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Des accidents nucléaires partout

France : EPR Flamanville : Quand un électricien ne sait pas faire ses branchements

EDF coupe l’alimentation électrique de secours de plusieurs équipements (et ne s’en rend pas compte) : 6ème incident déclaré en quelques semaines




30 juillet 2024


L’opération était simple, surtout quand on est électricien : faire des dérivations pour basculer l’alimentation électrique de secours de plusieurs équipements d’un groupe électrogène à un autre. Mais au lieu de ça, EDF a tout éteint. À plusieurs reprises, et sans s’en rendre compte. C’est le 6ème incident du genre déclaré par l’industriel depuis que les opérations de démarrage de l’EPR ont été lancées.


Crédit photo : Schoella - Wikimedia Commons - CC BY 3.0

Le réacteur EPR de la centrale de Flamanville (Normandie) est doté de plusieurs groupes électrogènes fonctionnant au diesel. Chacun alimente des équipements et des systèmes différents. Le but est qu’en cas de coupure de courant, les groupes électrogènes puissent prendre le relai et fournir assez d’électricité pour faire marcher les circuits essentiels au pilotage du réacteur et à son refroidissement. Lorsqu’un groupe électrogène doit être mis hors-service (pour vérification ou maintenance par exemple), des dérivations sont mises en place pour que les équipements auxquels il est raccordé soient alimentés par un autre groupe électrogène. C’est pourquoi les règles qui régissent le fonctionnement du réacteur imposent de ne pas mettre plus d’un groupe électrogène hors-service à la fois.

Pourtant, à plusieurs reprises, EDF a mis hors-service 2 groupes électrogènes en même temps. Devant intervenir sur un groupe électrogène, il s’est trompé dans la configuration à mettre en place pour dériver l’alimentation électrique sur un autre groupe électrogène. La conséquence de son erreur a été de mettre hors-service l’autre groupe électrogène. Deux sources électriques de secours étaient donc hors-service au même moment, ce qui est interdit par les règles d’exploitation de l’installation. Les équipements que les groupes électrogènes étaient censés alimenter n’avaient donc plus d’alimentation électrique de secours.

On ne sait pas combien de temps ont duré ces mises hors-service simultanées de 2 groupes électrogènes. On ne sait pas non plus ce qui a causé l’erreur de configuration, ni pourquoi elles n’ont pas été détectées immédiatement. Le réacteur est doté au total de 4 groupes électrogènes de secours et de 2 autres groupes électrogènes dits d’ultime secours, en cas de perte de toutes les autres sources de courant. Des multiples dispositions palliatives qui assurent une solution de secours, mais qui rendent aussi complexes les configurations des systèmes. Une complexité que EDF ne semble pas maîtriser.

Depuis que l’industriel a obtenu de l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) l’autorisation de démarrer son réacteur et de procéder aux derniers essais de démarrage début mai 2024, les incidents se multiplient. On aurait pu croire que les 12 années de retard de la mise en service lui aurait laissé le temps d’apprendre à maîtriser son installation.
Pourtant, ce nouvel incident, classé significatif (puisqu’il revêt une importance particulière [1]) pour la sûreté (puisqu’il a augmenté le risque d’incident [2]), est le 6ème du genre déclaré par EDF en quelques semaines  [3] . Et tous démontrent que l’exploitant nucléaire a bien du mal à s’approprier le pilotage et la configuration de son "nouveau" réacteur  : 3 des 4 groupes électrogènes étaient mal configurés et n’auraient pas pu fonctionner faute d’un refroidissement suffisant, des connexions entre les circuits ont été mal gérées et des alarmes ignorées, des équipements cassés ont impacté le dispositif de contrôle de la réaction nucléaire, une fuite a été générée sur le principal circuit de refroidissement à cause d’une vanne laissée en mauvaise position et la température maximale autorisée a été dépassée à cause d’une autre erreur de configuration, et enfin ces erreurs de dérivations de circuits d’alimentation électrique par les diesels de secours...
En juin, les opérations de démarrage ont même été suspendues, quelques semaines après leur début. Un arrêt nécessaire pour "sécuriser les opérations" selon l’ASN [4] . Mais le démarrage a repris, et les incidents n’ont pas cessés pour autant.

D’ici peu, l’Autorité de sûreté doit accorder à EDF l’autorisation de procéder à la divergence du réacteur, c’est à dire de lancer pour la première fois la réaction nucléaire. L’exploitant est-il prêt à contrôler son installation ? Et sera-t-il capable de respecter les règles établies pour limiter les risques d’accidents ?

L.B.

Ce que dit l’ASN :

Détection tardive de l’indisponibilité simultanée de deux des quatre groupes électrogènes de secours à moteur diesel

Publié le 30/07/2024

Centrale nucléaire EPR de Flamanville Réacteurs de 1600 MWe - EDF

Le 26 juillet 2024, EDF a déclaré à l’Autorité de sureté nucléaire (ASN) un événement significatif relatif à l’indisponibilité simultanée de deux groupes électrogènes de secours du réacteur EPR de la centrale nucléaire de Flamanville 3.

Le réacteur EPR de Flamanville 3 est alimenté par deux sources électriques dites « externes ». Il est équipé par ailleurs de quatre groupes électrogènes de secours à moteur diesel appelés « sources internes », destinés à alimenter en électricité les installations nécessaires à la sûreté en cas de perte des sources externes. Enfin, en cas de perte des sources électriques « externes et internes », il est équipé de deux groupes électrogènes à moteur diesel dits « d’ultime secours ».

Les règles générales d’exploitation (RGE) sont un recueil de règles approuvées par l’ASN qui définissent le domaine autorisé de fonctionnement de l’installation et les prescriptions de conduite des réacteurs, dont font partie les spécifications techniques d’exploitation (STE). Ces STE prescrivent notamment des conduites à tenir en cas d’indisponibilité de matériels valorisés dans la démonstration de sûreté. Ainsi, pour pouvoir intervenir sur un groupe électrogène de secours, les STE imposent des connexions électriques particulières permettant, en cas de besoin, d’alimenter les matériels normalement reliés au groupe électrogène indisponibilisé pour l’intervention.

Le 16 juillet 2024, lors de la mise en œuvre d’une modification du contrôle-commande des groupes électrogènes de secours, un agent a détecté que la mise en configuration du contrôle-commande, pour pouvoir réaliser l’intervention, avait généré l’indisponibilité du groupe électrogène alimentant les matériels en application des STE. A l’issue des travaux, les groupes électrogènes de secours ont été remis dans leur configuration normale d’exploitation. Après analyse, il a identifié qu’une situation similaire avait été rencontrée le 5 juillet lors de la modification d’un autre groupe électrogène de secours sans que l’écart ait été détecté. Une modification de la mise en configuration de l’installation a été réalisée pour pouvoir réaliser les travaux sur les deux derniers groupes à modifier.

Cet événement n’a pas eu de conséquence sur les personnes et l’environnement. Toutefois, compte tenu de la détection tardive de l’indisponibilité simultanée de deux groupes électrogènes de secours au sens des STE, cet événement a été classé au niveau 1 de l’échelle INES (échelle internationale des événements nucléaires et radiologiques, graduée de 0 à 7 par ordre croissant de gravité).

https://www.asn.fr/l-asn-controle/actualites-du-controle/installations-nucleaires/avis-d-incident-des-installations-nucleaires/detection-tardive-de-l-indisponibilite-simultanee-de-deux-des-quatre-groupes-electrogenes


Ce que dit EDF :

Actualités réglementaires du réacteur n°3 de Flamanville - juillet 2024

Publié le 06/08/2024

26/07/2024 - Déclaration d’un événement significatif sûreté (ESS) suite à une indisponibilité de deux groupes électrogènes (Diesels)

Du 15 au 17 juillet des travaux programmés sur un groupe électrogène (Diesel) ont été réalisés. Lors de ces travaux un dispositif palliatif a été mis en œuvre pour permettre l’alimentation de secours en cas de manque de tension sur le réseau. Vers la fin de l’opération, un contrôle en salle de commande a mis en évidence l’insuffisance de ce dispositif palliatif rendant indisponible deux des quatre groupes électrogènes principaux  [5]. Dès détection de cet écart, une analyse a été lancée pour remettre en conformité l’installation.

Cet événement n’a eu aucune conséquence réelle sur la sûreté des installations, toutefois, il constitue un non-respect des spécifications techniques d’exploitation. En raison de sa détection tardive, la direction de la centrale de Flamanville 3 a déclaré à l’Autorité de sûreté nucléaire, le 26 juillet 2024, un événement significatif sûreté au niveau 1 de l’échelle INES.

https://www.edf.fr/la-centrale-nucleaire-de-flamanville-3-epr/les-actualites-de-la-centrale-nucleaire-de-flamanville-3-epr/actualites-reglementaires-du-reacteur-ndeg3-de-flamanville-juillet-2024


[1Événements significatifs : incidents ou accidents présentant une importance particulière en matière, notamment, de conséquences réelles ou potentielles sur les travailleurs, le public, les patients ou l’environnement. https://www.asn.fr/Lexique/E/Evenement-significatif En dessous des évènements significatifs, il y a les évènements dits « intéressants », et encore en dessous les « signaux faibles ». Un évènement catégorisé « significatif » est donc déjà « en haut de l’échelle » d’importance des évènements

[2La sûreté nucléaire est l’ensemble des dispositions techniques et des mesures d’organisation relatives à la conception, à la construction, au fonctionnement, à l’arrêt et au démantèlement des installations nucléaires de base, ainsi qu’au transport des substances radioactives, prises en vue de prévenir les accidents ou d’en limiter les effets. https://www.asn.fr/Lexique/S/Surete-nucleaire

[3Le 6ème évènement significatif pour la sûreté (ESS) classé au niveau 1 de l’échelle des accidents nucléaires. 21 autres incidents significatifs sont survenus mais ont été classés au niveau 0 : 7 ESSentre le 17 mai et le 5 juin, 4 ESS entre le 14 et le 27 juin, 10 ESS entre le 9 et le 30 juillet. Soit 27 ESS entre le 17 mai et le 30 juillet 2024.

[4Depuis la mise en service du réacteur, l’exploitant a déclaré plusieurs événements significatifs pour la sûreté dont trois ont été classés au niveau 1 de l’échelle INES. Début juin 2024, à la suite du nombre et de la nature des événements significatifs déclarés depuis la mise en service, EDF a suspendu momentanément les opérations de démarrage du réacteur le temps d’analyser les causes profondes des événements déclarés, de mettre en place des actions correctives et de sécuriser les activités à venir pour la poursuite du démarrage du réacteur. L’ASN est particulièrement vigilante quant à l’analyse des causes profondes de ces événements et aux actions menées par EDF pour en tirer pleinement le retour d’expérience et sécuriser les activités de démarrage à venir. Source : ASN, note d’information du 02/07/2024

[5L’EPR de Flamanville dispose de 4 groupes électrogènes principaux d’une puissance de 7.2 MW chacun ainsi que 2 groupes électrogènes de secours d’une puissance de 2,5 MW chacun.


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Installation(s) concernée(s)

EPR Flamanville

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