Figure de la lutte
La veille scientifique et citoyenne de Monique et Raymond Sené
L’histoire commence près de quarante ans avant la parution des Dossiers noirs du nucléaire français [1] . En 1974, Monique et Raymond Sené, chercheurs au CNRS, lancent une pétition demandant l’arrêt du programme d’installation de réacteurs nucléaires en France. Le texte y pointait un certain nombre de lacunes, notamment le manque de solutions en matière de traitement des déchets, certaines faiblesses métallurgiques, des problèmes de radioprotection. Il concluait : “Nous pensons que la politique actuellement menée ne tient compte ni des vrais intérêts de la population ni de ceux des générations futures, et qu’elle qualifie de scientifique un choix politique. (...) Nous appelons la population à refuser l’installation de ces centrales tant qu’elle n’aura pas une claire conscience des risques et des conséquences. Nous appelons les scientifiques (chercheurs, ingénieurs, médecins, professeurs...) à soutenir cet appel et à contribuer, par tous les moyens, à éclairer l’opinion.“ Quatre cents scientifiques, dont deux cents physiciens, signeront. Ce sera l’Appel des 400.
Il restera sans réponse. Le couple en apportera une en créant, le 15 décembre 1975, le GSIEN [2] , imposant une expertise indépendante qui entraînera des améliorations sur le plan de la surveillance et de la sécurité. Afin d’informer le public des problèmes que ces scientifiques jugent importants, en 1976 paraît, sur abonnement, La Gazette nucléaire, destinée à transmettre au public les dossiers émanant de l’ASN [3] , de l’IPSN [4] et d’EDF, auxquels s’ajoute l’avis des scientifiques. Elle existe toujours [5] , mais de près de deux mille abonné.es à ses débuts, elle est passée à cinq cents. Les “400“ sont aujourd’hui une quarantaine, et la relève, du côté des scientifiques, se fait attendre. Monique Sené note [6] cependant que d’autres groupes auscultent les rapports pour essayer de les comprendre et de donner un avis : l’impulsion est donnée.
Dès le début, les membres du GSIEN ont contribué aux Commissions locales d’Information (CLI) [7] , œuvrant pour que leur association nationale grandisse et puisse mutualiser les travaux. Depuis la loi sur la transparence de 2006, les CLI sont présentes auprès de toutes les installations nucléaires de base. Une convention d’accès à la documentation permet d’assurer la présence in situ de personnes qui interrogent le bon fonctionnement des installations, y compris dans certaines de celles tenues au secret.
Ils participent aussi aux visites décennales, ce qui n’a pas été obtenu sans mal auprès d’EDF. Quand aucun problème ne se présente, cela dure une centaine de jours, consacrés à l’étude des points importants des dossiers – avant tout l’état de la cuve et celle de l’enceinte, que l’on ne peut remplacer –, à des visites de la centrale – comme par exemple lors de l’inspection de la cuve. Suit l’exposé des remarques des scientifiques.
Ainsi furent conquises l’indépendance de l’autorité de sûreté et l’ouverture à la société de l’IRSN, le dialogue avec les experts officiels étant essentiel pour évaluer l’état des centrales, et le regard extérieur souvent plus sensible aux anomalies que celui qui les côtoie au quotidien.
“Après 40 ans d’expertise “pluraliste“, l’ambition du GSIEN est de permettre au plus grand nombre de s’approprier les connaissances accumulées, de renforcer sa capacité d’intervention dans le débat public et d’assurer l’enrichissement et la relève de cette expertise pluraliste.“ [8]
Marie Gagnard-Volta
Notes
[1] Presses de la Cité, 2013. Coécrit par Monique et Raymond Sené, et Dominique Leglu.
[2] GSIEN : Groupement de scientifiques pour l’information sur l’énergie nucléaire.
[3] ASN : Autorité de sûreté nucléaire.
[4] IPSN : Institut de protection et de sûreté nucléaire, devenu Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN) en 2012 lors d’un regroupement avec l’Office de protection contre les rayonnements ionisants (OPRI).
[5] Avec une version numérique : http://gazettenucleaire.org/
[6] Audition du 10 avril 2014 à l’Assemblée nationale : https://www.dailymotion.com/video/x1nr129
[7] Les CLI sont composées à 50 % d’élu.es, et 50 % de membres d’associations, de syndicalistes et de personnes compétentes.