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Sortir du nucléaire n°86



Été 2020

Changer

Planet of the humans : que penser du dernier documentaire de Michael Moore ?

Article paru dans la revue Sortir du nucléaire n°86 - Été 2020

 Energies renouvelables


Après le visionnage par plusieurs personnes du Réseau “Sortir du nucléaire“ du dernier documentaire de Michael Moore deux “lectures“ s’opposaient ou plutôt se complétaient… À vous de vous faire votre idée…

© M.Moore


Le contre

Le fil conducteur de Planet of the Humans est une charge très lourde contre les énergies renouvelables. Reconnaissons-le, certains points sont fondés. Oui, le greenwashing existe. Toutes les technologies ont des impacts et ce qui est renouvelable ne devient pas magiquement “vertueux“. Détruire des zones naturelles pour implanter des éoliennes ou brûler des arbres entiers pour produire de l’électricité n’est pas une solution. Rajouter des capacités de production renouvelables sans changer de système est sans doute rentable, mais ne nous sauvera pas.

Mais jeter le bébé avec l’eau du bain en proclamant qu’il y a “toujours“ quelque chose qui cloche avec les renouvelables et qu’elles constitueraient, en soi, une vaste supercherie orchestrée par des manipulateurs à la solde du capitalisme  [1], “tous de mèche“, voilà qui frise la théorie du complot. Il est navrant de voir le narrateur prétendre dévoiler des vérités qui dérangent tout en relayant les clichés les plus éculés et en additionnant erreurs factuelles, amalgames grossiers et généralisations abusives, sous les applaudissements des industriels du charbon et de l’atome  [2]. Après avoir envisagé de censurer le film, le distributeur militant Films For Action 3 a choisi de continuer à le diffuser, assorti d’une série de critiques (voir sur cette page). On y retrouvera l’analyse de militants, de spécialistes des politiques climatiques, mais aussi d’une ancienne collaboratrice de Michael Moore, chargée d’effectuer la vérification des faits évoqués dans ses films jusqu’en 2007 et consternée devant tant d’erreurs.

Le solaire et l’éolien ont connu ces dernières années des améliorations sans précédents, que ce soit en termes de baisse des coûts, d’efficacité, de réduction de leur empreinte écologique et de consommation de matières premières. Mais ce documentaire semble avoir mis un point d’honneur à ne s’intéresser qu’à des projets obsolètes et utiliser des données déjà dépassées (certaines datent de 2012 !) pour en tirer la conclusion que “ça ne marche pas“, et que cela ne marchera jamais, à rebours de tous les constats scientifiques accumulés sur le sujet.

Le développement des renouvelables n’a certes pas vocation à couvrir notre surconsommation et sera d’une efficacité limitée sans virage vers la sobriété. Pour autant, il est incontournable pour réduire nos émissions et laisser les fossiles dans le sol sans recourir au nucléaire. Dans l’Amérique de Trump, y avait-il besoin d’apporter de l’eau au moulin de politiques climaticides par des affirmations fausses et non sourcées ? Soutenir qu’il vaut mieux brûler directement des combustibles fossiles est mensonger, tout comme mettre les renouvelables sur le même plan que le charbon en termes d’impacts liés à l’extraction minière. Sans parler des panneaux solaires “qui durent 10 ans seulement“, de l’Allemagne où le recours au charbon n’aurait pas diminué  [3]

La catastrophe écologique en cours est une source légitime d’angoisse. Alors qu’il faudrait agir vite, et de manière intelligente, il est d’autant plus révoltant de voir un réalisateur capitaliser sur cette émotion pour semer la confusion (sans parler du terrain glissant sur la surpopulation) et véhiculer des informations fausses.

Charlotte Mijeon

Le pour

Certain·es disent que ce documentaire n’est pas à la hauteur de ce qu’on pourrait attendre d’un journaliste. D’autres qu’il ne propose aucune alternative concrète, ce qui amène les pro-nucléaires et les complotistes à s’appuyer dessus pour défendre leurs idées – aux dépens des réalisateurs  [4].

Mais avant de se fâcher, s’est-t on demandé pourquoi Jeff Gibbs a choisi de travailler de la sorte ? S’est-t on demandé à qui il s’adresse dans ce film ? Quel a été son objectif ?

Ce film n’est pas un documentaire scientifique. Il ne vise pas non plus à présenter des solutions alternatives toutes faites. Toutefois, il réalise quelque chose que peu de documentaristes ont fait jusqu’à présent sur grand écran, et qui est essentiel : il offre la possibilité à de nombreuses personnes qui se soucient de l’avenir mais qui croient encore au système, de comprendre qu’il ne peut y avoir de véritable changement sans transformation radicale de ce système.

À celles et ceux qui me répondent : “Pourquoi ne pas avoir terminé le film par des solutions alternatives ?“, je demande :

1° Aurait-on eu le temps de bien le faire ? Peut-on convaincre un public large de ces alternatives en 15 minutes ?

Et surtout :

2° Est-ce que le fait de terminer sur des alternatives ne donnerait pas envie de se rassurer, et de se reposer sur celles et ceux qui portent ces alternatives : “la situation n’est pas si pire, il existe des solutions, et certaines personnes y travaillent, ouf !“.

C’est si tentant, car si facile, de se reposer sur des alternatives existantes : on ne se sent pas responsables, ni donc acteurs. Et d’une certaine manière, nous avons besoin de cela : nous avons besoin de nous dire que des luttes sont en cours, que d’autres y travaillent, qu’on peut leur faire confiance. Mais qui sont ces “autres“ ? Quel est leur poids dans ce système ?

Je pense qu’avant d’apporter des alternatives, des solutions, avant d’inviter à comprendre toutes les complexités de la question des énergies, nous devons d’abord réussir à faire voir l’impasse dans laquelle nous nous trouvons, et la nécessité d’y faire face ensemble.

Et pour cela, nous devons être ébranlé·es dans nos convictions. Nous avons besoin d’être mis·es face au mur, de nous sentir face au mur : à ce mur qui est en train de nous écraser. Nous avons besoin de ressentir la nécessité, dans notre chair, d’arrêter de fuir, d’arrêter de croire dans ce système. Nous avons besoin de le sentir, viscéralement : car arrêter de croire n’est pas facile, et demande un gros travail sur soi.

Des textes, des appels, ne suffiront donc pas. On dit parfois que c’est en touchant le fond qu’on peut rebondir : je dirai plutôt que c’est en touchant sensiblement les choses, en les ressentant en nous-même, en étant dans l’impossibilité de détourner le regard, que nous ne pouvons plus la nier. Seulement alors, nous pouvons rebondir.

Nous ne changerons pas tant que nous n’aurons pas compris que le futur dépend de nous, tant que nous n’aurons pas retrouvé cette conscience collective. Tant que nous ne serons pas sûr·es que ce n’est pas un système qui a sa propre autonomie qui fait tourner le monde, mais que c’est nous : nous pouvons être plus forts que ce système car nous avons le pouvoir. Cette conscience collective est ce sans quoi il ne peut y avoir de vrai changement : et cela méritait un film à part.

Alors, plutôt que de se contenter de critiquer ce film, je pense que nous devons l’accompagner, l’utiliser : servons-nous en comme d’un trampoline.

A.C.


Notes

[1Au passage, l’image d’un mouvement écologiste complètement manipulé et tombé sous la coupe d’ « escrocs » à la solde du capital contraste singulièrement avec la vivacité des dernières mobilisations, menées par des jeunes revendiquant clairement un changement de système.

[2Citons la critique très laudative de l’ONG pronucléaire “Environmental Progress“, ou encore le podcast enthousiaste du Heartland Institute, fer de lance du climatoscepticisme.

[3À ce sujet, consulter dans la revue n°85 notre article “Transition énergétique en Allemagne : en finir avec les idées reçues“.

Le contre

Le fil conducteur de Planet of the Humans est une charge très lourde contre les énergies renouvelables. Reconnaissons-le, certains points sont fondés. Oui, le greenwashing existe. Toutes les technologies ont des impacts et ce qui est renouvelable ne devient pas magiquement “vertueux“. Détruire des zones naturelles pour implanter des éoliennes ou brûler des arbres entiers pour produire de l’électricité n’est pas une solution. Rajouter des capacités de production renouvelables sans changer de système est sans doute rentable, mais ne nous sauvera pas.

Mais jeter le bébé avec l’eau du bain en proclamant qu’il y a “toujours“ quelque chose qui cloche avec les renouvelables et qu’elles constitueraient, en soi, une vaste supercherie orchestrée par des manipulateurs à la solde du capitalisme  [1], “tous de mèche“, voilà qui frise la théorie du complot. Il est navrant de voir le narrateur prétendre dévoiler des vérités qui dérangent tout en relayant les clichés les plus éculés et en additionnant erreurs factuelles, amalgames grossiers et généralisations abusives, sous les applaudissements des industriels du charbon et de l’atome  [2]. Après avoir envisagé de censurer le film, le distributeur militant Films For Action 3 a choisi de continuer à le diffuser, assorti d’une série de critiques (voir sur cette page). On y retrouvera l’analyse de militants, de spécialistes des politiques climatiques, mais aussi d’une ancienne collaboratrice de Michael Moore, chargée d’effectuer la vérification des faits évoqués dans ses films jusqu’en 2007 et consternée devant tant d’erreurs.

Le solaire et l’éolien ont connu ces dernières années des améliorations sans précédents, que ce soit en termes de baisse des coûts, d’efficacité, de réduction de leur empreinte écologique et de consommation de matières premières. Mais ce documentaire semble avoir mis un point d’honneur à ne s’intéresser qu’à des projets obsolètes et utiliser des données déjà dépassées (certaines datent de 2012 !) pour en tirer la conclusion que “ça ne marche pas“, et que cela ne marchera jamais, à rebours de tous les constats scientifiques accumulés sur le sujet.

Le développement des renouvelables n’a certes pas vocation à couvrir notre surconsommation et sera d’une efficacité limitée sans virage vers la sobriété. Pour autant, il est incontournable pour réduire nos émissions et laisser les fossiles dans le sol sans recourir au nucléaire. Dans l’Amérique de Trump, y avait-il besoin d’apporter de l’eau au moulin de politiques climaticides par des affirmations fausses et non sourcées ? Soutenir qu’il vaut mieux brûler directement des combustibles fossiles est mensonger, tout comme mettre les renouvelables sur le même plan que le charbon en termes d’impacts liés à l’extraction minière. Sans parler des panneaux solaires “qui durent 10 ans seulement“, de l’Allemagne où le recours au charbon n’aurait pas diminué  [3]

La catastrophe écologique en cours est une source légitime d’angoisse. Alors qu’il faudrait agir vite, et de manière intelligente, il est d’autant plus révoltant de voir un réalisateur capitaliser sur cette émotion pour semer la confusion (sans parler du terrain glissant sur la surpopulation) et véhiculer des informations fausses.

Charlotte Mijeon

Le pour

Certain·es disent que ce documentaire n’est pas à la hauteur de ce qu’on pourrait attendre d’un journaliste. D’autres qu’il ne propose aucune alternative concrète, ce qui amène les pro-nucléaires et les complotistes à s’appuyer dessus pour défendre leurs idées – aux dépens des réalisateurs  [4].

Mais avant de se fâcher, s’est-t on demandé pourquoi Jeff Gibbs a choisi de travailler de la sorte ? S’est-t on demandé à qui il s’adresse dans ce film ? Quel a été son objectif ?

Ce film n’est pas un documentaire scientifique. Il ne vise pas non plus à présenter des solutions alternatives toutes faites. Toutefois, il réalise quelque chose que peu de documentaristes ont fait jusqu’à présent sur grand écran, et qui est essentiel : il offre la possibilité à de nombreuses personnes qui se soucient de l’avenir mais qui croient encore au système, de comprendre qu’il ne peut y avoir de véritable changement sans transformation radicale de ce système.

À celles et ceux qui me répondent : “Pourquoi ne pas avoir terminé le film par des solutions alternatives ?“, je demande :

1° Aurait-on eu le temps de bien le faire ? Peut-on convaincre un public large de ces alternatives en 15 minutes ?

Et surtout :

2° Est-ce que le fait de terminer sur des alternatives ne donnerait pas envie de se rassurer, et de se reposer sur celles et ceux qui portent ces alternatives : “la situation n’est pas si pire, il existe des solutions, et certaines personnes y travaillent, ouf !“.

C’est si tentant, car si facile, de se reposer sur des alternatives existantes : on ne se sent pas responsables, ni donc acteurs. Et d’une certaine manière, nous avons besoin de cela : nous avons besoin de nous dire que des luttes sont en cours, que d’autres y travaillent, qu’on peut leur faire confiance. Mais qui sont ces “autres“ ? Quel est leur poids dans ce système ?

Je pense qu’avant d’apporter des alternatives, des solutions, avant d’inviter à comprendre toutes les complexités de la question des énergies, nous devons d’abord réussir à faire voir l’impasse dans laquelle nous nous trouvons, et la nécessité d’y faire face ensemble.

Et pour cela, nous devons être ébranlé·es dans nos convictions. Nous avons besoin d’être mis·es face au mur, de nous sentir face au mur : à ce mur qui est en train de nous écraser. Nous avons besoin de ressentir la nécessité, dans notre chair, d’arrêter de fuir, d’arrêter de croire dans ce système. Nous avons besoin de le sentir, viscéralement : car arrêter de croire n’est pas facile, et demande un gros travail sur soi.

Des textes, des appels, ne suffiront donc pas. On dit parfois que c’est en touchant le fond qu’on peut rebondir : je dirai plutôt que c’est en touchant sensiblement les choses, en les ressentant en nous-même, en étant dans l’impossibilité de détourner le regard, que nous ne pouvons plus la nier. Seulement alors, nous pouvons rebondir.

Nous ne changerons pas tant que nous n’aurons pas compris que le futur dépend de nous, tant que nous n’aurons pas retrouvé cette conscience collective. Tant que nous ne serons pas sûr·es que ce n’est pas un système qui a sa propre autonomie qui fait tourner le monde, mais que c’est nous : nous pouvons être plus forts que ce système car nous avons le pouvoir. Cette conscience collective est ce sans quoi il ne peut y avoir de vrai changement : et cela méritait un film à part.

Alors, plutôt que de se contenter de critiquer ce film, je pense que nous devons l’accompagner, l’utiliser : servons-nous en comme d’un trampoline.

A.C.



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