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Sortir du nucléaire n°81



Printemps 2019

Nucléaire militaire

“Zone sans armes nucléaires“ en Europe ?

20 février 2019, quatre députées écologistes au Parlement européen (autrichien, français, luxembourgeois et britannique) ont pénétré sur la base aérienne belge de Kleine-Brogel en brandissant une banderole “Zone sans armes nucléaires pour l’Europe“. Le 1er février, c’était devant le ministère des Armées à Paris que deux députées européennes écologistes étaient venues demander à la France de signer le Traité d’interdiction des armes nucléaires (TIAN). Objectif : alerter le public et placer la question du désarmement nucléaire au cœur de l’agenda européen, à la veille des élections européennes.

Luttes et actions Nucléaire militaire
Karima Delli, Michèle Rivasi et des militants portent la banderole Abolition des armes nucléaires devant le ministère des Armées le 1er février 2019

Une piqûre d’autant plus salutaire que la question des armes nucléaires fait un retour sur la scène politique européenne. Non seulement du fait de la remise en cause de l’accord sur les forces nucléaires intermédiaires (FNI), mais également de manière plus insidieuse par la mise en place d’une “euro-dissuasion“ à partir de l’arsenal nucléaire français. Le tout dans un contexte de modernisation des armes nucléaires américaines basées sur le territoire européen.

Relance de la course aux armements nucléaires

Les médias ont largement fait écho à la décision du président Trump, annoncée le 1er février dernier, de se retirer du traité FNI signé en 1987 par les États-Unis et l’Union soviétique qui venait mettre fin à la production et au déploiement de missiles sol-sol d’une portée comprise entre 500 et 5 000 kilomètres. Ce traité mettait fin à la crise des “euromissiles“ des années 1980 autour du déploiement des missiles SS-20 et Pershing II entre les deux blocs qui avait largement mobilisée les opinions publiques face au risque d’une guerre nucléaire en Europe.

Cette décision est venue renforcer la tension existante entre les États-Unis et l’Europe sur fond de guerre commerciale. Donald Trump considère que les pays européens membres de l’Otan [1] profitent à bon compte du parapluie américain et ne respectent pas leur engagement — datant de 2006 ! — de porter à 2 % du PIB leurs dépenses militaires...

Elle s’inscrit également dans une période de renouvellement des bombes nucléaires américaines entreposées sur le sol européen. Pour mémoire, environ 200 sont réparties entre l’Allemagne, la Belgique, l’Italie, les Pays-Bas et la Turquie. Cette modernisation entraîne pour ces pays l’achat d’un nouvel avion de combat forcément américain au coût pharamineux !

Vers une “euro-dissuasion“ ?

La question de la défense européenne est souvent considérée comme un véritable serpent de mer et celle d’une arme nucléaire européenne comme une chimère. Pourtant depuis quelques mois, et à plusieurs reprises, l’idée d’un “parapluie nucléaire“ européen a été relancée.

Dans une interview à Funke Mediengruppe [2] , et diffusée par Ouest France en date du 9 février 2019, le diplomate Wolfgang Ischinger — qui préside le “Davos“ de la défense qui se réunit chaque année à Munich —, explique que “à moyen terme, la question de l’européanisation du potentiel nucléaire français est effectivement une très bonne idée. Il s’agit de savoir si, et comment la France pourrait être disposée à mettre stratégiquement sa capacité nucléaire au profit de l’ensemble de l’Union européenne. Concrètement : les options de l’engagement nucléaire de la France ne devraient pas couvrir seulement son propre territoire, mais aussi le territoire des partenaires au sein de l’Union européenne. En contrepartie, il faudrait définir quel apport les partenaires européens pourraient mettre à disposition pour cela, afin d’arriver à une juste répartition des efforts. Cependant, l’utilisation possible des armes nucléaires ne pourrait pas être décidée, au final, par un comité de l’Union européenne. Cette décision resterait celle du président français. Ce que nous devons accepter !“ Une prise de position précise et concrète, mais qui n’a suscité que très peu de réaction et encore moins de franche opposition.

Dans sa tribune diffusée début mars dans toute l’Europe, le président Macron n’y fait pas directement allusion, mais ses propositions pour que l’Union européenne se dote d’un “traité de défense et de sécurité“, mette en place un “Conseil de sécurité européen associant le Royaume-Uni“, et augmente ses dépenses militaires, vont dans le même sens.

D’autant qu’il ne s’agit pas que de mots car dans le même temps la France a négocié avec l’Allemagne la construction du prochain système de combat aérien du futur (Scaf). En clair, le remplaçant du Rafale dont une des missions — et non la moindre — sera d’emporter l’arme nucléaire. Les premiers financements ont été adoptés et le projet élargi à l’Espagne. N’est-ce pas là les prémisses d’une contrepartie ?

De même, en proposant d’associer le Royaume-Uni au projet de “Conseil de sécurité européen“, cela permettrait notamment d’intégrer les accords Lancaster House, liant la France et le Royaume-Uni depuis 2010 — pour une durée de cinquante ans —, qui prévoient une coopération militaire et nucléaire. Les deux puissances nucléaires ont développé des installations communes de simulation — notamment au centre du Commissariat à l’énergie atomique (CEA) de Valduc en Côte-d’Or — pour développer les performances de leurs bombes atomiques. Accords qui ne sont aucunement remis en cause dans le cadre du Brexit, mais vont poursuivre leur montée en puissance, les installations communes devant être pleinement opérationnelles à partir de 2022.

Pour une Europe sans armes nucléaires

C’est dans ce contexte qu’il est important de faire entendre une voix différente. La campagne pour les élections européennes est l’occasion de réactiver le projet européen : favoriser la paix entre des ennemis “héréditaires“ par le biais des échanges et de la coopération... Et, surtout, de poser la question : quelle sécurité voulons-nous ? Une sécurité qui repose sur le dialogue, la confiance et non sur l’exercice de la menace de terreur.

Car même si le Parlement européen n’a quasiment pas de pouvoir décisionnaire sur les questions militaires qui relèvent de la souveraineté de chacun des États membres dont 22 sur les 27 sont également membres de l’alliance militaire de l’Otan. Les parlementaires européens peuvent adopter des résolutions et, à travers le vote du budget, exercer un contrôle de l’exécutif de l’Union européenne.

L’adoption du Traité d’interdiction des armes nucléaires par l’ONU en juillet 2017, offre de véritables perspectives nouvelles. Un État membre de l’Union européenne l’a déjà ratifié, l’Autriche et un autre l’a signé, l’Irlande. Des débats ont lieu dans d’autres pays... Une fois que suffisamment de pays l’auront rejoint, alors s’ouvrira la possibilité de la création d’une zone exempte d’arme nucléaire en Europe. Comme il en existe déjà plusieurs de par le monde.

Patrice Bouveret,
Observatoire des armements (www.obsarm.org)


Notes

[1Otan : Organisation du traité de l’Atlantique nord

[2Funke Mediengruppe, anciennement WAZ-Mediengruppe, est un groupe de média allemand, basé à Essen. Il possède le journal régional centré sur la Ruhr, Westdeutsche Allgemeine Zeitung, les magazines Gong et Die Aktuelle.

Karima Delli, Michèle Rivasi et des militants portent la banderole Abolition des armes nucléaires devant le ministère des Armées le 1er février 2019

Une piqûre d’autant plus salutaire que la question des armes nucléaires fait un retour sur la scène politique européenne. Non seulement du fait de la remise en cause de l’accord sur les forces nucléaires intermédiaires (FNI), mais également de manière plus insidieuse par la mise en place d’une “euro-dissuasion“ à partir de l’arsenal nucléaire français. Le tout dans un contexte de modernisation des armes nucléaires américaines basées sur le territoire européen.

Relance de la course aux armements nucléaires

Les médias ont largement fait écho à la décision du président Trump, annoncée le 1er février dernier, de se retirer du traité FNI signé en 1987 par les États-Unis et l’Union soviétique qui venait mettre fin à la production et au déploiement de missiles sol-sol d’une portée comprise entre 500 et 5 000 kilomètres. Ce traité mettait fin à la crise des “euromissiles“ des années 1980 autour du déploiement des missiles SS-20 et Pershing II entre les deux blocs qui avait largement mobilisée les opinions publiques face au risque d’une guerre nucléaire en Europe.

Cette décision est venue renforcer la tension existante entre les États-Unis et l’Europe sur fond de guerre commerciale. Donald Trump considère que les pays européens membres de l’Otan [1] profitent à bon compte du parapluie américain et ne respectent pas leur engagement — datant de 2006 ! — de porter à 2 % du PIB leurs dépenses militaires...

Elle s’inscrit également dans une période de renouvellement des bombes nucléaires américaines entreposées sur le sol européen. Pour mémoire, environ 200 sont réparties entre l’Allemagne, la Belgique, l’Italie, les Pays-Bas et la Turquie. Cette modernisation entraîne pour ces pays l’achat d’un nouvel avion de combat forcément américain au coût pharamineux !

Vers une “euro-dissuasion“ ?

La question de la défense européenne est souvent considérée comme un véritable serpent de mer et celle d’une arme nucléaire européenne comme une chimère. Pourtant depuis quelques mois, et à plusieurs reprises, l’idée d’un “parapluie nucléaire“ européen a été relancée.

Dans une interview à Funke Mediengruppe [2] , et diffusée par Ouest France en date du 9 février 2019, le diplomate Wolfgang Ischinger — qui préside le “Davos“ de la défense qui se réunit chaque année à Munich —, explique que “à moyen terme, la question de l’européanisation du potentiel nucléaire français est effectivement une très bonne idée. Il s’agit de savoir si, et comment la France pourrait être disposée à mettre stratégiquement sa capacité nucléaire au profit de l’ensemble de l’Union européenne. Concrètement : les options de l’engagement nucléaire de la France ne devraient pas couvrir seulement son propre territoire, mais aussi le territoire des partenaires au sein de l’Union européenne. En contrepartie, il faudrait définir quel apport les partenaires européens pourraient mettre à disposition pour cela, afin d’arriver à une juste répartition des efforts. Cependant, l’utilisation possible des armes nucléaires ne pourrait pas être décidée, au final, par un comité de l’Union européenne. Cette décision resterait celle du président français. Ce que nous devons accepter !“ Une prise de position précise et concrète, mais qui n’a suscité que très peu de réaction et encore moins de franche opposition.

Dans sa tribune diffusée début mars dans toute l’Europe, le président Macron n’y fait pas directement allusion, mais ses propositions pour que l’Union européenne se dote d’un “traité de défense et de sécurité“, mette en place un “Conseil de sécurité européen associant le Royaume-Uni“, et augmente ses dépenses militaires, vont dans le même sens.

D’autant qu’il ne s’agit pas que de mots car dans le même temps la France a négocié avec l’Allemagne la construction du prochain système de combat aérien du futur (Scaf). En clair, le remplaçant du Rafale dont une des missions — et non la moindre — sera d’emporter l’arme nucléaire. Les premiers financements ont été adoptés et le projet élargi à l’Espagne. N’est-ce pas là les prémisses d’une contrepartie ?

De même, en proposant d’associer le Royaume-Uni au projet de “Conseil de sécurité européen“, cela permettrait notamment d’intégrer les accords Lancaster House, liant la France et le Royaume-Uni depuis 2010 — pour une durée de cinquante ans —, qui prévoient une coopération militaire et nucléaire. Les deux puissances nucléaires ont développé des installations communes de simulation — notamment au centre du Commissariat à l’énergie atomique (CEA) de Valduc en Côte-d’Or — pour développer les performances de leurs bombes atomiques. Accords qui ne sont aucunement remis en cause dans le cadre du Brexit, mais vont poursuivre leur montée en puissance, les installations communes devant être pleinement opérationnelles à partir de 2022.

Pour une Europe sans armes nucléaires

C’est dans ce contexte qu’il est important de faire entendre une voix différente. La campagne pour les élections européennes est l’occasion de réactiver le projet européen : favoriser la paix entre des ennemis “héréditaires“ par le biais des échanges et de la coopération... Et, surtout, de poser la question : quelle sécurité voulons-nous ? Une sécurité qui repose sur le dialogue, la confiance et non sur l’exercice de la menace de terreur.

Car même si le Parlement européen n’a quasiment pas de pouvoir décisionnaire sur les questions militaires qui relèvent de la souveraineté de chacun des États membres dont 22 sur les 27 sont également membres de l’alliance militaire de l’Otan. Les parlementaires européens peuvent adopter des résolutions et, à travers le vote du budget, exercer un contrôle de l’exécutif de l’Union européenne.

L’adoption du Traité d’interdiction des armes nucléaires par l’ONU en juillet 2017, offre de véritables perspectives nouvelles. Un État membre de l’Union européenne l’a déjà ratifié, l’Autriche et un autre l’a signé, l’Irlande. Des débats ont lieu dans d’autres pays... Une fois que suffisamment de pays l’auront rejoint, alors s’ouvrira la possibilité de la création d’une zone exempte d’arme nucléaire en Europe. Comme il en existe déjà plusieurs de par le monde.

Patrice Bouveret,
Observatoire des armements (www.obsarm.org)



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