Les déchets TFA (Très Faible Activité) sont des résidus industriels dont l’activité est considérée “proche de la radioactivité naturelle“ : une activité inférieure à 100 000 Bq/kg. Il est amusant de voir qu’officiellement, on préfère parler de “100 Bq/g“ histoire de donner des chiffres les plus petits possible…
En comparaison, s’il est exact que le corps humain génère environ 8 000 Bq, cela correspond pour 80 kg à 400 Bq/kg de viande. Et pour la plaine d’Alsace, on arrive environ à 1 000 Bq/kg. Chacun jugera de l’exactitude de l’expression “proche de la radioactivité naturelle“…
Le problème des déchets TFA
En France, la situation est claire : tout matériau issu d’une structure nucléaire et susceptible d’avoir été contaminé est considéré comme déchet nucléaire et doit être géré comme tel. Actuellement, les déchets TFA (ferrailles légères, plastiques, etc.) sont conditionnés dans des caissons métalliques ou de grands sacs en tissu plastifié. Certains déchets de grandes dimensions ne font l’objet d’aucun conditionnement (générateurs de vapeur, pressuriseurs) et l’ensemble est stocké au Cires [1] à Morvilliers, avec une surveillance pour 800 ans. Ce centre, prévu pour recevoir 650 000 m 3 de déchets TFA, pourrait être saturé dès 2028-2038. Selon l’inventaire
national, le volume des déchets TFA qui pourrait résulter
de l’exploitation et du démantèlement des installations
nucléaires existantes, serait de l’ordre de 2 200 000 m 3,
hors sols pollués. Le démantèlement de l’usine d’enrichissement Georges Besse pourrait générer 140 000 tonnes de
ferrailles TFA, celui de la centrale de Fessenheim de l’ordre de
8 000 tonnes.
La “solution“ : les seuils de libération
Pour Orano et EDF il n’est pas question de payer pour stocker ces ferrailles (coût de l’ordre de 500 €/tonne), d’autant que la directive EURATOM de 2013 définit des “seuils de libération“ : en deçà d’une certaine activité, les États peuvent décider de “libérer“ des matériaux TFA, c’est-à-dire de les remettre dans le circuit industriel commun. Autrement dit, de fabriquer des ustensiles de cuisine, des voitures avec des métaux issus de l’industrie nucléaire, sans aucune traçabilité ultérieure. Cette directive EURATOM ne s’impose pas aux États, c’est donc une imposture de prétendre qu’il ne s’agit que de suivre cette directive !
Pour faire simple, il s’agit de fondre les métaux classés TFA (dans des fours électriques à 1 600°C, bonjour la consommation !), puis “d’écrémer“ les résidus les plus radioactifs (qui seront stockés au Cires), afin de réaliser des lingots qui, après un ultime contrôle, seront envoyés (vendus) dans l’industrie métallurgique. Sans plus de traçabilité ou d’information : qui achèterai une casserole estampillée “provenant de déchets nucléaires“ ?
Problèmes techniques, économiques, légaux…
Le premier problème est d’ordre technique. Le contrôle ultime ne pourra se faire que sur échantillon dans les lingots, et dans ce cas, impossible de s’assurer qu’aucune inclusion plus radioactive ne restera (voir ci-contre). Aucune réponse de la part des exploitants à la remarque de l’IRSN…
Le second problème est d’ordre économique. Comme l’a relevé l’ASN en juillet 2019, la rentabilité d’un tel centre n’est absolument pas assurée, et coûterait plus cher que le simple stockage des ferrailles activées.
Le troisième problème est d’ordre légal. Dans l’état actuel de la règlementation, il est simplement impossible d’envisager de remettre dans l’espace public le moindre déchet nucléaire, quelle que soit son activité.
Que ce soit l’ASN en 2008 ou la ministre Elisabeth Borne en janvier 2020, les critiques n’ont pas manqué contre ces projets aberrants. Mais soudain, en février 2020, voici que les mêmes estiment que les seuils de libération sont une bonne solution pour notre industrie nucléaire… Comprenne qui pourra…
Déchet inhomogène :
(Document IRSN)
Le projet à Fessenheim
À priori, les TFA de Fessenheim consistent en :
▸ 6 générateurs de vapeur usés (remplacés en 2002 et 2010), entreposés dans un bâtiment spécifique : 1 800 tonnes.
▸ 6 générateurs de vapeur (actuels) qui en seront au stade TFA d’ici 2025 : 1 800 tonnes.
▸ Les couvercles de cuve (500 tonnes)
▸ Les peaux d’étanchéité (environ 300 tonnes).
Le projet d’EDF (remanié à la demande de l’ASN) est simple :
1ère étape : les 6 générateurs de vapeur usés sont envoyés à CYCLIFE (Suède), une compagnie absorbée par EDF en 2010 et qui dispose, semble-t-il de l’expérience et des matériels adéquats. Afin de vérifier si le procédé est applicable. Le problème est que la loi française interdit toute exportation de déchets radioactifs. Qu’à cela ne tienne, en février 2020 le ministère de l’Écologie s’est engagé à octroyer à EDF une dérogation…
2ème étape : la construction (à partir de 2025-2030) d’un centre de retraitement en utilisant le bâtiment actuel de stockage des 6 GV usés [2]. Le coût de cette installation est estimé à 300 millions d’euros et emploierai moins de 200 personnes. Et là aussi, le gouvernement promet de déroger à la loi pour permettre l’implantation et le fonctionnement d’un tel centre. Bien sûr, il faut à tout prix éviter un débat public sur la gestion des déchets TFA…
Mais l’inquiétant, c’est que de l’aveu même d’EDF, un tel centre ne permettrait que de “libérer“ environ 1 000 tonnes de ferraille sur les 1 800 tonnes des GV actuels. Et donc, pour de simples raisons économiques, il faudra bien que ce “technocentre“ s’occupe aussi des GV et TFA des autres centrales nucléaires françaises et étrangères. Bonjour les transports routiers. Sauf que nos amis allemands ont déjà annoncé qu’ils n’étaient pas intéressés… Qu’à cela ne tienne, d’ici 2025 pas mal d’eau
(radioactive ?) sera passée sous les ponts…
Mentionnons encore qu’aujourd’hui, deux projets concurrents existent : celui d’Orano à Tricastin (Georges Besse), et celui d’EDF à Fessenheim. Bien sûr, compte tenu des volumes de TFA en jeu, celui de Tricastin pourrait sembler le plus abouti. Mais d’un autre côté, le gouvernement aurait un malin plaisir à “vendre“ à l’Alsace un tel centre comme compensation à
l’arrêt de la centrale de Fessenheim. Les élus locaux ne s’y sont pas trompés et soutiennent autant qu’ils le peuvent ce projet absurde et mortifère. Après tout, d’ici 2030, ils ne seront probablement plus aux affaires…
Au-delà de toute considération technique ou économique, on peut penser que l’idée est une fois de plus de banaliser le nucléaire. Il est impossible de prévoir les effets de l’exposition due à des objets de la vie courante réalisés à partir de tels déchets, même de très faible activité (ustensiles de cuisine, mobiliers, moyens de transport). Et comme toujours plutôt que d’agir ouvertement, le gouvernement préfère œuvrer par dérogation plutôt que de risquer un débat, en se réfugiant derrière un futur toujours plus brumeux… Comme pour le reste du pays, l’Alsace n’en a pas fini avec le nucléaire…
Jean-Marie Brom
Notes
[1] Centre industriel de regroupement, d’entreposage et de stockage
[2] Bizarrement, ce bâtiment n’est pas considéré comme nucléaire dans le plan de démantèlement.
Les déchets TFA, c’est quoi ?
Les déchets TFA (Très Faible Activité) sont des résidus industriels dont l’activité est considérée “proche de la radioactivité naturelle“ : une activité inférieure à 100 000 Bq/kg. Il est amusant de voir qu’officiellement, on préfère parler de “100 Bq/g“ histoire de donner des chiffres les plus petits possible…
En comparaison, s’il est exact que le corps humain génère environ 8 000 Bq, cela correspond pour 80 kg à 400 Bq/kg de viande. Et pour la plaine d’Alsace, on arrive environ à 1 000 Bq/kg. Chacun jugera de l’exactitude de l’expression “proche de la radioactivité naturelle“…
Le problème des déchets TFA
En France, la situation est claire : tout matériau issu d’une structure nucléaire et susceptible d’avoir été contaminé est considéré comme déchet nucléaire et doit être géré comme tel. Actuellement, les déchets TFA (ferrailles légères, plastiques, etc.) sont conditionnés dans des caissons métalliques ou de grands sacs en tissu plastifié. Certains déchets de grandes dimensions ne font l’objet d’aucun conditionnement (générateurs de vapeur, pressuriseurs) et l’ensemble est stocké au Cires [1] à Morvilliers, avec une surveillance pour 800 ans. Ce centre, prévu pour recevoir 650 000 m 3 de déchets TFA, pourrait être saturé dès 2028-2038. Selon l’inventaire
national, le volume des déchets TFA qui pourrait résulter
de l’exploitation et du démantèlement des installations
nucléaires existantes, serait de l’ordre de 2 200 000 m 3,
hors sols pollués. Le démantèlement de l’usine d’enrichissement Georges Besse pourrait générer 140 000 tonnes de
ferrailles TFA, celui de la centrale de Fessenheim de l’ordre de
8 000 tonnes.
La “solution“ : les seuils de libération
Pour Orano et EDF il n’est pas question de payer pour stocker ces ferrailles (coût de l’ordre de 500 €/tonne), d’autant que la directive EURATOM de 2013 définit des “seuils de libération“ : en deçà d’une certaine activité, les États peuvent décider de “libérer“ des matériaux TFA, c’est-à-dire de les remettre dans le circuit industriel commun. Autrement dit, de fabriquer des ustensiles de cuisine, des voitures avec des métaux issus de l’industrie nucléaire, sans aucune traçabilité ultérieure. Cette directive EURATOM ne s’impose pas aux États, c’est donc une imposture de prétendre qu’il ne s’agit que de suivre cette directive !
Pour faire simple, il s’agit de fondre les métaux classés TFA (dans des fours électriques à 1 600°C, bonjour la consommation !), puis “d’écrémer“ les résidus les plus radioactifs (qui seront stockés au Cires), afin de réaliser des lingots qui, après un ultime contrôle, seront envoyés (vendus) dans l’industrie métallurgique. Sans plus de traçabilité ou d’information : qui achèterai une casserole estampillée “provenant de déchets nucléaires“ ?
Problèmes techniques, économiques, légaux…
Le premier problème est d’ordre technique. Le contrôle ultime ne pourra se faire que sur échantillon dans les lingots, et dans ce cas, impossible de s’assurer qu’aucune inclusion plus radioactive ne restera (voir ci-contre). Aucune réponse de la part des exploitants à la remarque de l’IRSN…
Le second problème est d’ordre économique. Comme l’a relevé l’ASN en juillet 2019, la rentabilité d’un tel centre n’est absolument pas assurée, et coûterait plus cher que le simple stockage des ferrailles activées.
Le troisième problème est d’ordre légal. Dans l’état actuel de la règlementation, il est simplement impossible d’envisager de remettre dans l’espace public le moindre déchet nucléaire, quelle que soit son activité.
Que ce soit l’ASN en 2008 ou la ministre Elisabeth Borne en janvier 2020, les critiques n’ont pas manqué contre ces projets aberrants. Mais soudain, en février 2020, voici que les mêmes estiment que les seuils de libération sont une bonne solution pour notre industrie nucléaire… Comprenne qui pourra…
Déchet inhomogène :
(Document IRSN)
Le projet à Fessenheim
À priori, les TFA de Fessenheim consistent en :
▸ 6 générateurs de vapeur usés (remplacés en 2002 et 2010), entreposés dans un bâtiment spécifique : 1 800 tonnes.
▸ 6 générateurs de vapeur (actuels) qui en seront au stade TFA d’ici 2025 : 1 800 tonnes.
▸ Les couvercles de cuve (500 tonnes)
▸ Les peaux d’étanchéité (environ 300 tonnes).
Le projet d’EDF (remanié à la demande de l’ASN) est simple :
1ère étape : les 6 générateurs de vapeur usés sont envoyés à CYCLIFE (Suède), une compagnie absorbée par EDF en 2010 et qui dispose, semble-t-il de l’expérience et des matériels adéquats. Afin de vérifier si le procédé est applicable. Le problème est que la loi française interdit toute exportation de déchets radioactifs. Qu’à cela ne tienne, en février 2020 le ministère de l’Écologie s’est engagé à octroyer à EDF une dérogation…
2ème étape : la construction (à partir de 2025-2030) d’un centre de retraitement en utilisant le bâtiment actuel de stockage des 6 GV usés [2]. Le coût de cette installation est estimé à 300 millions d’euros et emploierai moins de 200 personnes. Et là aussi, le gouvernement promet de déroger à la loi pour permettre l’implantation et le fonctionnement d’un tel centre. Bien sûr, il faut à tout prix éviter un débat public sur la gestion des déchets TFA…
Mais l’inquiétant, c’est que de l’aveu même d’EDF, un tel centre ne permettrait que de “libérer“ environ 1 000 tonnes de ferraille sur les 1 800 tonnes des GV actuels. Et donc, pour de simples raisons économiques, il faudra bien que ce “technocentre“ s’occupe aussi des GV et TFA des autres centrales nucléaires françaises et étrangères. Bonjour les transports routiers. Sauf que nos amis allemands ont déjà annoncé qu’ils n’étaient pas intéressés… Qu’à cela ne tienne, d’ici 2025 pas mal d’eau
(radioactive ?) sera passée sous les ponts…
Mentionnons encore qu’aujourd’hui, deux projets concurrents existent : celui d’Orano à Tricastin (Georges Besse), et celui d’EDF à Fessenheim. Bien sûr, compte tenu des volumes de TFA en jeu, celui de Tricastin pourrait sembler le plus abouti. Mais d’un autre côté, le gouvernement aurait un malin plaisir à “vendre“ à l’Alsace un tel centre comme compensation à
l’arrêt de la centrale de Fessenheim. Les élus locaux ne s’y sont pas trompés et soutiennent autant qu’ils le peuvent ce projet absurde et mortifère. Après tout, d’ici 2030, ils ne seront probablement plus aux affaires…
Au-delà de toute considération technique ou économique, on peut penser que l’idée est une fois de plus de banaliser le nucléaire. Il est impossible de prévoir les effets de l’exposition due à des objets de la vie courante réalisés à partir de tels déchets, même de très faible activité (ustensiles de cuisine, mobiliers, moyens de transport). Et comme toujours plutôt que d’agir ouvertement, le gouvernement préfère œuvrer par dérogation plutôt que de risquer un débat, en se réfugiant derrière un futur toujours plus brumeux… Comme pour le reste du pays, l’Alsace n’en a pas fini avec le nucléaire…
Jean-Marie Brom
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