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Sortir du nucléaire n°29



Décembre 2005

Prospective

La "civilisation hydrogène" : mythe ou réalité ?

Parmi “ les ruptures technologiques ” régulièrement évoquées et censées résoudre définitivement la crise énergétique et environnementale que devra affronter à moyen terme

l’humanité, l’hydrogène est actuellement bien placé.

Politique énergétique

On sait bien en effet que la croissance très rapide du trafic automobile observée dans les pays riches, et son développement dans les grands pays comme la Chine, l’Inde ou le Brésil va créer une situation intenable aussi bien en termes de ressources énergétiques que d’émissions de gaz à effet de serre, en particulier du gaz carbonique CO2.

L’hydrogène est souvent présenté comme “la” solution. Les constructeurs automobiles y voient la garantie de leur pérennité et les gouvernements une solution élégante pour éviter d’imposer des mesures restrictives à la circulation automobile dont ils connaissent l’impopularité.

Les propos introductifs de Jérémie Rifkins dans son livre “L’économie hydrogène” donnent le ton : “L’hydrogène est l’élément le plus léger, le plus simple et le plus répandu de l’univers. Exploité sous forme d’énergie il devient un combustible éternel. Inépuisable, il est aussi non polluant puisqu’il ne contient pas un seul atome de carbone...

Les fondations de ce que nous pouvons appeler “l’économie hydrogène” sont déjà là, sous nos yeux... L’hydronet, le réseau énergétique mondial alimenté à l’hydrogène, est la prochaine révolution technologique, commerciale et sociale de l’histoire... Dans la mesure où l’hydrogène est universellement répandu et inépuisable, l’exploitation judicieuse de cette ressource permet à terme

d’envisager l’émancipation de chaque être humain, inaugurant ainsi le premier régime énergétique véritablement démocratique de l’histoire humaine. Nous nous trouvons au seuil d’un nouvel âge de l’histoire, riche de possibilités. L’hydrogène, la matière même dont sont faites les étoiles et notre soleil, est aujourd’hui à la portée de l’esprit humain et au service de l’homme”.

Eternel, inépuisable, pur, mondial, démocratique, émancipateur, les grands mots fédérateurs sont lâchés. Comment ne pas s’enthousiasmer pour cette perspective de sortie de crise énergétique et environnementale par la technologie ? Le couple hydrogène (combustible ou carburant) pile à combustible serait-il « la » solution ?

Des progrès incontestables


Il est bien vrai que la recherche, engagée depuis le début des années 50, a permis des progrès importants depuis une dizaine d’années, en particulier sur les piles à combustibles. Elles transforment aujourd’hui l’hydrogène en électricité avec des rendements bien meilleurs que nos vieux moteurs à essence (60 % contre 35 à 40 % pour les moteurs à essence), dans des machines qui ne comportent aucune pièce tournante, ne font aucun bruit et produisent de l’eau pure à l’échappement. On peut donc envisager d’en équiper les automobiles, mais aussi de fournir de l’électricité aux immeubles. Dans ce dernier cas, on pourra même utiliser les 40% de pertes de chaleur de la pile pour chauffer l’immeuble, une cogénération électricité chaleur en pied d’immeuble.

Reste que les piles à combustibles sont encore 5 à 10 fois trop chères. De nombreux développements sont donc encore à réaliser pour passer de la démonstration à la réalité industrielle, faire chuter les prix des matériels et concurrencer nos chaudières ou nos moteurs traditionnels. Mais l’histoire récente montre bien que « l’apprentissage industriel » doit permettre en vingt ou trente ans d’atteindre cet objectif de compétitivité, si on y consacre les efforts nécessaires. L’engouement actuel des industriels et des gouvernements, s’il se maintient, est à ce propos de bon augure.

Alors pourquoi bouder notre plaisir ?

Tout simplement parce que ne regarder l’hydrogène que du côté de son utilisation revient à occulter la plupart des problèmes. Certes il y a pléthore d’hydrogène sur notre planète. Mais on pourrait en dire autant des électrons, ou même du carbone qu’on trouve partout, y compris dans l’atmosphère, où il y en a plutôt trop, nous disent les climatologues. Le problème tient au fait que l’hydrogène se trouve principalement dans la nature sous forme d’oxyde, H2O, l’eau qui nous entoure, ou d’hydrocarbures, qui contiennent du carbone, de l’hydrogène et plus ou moins d’oxygène. Pour disposer d’hydrogène, il faut donc casser les molécules pour n’en garder que l’hydrogène qui, en brûlant donnera de nouveau de l’eau.

Et cette opération de séparation de l’hydrogène de l’eau ou des hydrocarbures coûte de l’énergie, beaucoup d’énergie.

Si l’on part d’un hydrocarbure, le méthane CH4 par exemple, on obtient par réaction dans un « réformeur » qui peut être embarqué dans une automobile, de l’hydrogène avec un rendement de l’ordre de 60 %. On consomme alors une ressource fossile qui, elle, n’est pas inépuisable, et d’autre part la réaction dégage du gaz carbonique qu’on voudrait bien justement éviter d’émettre dans l’atmosphère. Dans ce procédé, il faut dépenser 5 kWh de chaleur pour obtenir 1 m3 d’hydrogène, à son tour susceptible de fournir 3 kWh de chaleur par combustion ou 1,8 kWh d’électricité dans une pile à combustible. Le rendement de production d’électricité ne dépasse donc pas 36%.

On peut aussi partir de l’eau. Deux méthodes se présentent :

Le plus simple est de la décomposer par électrolyse pour séparer l’oxygène de l’hydrogène. Mais il faut aujourd’hui environ 5 kWh d’électricité pour obtenir 1 m3 d’hydrogène. Et la production de l’électricité nécessaire entraîne à son tour des pertes. Si l’électricité est d’origine fossile, on peut la produire avec un rendement de 35 à 50%. La dépense totale d’énergie par m3 atteint donc 10 kWh dans le meilleur des cas et le rendement de l’électricité produite finalement par la pile à combustible au maximum de 1,8/10 = 18%. Si elle est d’origine nucléaire, le rendement est encore plus faible (12%) puisque l’électricité nécessaire à l’électrolyse est produite dans nos réacteurs actuels avec un rendement de 33%. Par contre, avantage évident, pas d’émissions, mais les risques spécifiques du nucléaire. Si elle est d’origine renouvelable (hydraulique, éolienne, etc.), pas non plus d’émissions de gaz à effet de serre, mais reste le problème du rendement global, de la dispersion et de l’intermittence de certaines de ces sources (solaire, éolien) dont les procédés industriels d’électrolyse s’accommodent mal dans l’état actuel des techniques.

L’autre solution imaginée est de décomposer la molécule d’eau par apport de chaleur à haute température. On espère en effet, à condition de mettre au point industriellement les réactions et les catalyseurs adaptés, pouvoir décomposer l’eau à des températures de l’ordre de 800° avec un rendement de l’ordre de 50%. Ce serait évidemment un progrès important puisqu’on n’aurait plus besoin de passer par l’électricité et qu’on se rapprocherait du rendement global de la filière ex-hydrocarbures.

Mais comment produire cette chaleur à haute température sans faire brûler de combustible fossile et donc émettre ces fameux gaz à effet de serre qu’on veut justement éviter ? On peut brûler du bois, utiliser un four solaire à concentration, ou un réacteur nucléaire à très haute température. Ce dernier projet mobilise les promoteurs du nucléaire qui y voient un débouché potentiel majeur à long terme pour leur industrie. Mais il y a encore loin de la coupe aux lèvres, puisque les réacteurs en question ne sont encore qu’à l’état de projet et qu’il n’existe pas à ce jour de démonstration d’une production industrielle d’hydrogène à 800°. On est donc encore là dans le domaine de la recherche en amont, les cycles de réaction envisageables ne sont pas encore choisis ; il n’y a donc pas réel espoir de voir déboucher une solution industrielle avant trente ou quarante ans. Et puis cette solution que certains présentent comme la voie royale, si elle devenait un jour possible, imposerait une très vaste dissémination d’installations nucléaires avec les risques que cela comporte.

Enfin, quelle que soit la méthode employée pour décomposer l’eau (électrolyse ou procédé thermique) il ne peut pas être question d’effectuer l’opération à bord d’un véhicule. L’opération se fera donc dans des installations fixes à partir desquelles il faudra transporter et distribuer l’hydrogène aux usagers. Reste enfin à trouver des solutions de stockage, au niveau des véhicules ou des habitations, de quantités d’hydrogène compatibles avec l’autonomie recherchée. Pour le transport, pas de problème majeur, l’industrie en a déjà l’expérience. Pour le stockage par contre, en particulier à bord des automobiles, l’affaire est moins claire : on peut stocker l’hydrogène sous pression à plusieurs centaines de bars, le liquéfier, ou tenter d’utiliser des matériaux très adsorbants capables d’emmagasiner de grandes quantités d’hydrogène à la pression atmosphérique. Dans le premier cas le poids des réservoirs capables de résister aux pressions envisagées pose un problème, la liquéfaction entraîne quant à elle des dépenses énergétiques importantes. Les solutions à basse pression sont encore à l’état de projet.

Bref, les perspectives et le bilan global de l’opération ne sont pas aussi brillants qu’on veut bien nous le dire. Résumons-nous.

Dans le cas des transports automobiles, considérés comme la voie royale par les promoteurs de l‘hydrogène, c’est avec les piles à combustible utilisant un carburant embarqué (méthanol, méthane, etc.) qu’on obtient les meilleurs rendements

globaux « du puits à la roue », de l’ordre de 30%. C’est un progrès sensible par rapport aux meilleures technologies diesel actuelles (le diesel common rail atteint 21 à 23% de rendement). Aucune pollution locale, ce qui est évidemment un avantage important, mais l’inconvénient d’une production simultanée de gaz carbonique encore importante (de l’ordre de 60 à 70% des émissions actuelles du diesel).

Avec l’électrolyse, à partir d’électricité nucléaire ou renouvelable, on évite cet inconvénient. Mais avec le nucléaire actuel, le rendement global de l’opération « du puits à la roue » tombe nettement au-dessous de 15% ce qui grève d’autant les coûts de production. Même avec les coûts d’électricité de nuit particulièrement bas du nucléaire en France ou de l’hydraulique dans certains pays comme le Canada, l’hydrogène électrolytique coûte en effet deux fois plus cher que l’hydrogène produit à partir du méthane.

Restent les réacteurs nucléaires à haute température qui pourraient permettre de meilleurs rendements globaux. Mais là on est encore en pleine incertitude sur la faisabilité même du procédé et, bien entendu, sur ses coûts.

Et les autres technologies ?

Mais, entend-on bien souvent, si nous n’avons plus d’autre choix, il faudra bien en passer par là, même au prix fort, quand les carburants pétroliers auront aussi atteint des sommets. C’est oublier qu’il existe des solutions alternatives, dont certaines émergent déjà sur le marché et qui ont des caractéristiques de rendement et d’émission du même ordre de

grandeur que la pile à combustible. C’est le cas en particulier des véhicules hybrides, équipés de deux moteurs, l’un classique à essence ou diesel et

l’autre électrique. On peut envisager de les utiliser de différentes façons :

- Par exemple en chargeant les batteries du véhicule la nuit sur le réseau, et en effectuant la plupart des trajets en ville avec le moteur électrique (c’est l’hybride parallèle). Le moteur thermique ne se met alors en route que pour les longstrajets.

- Ou bien en faisant marcher constamment le moteur à essence pour charger la batterie du véhicule, mais dans ses meilleures conditions de performances (c’est l’hybride série). Le moteur et la transmission électriques, dont les performances ne varient pas avec le régime auquel on les soumet, associés à la récupération de l’énergie de freinage permettraient d’obtenir des performances globales bien meilleures que les performances actuelles, voire même que celles qu’on peut espérer des véhicules à piles à combustible (voir le dossier “La voiture à hydrogène”, la Recherche, octobre 2002).

Dans ces deux cas d’utilisation de l’hybride essence ou diesel, les performances énergétiques sont légèrement supérieures à la solution pile à combustible, sans pour autant entraîner de changement dans le circuit de distribution du carburant automobile.

Il en est de même pour les émissions de gaz à effet de serre, sauf si l’on cumule les difficultés de l’installation d’un réseau diffus d’hydrogène permettant l’alimentation à la pompe et du développement d’une filière entièrement nouvelle de production d’hydrogène à haut rendement fondée sur des réacteurs haute température.

Pour les applications fixes, l’affaire se présente mieux puisque la cogénération d’électricité et de chaleur permet d’augmenter sensiblement le rendement global et d’amortir sur des temps plus longs l’investissement de la pile à combustible. Mais là encore d’autres technologies apparaissent déjà sur le marché, en particulier les petites turbines à gaz, également en cogénération.

Quelles conclusions tirer

de ces différents éléments ?

Une bonne façon de se faire une idée réaliste des enjeux à moyen et long terme de l’hydrogène est d’analyser le travail auquel s’est livré Stéphane His de l’IFP (Quelles alternatives énergétiques à moyen et long terme ?, Revue de l’énergie, février 2004) et qui concerne les transports. S’appuyant sur un scénario de croissance des trafics routiers de passagers et de marchandises mondiaux à l’horizon 2060 dont les principales caractéristiques sont indiquées dans le tableau ci-dessous, il compare les conséquences énergétiques et environnementales de la pénétration de différentes technologies (piles à combustibles, hybrides à carburants fossiles, carburants de substitution, etc.) par rapport à l’évolution des technologies « au fil de l’eau » (une amélioration progressive des performances des moteurs, mais sans rupture technologique).

La pénétration mondiale envisagée de ces technologies en rupture est très volontariste : à partir de 2020, leur rythme est analogue à celle du diesel au cours des 30 dernières années . Dans ces conditions, en 2060, 40% des parcs mondiaux de voitures et de camions relèvent de ces technologies nouvelles.

Le tableau ci-dessous décrit les conséquences de ces stratégies pour quelques-unes des technologies étudiées, dont la pile à combustible, à l’horizon 2060.

`

Premier constat : dans tous les cas de figure, les consommations d’énergie et les émissions de CO2 augmentent d’un facteur qui se situe autour de 4 entre 1990 et 2060, alors que le trafic automobile est multiplié par 7 et le trafic de marchandises par 8. C’est dire que le progrès technique permet des

économies importantes, d’un facteur deux environ, par rapport à une évolution à technologie constante.

Deuxième constat : en 2060, les différences entre les scénarios “ruptures technologiques” et le scénario “amélioration des technologies traditionnelles” restent encore très modestes, de l’ordre de 10%, aussi bien en consommation d’énergie qu’en émissions de gaz à effet de serre. L’avantage va aux véhicules hybrides qui présentent le meilleur bilan énergétique et un bilan CO2 un peu meilleur que celui des piles à combustible hydrogène.

L’auteur fait remarquer que “les résultats des PAC en termes d’émissions pourraient s’améliorer si l’électrolyse était majoritairement réalisée à partir d’électricité nucléaire. Mais la production de 2 à 3000 Mtep annuelles d’électricité nucléaire (23 000 à 35 000 TWh) suppose avec les technologies actuelles la mise en place de plus de 4000 centrales de 1000 MW dans le monde sur la période (une centrale par semaine d’ici 2060), pour n’alimenter que 40% de la demande de ce secteur d’activité. Ceci pose bien évidemment, poursuit-il, des problèmes industriels et environnementaux considérables, sans compter les questions de réserves d’uranium.”

Dernier point : quelle que soit la rupture technologique envisagée, si la croissance des trafics se poursuit au rythme indiqué dans le scénario, on reste très loin des objectifs de réduction des consommations d’énergie et de CO2, d’un facteur deux environ par rapport à 1990 qui sont considérées comme indispensables pour éviter la catastrophe climatique.

Et l’auteur de nous rappeler malicieusement que, “entre 1983 et 1997, le gain de consommation sur une voiture moyenne aurait pu être de 28%, alors qu’il n’a été que de 8% ; c’est la conséquence de l’évolution des automobiles vers plus de poids (plus de confort, plus de systèmes de sécurité active ou passive) mais aussi de la course à l’amélioration des performances de vitesse et d’accélération”.

En bref, donc :

- Oui, la pile à combustible fait partie des technologies qui peuvent dans les décennies qui viennent contribuer à améliorer les performances nominales de consommation et d’émission de nos voitures et de nos systèmes de production de chaleur et d’électricité fixes. Mais ce n’est pas la seule et certaines de ses concurrentes posent beaucoup moins de problèmes industriels et organisationnels. Elle a donc très probablement un avenir industriel et commercial important mais limité à des applications où les problèmes de pollution locale sont essentiels.

- Non, il n’est pas raisonnable d’envisager pour les 60 ou 80 ans qui viennent, le grand soir de la “civilisation de l’hydrogène” que nous propose Jérémie Rifkins. Non seulement pour des raisons techniques et économiques, mais aussi parce que le réseau mondial hydronet qu’il imagine, tout aussi capitalistique que le réseau électrique, impliquera très probablement des rapports de force et des sujétions de même nature que celui-ci vis-à-vis des producteurs décentralisés et des consommateurs. Et, quand on sait que le réseau électrique ne progresse pas assez vite aujourd’hui pour compenser la démographie des populations sans électricité, on peut émettre de sérieux doutes sur la réalité de l’idée proposée.

Alors, faire croire que l’hydrogène et la pile à combustible sont « la » solution à moyen et long terme à nos problèmes énergétiques et environnementaux est non seulement fallacieux mais dangereux et démobilisateur pour les citoyens consommateurs trop enclins à continuer comme si de rien n’était à consommer de l’énergie sans compter, en se rassurant à bon compte de propos trompeurs. C’est d’autant plus dommage que cette technologie mérite sûrement d’être développée et utilisée à bon escient.

Benjamin Dessus

Global Chance (association de scientifiques)

17 ter, rue du Val 92120 Meudon

Tél. 01 46 26 31 57 - Mail : globalchance@wandoo.fr

On sait bien en effet que la croissance très rapide du trafic automobile observée dans les pays riches, et son développement dans les grands pays comme la Chine, l’Inde ou le Brésil va créer une situation intenable aussi bien en termes de ressources énergétiques que d’émissions de gaz à effet de serre, en particulier du gaz carbonique CO2.

L’hydrogène est souvent présenté comme “la” solution. Les constructeurs automobiles y voient la garantie de leur pérennité et les gouvernements une solution élégante pour éviter d’imposer des mesures restrictives à la circulation automobile dont ils connaissent l’impopularité.

Les propos introductifs de Jérémie Rifkins dans son livre “L’économie hydrogène” donnent le ton : “L’hydrogène est l’élément le plus léger, le plus simple et le plus répandu de l’univers. Exploité sous forme d’énergie il devient un combustible éternel. Inépuisable, il est aussi non polluant puisqu’il ne contient pas un seul atome de carbone...

Les fondations de ce que nous pouvons appeler “l’économie hydrogène” sont déjà là, sous nos yeux... L’hydronet, le réseau énergétique mondial alimenté à l’hydrogène, est la prochaine révolution technologique, commerciale et sociale de l’histoire... Dans la mesure où l’hydrogène est universellement répandu et inépuisable, l’exploitation judicieuse de cette ressource permet à terme

d’envisager l’émancipation de chaque être humain, inaugurant ainsi le premier régime énergétique véritablement démocratique de l’histoire humaine. Nous nous trouvons au seuil d’un nouvel âge de l’histoire, riche de possibilités. L’hydrogène, la matière même dont sont faites les étoiles et notre soleil, est aujourd’hui à la portée de l’esprit humain et au service de l’homme”.

Eternel, inépuisable, pur, mondial, démocratique, émancipateur, les grands mots fédérateurs sont lâchés. Comment ne pas s’enthousiasmer pour cette perspective de sortie de crise énergétique et environnementale par la technologie ? Le couple hydrogène (combustible ou carburant) pile à combustible serait-il « la » solution ?

Des progrès incontestables


Il est bien vrai que la recherche, engagée depuis le début des années 50, a permis des progrès importants depuis une dizaine d’années, en particulier sur les piles à combustibles. Elles transforment aujourd’hui l’hydrogène en électricité avec des rendements bien meilleurs que nos vieux moteurs à essence (60 % contre 35 à 40 % pour les moteurs à essence), dans des machines qui ne comportent aucune pièce tournante, ne font aucun bruit et produisent de l’eau pure à l’échappement. On peut donc envisager d’en équiper les automobiles, mais aussi de fournir de l’électricité aux immeubles. Dans ce dernier cas, on pourra même utiliser les 40% de pertes de chaleur de la pile pour chauffer l’immeuble, une cogénération électricité chaleur en pied d’immeuble.

Reste que les piles à combustibles sont encore 5 à 10 fois trop chères. De nombreux développements sont donc encore à réaliser pour passer de la démonstration à la réalité industrielle, faire chuter les prix des matériels et concurrencer nos chaudières ou nos moteurs traditionnels. Mais l’histoire récente montre bien que « l’apprentissage industriel » doit permettre en vingt ou trente ans d’atteindre cet objectif de compétitivité, si on y consacre les efforts nécessaires. L’engouement actuel des industriels et des gouvernements, s’il se maintient, est à ce propos de bon augure.

Alors pourquoi bouder notre plaisir ?

Tout simplement parce que ne regarder l’hydrogène que du côté de son utilisation revient à occulter la plupart des problèmes. Certes il y a pléthore d’hydrogène sur notre planète. Mais on pourrait en dire autant des électrons, ou même du carbone qu’on trouve partout, y compris dans l’atmosphère, où il y en a plutôt trop, nous disent les climatologues. Le problème tient au fait que l’hydrogène se trouve principalement dans la nature sous forme d’oxyde, H2O, l’eau qui nous entoure, ou d’hydrocarbures, qui contiennent du carbone, de l’hydrogène et plus ou moins d’oxygène. Pour disposer d’hydrogène, il faut donc casser les molécules pour n’en garder que l’hydrogène qui, en brûlant donnera de nouveau de l’eau.

Et cette opération de séparation de l’hydrogène de l’eau ou des hydrocarbures coûte de l’énergie, beaucoup d’énergie.

Si l’on part d’un hydrocarbure, le méthane CH4 par exemple, on obtient par réaction dans un « réformeur » qui peut être embarqué dans une automobile, de l’hydrogène avec un rendement de l’ordre de 60 %. On consomme alors une ressource fossile qui, elle, n’est pas inépuisable, et d’autre part la réaction dégage du gaz carbonique qu’on voudrait bien justement éviter d’émettre dans l’atmosphère. Dans ce procédé, il faut dépenser 5 kWh de chaleur pour obtenir 1 m3 d’hydrogène, à son tour susceptible de fournir 3 kWh de chaleur par combustion ou 1,8 kWh d’électricité dans une pile à combustible. Le rendement de production d’électricité ne dépasse donc pas 36%.

On peut aussi partir de l’eau. Deux méthodes se présentent :

Le plus simple est de la décomposer par électrolyse pour séparer l’oxygène de l’hydrogène. Mais il faut aujourd’hui environ 5 kWh d’électricité pour obtenir 1 m3 d’hydrogène. Et la production de l’électricité nécessaire entraîne à son tour des pertes. Si l’électricité est d’origine fossile, on peut la produire avec un rendement de 35 à 50%. La dépense totale d’énergie par m3 atteint donc 10 kWh dans le meilleur des cas et le rendement de l’électricité produite finalement par la pile à combustible au maximum de 1,8/10 = 18%. Si elle est d’origine nucléaire, le rendement est encore plus faible (12%) puisque l’électricité nécessaire à l’électrolyse est produite dans nos réacteurs actuels avec un rendement de 33%. Par contre, avantage évident, pas d’émissions, mais les risques spécifiques du nucléaire. Si elle est d’origine renouvelable (hydraulique, éolienne, etc.), pas non plus d’émissions de gaz à effet de serre, mais reste le problème du rendement global, de la dispersion et de l’intermittence de certaines de ces sources (solaire, éolien) dont les procédés industriels d’électrolyse s’accommodent mal dans l’état actuel des techniques.

L’autre solution imaginée est de décomposer la molécule d’eau par apport de chaleur à haute température. On espère en effet, à condition de mettre au point industriellement les réactions et les catalyseurs adaptés, pouvoir décomposer l’eau à des températures de l’ordre de 800° avec un rendement de l’ordre de 50%. Ce serait évidemment un progrès important puisqu’on n’aurait plus besoin de passer par l’électricité et qu’on se rapprocherait du rendement global de la filière ex-hydrocarbures.

Mais comment produire cette chaleur à haute température sans faire brûler de combustible fossile et donc émettre ces fameux gaz à effet de serre qu’on veut justement éviter ? On peut brûler du bois, utiliser un four solaire à concentration, ou un réacteur nucléaire à très haute température. Ce dernier projet mobilise les promoteurs du nucléaire qui y voient un débouché potentiel majeur à long terme pour leur industrie. Mais il y a encore loin de la coupe aux lèvres, puisque les réacteurs en question ne sont encore qu’à l’état de projet et qu’il n’existe pas à ce jour de démonstration d’une production industrielle d’hydrogène à 800°. On est donc encore là dans le domaine de la recherche en amont, les cycles de réaction envisageables ne sont pas encore choisis ; il n’y a donc pas réel espoir de voir déboucher une solution industrielle avant trente ou quarante ans. Et puis cette solution que certains présentent comme la voie royale, si elle devenait un jour possible, imposerait une très vaste dissémination d’installations nucléaires avec les risques que cela comporte.

Enfin, quelle que soit la méthode employée pour décomposer l’eau (électrolyse ou procédé thermique) il ne peut pas être question d’effectuer l’opération à bord d’un véhicule. L’opération se fera donc dans des installations fixes à partir desquelles il faudra transporter et distribuer l’hydrogène aux usagers. Reste enfin à trouver des solutions de stockage, au niveau des véhicules ou des habitations, de quantités d’hydrogène compatibles avec l’autonomie recherchée. Pour le transport, pas de problème majeur, l’industrie en a déjà l’expérience. Pour le stockage par contre, en particulier à bord des automobiles, l’affaire est moins claire : on peut stocker l’hydrogène sous pression à plusieurs centaines de bars, le liquéfier, ou tenter d’utiliser des matériaux très adsorbants capables d’emmagasiner de grandes quantités d’hydrogène à la pression atmosphérique. Dans le premier cas le poids des réservoirs capables de résister aux pressions envisagées pose un problème, la liquéfaction entraîne quant à elle des dépenses énergétiques importantes. Les solutions à basse pression sont encore à l’état de projet.

Bref, les perspectives et le bilan global de l’opération ne sont pas aussi brillants qu’on veut bien nous le dire. Résumons-nous.

Dans le cas des transports automobiles, considérés comme la voie royale par les promoteurs de l‘hydrogène, c’est avec les piles à combustible utilisant un carburant embarqué (méthanol, méthane, etc.) qu’on obtient les meilleurs rendements

globaux « du puits à la roue », de l’ordre de 30%. C’est un progrès sensible par rapport aux meilleures technologies diesel actuelles (le diesel common rail atteint 21 à 23% de rendement). Aucune pollution locale, ce qui est évidemment un avantage important, mais l’inconvénient d’une production simultanée de gaz carbonique encore importante (de l’ordre de 60 à 70% des émissions actuelles du diesel).

Avec l’électrolyse, à partir d’électricité nucléaire ou renouvelable, on évite cet inconvénient. Mais avec le nucléaire actuel, le rendement global de l’opération « du puits à la roue » tombe nettement au-dessous de 15% ce qui grève d’autant les coûts de production. Même avec les coûts d’électricité de nuit particulièrement bas du nucléaire en France ou de l’hydraulique dans certains pays comme le Canada, l’hydrogène électrolytique coûte en effet deux fois plus cher que l’hydrogène produit à partir du méthane.

Restent les réacteurs nucléaires à haute température qui pourraient permettre de meilleurs rendements globaux. Mais là on est encore en pleine incertitude sur la faisabilité même du procédé et, bien entendu, sur ses coûts.

Et les autres technologies ?

Mais, entend-on bien souvent, si nous n’avons plus d’autre choix, il faudra bien en passer par là, même au prix fort, quand les carburants pétroliers auront aussi atteint des sommets. C’est oublier qu’il existe des solutions alternatives, dont certaines émergent déjà sur le marché et qui ont des caractéristiques de rendement et d’émission du même ordre de

grandeur que la pile à combustible. C’est le cas en particulier des véhicules hybrides, équipés de deux moteurs, l’un classique à essence ou diesel et

l’autre électrique. On peut envisager de les utiliser de différentes façons :

- Par exemple en chargeant les batteries du véhicule la nuit sur le réseau, et en effectuant la plupart des trajets en ville avec le moteur électrique (c’est l’hybride parallèle). Le moteur thermique ne se met alors en route que pour les longstrajets.

- Ou bien en faisant marcher constamment le moteur à essence pour charger la batterie du véhicule, mais dans ses meilleures conditions de performances (c’est l’hybride série). Le moteur et la transmission électriques, dont les performances ne varient pas avec le régime auquel on les soumet, associés à la récupération de l’énergie de freinage permettraient d’obtenir des performances globales bien meilleures que les performances actuelles, voire même que celles qu’on peut espérer des véhicules à piles à combustible (voir le dossier “La voiture à hydrogène”, la Recherche, octobre 2002).

Dans ces deux cas d’utilisation de l’hybride essence ou diesel, les performances énergétiques sont légèrement supérieures à la solution pile à combustible, sans pour autant entraîner de changement dans le circuit de distribution du carburant automobile.

Il en est de même pour les émissions de gaz à effet de serre, sauf si l’on cumule les difficultés de l’installation d’un réseau diffus d’hydrogène permettant l’alimentation à la pompe et du développement d’une filière entièrement nouvelle de production d’hydrogène à haut rendement fondée sur des réacteurs haute température.

Pour les applications fixes, l’affaire se présente mieux puisque la cogénération d’électricité et de chaleur permet d’augmenter sensiblement le rendement global et d’amortir sur des temps plus longs l’investissement de la pile à combustible. Mais là encore d’autres technologies apparaissent déjà sur le marché, en particulier les petites turbines à gaz, également en cogénération.

Quelles conclusions tirer

de ces différents éléments ?

Une bonne façon de se faire une idée réaliste des enjeux à moyen et long terme de l’hydrogène est d’analyser le travail auquel s’est livré Stéphane His de l’IFP (Quelles alternatives énergétiques à moyen et long terme ?, Revue de l’énergie, février 2004) et qui concerne les transports. S’appuyant sur un scénario de croissance des trafics routiers de passagers et de marchandises mondiaux à l’horizon 2060 dont les principales caractéristiques sont indiquées dans le tableau ci-dessous, il compare les conséquences énergétiques et environnementales de la pénétration de différentes technologies (piles à combustibles, hybrides à carburants fossiles, carburants de substitution, etc.) par rapport à l’évolution des technologies « au fil de l’eau » (une amélioration progressive des performances des moteurs, mais sans rupture technologique).

La pénétration mondiale envisagée de ces technologies en rupture est très volontariste : à partir de 2020, leur rythme est analogue à celle du diesel au cours des 30 dernières années . Dans ces conditions, en 2060, 40% des parcs mondiaux de voitures et de camions relèvent de ces technologies nouvelles.

Le tableau ci-dessous décrit les conséquences de ces stratégies pour quelques-unes des technologies étudiées, dont la pile à combustible, à l’horizon 2060.

`

Premier constat : dans tous les cas de figure, les consommations d’énergie et les émissions de CO2 augmentent d’un facteur qui se situe autour de 4 entre 1990 et 2060, alors que le trafic automobile est multiplié par 7 et le trafic de marchandises par 8. C’est dire que le progrès technique permet des

économies importantes, d’un facteur deux environ, par rapport à une évolution à technologie constante.

Deuxième constat : en 2060, les différences entre les scénarios “ruptures technologiques” et le scénario “amélioration des technologies traditionnelles” restent encore très modestes, de l’ordre de 10%, aussi bien en consommation d’énergie qu’en émissions de gaz à effet de serre. L’avantage va aux véhicules hybrides qui présentent le meilleur bilan énergétique et un bilan CO2 un peu meilleur que celui des piles à combustible hydrogène.

L’auteur fait remarquer que “les résultats des PAC en termes d’émissions pourraient s’améliorer si l’électrolyse était majoritairement réalisée à partir d’électricité nucléaire. Mais la production de 2 à 3000 Mtep annuelles d’électricité nucléaire (23 000 à 35 000 TWh) suppose avec les technologies actuelles la mise en place de plus de 4000 centrales de 1000 MW dans le monde sur la période (une centrale par semaine d’ici 2060), pour n’alimenter que 40% de la demande de ce secteur d’activité. Ceci pose bien évidemment, poursuit-il, des problèmes industriels et environnementaux considérables, sans compter les questions de réserves d’uranium.”

Dernier point : quelle que soit la rupture technologique envisagée, si la croissance des trafics se poursuit au rythme indiqué dans le scénario, on reste très loin des objectifs de réduction des consommations d’énergie et de CO2, d’un facteur deux environ par rapport à 1990 qui sont considérées comme indispensables pour éviter la catastrophe climatique.

Et l’auteur de nous rappeler malicieusement que, “entre 1983 et 1997, le gain de consommation sur une voiture moyenne aurait pu être de 28%, alors qu’il n’a été que de 8% ; c’est la conséquence de l’évolution des automobiles vers plus de poids (plus de confort, plus de systèmes de sécurité active ou passive) mais aussi de la course à l’amélioration des performances de vitesse et d’accélération”.

En bref, donc :

- Oui, la pile à combustible fait partie des technologies qui peuvent dans les décennies qui viennent contribuer à améliorer les performances nominales de consommation et d’émission de nos voitures et de nos systèmes de production de chaleur et d’électricité fixes. Mais ce n’est pas la seule et certaines de ses concurrentes posent beaucoup moins de problèmes industriels et organisationnels. Elle a donc très probablement un avenir industriel et commercial important mais limité à des applications où les problèmes de pollution locale sont essentiels.

- Non, il n’est pas raisonnable d’envisager pour les 60 ou 80 ans qui viennent, le grand soir de la “civilisation de l’hydrogène” que nous propose Jérémie Rifkins. Non seulement pour des raisons techniques et économiques, mais aussi parce que le réseau mondial hydronet qu’il imagine, tout aussi capitalistique que le réseau électrique, impliquera très probablement des rapports de force et des sujétions de même nature que celui-ci vis-à-vis des producteurs décentralisés et des consommateurs. Et, quand on sait que le réseau électrique ne progresse pas assez vite aujourd’hui pour compenser la démographie des populations sans électricité, on peut émettre de sérieux doutes sur la réalité de l’idée proposée.

Alors, faire croire que l’hydrogène et la pile à combustible sont « la » solution à moyen et long terme à nos problèmes énergétiques et environnementaux est non seulement fallacieux mais dangereux et démobilisateur pour les citoyens consommateurs trop enclins à continuer comme si de rien n’était à consommer de l’énergie sans compter, en se rassurant à bon compte de propos trompeurs. C’est d’autant plus dommage que cette technologie mérite sûrement d’être développée et utilisée à bon escient.

Benjamin Dessus

Global Chance (association de scientifiques)

17 ter, rue du Val 92120 Meudon

Tél. 01 46 26 31 57 - Mail : globalchance@wandoo.fr



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