18 janvier 2024
Mi-janvier 2024, plusieurs interventions sont en cours sur le réacteur 1 de la centrale nucléaire de Gravelines (Nord), qui fonctionne à pleine puissance. En lançant ces opérations en même temps, EDF n’a pas anticipé que son réacteur serait privé de plusieurs systèmes qui doivent être pleinement fonctionnels. Manque d’analyse, mauvaise gestion et absence de vision globale, ce nouvel incident montre un sérieux défaut de compétences de l’exploitant nucléaire. Et il n’y a pas que sur le réacteur 1 que les problèmes se multiplient : c’est le 5ème accident déclaré par le site en à peine 5 semaines.
Crédit photo : André Paris
Le 14 janvier 2024, alors que le réacteur 1 produit de l’électricité - et que donc la réaction nucléaire est en cours - EDF coupe une de ses sources électrique de secours. L’électricité étant essentielle pour assurer le fonctionnement des systèmes et le refroidissement des réacteurs nucléaires, ils sont équipés de plusieurs groupes électrogènes. Ces sources électriques de secours doivent être opérationnelles lorsque le réacteur fonctionne. EDF intervient sur l’un d’eux pour de la maintenance.
En parallèle, une autre intervention de maintenance est lancée, sur une pompe qui permet de brasser le bore
[1]
, cette substance essentielle à qui veut contrôler une réaction nucléaire en chaîne. Le bore a la particularité d’absorber les neutrons, il permet donc de ralentir, et même d’étouffer la réaction nucléaire : la fission des atomes est modulée par l’absorption des neutrons libérés par la réaction nucléaire et qui l’entretiennent [2]. Mais le bore a une autre spécificité : il cristallise s’il n’est pas constamment remué. Une fois à l’état solide, il ne peut plus être injecté dans les circuits du réacteur (sans compter que les cristaux peuvent aussi déformer et boucher les tuyauteries).
Pour brasser le bore, le réacteur est doté de 2 pompes. EDF décide d’intervenir sur une de ces pompes, alors que le réacteur est en fonctionnement. En même temps qu’il intervient sur la source électrique de secours.
Ce qui devait arriver arriva : l’autre pompe, la seule assurant le brassage du bore, tombe en panne à ce moment-là. Or, cette fonction est obligatoire lorsque le réacteur est "en puissance". Qui plus est, avec une source électrique de secours en moins, les règles de l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) imposent de baisser dans l’heure qui suit sa puissance ("engager le repli du réacteur"). Mais EDF n’a pas repéré le cumul des indisponibilités (une source électrique en moins et un circuit de brassage HS). Pas plus qu’il n’avait anticipé qu’en intervenant en même temps sur ces deux équipements, il pouvait générer une telle situation. EDF n’a donc pas baissé la puissance de son réacteur nucléaire et l’a laissé tourner à pleine puissance plus de deux heures, en totale violation des règles d’exploitation.
Un incident créé de toute part par un manque d’analyse et de vision globale, par une mauvaise coordination des activités, en somme par une gestion défaillante de l’installation. Et ce n’est pas un cas isolé. Gravelines, la plus grande centrale nucléaire de France, connaît actuellement une véritable série noire. En cinq semaines à peine, le site a déclaré cinq incidents différents. Tous causés par des erreurs commises par l’exploitant. Des erreurs qui démontrent son manque de compétences, de qualité et de rigueur.
En décembre 2023, le site a rejeté en mer des déchets liquides radioactifs sans avoir détecté avant que la radioactivité était trop élevée et dépassait les seuils légaux. La montée en puissance du réacteur 1 s’est faite difficilement et en cumulant les erreurs : trop d’eau a été injectée dans la cuve, ce qui a déclenché des mécanismes qui ont eux-mêmes déclenché des alarmes auxquelles l’équipe de conduite, celle qui pilote le réacteur nucléaire, n’a pas réagit.
Début janvier 2024, EDF découvre que le système qui vérifie que l’eau de refroidissement du réacteur 3 ne s’évapore pas est branché depuis 2 ans sur un circuit électrique qui n’est pas le bon - et qu’en cas de problème avec cette alimentation, le système s’éteindra tout simplement. Une erreur de branchement commise lors de la 4ème visite décennale du réacteur en 2022, un arrêt de plusieurs mois au cours duquel les matériels sont censés être vérifiés et remis en conformité et même améliorés. Qui en dit long sur la qualité de maintenance et des vérifications conduites par EDF ces dernières années. Cinq jours plus tard, alors que le réacteur 4 est à pleine puissance, EDF décide d’intervenir sur un filtre du circuit d’injection de bore. Il ferme simplement les vannes du circuit, sans penser à activer le système de contournementqui permet de conserver la fonction d’injection de bore pour moduler la réaction nucléaire. Une erreur de configuration qui démontre une absence d’analyse préalable des risques induits pas les activités (si je ferme ce circuit, qu’est-ce que ça va induire ?) et d’un grave problème avec le contrôle technique censé être fait après chaque intervention (qui soit n’a pas été fait, soit n’a pas identifié que le système de contournement n’avait pas été activé).
Déjà à l’automne 2023, la centrale de Gravelines enchaînait les déclarations d’incident (voir la revue du Réseau, n°100, page 5). Entre manque de connaissances des circuits et des règles d’exploitation, manque de réflexion et d’analyses, manque de vision globale et de coordination, la gestion du plus grand site nucléaire français est actuellement plus que difficile. L’ASN pointait déjà les difficultés sur le site en 2022 [3] . La situation ne s’est manifestement pas améliorée en 2023. Et semble mal partie pour en 2024. EDF sera-t-il à même de mieux gérer ce site nucléaire avec deux nouveaux réacteurs EPR [4] ?
L.B.
Déclaration d’un événement significatif de niveau 1 relatif au non-respect de la conduite à tenir prévue par les règles générales d’exploitation de l’unité de production n°1
Publié le 18/01/2024
Evénement sûreté
Dimanche 14 janvier 2024, l’unité de production n°1 est en fonctionnement. Une des sources d’alimentation électrique externe est indisponible dans le cadre d’une activité de maintenance programmée. Par ailleurs une des deux pompes qui permet d’assurer le brassage du circuit d’acide borique concentré [5] fait l’objet d’une maintenance.
A 6H08, suite à une défaillance matérielle, la seconde pompe qui permet d’assurer le brassage du circuit d’acide borique concentré s’arrête, rendant indisponible cette fonction.
Les règles générales d’exploitation imposent, pour la situation de cumul de ces deux indisponibilités, d’engager le repli [6] du réacteur sous un délai d’une heure. Cette situation de cumul d’indisponibilités ayant été détectée à 8h, les dispositions prévues par les règles générales d’exploitation n’ont pas été respectées.
A 8h15, suite à la détection du cumul d’indisponibilités, le repli du réacteur n°1 est engagé.
A 10h47, l’activité de maintenance sur la source d’alimentation électrique externe est terminée, le matériel est à nouveau disponible. Le repli du réacteur est arrêté.
Cet événement n’a pas eu de conséquence sur la sûreté des installations, ni sur l’environnement. La direction de la centrale de Gravelines a déclaré cet événement à l’Autorité de sûreté nucléaire le 15 janvier 2024 au niveau 1 de l’échelle INES qui en compte 7, en raison du non-respect de la conduite à tenir prévue par les règles générales d’exploitation en cas de cumul d’indisponibilités.
Non-respect de la conduite à tenir associée au cumul d’indisponibilité de plusieurs matériels du réacteur 1
Publié le 09/02/2024
Centrale nucléaire de Gravelines Réacteurs de 900 MWe - EDF
Le 17 janvier 2024, EDF a déclaré à l’ASN un événement significatif pour la sûreté relatif au non-respect des règles générales d’exploitation du réacteur 1 de la centrale nucléaire de Gravelines.
Les règles générales d’exploitation (RGE) sont un recueil de règles approuvées par l’ASN qui définissent le domaine autorisé de fonctionnement de l’installation et les prescriptions de conduite associées. Elles prescrivent notamment des conduites à tenir et des délais d’intervention en cas d’indisponibilité fortuite de matériels, en fonction de leur importance pour le maintien en état sûr du réacteur, et de leur éventuel cumul.
Le 14 janvier 2024, le réacteur 1 était en production, avec une de ses deux pompes de recirculation du bore dans le circuit primaire indisponible en raison d’un problème matériel. Dans le même temps, l’exploitant a procédé à une intervention de maintenance programmée sur un transformateur auxiliaire, le rendant indisponible. Par la suite, la seconde pompe de recirculation a également connu une défaillance la rendant elle aussi indisponible.
Les RGE imposent, en raison du cumul d’indisponibilités de ces matériels, l’amorçage du repli du réacteur sous une heure vers un domaine d’exploitation adapté, pour lequel ces matériels ne sont pas nécessaires à la sûreté de l’installation. Ce repli du réacteur est cependant engagé au-delà du délai d’une heure prévu par les RGE.
Au bout de quelques heures, une fois les activités de maintenance menées et les équipements à nouveau disponibles, le réacteur 1 a retrouvé une situation conforme aux RGE.
Cet événement n’a pas eu de conséquence sur les personnes et l’environnement. Toutefois, en raison du non-respect de la conduite à tenir prévue par les règles générales d’exploitation du réacteur 1, cet événement a été classé au niveau 1 de l’échelle INES.
[1] Le bore, présent dans l’eau du circuit primaire sous forme d’acide borique dissous, permet de modérer, par sa capacité à absorber les neutrons, la réaction en chaîne. La concentration en bore est ajustée pendant le cycle en fonction de l’épuisement progressif du combustible en matériau fissile. https://www.asn.fr/lexique/b/Bore
[2] Réaction nucléaire : Processus entraînant la modification de la structure d’un ou de plusieurs noyaux d’atome. La transmutation peut être soit spontanée, c’est-à-dire sans intervention extérieure au noyau, soit provoquée par la collision d’autres noyaux ou de particules libres. La réaction nucléaire de certains atomes s’accompagne d’un dégagement de chaleur. Il y a fission lorsque, sous l’impact d’un neutron isolé, un noyau lourd se divise en deux parties sensiblement égales en libérant des neutrons dans l’espace. Il y a fusion lorsque deux noyaux légers s’unissent pour former un noyau plus lourd. https://www.asn.fr/lexique/R/Reaction-nucleaire. Réaction en chaîne : Suite de fissions nucléaires au cours desquelles les neutrons libérés provoquent de nouvelles fissions, à leur tour génératrices de neutrons expulsés vers des noyaux cibles, etc. https://www.asn.fr/lexique/R/Reaction-en-chaine
[3] Appréciation ASN 2022 : Les performances en matière de sûreté nucléaire ne se sont pas améliorées en 2022, notamment en matière de rigueur d’intervention. Le plan rigueur mis en place par l’exploitant a commencé à porter ses fruits, notamment dans la conduite des installations, mais quelques pratiques ou comportements inadaptés subsistent (...)
[4] EDF prévoit l’implantation de 2 réacteurs de type EPR2 sur le site nucléaire de Gravelines
[5] A forte concentration, le bore peut se cristalliser, s’il n’est pas brassé et maintenu en température, et perturber le fonctionnement des circuits.
[6] Un cumul d’indisponibilités sur certains matériels nécessite de ramener le réacteur dans un domaine d’exploitation adapté où ces matériels ne sont pas nécessaires au bon fonctionnement de l’installation.