Mars 2006
Lanalyse optimiste de la politique sur lénergie du futur est basée sur des affirmations
désespérément trompeuses.
Il y a quelque chose de tristement familier à entendre la phrase suivante :
Mr Blair pense que tous les arguments convergent vers lénergie nucléaire, en faveur de laquelle il a déjà fait son choix, selon des sources officielles.
Nous sommes aujourdhui habitués aux coups de cur de Mr Blair, qui naugurent rien de bon. Ainsi que Sir Christopher Meyer le fait remarquer dans ses mémoires, lorsquil sagit de questions importantes, Mr Blair trouve les détails désagréables. Or, cest au détail près que le cas du nucléaire tiendra la route ou pas. Cette fois-ci nous devons savoir sil a réellement compris les arguments au lieu de simplement les acheter.
Des affirmations trompeuses sinon fausses
Trois affirmations essentielles parlent en faveur dun renouvellement du parc nucléaire britannique : premièrement, cest la seule manière pour la Grande-Bretagne de tenir ses engagements à réduire ses émissions de carbone ; deuxièmement, cest la seule option sûre si nous voulons combler le fossé énergétique laissé par les sources de combustibles fossiles au bord de lépuisement ; troisièmement, cest le meilleur moyen de nous assurer que notre énergie provient de sources sûres, plutôt que de certaines oligarchies pétrolifères au régime instable.
Ces affirmations sont pour le moins trompeuses, sinon fausses. Prenons les émissions de carbone. Il existe lidée insouciante que lénergie nucléaire soit propre elle német pas doxyde de carbone et donc elle ne contribue pas au réchauffement planétaire. Cet argument a été systématiquement démonté au cours des cinq dernières années par deux experts indépendants, Jan Willem Storm van Leeuwen et Philip Bartlett Smith, lun chimiste spécialiste en énergie et lautre physicien nucléaire, qui ont tous deux lexpérience de toute une carrière dans lindustrie nucléaire. Ils ont observé le cycle de vie complet dune centrale nucléaire, depuis lextraction duranium jusquau stockage des déchets radioactifs. Leurs conclusions savèrent difficiles à lire pour les partisans du nucléaire.
Des réserves d’uranium bientôt épuisées
Ils disent quà la vitesse dutilisation actuelle, les réserves mondiales en minerai duranium enrichi seront bientôt épuisées, peut-être au cours des dix ans à venir. Les centrales nucléaires du futur devront se replier sur le minerai de qualité inférieure, qui requiert une énorme quantité dénergie classique pour son raffinement. Pour chaque tonne duranium de qualité inférieure, quelque 5.000 tonnes de granit le contenant devront être extraites, moulues et rejetées. Et cela pourrait atteindre 10.000 tonnes si la qualité se détériore encore. A terme, et ce pourrait être assez rapide, lindustrie nucléaire émettrait autant doxyde de carbone pour extraire et traiter son minerai quelle nen économise par son énergie propre due à la fission nucléaire.
A ce stade, selon un article de David Fleming qui écrit sur lénergie dans le magazine Prospect, la production dénergie nucléaire tomberait dans le déficit énergétique. Il faudrait mettre plus dénergie dans la récupération du minerai quon nen produirait à partir de lui. La contribution du nucléaire aux besoins en énergie deviendrait négative. La soi-disant fiabilité de lénergie nucléaire, qui enthousiasme tant ses partisans, reposerait alors sur lutilisation grandissante de combustibles fossiles au lieu de les remplacer.
Pire encore, le nombre de centrales nucléaires nécessaires pour pourvoir aux besoins mondiaux serait colossal. Aujourdhui, environ 440 réacteurs nucléaires fournissent à peu près 2% de la demande. LInstitut de Technologie du Massachussetts a calculé quil en faudrait 1.000 de plus pour monter à 10% des besoins. A ce moment-là, il deviendrait impératif de trouver de nouveaux gisements de minerai. Où ? Pas chez nos amis Canadiens, qui sont déjà les plus gros producteurs, mais dans des pays comme le Kazakhstan, une démocratie encore instable. Bravo la source dénergie sûre. On serait à peine sortis de la poêle à frire du pétrole quon irait droit sous la mitraille de lextraction duranium.
Ces arguments doivent être débattus avant de chercher dautres questions plus poussées, comme ce quil convient de faire pour le stockage des déchets, comment nous préserver des fuites radioactives ou bien comment protéger les centrales nucléaires contre le terrorisme. La vérité est que cette forme dénergie nest en fin de compte, ni plus sûre, ni plus fiable, ni plus propre que les autres. Cela ne veut pas dire que lon doive sen détourner ; mais plutôt faire face à la réalité sans se voiler la face. Le débat, après tout, peut faire ressortir de bonnes choses. Paradoxalement, le choix du nucléaire peut renforcer les arguments en faveur des énergies renouvelables.
Le gouvernement semble avoir perdu confiance dans les énergies du vent, des marées et des vagues, sous prétexte que le public sen détourne et que leur efficacité reste douteuse. Les éoliennes en particulier ont subi des campagnes locales de dénigrement et des articles maniant la dérision de la part du lobby pro-nucléaire. Elles ont pourtant un grand avantage : elles sont naturellement renouvelables, et également réversibles. Une éolienne, contrairement à un réacteur nucléaire, peut être enlevée quand elle a fait son temps. Une machine à vagues peut simplement être démontée.
Comparées à lénergie nucléaire, elles ne sont pas non plus complètement inefficaces. Bien sûr, une ferme éolienne dépend du vent qui peut souffler ou pas, une machine à vagues dépend elle aussi du temps quil fait. Mais toutes deux doivent faire partie du puzzle énergétique du pays. Il est absurde par exemple que le gouvernement refuse de payer les 50 millions de livres dinvestissement que nécessite lénergie des vagues pour devenir une proposition commerciale. Les expériences des îles Orkney se sont avérées tellement prometteuses que le gouvernement portugais en a acheté la technologie et espère lexploiter industriellement dans ses propres eaux territoriales. Ne pourrions-nous en faire autant ?
Magnus Linklater
Journal anglais The Times, 23 novembre 2005