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Sortir du nucléaire n°103



Automne 2024
Crédit photo : Marie-Lan Nguyen - Wikimedia Commons - CC BY SA 4.0

Dossier : Combustible, mon (dés)amour

Mines d’uranium françaises : pour quelques décennies d’activité, une pollution quasi-éternelle

Selon l’Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs (Andra), la France a produit à ce jour 1,76 millions de mètres cubes de déchets radioactifs. C’est oublier les centaines de millions de tonnes de déchets des mines d’uranium. La prise de conscience de leur impact environnemental et sanitaire a progressé grâce au combat de longue date conduit par la Commission de Recherche et d’Information Indépendantes sur la RADioactivité (CRIIRAD) et des associations, mais de nombreux problèmes persistent.

Pollution radioactive Le nucléaire et l’eau Déchets radioactifs Uranium et mines Localisation des sites nucléaires

80 000 tonnes d’uranium, 250 millions de tonnes de déchets

Entre 1946 et 2001, plus de 200 mines d’uranium ont été exploitées en France. Les activités d’extraction et de traitement du minerai ont concerné 8 régions et 27 départements. Pour 80 000 tonnes d’uranium produit au total, cette industrie a généré de grandes quantités de déchets radioactifs, en particulier les stériles miniers (environ 200 millions de tonnes) et les résidus d’extraction de l’uranium (plus de 50 millions de tonnes).

Les stériles miniers

Les stériles sont des roches dont la teneur en uranium est supérieure à la moyenne de l’écorce terrestre (de l’ordre de 2 à 4 grammes par tonne), mais inférieure au "seuil de coupure" au-delà duquel l’extraction d’uranium est économiquement intéressante (de 100 à plusieurs centaines de grammes par tonne).

Les stériles contiennent de l’uranium 238 et ses 13 descendants radioactifs, ainsi que de l’uranium 235 et ses 10 descendants radioactifs. Ils présentent une activité de plusieurs milliers à plusieurs dizaines de milliers de becquerels par kilogramme (Bq/kg), voire plus, ce qui les classe dans la catégorie des déchets radioactifs de Très Faible Activité (TFA).

Les résidus d’extraction de l’uranium

Les résidus sont les déchets générés par l’extraction de l’élément uranium contenu dans le minerai. Ils contiennent toujours la majorité de la radioactivité initiale. Selon le procédé utilisé, leur activité est de plusieurs dizaines à plusieurs centaines de milliers de Bq/kg : ce sont des déchets allant de Très Faible Activité (TFA) à Faible Activité (FA).

Ces déchets radioactifs présentent des caractéristiques très pénalisantes en termes de radioprotection. La période physique, temps au bout duquel la moitié des atomes se sont désintégrés, est de 4,5 milliards d’années pour l’uranium 238, 700 millions d’années pour l’uranium 235, 75 000 ans pour le thorium 230… De plus, certains radionucléides présents figurent parmi les plus radiotoxiques par ingestion (plomb 210 et polonium 210), ou par inhalation (thorium 230). En outre, les déchets issus de l’extraction forment une boue très fine qui facilite la migration des radionucléides. Enfin, les remblais et résidus miniers contiennent du radium 226 qui génère en permanence un gaz radioactif, le radon 222.

Des déchets radioactifs mal stockés

Comme le démontrent depuis plusieurs décennies la CRIIRAD et les associations locales, ces déchets ne sont généralement pas placés dans des sites répondant à leurs caractéristiques de dangerosité. Les stériles ont souvent été dispersés sans précaution et utilisés comme remblais pour des pistes, chemins et routes, parfois à proximité de lieux publics, habitations, voire sous des bâtiments.

En 2001, des mesures réalisées par la CRIIRAD dans une scierie construite sur des stériles issus de la mine d’uranium des Bois Noirs (Allier) avaient révélé la présence de niveaux élevés de radon. La COGEMA (devenue Areva puis Orano), alors exploitante des Bois Noirs, avait été contrainte d’enlever 8 000 m3 de remblais radioactifs.

Concernant les résidus, les conditions de stockage sont insuffisantes pour des déchets radioactifs de ce type. Ils ont été déversés en vrac, sans conditionnement, dans des sites choisis en raison de leur proximité des lieux de production des déchets (ancienne mine à ciel ouvert, sablière de rivière, …), sans installation de membranes d’étanchéité au fond des alvéoles. Ainsi, toujours sur le site des Bois Noirs, 1,3 million de tonnes de résidus sont entreposés dans le lit d’un ancien cours d’eau, la Besbre, que l’exploitant a dû détourner. Ils sont retenus par une digue de 510 mètres de long et 42 mètres de haut, sous une lame d’eau de 2 à 3 mètres. Aucune solution de stockage pérenne n’a encore été trouvée. Une étude conduite en 2014 par le laboratoire de la CRIIRAD montre que les mousses aquatiques sont contaminées par l’uranium et le radium 226 jusqu’à 30 kilomètres en aval de l’ancienne mine. Dans la zone de rejet, les mousses sont tellement contaminées que les déchets peuvent être qualifiés de radioactifs (300 000 Bq/kg sec en radium 226).

Une surveillance laxiste

Cette légèreté des conditions de stockage devrait induire des conditions de surveillance des sites et de leur environnement strictes, ce qui est loin d’être le cas.

  • L’autocontrôle de l’exploitant est insuffisant. Dans de nombreux cas, la CRIIRAD a constaté que les stations de mesure du niveau de rayonnement gamma ambiant de l’exploitant étaient placées au droit des terrains sans anomalie, alors qu’il existait des secteurs où l’excès de radiation était manifeste (présence de remblais radioactifs, boues, sédiments ou terres contaminées par les écoulements) [1].
  • Les recours ponctuels à des laboratoires extérieurs ne sont pas forcément une garantie : ils peuvent confirmer les conclusions de l’exploitant quant à l’absence d’impact d’un site sur son environnement, alors que le secteur est bel et bien pollué. À Gueugnon, la CRIIRAD a ainsi mesuré des niveaux anormaux de radiation sur le parking du stade de football, situé sur un terrain remblayé avec 23 000 tonnes de résidus radioactifs issus de l’ancienne usine d’extraction d’uranium. Pourtant, les contrôles précédemment réalisés par Subatech et l’Institut de Radioprotection et de Sûreté Nucléaire concluaient à l’absence de toute irradiation anormale.
  • Pire, dans certains cas, la réglementation qui fixe les servitudes applicables au site n’est pas respectée. Les autorités en sont informées, mais rien n’est fait. Autour du site d’extraction et de traitement du minerai de Saint-Pierre (Cantal), dont l’exploitation a généré 600 000 tonnes de résidus d’extraction, une fontaine et une stèle ont ainsi été construites et un arbre planté dans une zone à déchets radioactifs où était interdite toute atteinte aux couches de recouvrement. Autrement dit, une zone qui interdisait les excavations, fondations, constructions et plantations. [2]

Quid du (très) long terme ?

Pour tous ces sites, dont la pollution perdurera pendant plusieurs centaines de milliers d’années, se pose le problème du financement des installations de stockage, de leur entretien et de la conservation de la mémoire à long terme.

En vertu du principe pollueur-payeur, la gestion de ces déchets devrait être à la charge de ceux qui les ont produits. Pourtant Orano cherche à se désengager en demandant à l’État de prendre en charge les sites.

Alors que la priorité des autorités devrait être de résoudre ces problèmes afin de limiter l’impact de ces sites sur l’environnement, c’est une logique de banalisation qui est à l’œuvre (disparition des barrières et de la signalétique, demande d’arrêt des contrôles par l’exploitant, construction de zone d’activité ou installation de parc photovoltaïque sur d’anciens sites miniers...).

  • Julien SYREN,
    chargé d’étude, responsable du service radon et radiamètres et co-directeur de la CRIIRAD
    www.criirad.org

Notes

[1Par exemple sur l’ancien site de Saint-Pierre : https://s.42l.fr/criirad-situation-radiologique-saintpierre-2007 ou celui des Bois Noirs : https://s.42l.fr/criirad-rapport-bois-noirs

[2Le site de stockage de déchets radioactifs de Saint-Pierre transformé en parc d’attraction d’un nouveau type ?, Communiqué de la CRIIRAD, 15 juin 2016

80 000 tonnes d’uranium, 250 millions de tonnes de déchets

Entre 1946 et 2001, plus de 200 mines d’uranium ont été exploitées en France. Les activités d’extraction et de traitement du minerai ont concerné 8 régions et 27 départements. Pour 80 000 tonnes d’uranium produit au total, cette industrie a généré de grandes quantités de déchets radioactifs, en particulier les stériles miniers (environ 200 millions de tonnes) et les résidus d’extraction de l’uranium (plus de 50 millions de tonnes).

Les stériles miniers

Les stériles sont des roches dont la teneur en uranium est supérieure à la moyenne de l’écorce terrestre (de l’ordre de 2 à 4 grammes par tonne), mais inférieure au "seuil de coupure" au-delà duquel l’extraction d’uranium est économiquement intéressante (de 100 à plusieurs centaines de grammes par tonne).

Les stériles contiennent de l’uranium 238 et ses 13 descendants radioactifs, ainsi que de l’uranium 235 et ses 10 descendants radioactifs. Ils présentent une activité de plusieurs milliers à plusieurs dizaines de milliers de becquerels par kilogramme (Bq/kg), voire plus, ce qui les classe dans la catégorie des déchets radioactifs de Très Faible Activité (TFA).

Les résidus d’extraction de l’uranium

Les résidus sont les déchets générés par l’extraction de l’élément uranium contenu dans le minerai. Ils contiennent toujours la majorité de la radioactivité initiale. Selon le procédé utilisé, leur activité est de plusieurs dizaines à plusieurs centaines de milliers de Bq/kg : ce sont des déchets allant de Très Faible Activité (TFA) à Faible Activité (FA).

Ces déchets radioactifs présentent des caractéristiques très pénalisantes en termes de radioprotection. La période physique, temps au bout duquel la moitié des atomes se sont désintégrés, est de 4,5 milliards d’années pour l’uranium 238, 700 millions d’années pour l’uranium 235, 75 000 ans pour le thorium 230… De plus, certains radionucléides présents figurent parmi les plus radiotoxiques par ingestion (plomb 210 et polonium 210), ou par inhalation (thorium 230). En outre, les déchets issus de l’extraction forment une boue très fine qui facilite la migration des radionucléides. Enfin, les remblais et résidus miniers contiennent du radium 226 qui génère en permanence un gaz radioactif, le radon 222.

Des déchets radioactifs mal stockés

Comme le démontrent depuis plusieurs décennies la CRIIRAD et les associations locales, ces déchets ne sont généralement pas placés dans des sites répondant à leurs caractéristiques de dangerosité. Les stériles ont souvent été dispersés sans précaution et utilisés comme remblais pour des pistes, chemins et routes, parfois à proximité de lieux publics, habitations, voire sous des bâtiments.

En 2001, des mesures réalisées par la CRIIRAD dans une scierie construite sur des stériles issus de la mine d’uranium des Bois Noirs (Allier) avaient révélé la présence de niveaux élevés de radon. La COGEMA (devenue Areva puis Orano), alors exploitante des Bois Noirs, avait été contrainte d’enlever 8 000 m3 de remblais radioactifs.

Concernant les résidus, les conditions de stockage sont insuffisantes pour des déchets radioactifs de ce type. Ils ont été déversés en vrac, sans conditionnement, dans des sites choisis en raison de leur proximité des lieux de production des déchets (ancienne mine à ciel ouvert, sablière de rivière, …), sans installation de membranes d’étanchéité au fond des alvéoles. Ainsi, toujours sur le site des Bois Noirs, 1,3 million de tonnes de résidus sont entreposés dans le lit d’un ancien cours d’eau, la Besbre, que l’exploitant a dû détourner. Ils sont retenus par une digue de 510 mètres de long et 42 mètres de haut, sous une lame d’eau de 2 à 3 mètres. Aucune solution de stockage pérenne n’a encore été trouvée. Une étude conduite en 2014 par le laboratoire de la CRIIRAD montre que les mousses aquatiques sont contaminées par l’uranium et le radium 226 jusqu’à 30 kilomètres en aval de l’ancienne mine. Dans la zone de rejet, les mousses sont tellement contaminées que les déchets peuvent être qualifiés de radioactifs (300 000 Bq/kg sec en radium 226).

Une surveillance laxiste

Cette légèreté des conditions de stockage devrait induire des conditions de surveillance des sites et de leur environnement strictes, ce qui est loin d’être le cas.

  • L’autocontrôle de l’exploitant est insuffisant. Dans de nombreux cas, la CRIIRAD a constaté que les stations de mesure du niveau de rayonnement gamma ambiant de l’exploitant étaient placées au droit des terrains sans anomalie, alors qu’il existait des secteurs où l’excès de radiation était manifeste (présence de remblais radioactifs, boues, sédiments ou terres contaminées par les écoulements) [1].
  • Les recours ponctuels à des laboratoires extérieurs ne sont pas forcément une garantie : ils peuvent confirmer les conclusions de l’exploitant quant à l’absence d’impact d’un site sur son environnement, alors que le secteur est bel et bien pollué. À Gueugnon, la CRIIRAD a ainsi mesuré des niveaux anormaux de radiation sur le parking du stade de football, situé sur un terrain remblayé avec 23 000 tonnes de résidus radioactifs issus de l’ancienne usine d’extraction d’uranium. Pourtant, les contrôles précédemment réalisés par Subatech et l’Institut de Radioprotection et de Sûreté Nucléaire concluaient à l’absence de toute irradiation anormale.
  • Pire, dans certains cas, la réglementation qui fixe les servitudes applicables au site n’est pas respectée. Les autorités en sont informées, mais rien n’est fait. Autour du site d’extraction et de traitement du minerai de Saint-Pierre (Cantal), dont l’exploitation a généré 600 000 tonnes de résidus d’extraction, une fontaine et une stèle ont ainsi été construites et un arbre planté dans une zone à déchets radioactifs où était interdite toute atteinte aux couches de recouvrement. Autrement dit, une zone qui interdisait les excavations, fondations, constructions et plantations. [2]

Quid du (très) long terme ?

Pour tous ces sites, dont la pollution perdurera pendant plusieurs centaines de milliers d’années, se pose le problème du financement des installations de stockage, de leur entretien et de la conservation de la mémoire à long terme.

En vertu du principe pollueur-payeur, la gestion de ces déchets devrait être à la charge de ceux qui les ont produits. Pourtant Orano cherche à se désengager en demandant à l’État de prendre en charge les sites.

Alors que la priorité des autorités devrait être de résoudre ces problèmes afin de limiter l’impact de ces sites sur l’environnement, c’est une logique de banalisation qui est à l’œuvre (disparition des barrières et de la signalétique, demande d’arrêt des contrôles par l’exploitant, construction de zone d’activité ou installation de parc photovoltaïque sur d’anciens sites miniers...).

  • Julien SYREN,
    chargé d’étude, responsable du service radon et radiamètres et co-directeur de la CRIIRAD
    www.criirad.org


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