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Sortir du nucléaire n°85



printemps 2020

Alerter : Cigéo

Les déchets bitumés dans Cigéo : dangers et incohérences

Article paru dans la revue Sortir du nucléaire n°85 - printemps 2020

 Risques et accidents  Déchets radioactifs  Bure - CIGEO


Les déchets dits “bitumés“ sont produits à partir du milieu des années 60 dans les usines de Marcoule (30) et de La Hague (50). Des “boues“ radioactives, obtenues par filtration et concentration d’éléments rejetés par les centrales nucléaires, ont été mises dans des fûts ensuite enrobés de bitume. Une méthode de confinement plus simple et surtout beaucoup moins chère que la cimentation ou la vitrification.



Mais aussi beaucoup plus risquée. Car elle confère à ces déchets (75 000 colis en 2009, 7 500 tonnes de bitume pur [1] ) des caractéristiques qui les rendent particulièrement dangereux.

  • Ils produisent des gaz inflammables (10L/an/colis), notamment de l’hydrogène un gaz hautement explosif ;
  • Ils peuvent prendre feu car le bitume est un combustible. Celui-ci dégage des fumées très noires et des quantités de suies très importantes lorsqu’il brûle ;
  • Le bitume peut gonfler avec le temps, sous l’effet des radiations [2] (jusqu’à 70 % de son volume initial) mais aussi au contact de l’eau [3] . Ces déformations peuvent détériorer les enveloppes, provoquer des fuites ou faire éclater des fûts ;
  • Selon le contenu du fût et de la répartition des substances à l’intérieur, ces déchets peuvent produire de la chaleur par des réactions dites “exothermiques“. La température interne de ces colis peut augmenter jusqu’à ce qu’ils s’enflamment tous seuls.

75 000 colis à 500 mètres sous terre

Des enveloppes de déchets qui peuvent s’enflammer... qui produisent des gaz explosifs... qui peuvent être sujettes aux déformations, fuites et éclatements dans le temps : les dangers inhérents aux déchets bitumés paraissent évidents.

Si un seul de ces 75 000 colis prend feu, en 20 minutes et avec seulement 20 % des suies générées, les filtres des ventilations de leur stockage seront bouchés [4] . Sans ventilation, l’hydrogène provoquera incendies et explosions. Et avec l’opacité due aux suies et fumées, toute intervention sera extrêmement difficile. Sans oublier le risque de propagation du feu aux colis adjacents. En 2017 et en 2018, les autorités ont demandé à l’Andra [5] soit de neutraliser la dangerosité des colis de déchets bitumés, soit de revoir la conception de Cigéo [6] .

© Creativemarc-Shutterstock

Où en-est-on ?

À quelques mois du dépôt de la demande d’autorisation de création, un groupe de travail, mandaté par l’ASN, a passé en revue cette question [7] .

Sans une connaissance précise de chaque fût (son contenu, la répartition des matières et son âge), sans des contrôles et des examens exhaustifs, il est impossible de connaître, et donc de maîtriser les risques qu’ils représentent. Or, on ne sait pas vraiment ce qu’il y a dans ces fûts très différents les uns des autres et sujets à des phénomènes physico-chimiques difficiles à étudier. Par ailleurs, la possibilité d’un incendie qui se déclencherait et se propagerait d’un colis à l’autre est confirmée. Et les moyens d’extinction prévus par l’Andra ne suffiront pas. La conclusion rendue en 2019 est claire : rendre ces déchets moins dangereux avant de les enfouir est impossible et surtout trop cher en l’état actuel des connaissances.

Que reste-t-il comme solution ?

Revoir la conception des alvéoles de stockage de Cigéo. L’Andra a initié des études en ce sens, mais interrogée sur la question fin 2019, l’agence n’a rien livré sur leur état d’avancement. La revue mandatée par l’ASN recommande de rajouter quelques centimètres d’épaisseur sur les conteneurs en béton. Et aussi d’attendre un peu avant de mettre des colis bitumés dans Cigéo. D’autant qu’à ce jour, aucun emballage de transport n’existe pour ces colis de déchets bitumés étant donné, justement, les difficultés de conception inhérentes à leur nature si particulière [8] .

Bertrand Thuillier et Laure Barthélemy


Notes

[1Inventaire national des matières et déchets radioactifs édition 2009

[2Thèse de M. Mouazen, page 179

[3Thèse de Caroline Pichon, Annexe A,xi

[4Rapport IRSN n°2017-00013, tome 2, p. 82

[5Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs, porteuse du projet Cigéo

[6Avis IRSN n°2017-00190 du 15 juin 2017 et Avis ASN n°2018-AV-0300 du 11 janvier 2018

[7Revue externe sur la gestion des déchets bitumés – Rapport final, 28 juin 2019

[8Avis IRSN 2019-00129, p. 8

Mais aussi beaucoup plus risquée. Car elle confère à ces déchets (75 000 colis en 2009, 7 500 tonnes de bitume pur [1] ) des caractéristiques qui les rendent particulièrement dangereux.

  • Ils produisent des gaz inflammables (10L/an/colis), notamment de l’hydrogène un gaz hautement explosif ;
  • Ils peuvent prendre feu car le bitume est un combustible. Celui-ci dégage des fumées très noires et des quantités de suies très importantes lorsqu’il brûle ;
  • Le bitume peut gonfler avec le temps, sous l’effet des radiations [2] (jusqu’à 70 % de son volume initial) mais aussi au contact de l’eau [3] . Ces déformations peuvent détériorer les enveloppes, provoquer des fuites ou faire éclater des fûts ;
  • Selon le contenu du fût et de la répartition des substances à l’intérieur, ces déchets peuvent produire de la chaleur par des réactions dites “exothermiques“. La température interne de ces colis peut augmenter jusqu’à ce qu’ils s’enflamment tous seuls.

75 000 colis à 500 mètres sous terre

Des enveloppes de déchets qui peuvent s’enflammer... qui produisent des gaz explosifs... qui peuvent être sujettes aux déformations, fuites et éclatements dans le temps : les dangers inhérents aux déchets bitumés paraissent évidents.

Si un seul de ces 75 000 colis prend feu, en 20 minutes et avec seulement 20 % des suies générées, les filtres des ventilations de leur stockage seront bouchés [4] . Sans ventilation, l’hydrogène provoquera incendies et explosions. Et avec l’opacité due aux suies et fumées, toute intervention sera extrêmement difficile. Sans oublier le risque de propagation du feu aux colis adjacents. En 2017 et en 2018, les autorités ont demandé à l’Andra [5] soit de neutraliser la dangerosité des colis de déchets bitumés, soit de revoir la conception de Cigéo [6] .

© Creativemarc-Shutterstock

Où en-est-on ?

À quelques mois du dépôt de la demande d’autorisation de création, un groupe de travail, mandaté par l’ASN, a passé en revue cette question [7] .

Sans une connaissance précise de chaque fût (son contenu, la répartition des matières et son âge), sans des contrôles et des examens exhaustifs, il est impossible de connaître, et donc de maîtriser les risques qu’ils représentent. Or, on ne sait pas vraiment ce qu’il y a dans ces fûts très différents les uns des autres et sujets à des phénomènes physico-chimiques difficiles à étudier. Par ailleurs, la possibilité d’un incendie qui se déclencherait et se propagerait d’un colis à l’autre est confirmée. Et les moyens d’extinction prévus par l’Andra ne suffiront pas. La conclusion rendue en 2019 est claire : rendre ces déchets moins dangereux avant de les enfouir est impossible et surtout trop cher en l’état actuel des connaissances.

Que reste-t-il comme solution ?

Revoir la conception des alvéoles de stockage de Cigéo. L’Andra a initié des études en ce sens, mais interrogée sur la question fin 2019, l’agence n’a rien livré sur leur état d’avancement. La revue mandatée par l’ASN recommande de rajouter quelques centimètres d’épaisseur sur les conteneurs en béton. Et aussi d’attendre un peu avant de mettre des colis bitumés dans Cigéo. D’autant qu’à ce jour, aucun emballage de transport n’existe pour ces colis de déchets bitumés étant donné, justement, les difficultés de conception inhérentes à leur nature si particulière [8] .

Bertrand Thuillier et Laure Barthélemy



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