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Sortir du nucléaire n°86



Été 2020

S’ouvrir

L’Afrique et les sirènes nucléocrates

Article paru dans la revue Sortir du nucléaire n°86 - Été 2020

 Sites nucléaires  Projets nucléaires


Les mirages du nucléaire ne sont pas nouveaux sur le continent africain, et les aléas de fonctionnement des multiples installations ont été nombreux. Mais beaucoup de pays africains sont encore attirés par l’illusion d’une énergie moderne et propre.

Centrale de Pelindaba, Afrique du Sud © Wikimedia NJR ZA


Réacteurs nucléaires en Afrique

Plusieurs pays africains ont réalisé des installations nucléaires de petite puissance, destinées officiellement à la recherche et à la formation, sans doute également à des développements militaires.

La construction du tout premier réacteur nucléaire (50 kW) en Afrique a débuté avec les belges en 1959, dans le Centre scientifique Trico de l’Université de Kinshasa. L’année suivante, la République démocratique du Congo (ex Zaïre) obtient son indépendance, mais un accord de coopération technique maintient les activités et projets nucléaires, et en 1973 le Centre Régional d’Études Nucléaires de Kinshasa (CREN-K) voit le jour. Un second réacteur plus puissant (1 MW), “Trico II“ fût acheté aux américains et mis en service en 1973. Mais depuis 1994, faute de crédits, celui-ci ne fonctionne plus, sans compter les guerres civiles qui ont dégradé encore plus l’état des installations. Des barres de combustibles nucléaires y ont été volées en 2007 ; et des voix s’élèvent pour fermer ce site nucléaire situé sur une colline actuellement en érosion. Mais les responsables du CREN-K et certains politiciens plaident pour une réhabilitation du site, projet qui semble illusoire vu la corruption ambiante.

Créé officiellement en 2003, le Centre de recherche nucléaire de Maâmora au Maroc possède un réacteur américain de type Triga, destiné à la recherche et à la production d’isotopes à usages médicaux, en fonctionnement depuis 2009. Déjà à partir de 1983, sur le site de Boulbra, les autorités marocaines avaient envisagé avec les français de Sofratome  [1] une centrale comprenant six réacteurs de 600 MW, ambition qui s’est réduite à un projet de réacteur de 900 MW, qui n’a pas encore vu le jour.

Et ce n’est donc sans doute pas un hasard si l’Algérie, peu amie de son voisin marocain, signe en 1983 avec la Chine un projet de développement d’un réacteur de 15 MW. Ce réacteur à eau lourde, construit en grand secret à Aïn Oussera, dans le désert, à 200 km au sud d’Alger, permet de produire du plutonium, éventuellement à des fins militaires. Faut-il pourtant rappeler que le Sahara algérien et ses habitants ont été victimes des premiers essais des bombes atomiques françaises dans les années 1960 ? L’Algérie a également investi dans un réacteur argentin de 1 MW à eau légère et uranium enrichi, appelé Nour, à Draria, près d’Alger. Depuis, d’autres projets de réacteurs civils ont été envisagés, avec la France, les États-Unis, la Russie, mais aucun n’a abouti.

Érosion des sols à Kinshasa, République démocratique du Congo © Wikimedia / Moyogo

En Libye, le programme nucléaire est lancé dès 1975 par Kadhafi, en signant un accord de coopération avec la Russie pour un réacteur de recherche de 10 MW à Tadjourah, près de Tripoli, réacteur mis en service en 1981. Dès lors, pendant plus de vingt ans, la Libye a cherché à développer un programme nucléaire militaire, accumulant des milliers de tonnes de matières radioactives. Mais en 1983, sur le point de réussir ce programme, Kadhafi signe les accords internationaux sur la non-prolifération des armes nucléaires (TICE et TNT). Cela ne l’empêche pas, par la suite, de solliciter auprès de Chirac la construction de réacteurs civils ; ce fût encore le cas en juillet 2007 pour un réacteur destiné à alimenter une usine de dessalement d’eau de mer, lors d’une visite de Sarkozy, et ce, dans des conditions restées troubles.

Toujours au début des années 1980, en Égypte, le Président Moubarak consulte Sofratome pour implanter une centrale nucléaire à El Dabaa, sur la côte méditerranéenne, à l’ouest d’Alexandrie. Suite à l’accident de Tchernobyl, le projet est abandonné ; il ressort en 2010, pour être mis en veilleuse suite à Fukushima et à une forte opposition des Bédouins, mais ce n’est peut-être pas fini. Par ailleurs, sur le site d’Anshas, le pays possède deux réacteurs de recherche d’origines russe et argentine.

Comme les “grandes puissances nucléaires mondiales“, l’Afrique du Sud, alors pays de l’apartheid, a voulu développer l’arme nucléaire, afin d’imposer sa suprématie à toute la région. En fait, depuis le projet Manhattan, l’Afrique du Sud est liée par ses mines au développement des programmes nucléaires des États-Unis et de la Grande-Bretagne. Les États-Unis lui ont d’ailleurs permis d’installer un premier réacteur nucléaire de recherche à Pelindaba en 1965, puis un second deux ans plus tard sur le même site. Dans les années qui suivent, le pays envisage “l’utilisation pacifique des explosifs atomiques pour les travaux civils de grande ampleur“, notamment dans les mines et pour aménager ses ports. Au cours des années 1970, le pays développera un programme militaire secret destiné à fabriquer des bombes atomiques, ce qu’il parviendra à faire une première fois en 1982. C’est De Klerk, élu président en 1989, qui finalement arrêtera ce programme et ordonnera la neutralisation des six bombes déjà construites et de la septième en fabrication. La détente internationale, la fin du conflit angolais, la crainte de risques politiques et l’arrêt des énormes dépenses engagées ont contribué à cette sage décision. Actuellement, c’est en Afrique du Sud que fonctionne la seule centrale nucléaire africaine de forte puissance (1 830 MW avec deux réacteurs), plus précisément à Koeberg, non loin de la ville du Cap, sur la côte Atlantique  [2].

Des prospectives nucléaires en Afrique

Depuis 2015, les Russes sont à la manœuvre dans le projet de quatre réacteurs en Égypte, à implanter à El Dabaa, d’ici à 2028. En 2019, la Russie a organisé un sommet Afrique-Russie à Sotchi, occasion pour elle de pousser son influence dans le domaine nucléaire avec sa société d’État Rosatom. Comme toujours, au départ, la Russie a proposé la mise en place de centres de recherche. Les nucléocrates russes se vantaient d’avoir établi à cette occasion des protocoles d’accord avec 18 pays africains.

Et il semble que le Rwanda et l’Éthiopie soient intéressés par des centrales de faible puissance, type SMR  [3]. En plus de deux centrales russes, le Nigéria a opté en 2018 pour l’installation de 23 SMR avec l’entreprise canadienne StarCore Nuclear. Cependant les déclarations d’intention tardent à se concrétiser.

Tour de refroidissement de centrale thermique en Afrique du Sud © Alamy

Les grosses entreprises nucléaires mondiales sont en course pour vendre leurs machines infernales sur le continent. En 2015, le projet sud-africain d’investir dans huit réacteurs nucléaires (9 600 MW) a exacerbé les convoitises et révélé les contorsions financières du secteur. En 2018, les dirigeants du pays ont bloqué le projet, lequel, tel un serpent de mer, semble ressortir aujourd’hui avec une feuille de route pour une centrale de 2 500 MW.

Quelles alternatives à ces investissements nucléaires ?

L ’Afrique dispose de gisements en énergie renouvelable considérables, particulièrement en énergie solaire directe. Compte tenu des technologies mâtures, tant en photovoltaïque que thermique, et du coût de ces solutions, il semble indiqué que les pays africains optent pour les énergies solaires. Bien sûr, des nécessités de stockage d’énergie apparaîtront, mais l’organisation et les compétences locales sauront trouver des solutions.

Même s’il est clair que les peuples africains doivent bénéficier de l’accès à l’énergie électrique, il ne faudrait pas qu’ils reproduisent nos erreurs du passé, notamment celle de l’option nucléaire avec tous ses préjudices économiques et environnementaux.

Bernard Cottier


Notes

[1Filiale à parts égales du CEA et d’EDF

[2Nous développerons ce thème dans un prochain numéro.

[3SMR : Small Modular Reactor : petit réacteur nucléaire, de puissance comprise entre 30 et 300MW.

Réacteurs nucléaires en Afrique

Plusieurs pays africains ont réalisé des installations nucléaires de petite puissance, destinées officiellement à la recherche et à la formation, sans doute également à des développements militaires.

La construction du tout premier réacteur nucléaire (50 kW) en Afrique a débuté avec les belges en 1959, dans le Centre scientifique Trico de l’Université de Kinshasa. L’année suivante, la République démocratique du Congo (ex Zaïre) obtient son indépendance, mais un accord de coopération technique maintient les activités et projets nucléaires, et en 1973 le Centre Régional d’Études Nucléaires de Kinshasa (CREN-K) voit le jour. Un second réacteur plus puissant (1 MW), “Trico II“ fût acheté aux américains et mis en service en 1973. Mais depuis 1994, faute de crédits, celui-ci ne fonctionne plus, sans compter les guerres civiles qui ont dégradé encore plus l’état des installations. Des barres de combustibles nucléaires y ont été volées en 2007 ; et des voix s’élèvent pour fermer ce site nucléaire situé sur une colline actuellement en érosion. Mais les responsables du CREN-K et certains politiciens plaident pour une réhabilitation du site, projet qui semble illusoire vu la corruption ambiante.

Créé officiellement en 2003, le Centre de recherche nucléaire de Maâmora au Maroc possède un réacteur américain de type Triga, destiné à la recherche et à la production d’isotopes à usages médicaux, en fonctionnement depuis 2009. Déjà à partir de 1983, sur le site de Boulbra, les autorités marocaines avaient envisagé avec les français de Sofratome  [1] une centrale comprenant six réacteurs de 600 MW, ambition qui s’est réduite à un projet de réacteur de 900 MW, qui n’a pas encore vu le jour.

Et ce n’est donc sans doute pas un hasard si l’Algérie, peu amie de son voisin marocain, signe en 1983 avec la Chine un projet de développement d’un réacteur de 15 MW. Ce réacteur à eau lourde, construit en grand secret à Aïn Oussera, dans le désert, à 200 km au sud d’Alger, permet de produire du plutonium, éventuellement à des fins militaires. Faut-il pourtant rappeler que le Sahara algérien et ses habitants ont été victimes des premiers essais des bombes atomiques françaises dans les années 1960 ? L’Algérie a également investi dans un réacteur argentin de 1 MW à eau légère et uranium enrichi, appelé Nour, à Draria, près d’Alger. Depuis, d’autres projets de réacteurs civils ont été envisagés, avec la France, les États-Unis, la Russie, mais aucun n’a abouti.

Érosion des sols à Kinshasa, République démocratique du Congo © Wikimedia / Moyogo

En Libye, le programme nucléaire est lancé dès 1975 par Kadhafi, en signant un accord de coopération avec la Russie pour un réacteur de recherche de 10 MW à Tadjourah, près de Tripoli, réacteur mis en service en 1981. Dès lors, pendant plus de vingt ans, la Libye a cherché à développer un programme nucléaire militaire, accumulant des milliers de tonnes de matières radioactives. Mais en 1983, sur le point de réussir ce programme, Kadhafi signe les accords internationaux sur la non-prolifération des armes nucléaires (TICE et TNT). Cela ne l’empêche pas, par la suite, de solliciter auprès de Chirac la construction de réacteurs civils ; ce fût encore le cas en juillet 2007 pour un réacteur destiné à alimenter une usine de dessalement d’eau de mer, lors d’une visite de Sarkozy, et ce, dans des conditions restées troubles.

Toujours au début des années 1980, en Égypte, le Président Moubarak consulte Sofratome pour implanter une centrale nucléaire à El Dabaa, sur la côte méditerranéenne, à l’ouest d’Alexandrie. Suite à l’accident de Tchernobyl, le projet est abandonné ; il ressort en 2010, pour être mis en veilleuse suite à Fukushima et à une forte opposition des Bédouins, mais ce n’est peut-être pas fini. Par ailleurs, sur le site d’Anshas, le pays possède deux réacteurs de recherche d’origines russe et argentine.

Comme les “grandes puissances nucléaires mondiales“, l’Afrique du Sud, alors pays de l’apartheid, a voulu développer l’arme nucléaire, afin d’imposer sa suprématie à toute la région. En fait, depuis le projet Manhattan, l’Afrique du Sud est liée par ses mines au développement des programmes nucléaires des États-Unis et de la Grande-Bretagne. Les États-Unis lui ont d’ailleurs permis d’installer un premier réacteur nucléaire de recherche à Pelindaba en 1965, puis un second deux ans plus tard sur le même site. Dans les années qui suivent, le pays envisage “l’utilisation pacifique des explosifs atomiques pour les travaux civils de grande ampleur“, notamment dans les mines et pour aménager ses ports. Au cours des années 1970, le pays développera un programme militaire secret destiné à fabriquer des bombes atomiques, ce qu’il parviendra à faire une première fois en 1982. C’est De Klerk, élu président en 1989, qui finalement arrêtera ce programme et ordonnera la neutralisation des six bombes déjà construites et de la septième en fabrication. La détente internationale, la fin du conflit angolais, la crainte de risques politiques et l’arrêt des énormes dépenses engagées ont contribué à cette sage décision. Actuellement, c’est en Afrique du Sud que fonctionne la seule centrale nucléaire africaine de forte puissance (1 830 MW avec deux réacteurs), plus précisément à Koeberg, non loin de la ville du Cap, sur la côte Atlantique  [2].

Des prospectives nucléaires en Afrique

Depuis 2015, les Russes sont à la manœuvre dans le projet de quatre réacteurs en Égypte, à implanter à El Dabaa, d’ici à 2028. En 2019, la Russie a organisé un sommet Afrique-Russie à Sotchi, occasion pour elle de pousser son influence dans le domaine nucléaire avec sa société d’État Rosatom. Comme toujours, au départ, la Russie a proposé la mise en place de centres de recherche. Les nucléocrates russes se vantaient d’avoir établi à cette occasion des protocoles d’accord avec 18 pays africains.

Et il semble que le Rwanda et l’Éthiopie soient intéressés par des centrales de faible puissance, type SMR  [3]. En plus de deux centrales russes, le Nigéria a opté en 2018 pour l’installation de 23 SMR avec l’entreprise canadienne StarCore Nuclear. Cependant les déclarations d’intention tardent à se concrétiser.

Tour de refroidissement de centrale thermique en Afrique du Sud © Alamy

Les grosses entreprises nucléaires mondiales sont en course pour vendre leurs machines infernales sur le continent. En 2015, le projet sud-africain d’investir dans huit réacteurs nucléaires (9 600 MW) a exacerbé les convoitises et révélé les contorsions financières du secteur. En 2018, les dirigeants du pays ont bloqué le projet, lequel, tel un serpent de mer, semble ressortir aujourd’hui avec une feuille de route pour une centrale de 2 500 MW.

Quelles alternatives à ces investissements nucléaires ?

L ’Afrique dispose de gisements en énergie renouvelable considérables, particulièrement en énergie solaire directe. Compte tenu des technologies mâtures, tant en photovoltaïque que thermique, et du coût de ces solutions, il semble indiqué que les pays africains optent pour les énergies solaires. Bien sûr, des nécessités de stockage d’énergie apparaîtront, mais l’organisation et les compétences locales sauront trouver des solutions.

Même s’il est clair que les peuples africains doivent bénéficier de l’accès à l’énergie électrique, il ne faudrait pas qu’ils reproduisent nos erreurs du passé, notamment celle de l’option nucléaire avec tous ses préjudices économiques et environnementaux.

Bernard Cottier



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