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Les Semeuses : une agriculture collective et biologique comme contre-projet à Cigéo
En 2019, dans un contexte d’intense répression, une envie commune de construire un projet enthousiasmant et agricole a rassemblé des militant·es de Bure, en Meuse. C’est ainsi que sont nées les Semeuses, un collectif paysan qui travaille des terres agricoles convoitées par l’Agence Nationale de gestion des Déchets Radioactifs (ANDRA), pour son projet Cigéo. Rencontre avec Axelle, membre des Semeuses.
Bonjour Axelle. Raconte-nous l’histoire des Semeuses !
L’association a été créée en 2019. La première saison de maraîchage s’est tenue l’année suivante sur des terres prêtées par Jean-Pierre, un agriculteur local. On cultive 3 hectares en rotation de cultures. On défend une agriculture qui est collective et biologique. C’est important car dans la production maraîchère on ne voit souvent que la production agricole, mais nos activités sont multiples : la production, la distribution, la communication, la planification, les réunions, la comptabilité, l’administration, l’entretien du matériel... Sans tout ça le maraîchage ne marche pas. C’est un énorme boulot, et c’est pour ça qu’on prône une agriculture en collectif, où la charge de travail et les responsabilités sont partagées. C’est une manière de lutter contre l’isolement qu’on voit dans le monde agricole.
On s’est lancé dans ce projet car on trouve que la vie paysanne est un mode de vie alternatif qui correspond à nos valeurs écologiques. C’est aussi une manière d’habiter durablement le territoire : quoi de plus perenne que l’agriculture ?
Vous avez choisi de cultiver des terres autour de Bure, où l’industrie nucléaire tente violemment de s’installer. Pourquoi ?
Avec les Semeuses on veut faire tout l’inverse de l’ANDRA, qui compte vider le territoire et le rendre hostile. Plus qu’un projet d’enfouissement des déchets radioactifs dans le sol meusien, Cigéo est un projet d’accaparement des terres. C’est un projet de surface énorme, avec un chantier tout aussi énorme ! Même si les déchets étaient enfouis à 500m sous terre, cela aurait un impact sur les terres à la surface aussi. D’autant qu’il y a de grosses questions sur l’étanchéité des galeries où seraient mis les fûts radioactifs. Le nucléaire va détruire les terres, soit avec le béton, soit avec des pollutions chimiques ou radioactives, et les rendre inutilisables par les générations futures.
Pour nous, ce n’est pas anodin de cultiver des terres au-dessus de ce projet, compte tenu des risques de pollutions. En cas de problème, les terres ne seront plus utilisables par des humains sur des échelles de temps énorme. Il y a des gens qui devront se nourrir de ces terres bien après nous, donc il est hors de question de laisser l’ANDRA les détruire ou les polluer. Être sur ces terres, c’est une manière de lutter, même si on sait qu’on risque d’être exproprié·es. [1]
Nous, on veut montrer qu’il y a mieux à faire de ces terres qu’un énorme projet industriel, en proposant un « contre-projet » de paysannerie. Le maraîchage bio c’est prendre soin des terres, produire une nourriture qui n’empoisonne pas, et comprendre qu’on vit dans un écosystème, que tout est lié. Par la paysannerie on reprend le contrôle sur nos choix de production et de conditions de travail.
On mène un projet enthousiasmant et positif, pour que le quotidien et la lutte ne se résument pas à une répression très dure. On veut apporter aux gens qui sont coincés ici de quoi vivre et de quoi se sentir bien. On participe à la vie locale, on recréé des lieux de rencontres. À Nancy par exemple, on propose des films sur l’agriculture bio, la paysannerie, contre l’agro-industrie. Et à l’Augustine on invite des auteur·ices comme Aurélien Berlan, Thierry Ribaud et l’équipe du film Croquantes, ce qui nous permet de parler d’agriculture et de féminisme. C’est aussi l’occasion de communiquer et sensibiliser sur le projet Cigéo.
On recrée également des espaces de sociabilisation où les gens ont accès à une production agricole de qualité. C’est le cas à la maison l’Augustine et son bar-restaurant : tous les jeudis soirs on fait une distribution de légumes et de pain, on fournit également des légumes cuisinés au restaurant. On participe aussi à des marchés. Notre maraîchage nous permet non seulement de nourrir les habitant·es du coin, mais aussi les militant·es et les cantines de lutte lors des évènements. Notre production est vendue à prix libre car on veut que tout le monde puisse bénéficier d’une agriculture biologique, et ça fonctionne !
Certaines de vos terres sont concernées par la menace d’expropriation qui pèse sur 300 propriétaires en ce moment-même. Comment envisagez-vous les mois et années à venir ?
On a envie que le maraîchage continue : on aimerait s’installer sur la ferme de Jean-Pierre. On va être rejoint par un paysan boulanger et on a envie de mettre en place un projet de transformation laitière. C’est compliqué et ambitieux, mais on ne lâche rien ! Pour ce qui est des expropriations, on va se rapprocher d’autres personnes concernées pour voir ce que l’on peut faire. On cultivera jusqu’à ce que physiquement on nous en empêche !
Un mot pour la fin ?
J’aime séparer la question du nucléaire des questions techniques. J’ai envie qu’on pose la question « Pourquoi l’État soutient une production énergétique aussi monstrueuse ? » C’est seulement parce qu’à l’heure actuelle la volonté est de produire de façon industrielle, pour alimenter un système productif démesuré. Et le nucléaire est une façon d’y répondre. Ça n’a rien à voir avec l’écologie et ça ne tient pas compte de la vie des gens et des écosystèmes.
- Propos recueillis par Mathilde Damecour, chargée de campagne du Réseau "Sortir du nucléaire"
Vous souhaitez adhérer aux Semeuses, profiter de leurs paniers de saison ou participer aux chantiers collectifs et à la vie de l’association ?
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Notes
[1] Début mars, 336 habitant·es de Meuse/Haute-Marne ont reçu une lettre-recommandée de l’Andra accompagnée d’un dossier d’expropriation, marquant ainsi le début de la procédure visant à acquérir le foncier en surface et les tréfonds (les sous-sols, de -150 mètres au centre de la Terre…) nécessaires au projet Cigéo. Lire Expropriations : autour de Bure, 300 propriétaires et 569 parcelles concernés.