Coût de Cigéo : le Conseil d’État légitime un arbitrage qui n’avait pas lieu d’être
Dans sa décision du 11 avril 2018, le Conseil d’État a rejeté la requête des associations, suivant ainsi les conclusions de la rapporteure publique qui supposait qu’il n’y avait pas eu d’erreur d’appréciation de la part de l’État dans la fixation du coût de Cigéo. Elle mettait en avant le fait que l’Andra ait finalement proposé au gouvernement de fixer ce coût dans une fourchette allant de 20 à 30 milliards d’euros. Selon elle, l’État avait la possibilité de choisir un chiffre entre les deux, en effectuant un compromis entre la situation financière des producteurs de déchets radioactifs et le coût de leur gestion pour les générations futures.
Les associations ne peuvent en aucun cas se satisfaire de ce discours, qui légitime un « coût politique » sans aucun rapport avec un quelconque « coût objectif ». Il est pour le moins surprenant, de la part de l’Andra, d’avoir effectué un chiffrage détaillé des coûts pour finalement proposer à l’État de trancher à la hache. Quelles tractations se cachaient donc derrière une telle proposition ?
Surtout, il est injustifiable de qualifier ce coût de « juste équilibre ». L’État n’aurait jamais dû effectuer de compromis en prenant en compte les intérêts financiers à court terme des producteurs de déchets. Au contraire, il aurait dû se focaliser uniquement sur le fait d’identifier les ressources nécessaires pour réaliser Cigéo et de s’assurer qu’elles soient disponibles le moment venu. L’arbitrage effectué, choix contestable et contesté, revient à faire peser un fardeau considérable sur les générations futures.
Le Conseil d’État n’a pas voulu prendre la responsabilité d’annuler cet arrêté et, ce faisant, de rajouter près de deux milliards d’euros au passif d’EDF [1] . Mais cette décision ne clôt pas le sujet : il n’est pas exclu que la Commission Européenne se saisisse de la situation, dans la mesure où il s’agirait ici d’une aide d’État déguisée !
Le gouvernement doit actualiser en urgence le coût de Cigéo et de la gestion des déchets radioactifs
Le Conseil d’État a reconnu les importantes incertitudes qui entourent le coût effectif du projet. Pour les associations, ces incertitudes auraient justement dû conduire l’État à faire preuve de la plus grande prudence et à retenir le haut de la fourchette proposée, au lieu de « couper la poire en deux ».
Il est incompréhensible qu’une telle attitude ait été légitimée, alors que de nouveaux éléments vont fatalement renchérir ce coût : retard prévu dans le dépôt de la demande d’autorisation de création, recherches complémentaires exigées par l’ASN sur de nombreux points pour fournir d’hypothétiques démonstrations de sûreté, nécessité d’une expertise internationale sur les déchets bitumineux… sans compter les critiques émises par les économistes de la Commission Nationale d’Évaluation (et notamment le choix de taux d’actualisation bien optimistes [2] ).
Puisque le coût de Cigéo est reconnu comme « évolutif », les associations appellent solennellement le gouvernement à le réactualiser en urgence. Le respect des générations futures et des contribuables actuels exige un chiffrage sincère du fardeau qu’ils devront supporter, et ce quelle que soit l’option choisie.
Graves problèmes de sureté non résolus, financement hypothétique : il est hors de question que le gouvernement prenne la responsabilité d’engager Cigéo dans ces conditions. Un tel choix serait d’autant plus irresponsable que la phase expérimentale pilote prévue entre 2020 et 2034 engloutirait, à elle seule, en 15 ans, 95% des provisions constituées à ce jour par les exploitants pour la gestion à long terme (sur plus de 120 ans) des déchets radioactifs les plus dangereux. La seule issue à cette impasse est de tarir la production de déchets et lancer de toute urgence l’étude des alternatives à l’enfouissement.
Que Cigéo se construise ou soit abandonné, des sommes colossales seront dans tous les cas nécessaires pour la gestion de ces déchets dangereux. En l’état actuel, l’attitude du gouvernement nous mène tout droit au pire des scénarios. Nous nous dirigeons vers la construction d’un projet dangereux et imposé, doté d’une sûreté hypothétique sur 100 000 ans ; où les risques d’accidents pourraient être encore plus élevés, la sûreté ayant été revue à la baisse faute de financements... et en cas de problème, plus aucun moyen suffisant pour développer un plan B, les ressources financières ayant tous été absorbées.
Plus que jamais, il est urgent d’abandonner ce projet dangereux et mettre fin à la production de déchets radioactifs ingérables.
Dossier juridique : https://www.sortirdunucleaire.org/Bure-arrete-ministeriel-cout-Cigeo
Télécharger la décision du Conseil d’État :
Contacts presse :
Pour le Réseau “Sortir du nucléaire“ :
Marie Frachisse – 07 62 58 01 23
Pour France Nature Environnement :
Arnaud Schwartz – 06 74 59 40 34
Chargée de communication :
Charlotte Mijeon - 06 64 66 01 23
Annexe 1 : rappel du mauvais feuilleton du coût de Cigéo
Alors que Cigéo constitue l’un des plus gros projets industriels d’Europe, pendant des années, aucune évaluation actualisée de ses coûts n’a été rendue publique par l’Andra ni par l’État. Le débat public de 2013 s’est ainsi déroulé alors que n’était versée au dossier qu’une estimation de 16,5 milliards d’euros que tout le monde savait obsolète. Dans le même temps, des travaux de la Cour des comptes laissaient supposer que le coût réel dépassait les 40 milliards d’euros.
En janvier 2016, après avoir dû saisir la Commission d’Accès aux Documents Administratifs, le Réseau “Sortir du nucléaire“ a pu obtenir la publication d’un document de l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) commentant l’évaluation du coût de la gestion à long terme des déchets radioactifs par l’Andra. Cette dernière chiffrait ce coût à 34,5 milliards d’euros - soit 32,8 milliards pour les coûts de possession, plus 1,7 milliards d’autres dépenses -, un montant que l’ASN jugeait bien optimiste.
Quelques jours plus tard, les exploitants nucléaires (EDF, Areva et le CEA) publiaient leur propre évaluation, d’un montant de 20 milliards d’euros seulement. Censés provisionner pour la gestion des déchets radioactifs qu’ils produisent et embourbés dans leurs difficultés économiques, ils souhaitaient avant tout éviter de grever leurs budgets déjà fragilisés et de faire plonger encore plus leurs actifs en bourse… quitte à mentir sur les coûts réels de cette gestion !
Mais plutôt que de prendre acte de l’évaluation de l’Andra et des dérives quasi systématiques des coûts lors de tels grands projets, Ségolène Royal, alors ministre de l’écologie, a effectué un véritable cadeau aux producteurs de déchets radioactifs. Le 15 janvier 2016, elle a ainsi fixé par arrêté le « coût objectif » de la gestion à long terme des déchets radioactifs à 25 milliards d’euros, un montant inférieur à près d’un tiers à celui déterminé par l’Andra !
Le 3 mars 2016, le Réseau “Sortir du nucléaire“, France Nature Environnement, MIRABEL-Lorraine Nature Environnement et BureStop55 ont attaqué devant le Conseil d’État cet arrêté ministériel, en invoquant notamment la directive Euratom 2011/70/EURATOM, qui impose aux États-membres de se doter d’un cadre permettant que des ressources suffisantes soient disponibles pour faire face à la gestion des déchets radioactifs le moment venu.
Plus d’informations dans notre communiqué du 14 mars 2018
Annexe 2 : les provisions financières pour la gestion des déchets radioactifs, chantier de la phase pilote de Cigéo à Bure : 15 ans pour tout engloutir !
La « phase industrielle pilote », c’est quoi ? Ce terme a été imaginé par les promoteurs de Cigéo lors du débat public de 2013 pour désigner la première tranche du projet. Concrètement, cette phase pilote représenterait, entre 2020 et 2034 :
En surface :
▸ La mise en place des installations de surface nucléaires et assimilées sur au moins 600 ha.
▸ La construction d’un bâtiment de 12 étages (déchargement/conditionnement des déchets), en partie enterré, d’un volume de 900 000 m³, dont 640 000 m³ d’espace ventilé pour évacuer des gaz dangereux et radioactifs.
▸ La construction d’une voie ferrée et d’un terminal ferroviaire (10 à 25 ha).
▸ La construction d’un transformateur électrique très haute tension (5 à 10 ha).En souterrain :
▸ La construction de deux descenderies de 4,2 km et de plus de 10 m de diamètre pour descendre les déchets à 500 mètres sous terre (charge de dimensionnement : 130 tonnes).
▸ La construction de 5 larges puits verticaux de plus de 500 m de profondeur chacun.
▸ Le creusement de 40 km de galeries de 10 m de diamètre à 500 m de profondeur (le laboratoire actuel représente 1,6 km de long pour des galeries de 6 m de diamètre).Au total, la phase pilote représenterait à elle seule 2,54 millions de m³ de terres excavées (verses) à stocker en surface (plus d’un tiers des déblais du tunnel sous la Manche !).
Surtout, ce sont 1 000 m³ de déchets de haute activité (C0) issus des débuts de la vitrification à Marcoule et 1 800 m³ de déchets de moyenne activité à vie longue qui seraient entreposés en surface à Bure avant conditionnement et enfouissement entre 2026 et 2034.
Les géants du béton et de l’acier auraient 15 ans pour tout engloutir... L’argent censé être provisionné pour la gestion des déchets nucléaire (HA/MAVL) pour les 150 années à venir serait englouti en 15 ans à plus de 95 % dans ce chantier aussi monstrueux qu’absurde. Aucun centre de stockage de ce type ne fonctionne et toutes les tentatives ont été vouées à l’échec (STOCKAMINE en Alsace, Asse en Allemagne, WIPP aux USA). Une fois ce fiasco établi, qui paiera la dette des déchets radioactifs ?
Ce graphique montre clairement que la majeure partie des provisions (courbe noire continue) serait dépensée durant la phase pilote. Le financement des tranches ultérieures entre 2034 et 2156 repose sur des théories et des spéculations économiques très incertaines (actualisation des charges financières estimées jusqu’en 2156, constitution d’actifs dédiés aux provisions, rendement de ces actifs évalué sur 150 ans).
cf. ouvrage « L’OPPOSITION CITOYENNE AU PROJET CIGÉO, Cadrage géographique et enjeux géopolitiques locaux et globaux » ed. L’Harmattan