7 juin 2024
Un petit clapet cassé dans une tuyauterie a déséquilibré la composition chimique du principal circuit de refroidissement de l’EPR de Flamanville (Normandie). Et pas qu’un peu puisqu’il a joué sur la concentration en bore, une substance qui permet de contrôler la réaction nucléaire.
Crédit photo : Réseau "Sortir du nucléaire"
Le réacteur EPR de la centrale nucléaire de Flamanville est en cours de démarrage pour la toute première fois. Après avoir été autorisé à charger de combustible nucléaire la cuve de son réacteur, EDF procède aux derniers essais, met en eau les circuits et prépare son installation pour lancer la réaction nucléaire. Cette opération nommée divergence n’est toutefois pas encore actée, EDF doit d’abord obtenir l’autorisation de l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN).
C’est dans le cadre de ces tests et essais physiques de démarrage qu’un incident est survenu le 28 mai 2024. Une opération consistant à vidanger un réservoir d’eau chargée de bore (une substance qui absorbe les neutrons et qui permet de contrôler la réaction nucléaire [1] ) a eu un effet inattendu (et indésirable). Elle a provoqué une augmentation de la concentration en bore du principal circuit de refroidissement du réacteur, le circuit primaire [2] . Au stade de démarrage où en était l’EPR, ce déséquilibre n’était pas permis - et n’aurait pas dû arriver. Car l’eau vidangée était censée aller dans un réservoir, et pas dans le circuit primaire. Il s’est avéré par la suite qu’un clapet situé à l’intérieur d’une tuyauterie et censé bloquer le passage de l’eau ne fonctionnait pas. L’eau vidangée s’est donc retrouvée dans le circuit primaire, faute d’un clapet opérationnel.
Le dysfonctionnement de cet organe de tuyauterie a donc eu un impact sur le volume et la composition chimique du circuit primaire. Il était donc à même d’impacter le contrôle de la réaction nucléaire. Étant donné l’enjeu d’une parfaite maîtrise du contenu et du volume du circuit de refroidissement, et notamment de la concentration en bore, on aurait pensé que les connexions avec les circuits qui lui sont rattachés ont été l’objet de toutes les attentions et qu’ils ont été minutieusement vérifiés. Et en état de marche avant qu’EDF ne lance le démarrage de son réacteur nucléaire. Que ce ne soit pas le cas est une preuve de la préparation insuffisante de l’exploitant et de son installation.
L’incident a été déclaré à l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) début juin 2024. EDF annonce que le clapet sera sécurisé et qu’il sera surveillé de près. Sans toutefois donner de détail sur les moyens qui seront mis en oeuvre pour y parvenir. Sans indiquer non plus pourquoi ce clapet, malgré l’enjeu qu’il représente, ne fonctionnait pas. Ni comment se fait-il que les contrôles de conformité et les vérifications des équipements faits préalablement à la mise en service de l’EPR n’ont pas permis de mettre à jour son dysfonctionnement.
Cet incident significatif [3] pour la sûreté [4] et classé au niveau 1 de l’échelle de gravité [5] est le second à être déclaré par EDF dans le cadre du démarrage de l’EPR. Le même jour, l’industriel a annoncé que 3 des 4 groupes électrogènes de secours, équipements obligatoires, n’avaient pas assez d’eau pour être refroidis correctement. Eux non plus n’étaient pas conformes au moment du démarrage, comme le clapet de la tuyauterie reliée au circuit primaire. Dans la foulée, EDF a déclaré un troisième incident. Mais l’industriel se veut rassurant : il annonce qu’il lui faudra du temps pour prendre en main les matériels de l’installation. Est-ce rassurant, vraiment, qu’un exploitant nucléaire ne maîtrise pas les équipements d’un réacteur qu’il a démarré ?
L.B.
Actualités réglementaires du réacteur n°3 de Flamanville
Publié le 07/06/2024
Le 8 mai 2024, EDF a procédé au chargement du combustible dans la cuve du réacteur de l’EPR de Flamanville, 3ème réacteur de la centrale nucléaire de Flamanville.
L’EPR, réacteur de 3ème génération, intègre à la conception et dans son exploitation les standards de sûreté les plus exigeants.
La phase de démarrage d’un réacteur nucléaire comprend de nombreux essais et s’accompagne de la prise en main progressive des matériels par les équipes d’exploitation.
Evénements significatifs de sûreté (ESS) déclarés au niveau 1 de l’échelle INES durant la période de chargement du réacteur et d’essais physiques sur les matériels liés au démarrage.
03/06/2024 - déclaration d’un événement suite à une légère augmentation de la concentration en bore dans le circuit primaire.
Le 28 mai 2024, le réacteur n°3 de Flamanville est en phase de démarrage.
Dans la nuit du 28 au 29 mai 2024, la vidange d’un matériel contenant de l’eau borée vers un réservoir dit d’échantillonnage (circuit REN) est réalisée, conduisant à une légère augmentation de la concentration en bore dans l’eau du circuit primaire. Cette variation n’était pas autorisée par les spécifications techniques d’exploitation dans la configuration dans laquelle se trouvait l’installation, mais elle n’a pas eu de conséquence réelle sur le fonctionnement et la sûreté des installations, car elle est restée dans les limites autorisées par les spécifications techniques d’exploitation.
Une analyse de l’événement a démontré qu’un clapet anti-retour n’était pas opérationnel lors de la vidange de la tuyauterie et n’a pas permis de bloquer l’eau borée qui a rejoint le circuit primaire. Une surveillance renforcée et une sécurisation de cet équipement ont été mises en place.
Injection d’eau borée non attendue dans le circuit primaire
Publié le 24/06/2024
Centrale nucléaire EPR de Flamanville Réacteurs de 1600 MWe - EDF
Le 3 juin 2024, EDF a déclaré à l’Autorité de sureté nucléaire (ASN) un événement significatif relatif à une injection d’eau borée non attendue dans le circuit primaire du réacteur EPR de la centrale nucléaire de Flamanville 3.
Le bore est un élément chimique ayant la propriété d’absorber les neutrons produits par la réaction nucléaire. Il est mélangé à l’eau du circuit primaire et permet de contrôler et, le cas échéant, d’arrêter la réaction nucléaire. La concentration en bore du circuit primaire doit donc être maîtrisée pour le contrôle de la réaction nucléaire. Lorsque le réacteur est à l’arrêt, une vigilance particulière doit être portée à toute injection d’eau dans le circuit primaire.
Les règles générales d’exploitation (RGE) sont un recueil de règles approuvées par l’ASN qui définissent le domaine autorisé de fonctionnement de l’installation et les prescriptions de conduite des réacteurs, dont font partie les spécifications techniques d’exploitation (STE). Elles comprennent notamment, en fonction de l’état du réacteur, des prescriptions permanentes, qui sont des règles que l’exploitant doit respecter pour assurer la sûreté des installations.
Dans la nuit du 28 au 29 mai 2024, dans le cadre de la préparation d’une intervention, une cuve contenant de l’eau borée à forte concentration a été vidangée vers le circuit de récupération des eaux nucléaires. Cette opération a engendré une augmentation de la concentration en bore du circuit primaire, qui a été détectée le lendemain matin par les opérateurs en salle de commande. Or une prescription permanente des STE relative à la concentration en bore dans le circuit primaire n’autorise de modification de cette concentration que dans certaines conditions, qui n’étaient pas réunies lors de l’événement.
Après analyse de cette variation, il apparaît que l’eau vidangée a transité par un clapet dont les composants internes avaient été démontés, le rendant passant dans les deux sens, à la suite d’une modification mise en œuvre avant le démarrage du réacteur. Si l’eau vidangée avait présenté une concentration en bore plus faible que celle du circuit primaire, cet événement aurait conduit à une dilution non maîtrisée du circuit primaire. Dès la détection de l’événement le 29 mai 2024, l’exploitant a mené une analyse des autres situations potentielles d’injection d’eau non maîtrisée dans le circuit primaire, a mis en place des isolements de certains circuits connectés et a renforcé sa surveillance des évolutions de niveaux d’eau dans les différentes cuves concernées.
Cet événement n’a pas eu de conséquence sur les personnes et l’environnement. Toutefois, compte tenu du non-respect d’une prescription permanente des STE, cet événement a été classé au niveau 1 de l’échelle INES (échelle internationale des événements nucléaires et radiologiques, graduée de 0 à 7 par ordre croissant de gravité).
[1] Le bore, présent dans l’eau du circuit primaire sous forme d’acide borique dissous, permet de modérer, par sa capacité à absorber les neutrons, la réaction en chaîne. La concentration en bore est ajustée pendant le cycle en fonction de l’épuisement progressif du combustible en matériau fissile. https://www.asn.fr/lexique/b/Bore
[2] Le circuit primaire est un circuit fermé, contenant de l’eau sous pression. Cette eau s’échauffe dans la cuve du réacteur au contact des éléments combustibles. Dans les générateurs de vapeur, elle cède la chaleur acquise à l’eau du circuit secondaire pour produire la vapeur destinée à entraîner le groupe turboalternateur. Le circuit primaire permet de refroidir le combustible contenu dans la cuve du réacteur en cédant sa chaleur par l’intermédiaire des générateurs de vapeur lorsqu’il produit de l’électricité ou par l’intermédiaire du circuit de refroidissement à l’arrêt lorsqu’il est en cours de redémarrage après rechargement en combustible. La température du circuit primaire principal est encadrée par des limites afin de garantir le maintien dans un état sûr des installations en cas d’accident. https://www.asn.fr/Lexique/C/Circuit-primaire
[3] Événements significatifs : incidents ou accidents présentant une importance particulière en matière, notamment, de conséquences réelles ou potentielles sur les travailleurs, le public, les patients ou l’environnement. https://www.asn.fr/Lexique/E/Evenement-significatif En dessous des évènements significatifs, il y a les évènements dits « intéressants », et encore en dessous les « signaux faibles ». Un évènement catégorisé « significatif » est donc déjà « en haut de l’échelle » d’importance des évènements
[4] La sûreté nucléaire est l’ensemble des dispositions techniques et des mesures d’organisation relatives à la conception, à la construction, au fonctionnement, à l’arrêt et au démantèlement des installations nucléaires de base, ainsi qu’au transport des substances radioactives, prises en vue de prévenir les accidents ou d’en limiter les effets. https://www.asn.fr/Lexique/S/Surete-nucleaire
[5] INES : International nuclear and radiological event scale (Échelle internationale des événements nucléaires et radiologiques) - Description et niveaux ici - https://www.asn.fr/Lexique/I/INES