteurs de la vie locale dans leur champ de responsabilité : les élus en tant que premier échelon de la sécurité civile sur le territoire, les professionnels de santé pour le suivi médical des personnes, les agriculteurs et chefs d’entreprise pour les activités économiques, les personnels de l’éducation pour la transmission des savoirs et les membres associatifs pour la concertation locale ». On arrive à la phase finale du processus de déresponsabilisation du lobby nucléaire. À noter que par lettre du 18 juin 2020 adressée au président de l’ASN le 1er ministre Edouard Philippe a demandé une mise à jour du CODIRPA pour fin 2020 avec mandat de le poursuivre jusqu’en 2024. Il est demandé à l’ASN de favoriser encore mieux la résilience des populations en améliorant une culture de radioprotection en relation avec le ministère de la Défense (SGDSN, Secrétariat Général de la Défense et de la Sécurité Nationale) et de développer le CODIRPA à l’international.

Oyez braves gens de France et d’ailleurs !

Tout est prévu en cas de catastrophe nucléaire. Pendant la phase d’alerte on vous distribuera des pastilles d’iode et des conserves, vous resterez tranquillement chez vous jusqu’à nouvel ordre et puis on vous évacuera. N’écoutez que les informations préfectorales sur les conduites à tenir. Tout agissement contraire sera sévèrement puni. Ayez confiance envers les autorités chargées de votre santé. Des médecins spécialistes en radioprotection seront à votre disposition et vous expliqueront que vous ne craignez rien en dessous du débit de dose qui vous sera communiqué.

Une fois la décrue radioactive constatée et après décontamination de votre domicile à la charge de l’État il vous sera permis de revenir chez vous sans problèmes, sauf bien sur si vous ne respectez pas les consignes élémentaires qui vous ont été prescrites pour vous autoriser à vivre en milieu contaminé. Les médias gouvernementaux vous rappelleront régulièrement les gestes barrières à respecter. Sous ces conditions, le groupe d’experts en radioprotection est certain que votre organisme s’adaptera et que vous et vos enfants vous habituerez rapidement à votre nouveau cadre de vie.

Votre responsabilité sera engagée si vous ne respectez pas les consignes de sécurité obligatoires à appliquer en milieu contaminé. Des anges gardiens nucléaires veilleront à leur bonne application. Nous comptons aussi sur votre civisme pour les faire respecter.

À toute heure du jour et de la nuit l’armée se tient à votre disposition pour vous aider dans cette période de résilience et répondre à toutes vos questions. Aussi ne faîtes jamais le 15 en cas d’urgence sanitaire mais le 22. Des médecins et des nutritionnistes militaires seuls assermentés et compétents répondront à vos appels et vous apporteront les conseils et soins adaptés à vos besoins.

Enfin par mesure de solidarité avec les producteurs de votre région et pour rapidement retrouver la vie d’avant nous vous incitons à ne consommer que des produits locaux faiblement contaminés conformément aux normes officielles en privilégiant les circuits courts pour relancer notre économie. Nous comptons beaucoup sur vous.

En 1982, lors d’une audition devant le Congrès américain l’amiral Hyman Rickover, ingénieur en chef de la 1é centrale nucléaire américaine de Shippingport en Pennsylvanie déclare en réponse à une question sur le développement du nucléaire : « Il y a deux milliards d’années, la vie n’existait pas sur la terre à cause des radiations. Avec la puissance nucléaire nous créons quelque chose que la nature a essayé de détruire pour rendre la vie possible. Je crois que l’espèce humaine va provoquer son propre naufrage. Je ne crois pas que la puissance nucléaire vaille la peine si elle génère du rayonnement ». La même année dans une note sur les faibles doses à l’attention des victimes de la catastrophe de Three Mile Island, Alice Mary Stewart le rejoint quand elle écrit : « La vie a du attendre que l’intensité de la radioactivité à la surface du sol ait décru jusqu’aux niveaux actuels. Après la découverte de la fission nucléaire il y eut un accroissement de rayonnements. Le problème actuel, héritage direct de la deuxième guerre mondiale, est d’empêcher qu’un processus inverse puisse causer d’irréparables dommages aux forces de vie »

Le nucléaire militaire qui rejoint le nucléaire civil on connaissait, mais pas comme ça… C’est encourageant pour la suite pour éviter de subir la demie vie nucléaire.

Références études sur les faibles doses

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 Etude internationale INWORKS. 2015. Risques de cancer des travailleurs du nucléaire. CICR. 2015.

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Claude Proust



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