Une guerre des chiffres
"Faire 10% d’économie d’eau dans tous les secteurs" d’ici à 2030. Voilà le "cap" fixé par le président de la République. Pour mettre à contribution le secteur de la production d’électricité, il annonce vouloir "passer nos centrales en circuit fermé". "Stupeur dans les rangs des spécialistes", d’après le journal le Point.
Les prélèvements d’eau des réacteurs fonctionnant en circuit "fermé" sont effectivement bien plus faibles que ceux fonctionnant en circuit ouvert [1]. Mais, d’une part, il paraît totalement irréaliste d’envisager de coûteux travaux de modification de réacteurs anciens (tels que ceux de Bugey).
D’autre part, les 30 réacteurs français fonctionnant en circuit fermé rejettent sous forme de vapeur 0,75 m3/s d’eau prélevée [2], soit environ 400 millions de m3/an. Alors que ceux fonctionnant en circuit ouvert, situés notamment en bord de mer, rejettent dans leur milieu d’origine la quasi totalité de l’eau prélevée. Ce chiffre ne prend par ailleurs pas en compte l’intégralité des dépenses en eau des centrales, qui, pour être complètes, entre autres, l’utilisation d’eau pour le réseau incendie et pour disposer de stockage de sûreté.
Une guerre des usages
Mais cette distinction et ses calculs ne suffisent pas pour évaluer l’impact des centrales nucléaires sur l’eau. Dans son discours, Emmanuel Macron a repris des chiffres du Ministère de la Transition écologique. 51% de la totalité des ressources en eau de surface et souterraines prélevées le sont pour refroidir les centrales nucléaires. Parmi celles-ci, seules 12% seraient consommées (c’est-à-dire non restituées aux cours d’eau d’origine). Mais cela n’a pas toujours été le cas. Le 28 mars, il était toujours possible de lire sur le site du Ministère de la Transition écologique que le refroidissement des centrales était la deuxième activité la plus consommatrice en eau avec 31% de la totalité des ressources en eau consommée. La veille de l’allocution du chef de l’État, cette part était descendue à 12%, c’est-à-dire, juste en-dessous de la consommation en eau potable [3] ! Et ce sans que le détail des calculs et des sources utilisées ne soit donné...
Que recouvre par ailleurs cette distinction entre eau "consommée" et eau "prélevée" ? Pour l’eau potable, la "consommation" regroupe pour l’essentiel les besoins domestiques (boire, se laver, l’utilisation du lave-linge, lave-vaisselle, chasse d’eau...) et ceux des collectivités. La quasi totalité de cette eau est rejetée dans le milieu naturel après épuration. Or, en ce qui concerne le nucléaire, la part d’eau rejetée (les fameux 51% évoqués par E. Macron) est chargée en produits chimiques, en radioactivité (notamment le tritium [4]) et est réchauffée (pollution thermique) par le processus. Elle ne peut donc pas servir à d’autres usages. C’est donc bien aussi une eau consommée.
Un futur plus qu’incertain
Selon le rapport Explore 2070, les débits moyens annuels des cours d’eau en métropole devraient diminuer de 10 à 40 % d’ici 2050 [5] . Ce qui signifie moins de ressource en eau disponible pour refroidir les réacteurs des centrales (cela avait entraîné l’été dernier de nombreux arrêts de réacteurs) mais également un impact supérieur sur la ressource, l’écosystème qui y vit ainsi que sur l’environnement de manière générale.
Concernant le "nouveau nucléaire" (première paire d’EPR 2 d’une série de 6 voire 14 prévue pour 2035), on nage dans le flou. Selon le rapport du gouvernement de février 2022, "certains risques identifiables ne sont pas intégrés dans le chiffrage d’EDF notamment des événements climatiques et météorologiques très perturbants (inondations, intempéries, canicules, vagues de froid) ainsi que le risque pandémique" [6].
Mais bien sûr, de ceci il n’est pas question dans le discours d’Emmanuel Macron !
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