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Sortir du nucléaire n°78



Été 2018

Cigéo

Vague de perquisitions hors norme contre les opposant.es à Cigéo

Article paru dans la revue Sortir du nucléaire n°78 - Été 2018

 Luttes et actions  Bure - CIGEO


Quatre jours après la journée de mobilisation 1 rassemblant 3 000 personnes dans les rues de Bar-le-Duc, la vague de répression la plus massive jamais connue en plus de 20 ans de lutte s’est abattue sur les opposant.es au projet Cigéo. Des perquisitions et arrestations menées par plus de 200 gendarmes dans quatorze lieux de vie militants et domiciles d’opposant.es, dont la Maison de Résistance à Bure.



Dans la Meuse, en Haute-Marne, en Ardèche et à Paris, le mode opératoire diffère peu : portes défoncées sans sommation, perquisitions invasives, fouilles corporelles, contrôles d’identité, interpellations. Résultat : matériel informatique et effets personnels saisis, 14 personnes arrêtées, interrogées ou gardées à vue, souvent jusqu’à 60 heures. Certain.es entendu.es dans le cadre d’auditions libres, d’autres comme simples témoins.

Officiellement, ce coup de filet se déroulait dans le cadre d’une commission rogatoire délivrée par un juge pour des faits datant de 2017 : la suspicion d’un départ de feu dans l’hôtel-restaurant de l’Andra en juin, des dégradations commises sur les grilles de l’écothèque, bâtiment appartenant également à l’Andra, et la manifestation du 15 août, lors de laquelle un militant fut gravement blessé au pied par un tir de grenade de désencerclement des forces de l’ordre. Pourtant, les enquêteurs se sont intéressés davantage aux ramifications de la lutte et à son organisation qu’aux faits supposés. Maxime, perquisitionné et interrogé comme témoin, rapporte avoir été principalement cuisiné sur “l’organisation, les trains de vie, les financements, les lieux de lutte, les rôles et tâches“ de chacun.e. Une autre militante fait remarquer que les principaux supports saisis à son domicile étaient des documents du Réseau “Sortir du nucléaire“  [1].

Comme pour l’affaire Tarnac, l’État cherche à criminaliser les opposant.es à l’ordre nucléaire et à fabriquer des suspect.es, quitte à bafouer les procédures. Dans un communiqué, les anti-Cigéo déplorent que, “dans ces lieux, les motifs des perquisitions ont été peu ou pas présentés ; les commissions rogatoires n’ont souvent pas été présentées non plus“. Des militant.es associatif.ves, des personnes de tout âge, des couples, un avocat : les cibles des enquêteurs laissent perplexes, comme d’ailleurs les faits reprochés. Regroupant des éléments flous dans le chef d’inculpation fourre-tout d’“association de malfaiteurs“, les enquêteurs reprochent tout et n’importe quoi à certain.es militant.es qu’ils veulent faire taire. Pire, la validité des saisies réalisées chez l’avocat de certain.es opposant.es, Étienne Ambroselli, a été infirmée par la juge des libertés et de la détention, celle-ci rappelant que “la saisie indistincte de l’ensemble du matériel informatique utilisé par un avocat portait une atteinte “injustifiée et démesurée à l’exercice de la profession d’avocat“. L’avocat fut placé en garde à vue avant d’être remis en liberté et placé sous le statut de témoin assisté  [2].

Durant la garde à vue, les opposant.es ont pu constater l’ampleur du dispositif de surveillance déployé contre eux : filatures, écoutes téléphoniques, balises géolocalisées, etc. À son issue, certain.es militant.es se sont vu notifier des interdictions de territoire ou l’interdiction de communiquer avec d’autres personnes. Cinq ont été mises en examen avec placement sous contrôle judiciaire.

Finalement, les faits invoqués ne sont que prétextes pour mettre la pression sur les opposant.es. Durant le week-end de mobilisation, six personnes avaient déjà été interpellées, et deux incarcérées après comparution immédiate. “Durant cette semaine, la présence militaire entre les villages de Bure et de Mandres-en-Barrois a été constante, s’accompagnant de nombreux contrôles d’identité et fouilles de véhicules. Durant la journée de mobilisation et le week-end du 16 et 17 juin, au moins 19 interpellations ont eu lieu.“, précise le texte des opposant.es.

Ce coup de force des autorités policières et judiciaires est une nouvelle preuve de la dérive sécuritaire du gouvernement, qui traite des militant.es et des habitant.es comme des terroristes pour essayer de détourner l’attention des innombrables problèmes posés par Cigéo. Claude Kaiser, ancien élu local opposé à Cigéo, dresse un constat lucide : “La préfecture nous demande de nous asseoir à la table du dialogue avant le débat public [qui doit avoir lieu en septembre, ndlr] et ils perquisitionnent ensuite tous azimuts ! On a l’impression d’être traités comme des terroristes. Pour nous, le dialogue est rompu. Au contraire de nous décourager, cela ne fait qu’augmenter notre colère“.

Julien Baldassarra

De nombreuses réactions pour soutenir les opposants malmenés

Dès le 20 juin, de nombreuses voix se sont élevées pour crier leur indignation devant cette répression.

La première réaction a été le communiqué commun au Réseau “Sortir du nucléaire“, Bure Zone Libre, BureStop55, Cedra 52, EODRA soutenu par 18 organisations nationales et 34 organisations locales, dénonçant les méthodes utilisées et appelant à des rassemblements de protestation devant les préfectures de France. Le mercredi 27 juin, ont eu lieu 56 rassemblements de citoyen.es choqué.es par les méthodes employées pour réprimer les opposant.es.

Nos ami.es de Cacendr ont lancé un appel à solidarité financière. Il leur faut racheter le matériel saisi pour pouvoir continuer à lutter contre les monstres de Cigéo. Il leur faudra également payer les honoraires et les déplacements des avocat.es dévoué.es.

C’est d’ailleurs l’arrestation de l’avocat des militant.es, Maître Etienne Ambroselli, qui a déclenché l’ire du Syndicat des avocats de France et de l’Ordre national des barreaux. 50 avocats ont publié une tribune de soutien rappelant qu’“un tel procédé porte non seulement atteinte au droit à une défense effective mais constitue également une gravissime remise en cause du plein exercice de la profession d’avocat“. Ils y dénoncent “avec force ces méthodes disproportionnées et choquantes qui foulent aux pieds les libertés fondamentales les plus essentielles“.

Un collectif d’universitaires et d’artistes, dans les colonnes de Libération, nous rappelle qu’aujourd’hui toute personne solidaire est susceptible de subir la même répression que les militant.es, ce que l’on appelle le “délit de solidarité“, deux notions pourtant incompatibles. Il rappelle également que “l’atteinte aux droits de la défense est historiquement très rare et (qu’elle) ne s’observe généralement que dans des contextes de crises extrêmement grave, en particulier de guerre“. CQFD

Par ailleurs, 150 intellectuel.les, auteur.es, chercheur.es, artistes, éditeurs.trices, journalistes, avocat.es, scientifiques, élu.es, ami.es, ont publié une tribune  [3], clamant que “si les chouettes et les hiboux de Bure devaient constituer une association de malfaiteurs, (ils) en fer(aient) partie“, exigeant l’abandon des poursuites contre les opposant.es et la fin des opérations d’intimidation, et rappelant que “la tentative d’isoler et transformer cette lutte collective en “association de malfaiteurs“ dit bien la volonté de l’État de réduire au silence la résistance contre un projet industriel qu’il cherche à imposer par tous les moyens possibles.“

Pourtant, loin de nous réduire au silence, cette opération a montré, par l’ensemble des soutiens reçus, toute l’ampleur que peut prendre ce mouvement.

Anne-Lise Devaux


Notes

[1Comptes-rendus de réunions, d’assemblée générale et de conseils d’administration, livres de compte, etc.

[2“Bure : vague d’interpellation chez les opposants à Cigéo“, Libération, 20 juin 2018

[3Tribune publiée dans Bastamag, Lundimat1, Médiapart, Politis et Reporterre.

Dans la Meuse, en Haute-Marne, en Ardèche et à Paris, le mode opératoire diffère peu : portes défoncées sans sommation, perquisitions invasives, fouilles corporelles, contrôles d’identité, interpellations. Résultat : matériel informatique et effets personnels saisis, 14 personnes arrêtées, interrogées ou gardées à vue, souvent jusqu’à 60 heures. Certain.es entendu.es dans le cadre d’auditions libres, d’autres comme simples témoins.

Officiellement, ce coup de filet se déroulait dans le cadre d’une commission rogatoire délivrée par un juge pour des faits datant de 2017 : la suspicion d’un départ de feu dans l’hôtel-restaurant de l’Andra en juin, des dégradations commises sur les grilles de l’écothèque, bâtiment appartenant également à l’Andra, et la manifestation du 15 août, lors de laquelle un militant fut gravement blessé au pied par un tir de grenade de désencerclement des forces de l’ordre. Pourtant, les enquêteurs se sont intéressés davantage aux ramifications de la lutte et à son organisation qu’aux faits supposés. Maxime, perquisitionné et interrogé comme témoin, rapporte avoir été principalement cuisiné sur “l’organisation, les trains de vie, les financements, les lieux de lutte, les rôles et tâches“ de chacun.e. Une autre militante fait remarquer que les principaux supports saisis à son domicile étaient des documents du Réseau “Sortir du nucléaire“  [1].

Comme pour l’affaire Tarnac, l’État cherche à criminaliser les opposant.es à l’ordre nucléaire et à fabriquer des suspect.es, quitte à bafouer les procédures. Dans un communiqué, les anti-Cigéo déplorent que, “dans ces lieux, les motifs des perquisitions ont été peu ou pas présentés ; les commissions rogatoires n’ont souvent pas été présentées non plus“. Des militant.es associatif.ves, des personnes de tout âge, des couples, un avocat : les cibles des enquêteurs laissent perplexes, comme d’ailleurs les faits reprochés. Regroupant des éléments flous dans le chef d’inculpation fourre-tout d’“association de malfaiteurs“, les enquêteurs reprochent tout et n’importe quoi à certain.es militant.es qu’ils veulent faire taire. Pire, la validité des saisies réalisées chez l’avocat de certain.es opposant.es, Étienne Ambroselli, a été infirmée par la juge des libertés et de la détention, celle-ci rappelant que “la saisie indistincte de l’ensemble du matériel informatique utilisé par un avocat portait une atteinte “injustifiée et démesurée à l’exercice de la profession d’avocat“. L’avocat fut placé en garde à vue avant d’être remis en liberté et placé sous le statut de témoin assisté  [2].

Durant la garde à vue, les opposant.es ont pu constater l’ampleur du dispositif de surveillance déployé contre eux : filatures, écoutes téléphoniques, balises géolocalisées, etc. À son issue, certain.es militant.es se sont vu notifier des interdictions de territoire ou l’interdiction de communiquer avec d’autres personnes. Cinq ont été mises en examen avec placement sous contrôle judiciaire.

Finalement, les faits invoqués ne sont que prétextes pour mettre la pression sur les opposant.es. Durant le week-end de mobilisation, six personnes avaient déjà été interpellées, et deux incarcérées après comparution immédiate. “Durant cette semaine, la présence militaire entre les villages de Bure et de Mandres-en-Barrois a été constante, s’accompagnant de nombreux contrôles d’identité et fouilles de véhicules. Durant la journée de mobilisation et le week-end du 16 et 17 juin, au moins 19 interpellations ont eu lieu.“, précise le texte des opposant.es.

Ce coup de force des autorités policières et judiciaires est une nouvelle preuve de la dérive sécuritaire du gouvernement, qui traite des militant.es et des habitant.es comme des terroristes pour essayer de détourner l’attention des innombrables problèmes posés par Cigéo. Claude Kaiser, ancien élu local opposé à Cigéo, dresse un constat lucide : “La préfecture nous demande de nous asseoir à la table du dialogue avant le débat public [qui doit avoir lieu en septembre, ndlr] et ils perquisitionnent ensuite tous azimuts ! On a l’impression d’être traités comme des terroristes. Pour nous, le dialogue est rompu. Au contraire de nous décourager, cela ne fait qu’augmenter notre colère“.

Julien Baldassarra

De nombreuses réactions pour soutenir les opposants malmenés

Dès le 20 juin, de nombreuses voix se sont élevées pour crier leur indignation devant cette répression.

La première réaction a été le communiqué commun au Réseau “Sortir du nucléaire“, Bure Zone Libre, BureStop55, Cedra 52, EODRA soutenu par 18 organisations nationales et 34 organisations locales, dénonçant les méthodes utilisées et appelant à des rassemblements de protestation devant les préfectures de France. Le mercredi 27 juin, ont eu lieu 56 rassemblements de citoyen.es choqué.es par les méthodes employées pour réprimer les opposant.es.

Nos ami.es de Cacendr ont lancé un appel à solidarité financière. Il leur faut racheter le matériel saisi pour pouvoir continuer à lutter contre les monstres de Cigéo. Il leur faudra également payer les honoraires et les déplacements des avocat.es dévoué.es.

C’est d’ailleurs l’arrestation de l’avocat des militant.es, Maître Etienne Ambroselli, qui a déclenché l’ire du Syndicat des avocats de France et de l’Ordre national des barreaux. 50 avocats ont publié une tribune de soutien rappelant qu’“un tel procédé porte non seulement atteinte au droit à une défense effective mais constitue également une gravissime remise en cause du plein exercice de la profession d’avocat“. Ils y dénoncent “avec force ces méthodes disproportionnées et choquantes qui foulent aux pieds les libertés fondamentales les plus essentielles“.

Un collectif d’universitaires et d’artistes, dans les colonnes de Libération, nous rappelle qu’aujourd’hui toute personne solidaire est susceptible de subir la même répression que les militant.es, ce que l’on appelle le “délit de solidarité“, deux notions pourtant incompatibles. Il rappelle également que “l’atteinte aux droits de la défense est historiquement très rare et (qu’elle) ne s’observe généralement que dans des contextes de crises extrêmement grave, en particulier de guerre“. CQFD

Par ailleurs, 150 intellectuel.les, auteur.es, chercheur.es, artistes, éditeurs.trices, journalistes, avocat.es, scientifiques, élu.es, ami.es, ont publié une tribune  [3], clamant que “si les chouettes et les hiboux de Bure devaient constituer une association de malfaiteurs, (ils) en fer(aient) partie“, exigeant l’abandon des poursuites contre les opposant.es et la fin des opérations d’intimidation, et rappelant que “la tentative d’isoler et transformer cette lutte collective en “association de malfaiteurs“ dit bien la volonté de l’État de réduire au silence la résistance contre un projet industriel qu’il cherche à imposer par tous les moyens possibles.“

Pourtant, loin de nous réduire au silence, cette opération a montré, par l’ensemble des soutiens reçus, toute l’ampleur que peut prendre ce mouvement.

Anne-Lise Devaux



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