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Sortir du nucléaire n°101



Printemps 2024
Crédit photo : Parilov - Adobe

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De la fusion administrative ASN-IRSN à la fission nucléaire incontrôlée ?

Après avoir été adopté par le Sénat, le projet de loi relatif à l’organisation de la gouvernance de la sûreté nucléaire et de la radioprotection vient également d’être voté à l’Assemblée nationale. Il prévoit de fusionner l’Autorité de Sûreté Nucléaire et l’Institut de Radioprotection et de Sûreté Nucléaire en une nouvelle organisation, l’Autorité de Sûreté Nucléaire et de Radioprotection (ASNR). Pour le gouvernement et l’ASN, cette loi serait nécessaire pour accompagner la relance accélérée de l’industrie nucléaire. Pour les salarié·es de l’IRSN et de nombreuses ONG, il menace l’indépendance de l’expertise ainsi que sa transparence vis-à-vis du public. Pour le Réseau "Sortir du nucléaire", il est possible d’aller encore plus loin dans la critique : la sûreté et la « transparence » actuelles n’ont rien de parfait. Et cette réforme s’apparente à une nouvelle tentative d’accélérer la relance d’une industrie nucléaire déconnectée de la réalité industrielle et environnementale en ciblant ce qui prétendument l’entrave : dans ce cas-ci, les normes de sûreté.

Risques et accidents Risque nucléaire Incidents / Accidents Nucléaire et démocratie

Les raisons de la réforme

Le 19 juillet dernier, en conseil de politique nucléaire, E. Macron annonçait que la fusion de l’Autorité de Sûreté Nucléaire (ASN) et de l’Institut de Radioprotection et de Sûreté Nucléaire (IRSN) avec, à la clé, la création de l’Autorité de Sûreté Nucléaire et de Radioprotection (ASNR), devrait permettre d’adapter la sûreté à la construction de nouveaux réacteurs nucléaires de type EPR2. Tout était déjà dit : c’est aux impératifs de sûreté de s’adapter à la marche forcée imposée par le gouvernement au monde industriel et non l’inverse.

Mais la sûreté prend du temps et de l’argent, et c’est ce qui contrarie le lobby nucléaire. En 2007, l’IRSN suggérait des investigations afin de vérifier la tenue au séisme d’une portion de digue du canal de Donzère-Mondragon. Cela aboutira à la demande, par l’ASN, de la mise à l’arrêt de la centrale de Tricastin.

En 2021, c’est encore sur la base d’un avis de l’IRSN que l’ASN imposera à l’exploitant de réparer les plus grosses fissures d’un des réacteurs de la centrale de Cattenom avant son redémarrage.

Pour autant, le système actuel ne permet pas une maîtrise effective des risques. Le Réseau "Sortir du nucléaire" dénonce tout au long de l’année un manque de surveillance des installations, un manque de rigueur dans les contrôles et la transmission des informations, ainsi qu’un manque latent de compétences suffisantes et adéquates chez les exploitants. Loin d’améliorer ce système, le projet de loi de fusion de l’ASN et de l’IRSN risque de l’empirer.

Ce projet n’est justifié que par le fait que le gouvernement Macron rend la lourdeur administrative responsable de tous les maux de l’industrie nucléaire. C’est pour la combattre que la loi d’accélération du nucléaire, votée en mars dernier, a été pensée. Le projet de loi de fusion de l’ASN et de l’IRSN est dans la droite ligne de cette logique incongrue selon laquelle les préoccupations environnementales et de sûreté seraient des entraves au développement économique et industriel. Sauf qu’à trop jouer avec la sûreté on finit par en payer les funestes conséquences.

Une menace pour la transparence et l’accès à l’information

La plupart des critiques de la réforme portent sur les risques qui pourraient peser sur l’information du public et des associations de défense de l’environnement, mais aussi sur l’indépendance et la qualité de l’expertise produite.

L’accessibilité des informations liées à la sûreté nucléaire est aujourd’hui imparfaite et non systématique. Certains avis techniques de l’IRSN ne sont pas publiés et des documents restent inaccessibles de façon récurrente. Or, sans ces documents, il est impossible d’effectuer le travail essentiel de lanceurs d’alerte que le Réseau "Sortir du nucléaire" et les militant·es antinucléaires s’efforcent de mener tout au long de l’année.

Même constat en ce qui concerne la séparation de l’expertise et des décisions. Les échanges entre l’ASN, l’IRSN et l’exploitant sont constants. C’est logique et important pour leurs tâches respectives. Mais cela aboutit parfois à des pratiques de censure et d’autocensure, comme cela a été dénoncé par une ancienne salariée de l’IRSN.

Il est cependant certain que ce phénomène risque de s’accentuer si ce projet de loi était adopté en l’état. L’article 2 amendé par le Sénat prévoit bien qu’il y ait une « distinction entre, d’une part, la personne responsable de l’expertise et, d’autre part, la personne ou les personnes responsables de l’élaboration de la décision et de la prise de décision. » [1] Mais les modalités de celle-ci reposent… sur un futur règlement intérieur, qui ne fera pas l’objet de discussions au Parlement. [2]

Les Sénateur·ices ont par ailleurs cherché à répondre aux critiques portant sur le risque que les avis de la future institution ne soient plus publiés ou alors trop tardivement (les avis de l’IRSN sont actuellement publiés en amont des décisions de l’ASN). Dans l’actuel projet de loi, il est précisé que l’ASNR « publie les résultats des expertises réalisées dans le cadre de ses instructions, ainsi que les avis des groupes permanents d’experts ». Mais encore une fois, c’est au règlement intérieur d’en définir les modalités.

Un oubli : les dérogations au droit de la commande publique

Le projet de loi prévoit par ailleurs des dérogations au code de la commande public. L’article 17 donnerait ainsi la possibilité à EDF de « conclure des accords‑cadres de travaux, de fournitures ou de services qui concernent un ou plusieurs projets pour une durée qui peut aller jusqu’à celle du ou des projets concernés. » L’article 16 permet quant à lui de ne pas allotir certains marchés de travaux (c’est-à-dire, de ne pas passer certains marchés par lots séparés). En l’état, ils donnent la possibilité à EDF de déléguer à une seule entreprise certains travaux de construction qui pourront se tenir sur plus d’années que ce que les accords cadres prévoient normalement. Cela pourrait provoquer une situation où les avenants aux contrats de base, en cas de retard sur les travaux (une situation qui risque fortement d’arriver), pourront être négociés davantage au bénéfice de celui qui construit que de celui qui a passé la commande. Avec ce que cela engendrerait comme coûts supplémentaires pour le commanditaire… et donc pour le contribuable. Cela ne vous rappelle rien ?

Marion Rivet, Chargée des relations extérieures


Notes

[1Pour toutes les citations d’articles du projet de loi, voir le détail de la loi en construction en date du 29/02/2024 : https://www.senat.fr/tableau-historique/pjl23-229.html

[2Il est par contre prévu que l’Office Parlementaire d’Évaluation des Choix Scientifiques et Technologiques (OPECST), le Haut Comité pour la transparence de l’information sur la sécurité nucléaire et la fédération nationale des commissions locales d’information puissent formuler des observations à ce sujet.

Les raisons de la réforme

Le 19 juillet dernier, en conseil de politique nucléaire, E. Macron annonçait que la fusion de l’Autorité de Sûreté Nucléaire (ASN) et de l’Institut de Radioprotection et de Sûreté Nucléaire (IRSN) avec, à la clé, la création de l’Autorité de Sûreté Nucléaire et de Radioprotection (ASNR), devrait permettre d’adapter la sûreté à la construction de nouveaux réacteurs nucléaires de type EPR2. Tout était déjà dit : c’est aux impératifs de sûreté de s’adapter à la marche forcée imposée par le gouvernement au monde industriel et non l’inverse.

Mais la sûreté prend du temps et de l’argent, et c’est ce qui contrarie le lobby nucléaire. En 2007, l’IRSN suggérait des investigations afin de vérifier la tenue au séisme d’une portion de digue du canal de Donzère-Mondragon. Cela aboutira à la demande, par l’ASN, de la mise à l’arrêt de la centrale de Tricastin.

En 2021, c’est encore sur la base d’un avis de l’IRSN que l’ASN imposera à l’exploitant de réparer les plus grosses fissures d’un des réacteurs de la centrale de Cattenom avant son redémarrage.

Pour autant, le système actuel ne permet pas une maîtrise effective des risques. Le Réseau "Sortir du nucléaire" dénonce tout au long de l’année un manque de surveillance des installations, un manque de rigueur dans les contrôles et la transmission des informations, ainsi qu’un manque latent de compétences suffisantes et adéquates chez les exploitants. Loin d’améliorer ce système, le projet de loi de fusion de l’ASN et de l’IRSN risque de l’empirer.

Ce projet n’est justifié que par le fait que le gouvernement Macron rend la lourdeur administrative responsable de tous les maux de l’industrie nucléaire. C’est pour la combattre que la loi d’accélération du nucléaire, votée en mars dernier, a été pensée. Le projet de loi de fusion de l’ASN et de l’IRSN est dans la droite ligne de cette logique incongrue selon laquelle les préoccupations environnementales et de sûreté seraient des entraves au développement économique et industriel. Sauf qu’à trop jouer avec la sûreté on finit par en payer les funestes conséquences.

Une menace pour la transparence et l’accès à l’information

La plupart des critiques de la réforme portent sur les risques qui pourraient peser sur l’information du public et des associations de défense de l’environnement, mais aussi sur l’indépendance et la qualité de l’expertise produite.

L’accessibilité des informations liées à la sûreté nucléaire est aujourd’hui imparfaite et non systématique. Certains avis techniques de l’IRSN ne sont pas publiés et des documents restent inaccessibles de façon récurrente. Or, sans ces documents, il est impossible d’effectuer le travail essentiel de lanceurs d’alerte que le Réseau "Sortir du nucléaire" et les militant·es antinucléaires s’efforcent de mener tout au long de l’année.

Même constat en ce qui concerne la séparation de l’expertise et des décisions. Les échanges entre l’ASN, l’IRSN et l’exploitant sont constants. C’est logique et important pour leurs tâches respectives. Mais cela aboutit parfois à des pratiques de censure et d’autocensure, comme cela a été dénoncé par une ancienne salariée de l’IRSN.

Il est cependant certain que ce phénomène risque de s’accentuer si ce projet de loi était adopté en l’état. L’article 2 amendé par le Sénat prévoit bien qu’il y ait une « distinction entre, d’une part, la personne responsable de l’expertise et, d’autre part, la personne ou les personnes responsables de l’élaboration de la décision et de la prise de décision. » [1] Mais les modalités de celle-ci reposent… sur un futur règlement intérieur, qui ne fera pas l’objet de discussions au Parlement. [2]

Les Sénateur·ices ont par ailleurs cherché à répondre aux critiques portant sur le risque que les avis de la future institution ne soient plus publiés ou alors trop tardivement (les avis de l’IRSN sont actuellement publiés en amont des décisions de l’ASN). Dans l’actuel projet de loi, il est précisé que l’ASNR « publie les résultats des expertises réalisées dans le cadre de ses instructions, ainsi que les avis des groupes permanents d’experts ». Mais encore une fois, c’est au règlement intérieur d’en définir les modalités.

Un oubli : les dérogations au droit de la commande publique

Le projet de loi prévoit par ailleurs des dérogations au code de la commande public. L’article 17 donnerait ainsi la possibilité à EDF de « conclure des accords‑cadres de travaux, de fournitures ou de services qui concernent un ou plusieurs projets pour une durée qui peut aller jusqu’à celle du ou des projets concernés. » L’article 16 permet quant à lui de ne pas allotir certains marchés de travaux (c’est-à-dire, de ne pas passer certains marchés par lots séparés). En l’état, ils donnent la possibilité à EDF de déléguer à une seule entreprise certains travaux de construction qui pourront se tenir sur plus d’années que ce que les accords cadres prévoient normalement. Cela pourrait provoquer une situation où les avenants aux contrats de base, en cas de retard sur les travaux (une situation qui risque fortement d’arriver), pourront être négociés davantage au bénéfice de celui qui construit que de celui qui a passé la commande. Avec ce que cela engendrerait comme coûts supplémentaires pour le commanditaire… et donc pour le contribuable. Cela ne vous rappelle rien ?

Marion Rivet, Chargée des relations extérieures



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