La ville en blanc Une clim’ moins énergivore
Les villes, en moyenne plus sombres que l’environnement naturel, absorbent un surcroît de chaleur, qui génère un effet d’ "îlot de chaleur urbain". En été, celui-ci génère différents problèmes, dont un accroissement de la consommation d’électricité pour assurer la climatisation des bâtiments. La ville de New York s’est lancée depuis quelques années dans un programme visant littéralement à blanchir les toits de la ville... Une nouvelle étude détaille les premiers résultats concrets obtenus in situ par cette initiative. À la clé, une baisse de température en surface de toiture qui atteint -6°C !
Les villes : plus sombres... et plus chaudes !
Le paysage urbain formé d’asphalte, de métal et de bâtiments sombres absorbe plus de rayonnement solaire que des paysages couverts de forêts, de champs, de neige ou de glace, qui reflètent plus de lumière. L’absorption conduit à ce que les scientifiques appellent l’effet d’îlot de chaleur urbain, à travers lequel une ville voit sa température monter nettement plus haut que celle des environs.
L’effet d’îlot de chaleur urbain génère plusieurs problèmes : pics de consommation d’électricité, augmentation des émissions de gaz à effet de serre, mauvaise qualité de l’air et augmentation des risques de décès durant les vagues de chaleur. Ces dernières années, des urbanistes du monde entier ont étudié diverses méthodes pour réduire cet effet en transformant les toits noirs, soit en toits "vivants", végétalisés, soit en toits blancs, de loin la solution la meilleure marché.
Stuart Gaffin, de l’université Columbia, est l’auteur d’une nouvelle étude qui a comparé, sur plusieurs années, la manière dont différents types de couverture de toiture se comportent in situ à New York. Il explique que "les villes ont progressivement assombri le paysage depuis plusieurs centaines d’années. Cette action est la première à New York à inverser cette tendance. Les toits des villes sont traditionnellement noirs parce que l’asphalte et le goudron sont étanches, solides, malléables et sont faciles à appliquer sur des toits de formes complexes. Mais d’un point de vue climatique et considérant l’effet d’îlot de chaleur urbain, il est plus favorable d’avoir des toits blancs et brillants. C’est pourquoi nous disons : le blanc brillant, c’est le nouveau noir".
L’effet d’îlot de chaleur urbain de la ville de New York est plus prononcé la nuit, avec des températures plus élevées de 3°C à 4°C de ce qu’elles seraient sans cet effet, selon une recherche précédente de Stuart Gaffin.
Selon Cynthia Rosenzweig, chercheuse au Goddard Institute for Space Studies de la NASA à New York et co-auteur de l’article : "Le problème de l’effet d’îlot de chaleur urbain va probablement s’intensifier dans les décennies à venir. Actuellement, il y a, chaque été, 14 jours en moyenne pendant lesquels la température dépasse 32°C. D’ici une vingtaine d’années, ce pourrait être 30 jours ou plus". Pour Marc Imhoff, chercheur dans le domaine de la biosphère au Goddard Space Flight Center de la NASA, à Greenbelt, dans le Maryland, "la NASA étudie l’effet d’îlot de chaleur urbain pour mieux comprendre et modéliser de quelle manière les zones urbaines et l’extension de l’urbanisation peuvent influencer le climat régional et global. Nous tentons de nous donner les moyens qui nous permettent d’étendre nos connaissances avec des données provenant de lieux plus nombreux, afin de pouvoir développer des modèles informatiques qui vont nous permettre de prédire les îlots de chaleur urbains et les températures urbaines à l’échelle d’une ville. Ensuite, nous pourrons incorporer nos résultats dans des modèles climatiques globaux, à large échelle".
Réduire l’absorption de chaleur par les toitures
Les surfaces sombres absorbent la lumière (et la chaleur) du soleil. Certains toits noirs de New York ont atteint 77°C le 22 juillet 2011, jour record pour la consommation d’électricité pendant le pic de la vague de chaleur. L’installation à large échelle de toits blancs, tel que la ville le tente au moyen du programme "NYC CoolRoofs" (New York Toits Frais), pourrait réduire la température des villes, ce qui réduirait également la consommation d’énergie et par conséquent l’émission de gaz à effet de serre, selon Stuart Gaffin. Ce programme d’éclaircissement des toits peut être considéré comme un programme d’amélioration de l’albédo de la ville. L’albédo d’une surface mesure la fraction de rayonnement solaire qu’elle réfléchit vers le ciel. Dans son étude, l’équipe de Stuart Gaffin a comparé aux toits noirs les performances de différentes variantes de toits blancs. Certaines comportent deux membranes synthétiques demandant une installation par un professionnel ; une autre variante est une version "do it yourself (DIY)" (à poser soi-même), un simple revêtement blanc de peinture acrylique promu par l’initiative "toits blancs" de la ville.
Une telle comparaison de température des toits blancs et noirs, effectuée sur le toit du Musée d’Art Moderne du Queens (à New York), montre une divergence persistante entre les températures de surface des deux revêtements sur la période de juin à août 2011. Dans ce cas, la surface blanche était le revêtement acrylique bon marché promu par le programme "NYC CoolRoofs" lancé par le maire Michael Bloomberg, dans le cadre de son action pour réduire les émissions de gaz à effet de serre de la ville de 30 % d’ici 2030.
Cette étude a montré que même la couverture blanche la meilleure marché réduisait les pics de température des toits de 6°C en moyenne. Si les toits blancs étaient répandus sur une large échelle, comme la ville entend le faire, cette réduction pourrait diminuer l’effet d’îlot de chaleur urbain qui augmente la température nocturne dans la ville de 3°C à 4°C en été, affirme Stuart Gaffin.
En plus de mesurer la température de surface du toit, l’étude a aussi observé la durabilité de la réflexivité et de l’émissivité des surfaces blanches (la réflexivité exprime la quantité de lumière reflétée vers le ciel, alors que l’émissivité exprime la quantité de rayonnement infrarouge qu’une surface émet après l’absorption du rayonnement solaire). L’étude montre une réduction de température similaire pour toutes les surfaces lors de l’installation, mais les surfaces posées professionnellement maintiennent mieux leur réflexivité au cours des années.
Les revêtements blancs à membrane posés professionnellement (coût : 150$ à 280$ par m2) ont remarquablement conservé leur réflexivité et leur émissivité, même quatre ans après la pose. Après ce temps-là, ces surfaces respectaient toujours les normes Energy Star, du "Energy Star Reflective Roof program" de l’EPA (Environmental Protection Agency). L’efficacité du revêtement acrylique peint "à la main" (coût : 5 $ par m2) a baissé de moitié au bout de deux ans, pour tomber ensuite en dessous des normes Energy Star.
Par contre, selon Stuart Gaffin, cette surface bon marché augmentait nettement l’albédo par rapport à un toit d’asphalte noir courant. "C’est une rénovation, c’est bon marché, il n’y a pas besoin de main d’œuvre qualifiée, et on n’a pas besoin d’attendre que le toit soit retiré". Gaffin poursuit : "Si vous cherchez vraiment à augmenter l’albédo urbain, c’est la méthode la plus rapide et la moins chère".
Patrick Lynch,
membre de la nouvelle équipe des sciences de la terre de la NASA
Traduit en français pour le Réseau "Sortir du nucléaire" par Michel Schmid, version adaptée.