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Sortir du nucléaire n°86



Été 2020

Alerter

L’interminable démantèlement des réacteurs UNGG

Article paru dans la revue Sortir du nucléaire n°86 - Été 2020

 Démantèlement  Chinon


Les premiers réacteurs nucléaires construits en France étaient bien différents des modèles actuels. Ils étaient chargés d’uranium naturel en combustible, de graphite pour modérer la réaction nucléaire et de gaz pour les refroidir. Ces réacteurs UNGG, six au total à Chinon (37), Bugey (01) et Saint-Laurent (41) ont été mis en service entre 1963 et 1972.



Centrale nucléaire de Chinon
© André Paris

Le premier n’a produit de l’électricité que durant 10 ans.

Pas un n’a fonctionné plus de 24 ans. Arrêtés définitivement entre 1973 et 1994, ils ne sont toujours pas démantelés. Le code de l’environnement  [1] exige pourtant un “démantèlement dans un délai aussi court que possible“. Oui mais voilà, les difficultés techniques et les risques sont tels que près de 30 ans après l’arrêt du dernier né de cette filière, les UNGG sont toujours là. C’est pourquoi l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) a pris en mars 2020 la décision de forcer EDF à accélérer la cadence. Retour sur les raisons d’un interminable démantèlement.

Des difficultés et des dizaines d’années de retard

L’idée de départ d’EDF était de démanteler 5 à 10 ans après l’arrêt des installations. Sauf les bâtiments réacteurs, dont on s’occuperait 25 à 50 années après, pour laisser décroître la radioactivité. L’ASN s’était alors inquiétée  [2] de la tenue mécanique des installations, les bâtiments allaient-ils tenir aussi longtemps ? En 2001, EDF change de plan : le démantèlement sera immédiat et total, tout sera fait sous eau et achevé en 2036. L’ASN pointe une difficulté dans cette stratégie de démantèlement immédiat : l’exutoire des déchets de graphite radioactif.

En 2016, EDF annonce que le démantèlement en eau pose des difficultés techniques majeures, il sera finalement fait à l’air à l’aide de robots télé-pilotés. Mais face au peu de connaissances disponibles  [3], EDF veut d’abord valider la faisabilité des opérations avec un démonstrateur industriel. Puis démanteler le caisson d’un réacteur (Chinon A2) avant de s’attaquer aux autres vers 2070. Soit 76 ans après l’arrêt de Bugey 1, le dernier UNGG.

Et presque 100 ans après l’arrêt de Chinon A1 qui n’a fonctionné que 10 ans ! EDF a besoin de temps pour étudier les risques du démantèlement (dissémination de substances dangereuses, incendie, explosion, etc.). L’industriel veut donc décaler de plusieurs décennies ces opérations longues et ardues.

Un allongement très important du calendrier de démantèlement qui repose la question de la solidité des bâtiments. Et du respect du Code de l’environnement.

Tube de combustible et graphite

Les prescriptions de l’ASN

En mars 2020, l’ASN prend deux décisions  [4]. L’exploitant doit réaliser les opérations de démantèlement qui peuvent déjà l’être (avant 2024 pour Bugey, 2027 pour Chinon A3, 2031 pour Saint-Laurent) et déposer au plus tard en 2022 les dossiers qui s’imposent. À Chinon, deux réacteurs n’ont même pas d’autorisation de démantèlement, près de 50 et 40 ans après leur arrêt ! EDF doit avoir au moins un démonstrateur industriel d’ici 2022. Mais pas question d’attendre plus de 15 ans entre l’ouverture du premier et du dernier caisson. Du temps accordé face à la complexité des opérations, soit, mais attendre 2070 est inacceptable au regard du Code de l’environnement.

EDF devra creuser la question de la gestion des déchets qui vont être générés en quantité bien plus importante que lors du fonctionnement et prévoir des entreposages de déchets graphites. Sans oublier tous les enjeux d’un démantèlement (irradiation et contamination des travailleurs, risque des travaux de déconstruction, surveillance des installations, risque de pollution, etc.), d’avis de l’IRSN  [5], maintenir la sûreté des caissons sur plusieurs décennies et maîtriser leur vieillissement vont être d’importants défis pour EDF car ils soulèvent de réels enjeux techniques. Des difficultés qui mettent l’industrie de l’atome face à ses limites. Des limites de savoir-faire qui confèrent au démantèlement des réacteurs UNGG cette incroyable temporalité. Une temporalité qui donne le tournis, surtout au regard de la durée durant laquelle ces réacteurs ont produit de l’électricité.

Laure Barthélemy

Trois réacteurs UNGG à Chinon

Initié en 1955, le site nucléaire d’Avoine-Chinon comprend sept réacteurs nucléaires, dont les trois premiers de type UNGG avaient le double objectif : produire de l’électricité, mais aussi du plutonium militaire.

Le premier réacteur (A1) de 60 MW (enveloppé par une boule d’acier) commença à fonctionner en 1962 avec 142 tonnes d’uranium et 1 050 tonnes de graphite, pour être arrêté en 1973, après avoir injecté 2,5 GWh dans le réseau électrique. Sans attendre le retour d’expérience de A1, les tranches A2 (210 MW ; 239 tonnes de combustible, 1 700 tonnes de graphite), puis A3 (400 MW ; 445 tonnes de combustible, 2 530 tonnes de graphite) ont été construites. Ces réacteurs A2 et A3 ont été arrêtés en 1985 et 1990, suite à de nombreux problèmes de corrosion, puis déchargés de leurs combustibles hautement radioactifs.

Que devient la promesse de “retour à l’herbe“ ?

Quelques années plus tard, commence le démantèlement de la partie non nucléaire des installations. Certaines pièces des circuits secondaires ont été démontées. Lors d’une réunion de la CLI de Chinon, le 20 octobre 2016, EDF a indiqué que le démantèlement partiel a déjà produit 50 000 tonnes de déchets faiblement radioactifs (gravats, ferrailles, tuyauteries, etc.), lesquels ont été convoyés et entreposés à Soulaines (10) et Morvilliers (10).

La partie la plus complexe du démantèlement reste à faire : celle des cœurs de réacteurs avec leurs milliers de tonnes de graphite radioactif. Cette opération n’a pas été prévue lors de la conception et le découpage en morceaux manipulables s’avère ardu, notamment pour éviter toute contamination ambiante. Les délais proposés par EDF ont été invalidés récemment par l’ASN qui en pose de nouveaux mais ces échéances et ajournements posent question aux citoyens quant à cet héritage empoisonné laissé aux générations futures.

Bernard Cottier

© André Paris

Notes

[1Article L 593-25 du Code de l’environnement “lorsque le fonctionnement d’une installation nucléaire de base [...] est arrêté définitivement, son exploitant procède à son démantèlement dans un délai aussi court que possible, [...]“

[3Seuls deux caissons abritant des cœurs de réacteurs UNGG ont été démantelés dans le monde.

[4Décision n° 2020-DC-0686 et décision n°CODEP-CLG-2020-021253 du 3 mars 2020 : https://frama.link/ASN-UNGG

[5Avis IRSN n°2019-00236 du 18 octobre 2019

Centrale nucléaire de Chinon
© André Paris

Le premier n’a produit de l’électricité que durant 10 ans.

Pas un n’a fonctionné plus de 24 ans. Arrêtés définitivement entre 1973 et 1994, ils ne sont toujours pas démantelés. Le code de l’environnement  [1] exige pourtant un “démantèlement dans un délai aussi court que possible“. Oui mais voilà, les difficultés techniques et les risques sont tels que près de 30 ans après l’arrêt du dernier né de cette filière, les UNGG sont toujours là. C’est pourquoi l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) a pris en mars 2020 la décision de forcer EDF à accélérer la cadence. Retour sur les raisons d’un interminable démantèlement.

Des difficultés et des dizaines d’années de retard

L’idée de départ d’EDF était de démanteler 5 à 10 ans après l’arrêt des installations. Sauf les bâtiments réacteurs, dont on s’occuperait 25 à 50 années après, pour laisser décroître la radioactivité. L’ASN s’était alors inquiétée  [2] de la tenue mécanique des installations, les bâtiments allaient-ils tenir aussi longtemps ? En 2001, EDF change de plan : le démantèlement sera immédiat et total, tout sera fait sous eau et achevé en 2036. L’ASN pointe une difficulté dans cette stratégie de démantèlement immédiat : l’exutoire des déchets de graphite radioactif.

En 2016, EDF annonce que le démantèlement en eau pose des difficultés techniques majeures, il sera finalement fait à l’air à l’aide de robots télé-pilotés. Mais face au peu de connaissances disponibles  [3], EDF veut d’abord valider la faisabilité des opérations avec un démonstrateur industriel. Puis démanteler le caisson d’un réacteur (Chinon A2) avant de s’attaquer aux autres vers 2070. Soit 76 ans après l’arrêt de Bugey 1, le dernier UNGG.

Et presque 100 ans après l’arrêt de Chinon A1 qui n’a fonctionné que 10 ans ! EDF a besoin de temps pour étudier les risques du démantèlement (dissémination de substances dangereuses, incendie, explosion, etc.). L’industriel veut donc décaler de plusieurs décennies ces opérations longues et ardues.

Un allongement très important du calendrier de démantèlement qui repose la question de la solidité des bâtiments. Et du respect du Code de l’environnement.

Tube de combustible et graphite

Les prescriptions de l’ASN

En mars 2020, l’ASN prend deux décisions  [4]. L’exploitant doit réaliser les opérations de démantèlement qui peuvent déjà l’être (avant 2024 pour Bugey, 2027 pour Chinon A3, 2031 pour Saint-Laurent) et déposer au plus tard en 2022 les dossiers qui s’imposent. À Chinon, deux réacteurs n’ont même pas d’autorisation de démantèlement, près de 50 et 40 ans après leur arrêt ! EDF doit avoir au moins un démonstrateur industriel d’ici 2022. Mais pas question d’attendre plus de 15 ans entre l’ouverture du premier et du dernier caisson. Du temps accordé face à la complexité des opérations, soit, mais attendre 2070 est inacceptable au regard du Code de l’environnement.

EDF devra creuser la question de la gestion des déchets qui vont être générés en quantité bien plus importante que lors du fonctionnement et prévoir des entreposages de déchets graphites. Sans oublier tous les enjeux d’un démantèlement (irradiation et contamination des travailleurs, risque des travaux de déconstruction, surveillance des installations, risque de pollution, etc.), d’avis de l’IRSN  [5], maintenir la sûreté des caissons sur plusieurs décennies et maîtriser leur vieillissement vont être d’importants défis pour EDF car ils soulèvent de réels enjeux techniques. Des difficultés qui mettent l’industrie de l’atome face à ses limites. Des limites de savoir-faire qui confèrent au démantèlement des réacteurs UNGG cette incroyable temporalité. Une temporalité qui donne le tournis, surtout au regard de la durée durant laquelle ces réacteurs ont produit de l’électricité.

Laure Barthélemy

Trois réacteurs UNGG à Chinon

Initié en 1955, le site nucléaire d’Avoine-Chinon comprend sept réacteurs nucléaires, dont les trois premiers de type UNGG avaient le double objectif : produire de l’électricité, mais aussi du plutonium militaire.

Le premier réacteur (A1) de 60 MW (enveloppé par une boule d’acier) commença à fonctionner en 1962 avec 142 tonnes d’uranium et 1 050 tonnes de graphite, pour être arrêté en 1973, après avoir injecté 2,5 GWh dans le réseau électrique. Sans attendre le retour d’expérience de A1, les tranches A2 (210 MW ; 239 tonnes de combustible, 1 700 tonnes de graphite), puis A3 (400 MW ; 445 tonnes de combustible, 2 530 tonnes de graphite) ont été construites. Ces réacteurs A2 et A3 ont été arrêtés en 1985 et 1990, suite à de nombreux problèmes de corrosion, puis déchargés de leurs combustibles hautement radioactifs.

Que devient la promesse de “retour à l’herbe“ ?

Quelques années plus tard, commence le démantèlement de la partie non nucléaire des installations. Certaines pièces des circuits secondaires ont été démontées. Lors d’une réunion de la CLI de Chinon, le 20 octobre 2016, EDF a indiqué que le démantèlement partiel a déjà produit 50 000 tonnes de déchets faiblement radioactifs (gravats, ferrailles, tuyauteries, etc.), lesquels ont été convoyés et entreposés à Soulaines (10) et Morvilliers (10).

La partie la plus complexe du démantèlement reste à faire : celle des cœurs de réacteurs avec leurs milliers de tonnes de graphite radioactif. Cette opération n’a pas été prévue lors de la conception et le découpage en morceaux manipulables s’avère ardu, notamment pour éviter toute contamination ambiante. Les délais proposés par EDF ont été invalidés récemment par l’ASN qui en pose de nouveaux mais ces échéances et ajournements posent question aux citoyens quant à cet héritage empoisonné laissé aux générations futures.

Bernard Cottier

© André Paris


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