1er juillet 2024
Depuis que les opérations de démarrage de l’EPR de Flamanville (Normandie) ont débuté mi-mai 2024, les déclarations d’incidents s’enchaînent. La plupart révèle un problème matériel, soit cassé, soit mal configuré. Avec des conséquences diverses, mais toutes sérieuses. Tous ces incidents démontrent la même chose : l’installation comme les équipes ne sont pas prêtes. Même lorsqu’il s’agit des fonctions essentielles, comme la maîtrise du principal circuit de refroidissement.
Crédit photo : Réseau "Sortir du nucléaire"
Depuis que l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) a autorisé le 7 mai 2024 EDF à charger de combustible la cuve de l’EPR normand, les opérations de démarrage ont commencé. EDF l’attendait depuis des années, 17 exactement. Pour autant, l’exploitant n’est pas prêt, et son installation non plus.
Le 22 juin 2024, la température du circuit de refroidissement principal (le circuit primaire [1] ) varie brutalement et dépasse la limite maximale. Ce type de changement n’est pas autorisé, et surtout n’est pas censé arriver. La température, la pression, la composition chimique, sont des paramètres qu’EDF doit en toute circonstance parfaitement maîtriser et être capable de les contrôler. Car ces critères sont fondamentaux pour garder la réaction nucléaire sous contrôle, refroidir et piloter le réacteur.
Cette brutale hausse de température du circuit de refroidissement a été causée par une erreur de configuration sur un autre circuit, dont les vannes - censées s’ouvrir automatiquement - étaient réglées en mode manuel. D’où vient cette erreur ? Depuis quand était-elle présente ? Pourquoi n’a-t-elle pas été détectée par les vérifications préalables au démarrage ?
Outre le problème de maîtrise de la température du circuit primaire, c’est aussi la fonction du circuit mal configuré qui a été impactée par cette erreur de configuration. Pourtant, ce circuit est essentiel, et c’est EDF lui-même qui le dit : il permet de dériver la vapeur produite par la chaleur de la réaction nucléaire en cas de besoin pour éviter une surpression dans les circuits [2]. En cas de problème, si les vannes du circuit de contournement ne s’ouvrent pas automatiquement, les équipes perdent un temps précieux. Or dans une centrale nucléaire, il faut réagir aussi vite que possible (d’où les systèmes automatiques). Le temps de voir que les vannes ne s’ouvrent pas, d’analyser pourquoi et de le faire manuellement, est un délai supplémentaire de réaction qui aggrave le risque d’accident.
L’incident de variation de la température du circuit primaire et de la mauvaise configuration du circuit de contournement a été déclaré au niveau 1 de l’échelle des incidents nucléaires [3] par EDF le 26 juin 2024. C’est le 5ème du genre en moins d’un mois. Onze autres incidents ont aussi été déclarés par l’industriel au niveau 0, le plus bas niveau de l’échelle (7 incidents déclarés entre le 17 mai et le 5 juin, 4 autres incidents entre le 14 et le 27 juin
[4] ). Mais tous sont classés comme étant significatifs [5] pour la sûreté [6], c’est-à-dire qu’ils ont significativement impacté le risque d’accident nucléaire et les moyens mis en place pour les éviter.
En raison du nombre des incidents et de leur nature, les opérations de démarrage ont été suspendues début juin
[7]
. Le but annoncé était d’analyser les causes de ces problèmes, d’y remédier et de reprendre les opérations de manière sécurisée. Pourtant, la variation de température du circuit primaire est le second incident de niveau 1 déclaré par EDF depuis la reprise des activités. Et il est du même acabit que tous ses prédécesseurs (3 des 4 groupes électrogènes mal configurés, variation chimique du circuit primaire causé par un équipement cassé, mauvaise configuration du circuit d’injection de sécurité qui impacte un moyen de contrôle de la réaction nucléaire et déclenche des alarmes sans que celles-ci ne soient prises en compte, fuite sur le circuit primaire pour cause de vanne laissée ouverte et de consignes incomplètes).
À croire que la suspension des opérations de démarrage n’a rien changé. Car elles ne sont manifestement toujours pas sécurisées. Les équipements ne sont pas prêts, les vérifications n’ont pas été faites correctement, les consignes ne sont pas au point, les équipes ne savent pas comment fonctionne l’installation ni comment configurer les circuits ni garder la maîtrise des paramètres les plus basiques et essentiels... Si même les pilotes ne savent pas comment tenir le volant ni comment va réagir le réacteur lorsqu’ils appuient sur tel ou tel bouton, on se demande bien ce qu’a fait EDF durant ces 17 dernières années. Et pourquoi l’ASN a donné son autorisation le 7 mai dernier.
L.B.
Actualités réglementaires du réacteur n°3 de Flamanville - juin 2024
Publié le 01/07/2024
26/06/2024 - Déclaration d’un événement significatif sûreté (ESS) pour dépassement de la température autorisée du circuit primaire lors des essais de démarrage.
Le 22 juin, dans le cadre de la préparation d’un essai périodique, il est prévu de modifier la configuration du circuit d’injection de sécurité (RIS/RA) [8] . Après la mise en place de cette nouvelle configuration la température du circuit primaire a légèrement dépassé le niveau prévu dans le cadre d’exploitation normale du réacteur. Dès détection de cet écart, l’équipe de conduite a réalisé les opérations attendues pour baisser la température et une vérification des installations a été menée. Il s’est avéré que des vannes du système GCT [9] prévues pour s’ouvrir automatiquement étaient configurées en pilotage manuel. Une remise en conformité de l’installation a été réalisée. Les essais de démarrage ont pu reprendre par la suite.
Cet événement n’a eu aucune conséquence réelle sur la sûreté des installations, toutefois, il constitue un non-respect des spécifications techniques d’exploitation. La direction de la centrale de Flamanville 3 a déclaré à l’Autorité de sûreté nucléaire, le 26 juin 2024, un événement significatif sûreté au niveau 1 de l’échelle INES.
Sortie du domaine de fonctionnement autorisé par les règles générales d’exploitation (RGE)
Publié le 10/07/2024
Centrale nucléaire EPR de Flamanville Réacteurs de 1600 MWe - EDF
Le 23 juin 2024, EDF a déclaré à l’Autorité de sureté nucléaire (ASN) un évènement significatif pour la sûreté relatif à la sortie du domaine de fonctionnement autorisé par les règles générales d’exploitation (RGE), en raison d’une température trop élevée de l’eau du circuit primaire principal (CPP) du réacteur EPR de la centrale nucléaire de Flamanville.
Les RGE sont un recueil de règles approuvées par l’ASN qui définissent le domaine de fonctionnement autorisé de l’installation et les prescriptions de conduite des réacteurs associées. Elles précisent notamment les limites minimales et maximales autorisées pour la pression et la température de l’eau du circuit primaire.
Dans le domaine de fonctionnement AN/RIS-RA (arrêt normal sur le circuit de refroidissement à l’arrêt), le refroidissement du combustible nucléaire dans le réacteur est assuré par le système RIS-RA connecté directement au circuit primaire et équipé d’échangeurs de chaleur.
Dans le domaine de fonctionnement AN/GV (arrêt normal sur générateur de vapeur), ce refroidissement est assuré par les générateurs de vapeur, qui produisent de la vapeur envoyée directement vers le condenseur par le système de contournement de la turbine (GCT). Ce système est équipé d’un ensemble de vannes qui régule le débit vapeur vers le condenseur.
Le 23 juin 2024, dans le cadre de la poursuite des opérations de démarrage du réacteur et notamment dans l’objectif de passer du domaine de fonctionnement AN/RIS-RA vers AN/GV, l’équipe de conduite a arrêté le refroidissement du réacteur par le système RIS-RA. L’évolution de la configuration de l’installation a engendré une augmentation de la température du circuit primaire qui a dépassé la limite autorisée dans le domaine de fonctionnement AN/RIS-RA. Conformément aux règles d’exploitation, l’équipe de conduite a été amenée à appliquer les procédures de conduite en situation incidentelle et accidentelle pour refroidir le circuit primaire et revenir dans le domaine autorisé.
Les investigations menées à la suite de ce comportement inattendu du réacteur ont mis en exergue que le système GCT n’était pas dans la configuration attendue pour assurer le refroidissement du réacteur.
Cet événement n’a pas eu de conséquence sur les installations, les personnes et l’environnement. Toutefois, l’événement a affecté la fonction de sûreté liée au refroidissement du réacteur. En raison de la sortie de domaine de fonctionnement autorisé, cet événement a été classé au niveau 1 de l’échelle INES (échelle internationale des événements nucléaires et radiologiques, graduée de 0 à 7 par ordre croissant de gravité).
EDF a procédé à la remise en conformité des vannes du système GCT et a engagé une analyse approfondie de cet événement. L’ASN sera vigilante quant à l’analyse des causes humaines et organisationnelles ayant entraîné cette anomalie et aux actions prises pour éviter son renouvellement.
[1] Le circuit primaire est un circuit fermé, contenant de l’eau sous pression. Cette eau s’échauffe dans la cuve du réacteur au contact des éléments combustibles. Dans les générateurs de vapeur, elle cède la chaleur acquise à l’eau du circuit secondaire pour produire la vapeur destinée à entraîner le groupe turboalternateur. Le circuit primaire permet de refroidir le combustible contenu dans la cuve du réacteur en cédant sa chaleur par l’intermédiaire des générateurs de vapeur lorsqu’il produit de l’électricité ou par l’intermédiaire du circuit de refroidissement à l’arrêt lorsqu’il est en cours de redémarrage après rechargement en combustible. La température du circuit primaire principal est encadrée par des limites afin de garantir le maintien dans un état sûr des installations en cas d’accident. https://www.asn.fr/Lexique/C/Circuit-primaire
[2] La vapeur produite dans les générateurs de vapeur est envoyée sous très haute pression vers une turbine qui, couplée à un alternateur, permet de produire de l’électricité. En cas de problème sur ce circuit vapeur - le circuit secondaire - ou sur le groupe turbo-alternateur, la vapeur doit pouvoir être détournée et envoyée vers un condenseur pour éviter une explosion. C’est la fonction du circuit GCT, groupe de contournement de la turbine
[3] INES : International nuclear and radiological event scale (Échelle internationale des événements nucléaires et radiologiques) - Description et niveaux ici - https://www.asn.fr/Lexique/I/INES
[4] Actualités réglementaires du réacteur n°3 de Flamanville - juin 2024
Publié le 01/07/2024
Evénements significatifs de sûreté (ESS) déclarés au niveau 0 de l’échelle INES
[5] Événements significatifs : incidents ou accidents présentant une importance particulière en matière, notamment, de conséquences réelles ou potentielles sur les travailleurs, le public, les patients ou l’environnement. https://www.asn.fr/Lexique/E/Evenement-significatif En dessous des évènements significatifs, il y a les évènements dits « intéressants », et encore en dessous les « signaux faibles ». Un évènement catégorisé « significatif » est donc déjà « en haut de l’échelle » d’importance des évènements
[6] La sûreté nucléaire est l’ensemble des dispositions techniques et des mesures d’organisation relatives à la conception, à la construction, au fonctionnement, à l’arrêt et au démantèlement des installations nucléaires de base, ainsi qu’au transport des substances radioactives, prises en vue de prévenir les accidents ou d’en limiter les effets. https://www.asn.fr/Lexique/S/Surete-nucleaire
[7] Depuis la mise en service du réacteur, l’exploitant a déclaré plusieurs événements significatifs pour la sûreté dont trois ont été classés au niveau 1 de l’échelle INES. Début juin 2024, à la suite du nombre et de la nature des événements significatifs déclarés depuis la mise en service, EDF a suspendu momentanément les opérations de démarrage du réacteur le temps d’analyser les causes profondes des événements déclarés, de mettre en place des actions correctives et de sécuriser les activités à venir pour la poursuite du démarrage du réacteur. L’ASN est particulièrement vigilante quant à l’analyse des causes profondes de ces événements et aux actions menées par EDF pour en tirer pleinement le retour d’expérience et sécuriser les activités de démarrage à venir. Source : ASN, note d’information du 02/07/2024
[8] Le circuit d’injection de sécurité (RIS/RA) est un circuit qui intervient en secours en cas de fuite du circuit primaire, il assure le refroidissement du réacteur en permettant d’introduire de l’eau borée sous pression.
[9] Le rôle essentiel du GCT (groupe de contournement de la turbine) est de permettre à la chaudière nucléaire de supporter une réduction brutale de la puissance du groupe turboalternateur par décharge de l’excédent de vapeur vers le condenseur.