Analyse
Nicolas Hulot va-t-il fermer des réacteurs ?
En annonçant la fermeture de "jusqu’à 17 réacteurs" d’ici à 2025, Nicolas Hulot a marqué une rupture avec le précédent gouvernement. Mais cette annonce, qui a fait grand bruit, pourra-t-elle se traduire en actes ?
Une annonce inattendue
10 juillet 2017 : invité de la matinale de RTL, Nicolas Hulot pour la première fois, évoque la fermeture de centrales nucléaires : "Laissez-moi planifier les choses, ce sera peut-être jusqu’à 17 réacteurs". L’annonce provoque un tollé. Quelques jours après, dans une interview accordée à Public Sénat, il nuance : "J’ai évoqué des scénarios que tout le monde s’efforce d’occulter. Car il y a une loi qui a été votée. Si on l’applique à la lettre, dans les scénarios on pourrait fermer jusqu’à même 25 réacteurs". Et de préciser : "Je n’ai pas dit qu’on allait fermer 25 réacteurs, pas plus que 17 ou 19. Je dis simplement qu’il y a une loi. Si on met les conséquences de cette loi sous le tapis, il y a un moment où un autre où on va être dans une impasse". Devant les sénateurs, il renchérit : "Comme nous avons déjà perdu des années précieuses, cet objectif [de réduction à 50 % de la part du nucléaire], ne nous cachons pas derrière le petit doigt, je pense qu’il va être difficile [de le tenir]".
Un cadre peu contraignant pour EDF
Nicolas Hulot va donc devoir décliner une loi que le gouvernement précédent ne s’est jamais vraiment soucié d’appliquer, renvoyant la patate chaude au prochain quinquennat... Et le cadre légal instauré par ses prédécesseurs n’offre pas, loin de là, d’outils contraignants pour imposer à EDF des fermetures rapides de réacteurs dans une perspective de transition énergétique.
En effet, les objectifs de la fameuse "loi de transition énergétique et de croissance verte", dont la réduction de la part du nucléaire à 50%, étaient censés être déclinés dans une Programmation Pluriannuelle de l’Énergie (PPE) résultant d’une concertation avec différents acteurs... dont EDF. Cette PPE, dont la première partie porte jusqu’à 2018 et la seconde sur la période 2018-2023, devait fournir des informations précises sur les évolutions de la production et de la consommation d’énergie, qu’EDF déclinerait ensuite dans un plan stratégique censé traduire l’évolution du parc nucléaire. Or la première partie ne mentionne que la fermeture de Fessenheim, qui n’est même pas garantie d’ici à 2018 [1] et qu’EDF ne s’est pas donnée la peine de décliner précisément dans son plan stratégique.
Quant à la deuxième partie, elle s’avère particulièrement indigente en ce qui concerne de possibles fermetures de centrales... et la formulation du texte laisse même entendre que celles-ci pourraient rester optionnelles ! Ainsi, il est question d’une "réduction de la puissance d’électricité d’origine nucléaire" qui, en 2023, "se situe entre 10 TWh [soit sensiblement la production annuelle de Fessenheim] et 65 TWh". Cette réduction pourrait être le résultat de fermetures décidées par l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN)... mais aussi du fait qu’en 2023, plusieurs réacteurs pourraient être provisoirement arrêtés pour travaux en vue de la prolongation de leur activité !
Cette deuxième partie de la PPE doit cependant être révisée en 2018, les services de l’État eux-mêmes étant conscients que le compte n’y est pas. Tout dépendra alors du rapport de force que l’État pourra – ou plutôt, voudra bien – instaurer avec EDF. Homme de compromis et de consensus, Nicolas Hulot saura-t-il entrer dans le dur ? Et aura-t-il vraiment le soutien d’un gouvernement qui n’a pas fait de la transition énergétique sa priorité ?
Le gouvernement se déchargera-t-il sur l’Autorité de sûreté nucléaire pour fermer des centrales ?
À l’occasion d’un "recadrage", le Premier ministre Edouard Philippe a fourni quelques indications sur la démarche qu’il semble privilégier. Tout en parlant de fermetures "à moyen terme" sans reprendre de chiffres et en évoquant la nécessité d’être "prudents", celui-ci a renvoyé toute décision à l’échéance de fin 2018-début 2019. En clair : il s’agit de renvoyer à l’Autorité de sûreté nucléaire la responsabilité des fermetures.
En effet, c’est à cette date que l’ASN doit rendre son avis générique sur la prolongation des réacteurs au-delà de 40 ans de fonctionnement. Celui-ci définira les préconisations qui serviront ensuite de base pour étudier, au cas par cas, la poursuite ou non de chaque réacteur à l’issue de sa quatrième "visite décennale", ces réexamens de sûreté censés advenir tous les 10 ans (mais réalisés, dans les faits, avec quelques années de retard). La première installation concernée sera le réacteur n°1 de Tricastin, en 2019, suivie par Fessenheim 1 et Bugey 2, en 2020 ; le rythme s’accélérera ensuite avec 5 à 7 réacteurs concernés par an à partir de 2021.
Mais ces rendez-vous ne déboucheront pas nécessairement sur des fermetures : si l’ASN ne cesse de répéter que "la prolongation n’est nullement acquise", elle ne fait pas de cette échéance un couperet. Et peut-on attendre d’elle une attitude intransigeante sachant qu’elle a rendu un premier avis favorable à la mise en service de la cuve de l’EPR de Flamanville malgré d’importants défauts de qualité ? Il est possible qu’elle pointe la dégradation d’équipements qui ne sont pas remplaçables ni réparables ; mais il est bien plus probable qu’elle se contente de prescrire des travaux à EDF. S’en remettre à l’ASN n’offre donc aucune garantie de especter l’objectif de réduction de la part du nucléaire, sachant qu’obtenir 25 fermetures d’ici 2025 nécessiterait d’arrêter tous les réacteurs à l’issue de leur 4e visite décennale !
Au-delà de l’état des réacteurs, les éléments déterminants seront le coût des travaux proposés et l’attitude du gouvernement vis-à-vis d’EDF. La situation financière catastrophique de l’entreprise plaiderait pour ne pas entreprendre des travaux lourds sur plusieurs sites à la fois. Toutefois, son entêtement pourrait être plus fort que la rationalité économique. Nicolas Hulot devra donc entrer dans un rapport de force avec EDF, en refusant cette fuite en avant et en conditionnant le sauvetage de l’entreprise à la fermeture des réacteurs. Mais bénéficiera-t-il du soutien politique du gouvernement pour tenir tête à l’entreprise ? Cela reste à démontrer...
Charlotte Mijeon
Fermer 17 à 25 réacteurs : un objectif techniquement réalisable... et qui doit être dépassé
Suite à la déclaration de Nicolas Hulot, les représentants de l’industrie nucléaire se sont empressés de dénoncer une mise en danger du système énergétique et une hausse des émissions de gaz à effet de serre en perspective. C’est oublier qu’une telle vague de fermetures, sur un plan technique et énergétique, ne représente pas un défi insurmontable. En effet, comme l’avait déclaré le chef de la Direction Générale de l’Énergie et du Climat au détour d’une audition parlementaire en mars 2014, la montée en puissance des énergies renouvelables, l’amélioration des performances énergétiques des équipements et la stagnation prévue de la consommation électrique laissaient entrevoir, à l’horizon 2025, un "non-besoin" d’une vingtaine de réacteurs. Les scénarios les plus récents de RTE confirment d’ailleurs que même un fort développement de la voiture électrique ne ferait pas bondir la consommation d’électricité.
Les fantasmes de centrales au charbon allumées pour compenser les fermetures de centrales apparaissent donc totalement injustifiés. L’Association négaWatt, qui propose un scénario global de transition énergétique avec réduction massive des émissions de gaz à effet de serre et un abandon progressif du nucléaire, préconise d’ailleurs la fermeture de 35 réacteurs à l’échéance 2025 !
Si l’arrêt de 25 réacteurs peut suffire si on se cantonne à respecter l’objectif de réduction de la part du nucléaire, on ne peut s’en contenter en terme de sûreté. D’ici 2025, une trentaine de réacteurs auront atteint ou dépassé les 40 ans de fonctionnement, ce qui reviendrait à dépasser la durée pour laquelle certains équipements ont été conçus. Un parc nucléaire réduit mais prolongé ne supprimera pas le risque d’accident ; pour pouvoir l’écarter définitivement, une sortie complète du nucléaire est nécessaire.
Notes
[1] Voir l’article Fessenheim, chronique d’une non-fermeture (Revue Sortir du nucléaire n°74). Le décret de fermeture de Fessenheim signé en avril 2017 ne comprend pas de date et conditionne son arrêt à la mise en service de l’EPR de Flamanville... ainsi qu’au fait qu’aucune centrale de puissance équivalente n’ait fermé entre-temps ! La fermeture officielle de la centrale n’est donc pas pour demain. Situation d’autant plus absurde que le réacteur n°2 de Fessenheim, à l’arrêt depuis plus d’un an, ne redémarrera sans doute jamais.