Alerter
La galère de l’EPR
7 mai 2024. Après des années de mésaventures, l’unique réacteur EPR de France a reçu l’aval de l’Autorité de Sûreté Nucléaire pour être mis en service. Vous pensiez l’affaire réglée ? Que nenni ! Problèmes et retards continuent de s’accumuler.
17 années de construction (dont 12 de retard), 20 milliards d’euros (contre 3,3 à la base) et des difficultés par-dessus la tête, allant des erreurs de conception aux erreurs de montage, en passant par des bétons mal coulés, des soudures mal réalisées et des pièces mal fabriquées [1]. Des chantiers laborieux comme celui de l’EPR de Flamanville (Normandie), il n’en existe pas beaucoup (et c’est heureux !). Vendu comme un paquebot rutilant, le plus puissant réacteur de l’hexagone [2] est plutôt un rafiot qui prend l’eau. De quoi couvrir de honte EDF et donner du fil à retordre à l’Autorité de Sûreté Nucléaire (ASN).
Au début de cette année, l’ASN a déclaré suspecter deux fournisseurs d’EDF de fraudes. Des attestations de conformité de plusieurs pièces de l’EPR auraient notamment été falsifiées [3]. Mais l’ASN a autorisé la mise en service du réacteur [4] en mai, sans attendre le résultat de l’enquête censée faire la lumière sur la situation. Une précipitation risquée, car de nombreux problèmes restent encore à régler [5]. À l’été 2024, plusieurs associations ont porté plainte pour contester cette décision et demander la révélation des conclusions de l’enquête sur ces falsifications.
L’autorisation de mettre en service l’EPR n’a pas sonné le glas de la galère, loin de là ! Une fois la cuve chargée, les essais de démarrage ont débuté. Et ont été émaillés de très nombreux incidents : 10 "évènements significatifs pour la sûreté" ont été déclarés entre le 17 mai et le 5 juin [6]. Les essais ont été suspendus pour "sécuriser les activités" [7]. Puis ils ont repris, et les incidents aussi.
Circuit de refroidissement, groupes électrogènes, branchements électriques, raccords entre circuits, alarmes ignorées, limites de température dépassées, fuites... 18 évènements signifi- catifs ont été déclarés entre le 14 juin et le 31 juillet .
EDF rame, dépassé par la complexité de la machine qu’il a conçue, noyé par les consignes qu’il a définies.
L’ASN a édité une lettre d’infos début juillet [8], mais ne livrait aucun élément sur l’avancée (et les difficultés) du démarrage. La prochaine autorisation qu’elle devait délivrer, la divergence, c’est-à-dire le lancement de la réaction nucléaire, était prétendument "imminente" début juillet [9]. Mais là encore, des semaines de retard. Quant à la réunion de la Commission Locale d’Information (espace de rencontre entre le public, EDF et les autorités) de juin, elle a été reportée à septembre, sans date précise [10].
Bref, le naufrage de l’EPR continue. Si seulement il pouvait envoyer par le fond toute la filière nucléaire avec lui... !
Laure Barthélemy,
chargée de recherche et de Surveillance Citoyenne des Installations Nucléaires du Réseau "Sortir du nucléaire"
Notes
[1] Les dérapages de l’EPR en graphique, Le Monde, 09/05/2024
[2] Avec ses 1600 MWe, l’EPR détrône les réacteurs de Civaux et Chooz d’une puissance de 1450 MWe. Source : Installations nucléaires en France, ministère de la Transition Écologique et de la Cohésion des Territoires
[3] EPR de Flamanville : une falsification signalée à la jus- tice, Reporterre, 15/02/2024
[4] ASN, note d’info du 07/05/2024
[5] L’EPR de Flamanville : Doutes et risques, M. Labrousse et B. Laponche, Global Chance, mai 2024
[6] Actu EDF, 07/06/2024
[7] ASN, note d’info du 02/07/2024
[8] Lettre d’information de l’EPR n°25, ASN, 02/07/2024
[9] L’EPR de Flamanville démarrera-t-il cet été ?, Reporterre, 20/08/2024
[10] Laborieuse mise en service de l’EPR de Flamanville, B. Laponche et M. Labrousse, Global Chance, 12/07/2024