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Sortir du nucléaire n°98



Été 2023
Crédit photo : Lars Hoff - ausgestrahlt

Dossier : Nucléaire à l’international

Nucléaire : en Allemagne, plus jamais !

En avril 2023, l’Allemagne a fermé ses dernières centrales nucléaires – une victoire historique du mouvement antinucléaire. Néanmoins, certains défis doivent encore être relevés avant une vraie sortie du nucléaire.

Alternatives et sortie du nucléaire Sortie du nucléaire Organisations antinucléaires étrangères

Le souriant soleil rouge antinucléaire brille plus fort que jamais. Projeté sur la tour de refroidissement de la centrale nucléaire d’Emsland, dans le nord-ouest de l’Allemagne, il rend hommage au mouvement antinucléaire qui fête son plus grand succès : le 15 avril, peu avant minuit, les trois derniers réacteurs allemands ont définitivement arrêté leur production d’électricité.

C’est une victoire acquise suite à un long combat, de milliers de manifestations, d’actions militantes, de débats durs, de protestations persistantes. Une victoire remportée par des centaines de milliers de personnes, qui, pendant plusieurs décennies, se sont exprimé·es et engagé·es pour l’arrêt des réacteurs. Ensemble, ils et elles ont fait valoir les bons arguments contre le nucléaire, ont acquis la majorité politique, et ont finalement réussi à vaincre la puissante alliance politico-industrielle nucléaire.

Panique des fans du nucléaire

La sortie désormais accomplie du nucléaire fut négociée avec les exploitants des centrales dès 2000 et mise en loi pour la première fois en 2002 par un gouvernement social-démocrate/vert (SPD/Grüne). Elle fut ensuite concrétisée par un gouvernement chrétien-démocrate/libéral (CDU/CSU/FDP) en 2011. Quelques mois auparavant à peine, ce dernier imposait une prolongation de durée de vie des centrales de plusieurs années, qu’il a ensuite dû annuler face aux manifestations antinucléaires massives post-Fukushima. Soutenu par une très très large majorité au parlement, le gouvernement avait alors fixé une date d’arrêt ultime pour chacune des centrales, dont le 31 décembre 2022 pour les trois dernières. Les voix revendiquant de renverser cette décision devenaient de plus en plus rares.

Mais avec la crise du gaz déclenchée par la guerre contre l’Ukraine, les pro-nucléaires ont senti une dernière chance d’empêcher l’arrêt des centrales. Dès le début de la guerre, ils ont mené une campagne de peur en suggérant que l’approvisionnement en électricité ne serait plus assuré sans les centrales. Cette fable, racontée depuis des décennies chaque fois que la question du nucléaire revient sur le tapis, a toujours été fausse.

En automne dernier, confronté à une forte demande d’importations d’électricité de la part de la France, dont une grande partie du parc nucléaire présentait des défaillances, le gouvernement social-démocrate/vert/libéral actuel décidait de décaler la date de la fermeture de 15 semaines, permettant aux centrales d’étirer l’usage des éléments combustibles existants jusqu’à la fin de l’hiver. Le chef de l’Agence Fédérale des Réseaux (Bundesnetzagentur) concédait a posteriori qu’il s’agissait d’une décision purement politique et objectivement redondante : contrairement à ce que même des ministres verts avaient fait croire, ni la sécurité de l’approvisionnement ni les exportations d’électricité vers la France n’ont été menacées. Aucun report d’arrêt n’était nécessaire, et l’Allemagne aurait pu se passer de l’atome fin 2022, comme les études officielles l’avaient prouvé.

Il a fallu des manifestations antinucléaires dans plus d’une centaine de villes mi-mars pour s’assurer que l’arrêt des réacteurs aurait bien lieu au 15 avril 2023.

Fin du nucléaire, fin du charbon, et boom des renouvelables

La fin de la production d’énergie nucléaire en Allemagne a réduit de manière drastique le risque d’un accident nucléaire majeur dans le pays. Elle a stoppé la production des déchets nucléaires. Elle a enlevé des obstacles physiques, économiques et politiques à la poursuite de la transition énergétique, en libérant des capacités dans le réseau électrique et en incitant des investissements dans les énergies renouvelables. En outre, elle a prouvé que de grandes transitions sont possibles et que même les adversaires les plus puissants ne sont pas invincibles, si un grand nombre de personnes s’engage ensemble.

Le succès et l’impact de la sortie du nucléaire vont bien plus loin que l’arrêt des centrales allemandes : le mouvement antinucléaire attirait dès les années 1970 l’attention sur les énergies renouvelables et exigeait qu’elles soient développées comme une alternative sérieuse. Ce n’est pas un hasard si en 2000, parallèlement aux négociations sur la sortie du nucléaire, la loi sur le développement des énergies renouvelables a été adoptée. S’ensuivit une chute des prix et un boom global des renouvelables qui aujourd’hui dominent largement les investissements dans le secteur de l’énergie dans le monde entier.

Alors que dans les années 1990 les exploitants des centrales nucléaires et des centrales à charbon annonçaient que les énergies renouvelables « ne pourront pas couvrir plus de 4 % de nos besoins en électricité, même à long terme », rien qu’en Allemagne leur croissance a compensé la production nucléaire abandonnée, mais aussi presque la même quantité d’électricité produite à partir de charbon. Ainsi, entre 2000 et 2022, la production d’électricité issue du charbon a diminué de 38 % dans le pays, et ce malgré une hausse causée surtout par des exportations hivernales vers la France. En parallèle, l’Allemagne est devenue un pays exportateur d’électricité qui, en 2022, a vendu à l’étranger en solde l’équivalent de la production de deux à trois centrales nucléaires.

L’affirmation souvent avancée selon laquelle la sortie du nucléaire nuirait au climat n’est donc pas seulement fausse, c’est plutôt le contraire qui est vrai. Rien n’a fait avancer la protection du climat de manière plus décisive que la sortie du nucléaire et la pression qu’elle a mise sur le développement des énergies renouvelables. Cet effet serait encore plus fort si les gouvernements dirigés par les chrétiens-démocrates n’avaient pas freiné et entravé de leur mieux cette extension au cours des dix dernières années. Avec une croissance assumée des renouvelables comme elle est prévue maintenant, la sortie du charbon va s’accélérer sensiblement et sera accomplie en quelques années.

Les défis qui restent

Pour le mouvement antinucléaire allemand le combat n’est pas encore fini. Dans au moins cinq domaines il reste des problèmes nucléaires dont il faut s’occuper.

1. Les déchets nucléaires : dont l’histoire a montré que l’État tente de les jeter dans n’importe quel trou, s’il n’y a pas de public critique.

2. L’industrie nucléaire : une dizaine d’entreprises allemandes continuent de profiter du nucléaire en explorant, maintenant ou même en construisant de nouvelles centrales dans d’autres pays. À Lingen, par exemple, une filière de Framatome fabrique des éléments combustibles pour des centrales à l’étranger, et veut même élargir la production en coopération avec Rosatom, groupe d’état russe directement subordonné au Kremlin. Le projet permettrait de contourner des sanctions potentielles à l’encontre du nucléaire russe.

3. La politique pro-nucléaire au sein de l’UE, poussée principalement par le gouvernement français qui veut mettre en équivalence les énergies renouvelables et le nucléaire pour obtenir des aides financières et des conditions privilégiées pour ce dernier.

4. Les réacteurs et les projets de nouvelles centrales dans des pays voisins qui représentent un danger aussi pour l’Allemagne.

5. L’opinion publique qu’il faut continuer d’informer, pour qu’elle ne tombe pas dans le piège du lobby nucléaire.

Assez de raisons donc pour continuer à lutter. Sauf que le slogan « Non merci ! » se transforme maintenant en « Plus jamais ! ».

Armin Simon .ausgestrahlt (ONG antinucléaire allemande)

Le souriant soleil rouge antinucléaire brille plus fort que jamais. Projeté sur la tour de refroidissement de la centrale nucléaire d’Emsland, dans le nord-ouest de l’Allemagne, il rend hommage au mouvement antinucléaire qui fête son plus grand succès : le 15 avril, peu avant minuit, les trois derniers réacteurs allemands ont définitivement arrêté leur production d’électricité.

C’est une victoire acquise suite à un long combat, de milliers de manifestations, d’actions militantes, de débats durs, de protestations persistantes. Une victoire remportée par des centaines de milliers de personnes, qui, pendant plusieurs décennies, se sont exprimé·es et engagé·es pour l’arrêt des réacteurs. Ensemble, ils et elles ont fait valoir les bons arguments contre le nucléaire, ont acquis la majorité politique, et ont finalement réussi à vaincre la puissante alliance politico-industrielle nucléaire.

Panique des fans du nucléaire

La sortie désormais accomplie du nucléaire fut négociée avec les exploitants des centrales dès 2000 et mise en loi pour la première fois en 2002 par un gouvernement social-démocrate/vert (SPD/Grüne). Elle fut ensuite concrétisée par un gouvernement chrétien-démocrate/libéral (CDU/CSU/FDP) en 2011. Quelques mois auparavant à peine, ce dernier imposait une prolongation de durée de vie des centrales de plusieurs années, qu’il a ensuite dû annuler face aux manifestations antinucléaires massives post-Fukushima. Soutenu par une très très large majorité au parlement, le gouvernement avait alors fixé une date d’arrêt ultime pour chacune des centrales, dont le 31 décembre 2022 pour les trois dernières. Les voix revendiquant de renverser cette décision devenaient de plus en plus rares.

Mais avec la crise du gaz déclenchée par la guerre contre l’Ukraine, les pro-nucléaires ont senti une dernière chance d’empêcher l’arrêt des centrales. Dès le début de la guerre, ils ont mené une campagne de peur en suggérant que l’approvisionnement en électricité ne serait plus assuré sans les centrales. Cette fable, racontée depuis des décennies chaque fois que la question du nucléaire revient sur le tapis, a toujours été fausse.

En automne dernier, confronté à une forte demande d’importations d’électricité de la part de la France, dont une grande partie du parc nucléaire présentait des défaillances, le gouvernement social-démocrate/vert/libéral actuel décidait de décaler la date de la fermeture de 15 semaines, permettant aux centrales d’étirer l’usage des éléments combustibles existants jusqu’à la fin de l’hiver. Le chef de l’Agence Fédérale des Réseaux (Bundesnetzagentur) concédait a posteriori qu’il s’agissait d’une décision purement politique et objectivement redondante : contrairement à ce que même des ministres verts avaient fait croire, ni la sécurité de l’approvisionnement ni les exportations d’électricité vers la France n’ont été menacées. Aucun report d’arrêt n’était nécessaire, et l’Allemagne aurait pu se passer de l’atome fin 2022, comme les études officielles l’avaient prouvé.

Il a fallu des manifestations antinucléaires dans plus d’une centaine de villes mi-mars pour s’assurer que l’arrêt des réacteurs aurait bien lieu au 15 avril 2023.

Fin du nucléaire, fin du charbon, et boom des renouvelables

La fin de la production d’énergie nucléaire en Allemagne a réduit de manière drastique le risque d’un accident nucléaire majeur dans le pays. Elle a stoppé la production des déchets nucléaires. Elle a enlevé des obstacles physiques, économiques et politiques à la poursuite de la transition énergétique, en libérant des capacités dans le réseau électrique et en incitant des investissements dans les énergies renouvelables. En outre, elle a prouvé que de grandes transitions sont possibles et que même les adversaires les plus puissants ne sont pas invincibles, si un grand nombre de personnes s’engage ensemble.

Le succès et l’impact de la sortie du nucléaire vont bien plus loin que l’arrêt des centrales allemandes : le mouvement antinucléaire attirait dès les années 1970 l’attention sur les énergies renouvelables et exigeait qu’elles soient développées comme une alternative sérieuse. Ce n’est pas un hasard si en 2000, parallèlement aux négociations sur la sortie du nucléaire, la loi sur le développement des énergies renouvelables a été adoptée. S’ensuivit une chute des prix et un boom global des renouvelables qui aujourd’hui dominent largement les investissements dans le secteur de l’énergie dans le monde entier.

Alors que dans les années 1990 les exploitants des centrales nucléaires et des centrales à charbon annonçaient que les énergies renouvelables « ne pourront pas couvrir plus de 4 % de nos besoins en électricité, même à long terme », rien qu’en Allemagne leur croissance a compensé la production nucléaire abandonnée, mais aussi presque la même quantité d’électricité produite à partir de charbon. Ainsi, entre 2000 et 2022, la production d’électricité issue du charbon a diminué de 38 % dans le pays, et ce malgré une hausse causée surtout par des exportations hivernales vers la France. En parallèle, l’Allemagne est devenue un pays exportateur d’électricité qui, en 2022, a vendu à l’étranger en solde l’équivalent de la production de deux à trois centrales nucléaires.

L’affirmation souvent avancée selon laquelle la sortie du nucléaire nuirait au climat n’est donc pas seulement fausse, c’est plutôt le contraire qui est vrai. Rien n’a fait avancer la protection du climat de manière plus décisive que la sortie du nucléaire et la pression qu’elle a mise sur le développement des énergies renouvelables. Cet effet serait encore plus fort si les gouvernements dirigés par les chrétiens-démocrates n’avaient pas freiné et entravé de leur mieux cette extension au cours des dix dernières années. Avec une croissance assumée des renouvelables comme elle est prévue maintenant, la sortie du charbon va s’accélérer sensiblement et sera accomplie en quelques années.

Les défis qui restent

Pour le mouvement antinucléaire allemand le combat n’est pas encore fini. Dans au moins cinq domaines il reste des problèmes nucléaires dont il faut s’occuper.

1. Les déchets nucléaires : dont l’histoire a montré que l’État tente de les jeter dans n’importe quel trou, s’il n’y a pas de public critique.

2. L’industrie nucléaire : une dizaine d’entreprises allemandes continuent de profiter du nucléaire en explorant, maintenant ou même en construisant de nouvelles centrales dans d’autres pays. À Lingen, par exemple, une filière de Framatome fabrique des éléments combustibles pour des centrales à l’étranger, et veut même élargir la production en coopération avec Rosatom, groupe d’état russe directement subordonné au Kremlin. Le projet permettrait de contourner des sanctions potentielles à l’encontre du nucléaire russe.

3. La politique pro-nucléaire au sein de l’UE, poussée principalement par le gouvernement français qui veut mettre en équivalence les énergies renouvelables et le nucléaire pour obtenir des aides financières et des conditions privilégiées pour ce dernier.

4. Les réacteurs et les projets de nouvelles centrales dans des pays voisins qui représentent un danger aussi pour l’Allemagne.

5. L’opinion publique qu’il faut continuer d’informer, pour qu’elle ne tombe pas dans le piège du lobby nucléaire.

Assez de raisons donc pour continuer à lutter. Sauf que le slogan « Non merci ! » se transforme maintenant en « Plus jamais ! ».

Armin Simon .ausgestrahlt (ONG antinucléaire allemande)



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