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Sortir du nucléaire n°60



Février 2014

Insécurité nucléaire

Prolonger l’activité des réacteurs ? Enjeux et dangers

La prolongation des réacteurs jusqu’à 50 ans de fonctionnement est-elle déjà sur les rails ? Fin septembre, Jean-Marc Ayrault suggérait de "financer la transition énergétique" grâce au nucléaire, en mettant les centrales à contribution "pendant toute [leur] durée de vie restante". Quelques semaines après, une "source proche du gouvernement" évoquait dans le Journal du Dimanche l’octroi imminent à EDF du feu vert pour une prolongation "comptable" de la durée d’amortissement des réacteurs à 50 ans.

Risque nucléaire

Info, intox, que faut-il en penser ? Quels seraient les risques d’une telle prolongation et ses impacts sur notre futur énergétique ? Entre les démentis des uns, les allusions des autres, où en est-on ?

Un gouvernement incohérent

Très vite Philippe Martin, ministre de l’Écologie, tente de faire taire la rumeur "Ce ne sont pas les commissaires aux comptes d’EDF qui détermineront la politique énergétique française !" proteste-t-il. De son côté, Arnaud Montebourg déclare le 12 novembre, qu’à part Fessenheim, aucune centrale n’est censée fermer, sous-entendant de fait que les autres réacteurs seront prolongés pour une durée indéterminée… Et pendant ce temps, l’ex-ministre Delphine Batho, elle, prétend que la décision d’allonger la durée d’amortissement des centrales, qu’elle approuve, serait déjà prise depuis longtemps.

Il semble finalement que la décision finale sera reportée aux débats sur la loi de transition énergétique, et en tout cas après les élections municipales et européennes : affaibli, le gouvernement ne prendra sûrement pas le risque d’un clash supplémentaire avec EELV. Toujours est-il que la ligne politique n’est pas claire et que de nombreux ministres seraient prêts à passer toutes ses revendications à EDF – un comble alors que la loi est censée rendre à l’exécutif la capacité de fermer des réacteurs !

Dans ces conditions on voit mal comment la promesse de "réduction de la part du nucléaire" se concrétiserait… à moins d’augmenter mécaniquement la part de toutes les autres sources d’énergie et donc les consommations, ce qui serait aussi irréaliste qu’anti-écologique !

EDF trépigne

Très endettée, l’entreprise compte bien allonger la durée d’amortissement des réacteurs à 50 ans, ce qui lui permettrait de réduire ses provisions pour le démantèlement des centrales. Pour parvenir au même montant, elle pourrait en effet mettre de côté une somme moins importante et la laisser fructifier tranquillement pendant une décennie de plus.

Cette proposition de prolongation "comptable" cache difficilement une volonté d’étendre la durée de fonctionnement effective des réacteurs. EDF ne fait pas mystère de sa volonté d’en prolonger certains, voire l’ensemble du parc, jusqu’à 60 ans. Au vu du chantier catastrophique de l’EPR, 4ème génération toujours à l’état de recherche, le remplacement des centrales semble fort compromis. Le seul moyen pour EDF de maintenir son quasi monopole sur la production d’électricité est d’étendre la durée de fonctionnement légale des réacteurs… comme elle l’avait déjà fait en 2003 [1] . Une vaste opération de rénovation des réacteurs, estimée par EDF à plus de 50 milliards d’euros, est déjà en préparation sous le nom de "Grand Carénage" [2].

L’Autorité de Sûreté Nucléaire tente de se faire entendre

Quant à l’Autorité de Sûreté Nucléaire, grande oubliée des discussions, elle rappelle fermement que la décision doit passer par elle et qu’elle n’a pas donné son accord de principe pour laisser fonctionner les centrales au-delà de 40 ans. Ce n’est qu’en 2015 qu’elle se prononcera, mais elle exprime déjà son scepticisme, car une telle prolongation aurait des impacts lourds sur la sûreté !

Prolonger les réacteurs et toute la filière, c’est accroître le risque d’accident

En France, une vingtaine de réacteurs a déjà dépassé 30 ans de fonctionnement, durée approximative pour laquelle ils ont été conçus. Problème : le vieillissement des installations est un phénomène inéluctable et contre lequel on ne peut agir qu’à la marge. Une centrale n’est pas une voiture qui peut repartir allègrement pour 15000 km après une petite révision et quelques changements de pièces. Les matériaux qui composent les centrales nucléaires sont soumis à une usure bien particulière et deviennent plus fragiles sous l’effet de l’usure.

Une telle décision aurait pour conséquence d’augmenter encore le risque d’une catastrophe dans une de nos centrales, et de prolonger d’autant le fonctionnement de toute la filière nucléaire, ainsi que les risques et pollutions qu’elle engendre, de l’extraction de l’uranium au stockage des déchets, en passant par le "retraitement" du combustible usé.

Un "Grand Carénage" qui pourrait virer au "grand carnage"

Pour parer aux risques du vieillissement (et intégrer les prescriptions de sûreté post-Fukushima), EDF compte sur le programme du "Grand Carénage", démarré en 2012 et qui doit concerner toutes les centrales françaises, en commençant par celle de Paluel et qui doit s’achever en 2025.

Mais dans quelles conditions ces grands travaux vont-ils se dérouler ? Certains évoquent déjà un "grand carnage" : ces opérations lourdes réquisitionneront trois fois plus de personnel, imposant de recourir à des travailleurs non qualifiés, probablement sous-payés et peu informés des risques. Tout devant être achevé avant les visites décennales des 40 ans des réacteurs (24 d’entre eux ayant déjà dépassé les 30 ans), on peut également craindre des opérations menées au pas de course, dans des conditions difficilement soutenables pour les travailleurs, où la logique économique prendrait le pas sur la sûreté. En effet, les 50 milliards d’euros évoqués par EDF relèvent d’une estimation grossière, qui ne sera sans doute pas à la hauteur des travaux à effectuer.

Étendre la durée de fonctionnement des réacteurs signifie aussi mettre en danger ceux qui les font fonctionner, aux premières loges face à la multiplication des incidents. C’est également condamner les travailleurs en charge de la maintenance à opérer sur des matériaux qui seront devenus eux-mêmes beaucoup plus radioactifs avec le temps. Par ailleurs, avec le départ en retraite de 50% des effectifs d’EDF d’ici 2017, les travailleurs perdront en compétence. Faute de transmission, on peut redouter que ces derniers se mettent en danger sans le savoir.

Prolonger : reculer pour mieux sauter !

Retarder le départ en retraite des réacteurs signifie donc accroître les risques… mais aussi perdre un temps précieux sur la construction de notre avenir énergétique. En misant autant sur la perpétuation de la capacité nucléaire, EDF et le gouvernement négligent les investissements incontournables dans l’efficacité et les énergies renouvelables. La France risque bien de rater le coche de la transition énergétique !

Si cette prolongation se confirme, elle promet des problèmes de sûreté graves et une situation énergétique ingérable dans une décennie : des incidents récurrents, des réacteurs fatigués, continuellement arrêtés car trop fragiles… et pas de production alternative pour prendre le relai. Entre-temps, le prix du pétrole n’aura sûrement pas baissé et l’épuisement des fossiles aura conduit à se tourner vers des combustibles de plus en plus polluants. Risque nucléaire ET effet de serre, voilà l’avenir que nous promet EDF !

Nous allons droit dans le mur. C’est maintenant ou jamais qu’un changement radical de politique énergétique doit s’amorcer. Alors que doit être présentée au printemps une loi qui engagera la France dans des choix lourds de conséquences pour les prochaines décennies, l’heure est à la mobilisation ! Pour dire non à la prolongation du risque nucléaire, le Réseau lance un appel à 50 jours d’actions partout en France au printemps prochain, entre le 9 mars (Fukushima) et le 26 avril (Tchernobyl). Retrouvez notre appel au dos de cette revue.

Réseau "Sortir du nucléaire"

Info, intox, que faut-il en penser ? Quels seraient les risques d’une telle prolongation et ses impacts sur notre futur énergétique ? Entre les démentis des uns, les allusions des autres, où en est-on ?

Un gouvernement incohérent

Très vite Philippe Martin, ministre de l’Écologie, tente de faire taire la rumeur "Ce ne sont pas les commissaires aux comptes d’EDF qui détermineront la politique énergétique française !" proteste-t-il. De son côté, Arnaud Montebourg déclare le 12 novembre, qu’à part Fessenheim, aucune centrale n’est censée fermer, sous-entendant de fait que les autres réacteurs seront prolongés pour une durée indéterminée… Et pendant ce temps, l’ex-ministre Delphine Batho, elle, prétend que la décision d’allonger la durée d’amortissement des centrales, qu’elle approuve, serait déjà prise depuis longtemps.

Il semble finalement que la décision finale sera reportée aux débats sur la loi de transition énergétique, et en tout cas après les élections municipales et européennes : affaibli, le gouvernement ne prendra sûrement pas le risque d’un clash supplémentaire avec EELV. Toujours est-il que la ligne politique n’est pas claire et que de nombreux ministres seraient prêts à passer toutes ses revendications à EDF – un comble alors que la loi est censée rendre à l’exécutif la capacité de fermer des réacteurs !

Dans ces conditions on voit mal comment la promesse de "réduction de la part du nucléaire" se concrétiserait… à moins d’augmenter mécaniquement la part de toutes les autres sources d’énergie et donc les consommations, ce qui serait aussi irréaliste qu’anti-écologique !

EDF trépigne

Très endettée, l’entreprise compte bien allonger la durée d’amortissement des réacteurs à 50 ans, ce qui lui permettrait de réduire ses provisions pour le démantèlement des centrales. Pour parvenir au même montant, elle pourrait en effet mettre de côté une somme moins importante et la laisser fructifier tranquillement pendant une décennie de plus.

Cette proposition de prolongation "comptable" cache difficilement une volonté d’étendre la durée de fonctionnement effective des réacteurs. EDF ne fait pas mystère de sa volonté d’en prolonger certains, voire l’ensemble du parc, jusqu’à 60 ans. Au vu du chantier catastrophique de l’EPR, 4ème génération toujours à l’état de recherche, le remplacement des centrales semble fort compromis. Le seul moyen pour EDF de maintenir son quasi monopole sur la production d’électricité est d’étendre la durée de fonctionnement légale des réacteurs… comme elle l’avait déjà fait en 2003 [1] . Une vaste opération de rénovation des réacteurs, estimée par EDF à plus de 50 milliards d’euros, est déjà en préparation sous le nom de "Grand Carénage" [2].

L’Autorité de Sûreté Nucléaire tente de se faire entendre

Quant à l’Autorité de Sûreté Nucléaire, grande oubliée des discussions, elle rappelle fermement que la décision doit passer par elle et qu’elle n’a pas donné son accord de principe pour laisser fonctionner les centrales au-delà de 40 ans. Ce n’est qu’en 2015 qu’elle se prononcera, mais elle exprime déjà son scepticisme, car une telle prolongation aurait des impacts lourds sur la sûreté !

Prolonger les réacteurs et toute la filière, c’est accroître le risque d’accident

En France, une vingtaine de réacteurs a déjà dépassé 30 ans de fonctionnement, durée approximative pour laquelle ils ont été conçus. Problème : le vieillissement des installations est un phénomène inéluctable et contre lequel on ne peut agir qu’à la marge. Une centrale n’est pas une voiture qui peut repartir allègrement pour 15000 km après une petite révision et quelques changements de pièces. Les matériaux qui composent les centrales nucléaires sont soumis à une usure bien particulière et deviennent plus fragiles sous l’effet de l’usure.

Une telle décision aurait pour conséquence d’augmenter encore le risque d’une catastrophe dans une de nos centrales, et de prolonger d’autant le fonctionnement de toute la filière nucléaire, ainsi que les risques et pollutions qu’elle engendre, de l’extraction de l’uranium au stockage des déchets, en passant par le "retraitement" du combustible usé.

Un "Grand Carénage" qui pourrait virer au "grand carnage"

Pour parer aux risques du vieillissement (et intégrer les prescriptions de sûreté post-Fukushima), EDF compte sur le programme du "Grand Carénage", démarré en 2012 et qui doit concerner toutes les centrales françaises, en commençant par celle de Paluel et qui doit s’achever en 2025.

Mais dans quelles conditions ces grands travaux vont-ils se dérouler ? Certains évoquent déjà un "grand carnage" : ces opérations lourdes réquisitionneront trois fois plus de personnel, imposant de recourir à des travailleurs non qualifiés, probablement sous-payés et peu informés des risques. Tout devant être achevé avant les visites décennales des 40 ans des réacteurs (24 d’entre eux ayant déjà dépassé les 30 ans), on peut également craindre des opérations menées au pas de course, dans des conditions difficilement soutenables pour les travailleurs, où la logique économique prendrait le pas sur la sûreté. En effet, les 50 milliards d’euros évoqués par EDF relèvent d’une estimation grossière, qui ne sera sans doute pas à la hauteur des travaux à effectuer.

Étendre la durée de fonctionnement des réacteurs signifie aussi mettre en danger ceux qui les font fonctionner, aux premières loges face à la multiplication des incidents. C’est également condamner les travailleurs en charge de la maintenance à opérer sur des matériaux qui seront devenus eux-mêmes beaucoup plus radioactifs avec le temps. Par ailleurs, avec le départ en retraite de 50% des effectifs d’EDF d’ici 2017, les travailleurs perdront en compétence. Faute de transmission, on peut redouter que ces derniers se mettent en danger sans le savoir.

Prolonger : reculer pour mieux sauter !

Retarder le départ en retraite des réacteurs signifie donc accroître les risques… mais aussi perdre un temps précieux sur la construction de notre avenir énergétique. En misant autant sur la perpétuation de la capacité nucléaire, EDF et le gouvernement négligent les investissements incontournables dans l’efficacité et les énergies renouvelables. La France risque bien de rater le coche de la transition énergétique !

Si cette prolongation se confirme, elle promet des problèmes de sûreté graves et une situation énergétique ingérable dans une décennie : des incidents récurrents, des réacteurs fatigués, continuellement arrêtés car trop fragiles… et pas de production alternative pour prendre le relai. Entre-temps, le prix du pétrole n’aura sûrement pas baissé et l’épuisement des fossiles aura conduit à se tourner vers des combustibles de plus en plus polluants. Risque nucléaire ET effet de serre, voilà l’avenir que nous promet EDF !

Nous allons droit dans le mur. C’est maintenant ou jamais qu’un changement radical de politique énergétique doit s’amorcer. Alors que doit être présentée au printemps une loi qui engagera la France dans des choix lourds de conséquences pour les prochaines décennies, l’heure est à la mobilisation ! Pour dire non à la prolongation du risque nucléaire, le Réseau lance un appel à 50 jours d’actions partout en France au printemps prochain, entre le 9 mars (Fukushima) et le 26 avril (Tchernobyl). Retrouvez notre appel au dos de cette revue.

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