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Sortir du nucléaire n°85



printemps 2020

Alerter : 4ème visite décennale

Fonctionnement au-delà de 40 ans, entre effets d’annonce et fait accompli

Article paru dans la revue Sortir du nucléaire n°85 - printemps 2020

 Risque nucléaire  Sites nucléaires


La 4ème visite décennale (VD4) de Tricastin 1 est finie (voir ci-dessous). Si EDF n’a pas encore obtenu de feu vert, elle considère déjà la poursuite du fonctionnement du réacteur jusqu’à 50 ans comme acquise, jouant sur les ambiguïtés de la procédure.



© Adobe Stock - Centrale nucléaire du Tricastin

Les 40 ans sont une échéance cruciale pour les réacteurs nucléaires. C’est la durée initiale de conception de certains équipements comme les cuves, ni réparables ni remplaçables. En outre, pour l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN), la prolongation au-delà de 40 ans doit être l’occasion d’intégrer les normes post-Fukushima et de viser le niveau de sûreté s’appliquant aux réacteurs les plus récents. Officiellement, cette prolongation ne peut être considérée comme acquise.

Débutée le 1er juin 2019, la 4ème visite décennale du réacteur 1 du Tricastin s’est achevée fin décembre. Dans la foulée, EDF s’est empressée de communiquer sur le redémarrage du réacteur. De nombreux médias, tombant dans le panneau, en ont alors déduit – à tort – que ce redémarrage signifiait un feu vert définitif. Mais EDF, qui prétend d’ores et déjà avoir reçu un “passeport“ pour que le réacteur fonctionne jusqu’à 50 ans, joue volontairement sur les ambiguïtés d’un processus de réexamen long, qui laisse la place au fait accompli.

© Sdn Bugey

En effet, rien de comparable avec un contrôle technique automobile ! Une fois la VD4 terminée, le réacteur est autorisé à redémarrer. EDF doit ensuite transmettre dans les six mois à l’ASN les conclusions des tests effectués et ses préconisations pour la poursuite du fonctionnement du réacteur. Il faudra ensuite encore au moins un an pour que l’ASN, après l’instruction du dossier (qui impliquera des vérifications, la consultation d’experts, la tenue d’une enquête publique... ), se prononce enfin sur la poursuite du fonctionnement du réacteur et définisse les travaux complémentaires à réaliser. Ceux-ci commenceront quatre ans après la VD4.

Il s’écoulera donc un long intervalle, pendant lequel Tricastin 1 continuera à fonctionner, avant qu’il ne reçoive l’éventuel feu vert, et un délai plus long encore jusqu’à la réalisation de tous les travaux de sûreté exigés. Et si la VD4 de Tricastin 1 coïncide plus ou moins avec ses 40 ans effectifs, ce ne sera pas le cas pour le reste du parc. Selon les calculs de la CRIIRAD, les autres réacteurs auront en moyenne 44,7 ans lorsque l’ASN statuera sur la poursuite de leur fonctionnement “au-delà de 40 ans“, et 47,2 ans (jusqu’à 50 ans pour certains !) au moment des derniers travaux ! EDF pourrait alors être tentée de demander une dispense pour des réacteurs dont elle sait pertinemment qu’ils n’iront jamais au-delà de leur 5ème visite décennale...

© Adobe Stock - Centrale nucléaire du Bugey

Avec cette prolongation de fait par l’étirement de la procédure, on comprend mieux pourquoi EDF est si confiante sur la prolongation “au-delà de 40 ans“ et part du principe que l’ensemble du parc nucléaire pourra fonctionner jusqu’à 50 ans...

Charlotte Mijeon


Focus sur la VD4 du réacteur numéro 1 de Tricastin

La visite décennale des 40 ans (VD4) du réacteur 1 a eu lieu de début juin à fin décembre 2019 et EDF a présenté ses résultats lors de la CLIGEET [1] du 6 novembre 2019.

EDF prétend que la cuve se porte bien mais elle ne communique aucun chiffre sur l’évolution des fissures de celle-ci. EDF a déclaré l’installation d’un récupérateur de corium. En réalité ils ont positionné des plots en béton sous le réacteur pour permettre l’étalement du corium et ainsi avoir le temps de le refroidir (système expérimental n’ayant encore jamais fonctionné). Des diesels d’ultime secours ont été installés.

L’épreuve hydraulique du circuit primaire aurait été réussie : la pression a été élevée à 206 bars [2] pour contrôler son intégrité et celle des soudures.

Lors de l’épreuve de l’enceinte de confinement, celle-ci a été “gonflée“ à environ cinq fois la pression atmosphérique pour vérifier l’étanchéité du bâtiment sans aucun problème.

Lors de la CLIGEET on a ressenti beaucoup d’autosatisfaction de la part d’EDF pour cette grande première.L’ASN se prononcera dans quelques mois et ses conclusions seront soumises à une enquête publique en 2021. La VD4 du réacteur 2 est annoncée pour 2021, il est en mauvais état lui aussi, les barres combustibles sont restées coincées en l’air à trois reprises lors de leur remplacement créant une situation très dangereuse à chaque fois.

Alain Volle


Bugey : Paradoxes et inquiétudes

Fin 2019, les élus du département de l’Ain ont fait un vœu pour 2020 : accueillir 2 nouveaux réacteurs nucléaires. Un souhait qui peut sembler paradoxal étant donné la situation actuelle à la centrale du Bugey. D’autant qu’en 2020, deux réacteurs seront arrêtés plusieurs mois et que des dizaines de millions d’euros seront dépensés pour les remettre en état dans le cadre de leur VD4.

Unilatéralement, sans consultation de leurs administrés, la Communauté de communes de la Plaine de l’Ain et les élus du département ont exprimé en décembre 2019 leur volonté d’accueillir deux nouveaux réacteurs nucléaires [3] . Ils seraient construits sur des terres agricoles jouxtant la centrale, en remplacement de deux réacteurs de 900 MWe. Étranges vœux de développement pour le territoire que de vouloir étendre le site nucléaire. Étrange démocratie que des élus formulent de tels souhaits sans s’être enquis de ce que les habitants désiraient. Étrange aussi vu le manque de rigueur de l’exploitant de la centrale du Bugey.

Déclarations en série

Entre fin septembre 2019 et fin février 2020, la centrale du Bugey a déclaré près d’une dizaine d’évènements significatifs pour l’environnement et pour la sûreté [4] . Tous classés au niveau 1 de l’échelle INES : pas de conséquences réelles, mais ils n’auraient pas dû arriver. Manque de rigueur dans la surveillance de l’installation, opérations de maintenance qui font plus de mal que de bien, contrôles inefficaces ou absents, analyses parcellaires des incidents, mauvaises préparations des opérations, erreurs de diagnostics, détections de pannes plus que tardives, manque de réactivité, rejets non maîtrisés sur le site et dans l’environnement... Tous ces évènements démontrent un laxisme global. Un laisser-aller bien risqué pour le personnel, les populations riveraines et l’environnement.

Inquiétudes

Cette manière de faire se retrouve jusque dans la préparation des visites décennales. Commencée en janvier 2020 sur le réacteur 2, pour environ 6 mois, elle coûtera près de 60 millions d’euros. En octobre ce sera au tour du réacteur 4. On pourrait croire, étant donné l’ampleur et les enjeux de l’opération, qu’EDF y mettrait tout son art et serait particulièrement appliquée. Mais plusieurs inspections en novembre et décembre 2019 [5] ont montré là encore le manque de rigueur de l’exploitant. Traçabilité insuffisante des actions entreprises pour vérifier la conformité et traiter les anomalies, manque de rigueur dans les travaux et leur suivi, contrôles du bon fonctionnement des équipements au lieu de contrôler leur conformité aux plans de conception, remises en état prévues après le redémarrage...

EDF prépare l’avenir du Bugey comme elle gère le présent. Avec inconséquence. De quoi rester vigilants et être prêts à se mobiliser le cas échéant !

Laure Barthélemy


Notes

[1Commission Locale d’Information des Grands Équipements Énergétiques du Tricastin

[2Pression de service : 155 bars

[3Voir le communiqué de presse de Sortir du nucléaire Bugey du 19 décembre 2019 : https://www.sortirdunucleaire.org/2-nouveaux-EPR-a-Bugey-Mais-c-est-non

[5Inspections ASN du 6, 7 et 14 novembre 2019, des 28 et 29 novembre 2019 et du 4 décembre 2019

© Adobe Stock - Centrale nucléaire du Tricastin

Les 40 ans sont une échéance cruciale pour les réacteurs nucléaires. C’est la durée initiale de conception de certains équipements comme les cuves, ni réparables ni remplaçables. En outre, pour l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN), la prolongation au-delà de 40 ans doit être l’occasion d’intégrer les normes post-Fukushima et de viser le niveau de sûreté s’appliquant aux réacteurs les plus récents. Officiellement, cette prolongation ne peut être considérée comme acquise.

Débutée le 1er juin 2019, la 4ème visite décennale du réacteur 1 du Tricastin s’est achevée fin décembre. Dans la foulée, EDF s’est empressée de communiquer sur le redémarrage du réacteur. De nombreux médias, tombant dans le panneau, en ont alors déduit – à tort – que ce redémarrage signifiait un feu vert définitif. Mais EDF, qui prétend d’ores et déjà avoir reçu un “passeport“ pour que le réacteur fonctionne jusqu’à 50 ans, joue volontairement sur les ambiguïtés d’un processus de réexamen long, qui laisse la place au fait accompli.

© Sdn Bugey

En effet, rien de comparable avec un contrôle technique automobile ! Une fois la VD4 terminée, le réacteur est autorisé à redémarrer. EDF doit ensuite transmettre dans les six mois à l’ASN les conclusions des tests effectués et ses préconisations pour la poursuite du fonctionnement du réacteur. Il faudra ensuite encore au moins un an pour que l’ASN, après l’instruction du dossier (qui impliquera des vérifications, la consultation d’experts, la tenue d’une enquête publique... ), se prononce enfin sur la poursuite du fonctionnement du réacteur et définisse les travaux complémentaires à réaliser. Ceux-ci commenceront quatre ans après la VD4.

Il s’écoulera donc un long intervalle, pendant lequel Tricastin 1 continuera à fonctionner, avant qu’il ne reçoive l’éventuel feu vert, et un délai plus long encore jusqu’à la réalisation de tous les travaux de sûreté exigés. Et si la VD4 de Tricastin 1 coïncide plus ou moins avec ses 40 ans effectifs, ce ne sera pas le cas pour le reste du parc. Selon les calculs de la CRIIRAD, les autres réacteurs auront en moyenne 44,7 ans lorsque l’ASN statuera sur la poursuite de leur fonctionnement “au-delà de 40 ans“, et 47,2 ans (jusqu’à 50 ans pour certains !) au moment des derniers travaux ! EDF pourrait alors être tentée de demander une dispense pour des réacteurs dont elle sait pertinemment qu’ils n’iront jamais au-delà de leur 5ème visite décennale...

© Adobe Stock - Centrale nucléaire du Bugey

Avec cette prolongation de fait par l’étirement de la procédure, on comprend mieux pourquoi EDF est si confiante sur la prolongation “au-delà de 40 ans“ et part du principe que l’ensemble du parc nucléaire pourra fonctionner jusqu’à 50 ans...

Charlotte Mijeon


Focus sur la VD4 du réacteur numéro 1 de Tricastin

La visite décennale des 40 ans (VD4) du réacteur 1 a eu lieu de début juin à fin décembre 2019 et EDF a présenté ses résultats lors de la CLIGEET [1] du 6 novembre 2019.

EDF prétend que la cuve se porte bien mais elle ne communique aucun chiffre sur l’évolution des fissures de celle-ci. EDF a déclaré l’installation d’un récupérateur de corium. En réalité ils ont positionné des plots en béton sous le réacteur pour permettre l’étalement du corium et ainsi avoir le temps de le refroidir (système expérimental n’ayant encore jamais fonctionné). Des diesels d’ultime secours ont été installés.

L’épreuve hydraulique du circuit primaire aurait été réussie : la pression a été élevée à 206 bars [2] pour contrôler son intégrité et celle des soudures.

Lors de l’épreuve de l’enceinte de confinement, celle-ci a été “gonflée“ à environ cinq fois la pression atmosphérique pour vérifier l’étanchéité du bâtiment sans aucun problème.

Lors de la CLIGEET on a ressenti beaucoup d’autosatisfaction de la part d’EDF pour cette grande première.L’ASN se prononcera dans quelques mois et ses conclusions seront soumises à une enquête publique en 2021. La VD4 du réacteur 2 est annoncée pour 2021, il est en mauvais état lui aussi, les barres combustibles sont restées coincées en l’air à trois reprises lors de leur remplacement créant une situation très dangereuse à chaque fois.

Alain Volle


Bugey : Paradoxes et inquiétudes

Fin 2019, les élus du département de l’Ain ont fait un vœu pour 2020 : accueillir 2 nouveaux réacteurs nucléaires. Un souhait qui peut sembler paradoxal étant donné la situation actuelle à la centrale du Bugey. D’autant qu’en 2020, deux réacteurs seront arrêtés plusieurs mois et que des dizaines de millions d’euros seront dépensés pour les remettre en état dans le cadre de leur VD4.

Unilatéralement, sans consultation de leurs administrés, la Communauté de communes de la Plaine de l’Ain et les élus du département ont exprimé en décembre 2019 leur volonté d’accueillir deux nouveaux réacteurs nucléaires [3] . Ils seraient construits sur des terres agricoles jouxtant la centrale, en remplacement de deux réacteurs de 900 MWe. Étranges vœux de développement pour le territoire que de vouloir étendre le site nucléaire. Étrange démocratie que des élus formulent de tels souhaits sans s’être enquis de ce que les habitants désiraient. Étrange aussi vu le manque de rigueur de l’exploitant de la centrale du Bugey.

Déclarations en série

Entre fin septembre 2019 et fin février 2020, la centrale du Bugey a déclaré près d’une dizaine d’évènements significatifs pour l’environnement et pour la sûreté [4] . Tous classés au niveau 1 de l’échelle INES : pas de conséquences réelles, mais ils n’auraient pas dû arriver. Manque de rigueur dans la surveillance de l’installation, opérations de maintenance qui font plus de mal que de bien, contrôles inefficaces ou absents, analyses parcellaires des incidents, mauvaises préparations des opérations, erreurs de diagnostics, détections de pannes plus que tardives, manque de réactivité, rejets non maîtrisés sur le site et dans l’environnement... Tous ces évènements démontrent un laxisme global. Un laisser-aller bien risqué pour le personnel, les populations riveraines et l’environnement.

Inquiétudes

Cette manière de faire se retrouve jusque dans la préparation des visites décennales. Commencée en janvier 2020 sur le réacteur 2, pour environ 6 mois, elle coûtera près de 60 millions d’euros. En octobre ce sera au tour du réacteur 4. On pourrait croire, étant donné l’ampleur et les enjeux de l’opération, qu’EDF y mettrait tout son art et serait particulièrement appliquée. Mais plusieurs inspections en novembre et décembre 2019 [5] ont montré là encore le manque de rigueur de l’exploitant. Traçabilité insuffisante des actions entreprises pour vérifier la conformité et traiter les anomalies, manque de rigueur dans les travaux et leur suivi, contrôles du bon fonctionnement des équipements au lieu de contrôler leur conformité aux plans de conception, remises en état prévues après le redémarrage...

EDF prépare l’avenir du Bugey comme elle gère le présent. Avec inconséquence. De quoi rester vigilants et être prêts à se mobiliser le cas échéant !

Laure Barthélemy



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