1er juillet 2024
Le réacteur EPR de Flamanville (Normandie) a été autorisé à démarrer en mai 2024. Mais depuis les incidents se multiplient, à tel point que les opérations de démarrage ont été suspendues début juin. Celles-ci ont repris, mais les problèmes continuent. Y compris sur la gestion du principal circuit de refroidissement du réacteur nucléaire.
Crédit photo : Schoella - Wikimedia Commons - CC BY 3.0
L’autorisation accordée par l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) le 7 mai 2024 a permis à EDF de charger la cuve du réacteur de combustible. Mais la réaction nucléaire n’est pas encore lancée. Il faut d’abord tester tous les équipements et valider de nombreux essais. Ce qui n’est pas chose aisée pour EDF. De nombreux incidents sont survenus lors de ces opérations. 3 des 4 groupes électrogènes mal configurés n’auraient pas pu fonctionner, des connexions entre les circuits mal gérées et des alarmes ignorées, des équipements cassés qui impactent le dispositif de contrôle de la réaction nucléaire... Début juin, en raison du nombre d’incidents et de leur nature - qui démontrent un profond manque de préparation de l’installation et des équipes d’EDF - les opérations de démarrage ont été suspendues. Le temps d’analyser les raisons de tous ces problèmes, d’y remédier et de "sécuriser les activités"
[1]. Une information qui n’a été communiquée au public que bien tardivement par l’ASN (un mois après), et qu’EDF n’a jamais mentionnée dans ses déclarations d’incidents publiées début juin.
Il faut dire qu’il n’y a pas de quoi se vanter. Le chantier de l’EPR normand a accusé un retard colossal (12 années) et un surcoût faramineux (la facture est passée de 3,3 à plus de 19 milliards d’euros), mais pour autant, le réacteur n’est toujours pas prêt. Et les équipes ne savent pas le piloter.
Manifestement, les opérations de démarrage ont repris courant juin. C’est ce qu’on comprend d’un nouveau communiqué de déclarations d’incidents, publié par EDF début juillet et pudiquement intitulé "Actualités réglementaires". Le redémarrage a repris, et les problèmes aussi. Surtout, ils semblent être toujours du même acabit qu’avant la suspension des opérations : une très difficile gestion de la configuration des circuits et des équipements. Y compris lorsqu’il s’agit du circuit primaire [2] , le principal système de refroidissement du réacteur nucléaire.
Le 21 juin, une connexion est ouverte entre le circuit primaire et le circuit qui permet d’y prélever de l’eau pour faire un échantillon. La composition de l’eau du circuit primaire doit être régulièrement vérifiée, plusieurs paramètres radio-chimiques sont analysés. Ce circuit d’échantillonnage est donc relié au circuit primaire, et la connexion entre les 2 est gérée par une vanne. Ouverte, les 2 circuits communiquent, fermée, les 2 circuits sont isolés l’un de l’autre. L’échantillon a bien été réalisé, mais personne n’a pensé à refermer la vanne ensuite. Le circuit primaire est donc resté connecté au circuit d’échantillonnage, provoquant une perte d’eau de refroidissement. Or le volume d’eau dans le circuit primaire, tout comme sa température et la pression à laquelle il est soumis, sont des facteurs essentiels pour qui veut garder le contrôle d’un réacteur nucléaire. Surveiller ces paramètres, et les garder dans les valeurs prescrites, c’est s’assurer que le refroidissement du combustible est adéquat et suffisant.
Ce n’est que le lendemain qu’EDF se rendra compte qu’il y a une fuite sur le circuit primaire. Et uniquement parce qu’un essai a été réalisé sur celui-ci, pas parce que quelqu’un s’est rendu compte de l’oubli de remise en configuration des circuits après la prise d’échantillon. Si les manuels ne disent pas explicitement de refermer la vanne après l’avoir ouverte, elle restera dans cette position. C’est dire le manque d’analyse et l’absence de réflexion des équipes qui exécutent les opérations. Et le manque de préparation des opérations. Et les lacunes des procédures censées guider ces opérations.
Après 17 années de chantier et de préparation, les consignes ne sont pas au point... Mais EDF se veut rassurant : la procédure a été modifiée pour que la même erreur ne soit pas de nouveau commise. De quoi lever toutes les inquiétudes ? Pas vraiment, car ce qui est inquiétant, c’est que la consigne n’ait pas été éditée correctement et que personne ne s’en soit rendu compte. Dès lors, la question se pose : qu’en est-il pour les centaines d’autres procédures et de consignes détaillées qui servent à piloter le réacteur ?
Malgré la suspension des opérations survenue début juin, les activités de démarrage ne semblent toujours pas sécurisées. EDF tâtonne encore. Ce nouvel incident, qui a significativement impacté la sûreté de l’EPR et augmenté le risque d’accident [3], souligne une nouvelle fois le profond manque de préparation de l’installation, au plan matériel, humain et organisationnel. À se demander pourquoi l’ASN a autorisé EDF à lancer son EPR alors qu’il ne sait ni le configurer, ni le piloter, et que les documents guidant les opérations ne sont ni fiables, ni aboutis.
L.B.
Actualités réglementaires du réacteur n°3 de Flamanville - juin 2024
Publié le 01/07/2024
26/06/2024 - Déclaration d’un événement significatif sûreté (ESS) lié au non-respect d’une spécification technique d’exploitation.
Le 21 juin, un prélèvement d’eau d’échantillonnage du circuit primaire principal a été réalisé pour vérifier la configuration chimique dans le cadre des essais de démarrage. Lors de ce prélèvement, une électrovanne du système d’échantillonnage (REN) est maintenue ouverte. Cette électrovanne étant déportée, aucun écoulement visuel n’était présent. Le 22 juin lors de la réalisation d’un essai périodique sur le circuit primaire, un écoulement d’eau vers un circuit de collecte a été identifié. Une analyse et une visite terrain ont été lancées immédiatement pour vérifier l’état des installations. L’électrovanne d’échantillonnage est détectée ouverte et est immédiatement refermée. Une modification des procédures a été mise en place pour ne pas reproduire cet écart.
Cet événement n’a eu aucune conséquence réelle sur la sûreté des installations, toutefois, il constitue un non-respect des spécifications techniques d’exploitation. La direction de la centrale de Flamanville 3 a déclaré à l’Autorité de sûreté nucléaire, le 26 juin 2024, un événement significatif sûreté au niveau 1 de l’échelle INES.
Débit de fuite du circuit primaire supérieur au seuil autorisé par les règles générales d’exploitation (RGE)
Publié le 10/07/2024
Centrale nucléaire EPR de Flamanville Réacteurs de 1600 MWe - EDF
Le 22 juin 2024, EDF a déclaré à l’Autorité de sureté nucléaire (ASN) un évènement significatif pour la sûreté relatif à un débit de fuite du circuit primaire principal (CPP) supérieur au seuil autorisé par les RGE sur le réacteur EPR de la centrale nucléaire de Flamanville.
Les RGE sont un recueil de règles approuvées par l’ASN qui définissent le domaine de fonctionnement autorisé de l’installation et les prescriptions de conduite des réacteurs associées. Elles précisent notamment un seuil de débit de fuite du CPP à ne pas dépasser et la conduite à tenir associée en cas de détection du dépassement de ce seuil.
Le 22 juin 2024, lors de la réalisation de l’essai hebdomadaire de quantification du débit de fuite du circuit primaire, l’équipe de conduite en salle de commande a détecté le dépassement du seuil autorisé par les RGE. Les investigations, qui ont été engagées immédiatement pour identifier l’origine de cette fuite, ont permis de détecter le maintien en position ouverte d’une vanne de prélèvement utilisée pour la réalisation d’analyses chimiques.
L’analyse menée par l’exploitant a révélé que la vanne incriminée a été manœuvrée pour la dernière fois le 21 juin 2024.
Cet événement n’a pas eu de conséquence sur les installations, les personnes et l’environnement. Toutefois, l’événement a affecté la fonction de sûreté liée au refroidissement du réacteur. En raison de la détection tardive du dépassement du seuil autorisé par les RGE, cet événement a été classé au niveau 1 de l’échelle INES (échelle internationale des événements nucléaires et radiologiques, graduée de 0 à 7 par ordre croissant de gravité).
EDF a procédé immédiatement à la fermeture de la vanne, et a réalisé un nouvel essai de quantification du débit de fuite du circuit primaire qui a permis de vérifier que la remise en configuration de l’installation respectait le seuil de débit de fuite autorisé par les RGE. L’ASN sera vigilante quant à l’analyse des causes humaines et organisationnelles ayant entraîné cette anomalie et aux actions prises pour éviter son renouvellement.
[1] Depuis la mise en service du réacteur, l’exploitant a déclaré plusieurs événements significatifs pour la sûreté dont trois ont été classés au niveau 1 de l’échelle INES. Début juin 2024, à la suite du nombre et de la nature des événements significatifs déclarés depuis la mise en service, EDF a suspendu momentanément les opérations de démarrage du réacteur le temps d’analyser les causes profondes des événements déclarés, de mettre en place des actions correctives et de sécuriser les activités à venir pour la poursuite du démarrage du réacteur. L’ASN est particulièrement vigilante quant à l’analyse des causes profondes de ces événements et aux actions menées par EDF pour en tirer pleinement le retour d’expérience et sécuriser les activités de démarrage à venir. Source : ASN, note d’information du 02/07/2024
[2] Le circuit primaire est un circuit fermé, contenant de l’eau sous pression. Cette eau s’échauffe dans la cuve du réacteur au contact des éléments combustibles. Dans les générateurs de vapeur, elle cède la chaleur acquise à l’eau du circuit secondaire pour produire la vapeur destinée à entraîner le groupe turboalternateur. Le circuit primaire permet de refroidir le combustible contenu dans la cuve du réacteur en cédant sa chaleur par l’intermédiaire des générateurs de vapeur lorsqu’il produit de l’électricité ou par l’intermédiaire du circuit de refroidissement à l’arrêt lorsqu’il est en cours de redémarrage après rechargement en combustible. La température du circuit primaire principal est encadrée par des limites afin de garantir le maintien dans un état sûr des installations en cas d’accident. https://www.asn.fr/Lexique/C/Circuit-primaire
[3] La sûreté nucléaire est l’ensemble des dispositions techniques et des mesures d’organisation relatives à la conception, à la construction, au fonctionnement, à l’arrêt et au démantèlement des installations nucléaires de base, ainsi qu’au transport des substances radioactives, prises en vue de prévenir les accidents ou d’en limiter les effets. https://www.asn.fr/Lexique/S/Surete-nucleaire